« Principes de sociologie générale » d’Alain Testart
L’anthropologue, mort en 2013, ambitionnait de formuler les lois de la science sociale. Des « Principes » aujourd’hui publiés. Analyse du sociologue Bernard Lahire les a lus pour le Monde (extrait)
« Principes de sociologie générale. 1. Dépendances et rapports sociaux », d’Alain Testart, édité par Valérie Lécrivain et Marc Joly, CNRS Editions, « Interdépendances », 616 p., 29 €, numérique 21 €.
Alain Testart (1945-2013) nous a laissé une œuvre magistrale et foisonnante sur le communisme primitif, l’origine des inégalités économiques ou de l’Etat, le fait religieux, le don, la monnaie, le système de parenté des Aborigènes d’Australie, la division sexuelle du travail, les rites d’initiation, l’esclavage ou l’art pariétal. Ses travaux font référence dans sa discipline, et ont aussi permis de faire dialoguer anthropologues, préhistoriens et archéologues. Il n’était pas pour autant un touche-à-tout papillonnant. Sa prolixité et la variété de ses objets étaient liées à la quête systématique de liens entre des phénomènes étudiés séparément par des chercheurs spécialisés. Et cette quête de systèmes cohérents n’avait de sens que parce qu’Alain Testart cherchait in fine à classifier l’ensemble des sociétés connues par la préhistoire, l’ethnologie, l’histoire et la sociologie, afin de pouvoir penser l’évolution d’un type de société à l’autre.
L’anthropologue a été un courageux adepte de la contre-pente. Convaincu qu’une véritable science sociale, capable de formuler des lois, était possible dans un monde académique largement acquis à la cause du relativisme épistémologique, défenseur d’un évolutionnisme (révisé) alors que l’idée d’évolution (qui suppose que le passage d’un type de société à l’autre n’est pas purement aléatoire mais est gouverné par des régularités) était abandonnée par la grande majorité de ses collègues, il a voulu renouer avec les fondateurs de l’anthropologie et de la sociologie. Pour cela, il s’est armé d’une foi scientifique très ferme, d’une érudition époustouflante et d’une rigueur de pensée que sa formation scientifique initiale (ingénieur de l’Ecole des mines) et son goût prononcé pour le droit ont contribué à forger.
Une sociologie à la recherche des « rapports sociaux fondamentauxLa synthèse de toutes ces qualités se lit dans le premier volet d’une œuvre inédite intitulée Principes de sociologie générale. Ce volume formule le programme ambitieux d’une sociologie à la recherche des « rapports sociaux fondamentaux », en tant que « rapports sociaux de dépendance » caractérisant les différents types de société. Pour lui, toutes les sociétés sont « conceptualisables en fonction de la façon dont elles font jouer la dépendance entre leurs membres ». Il définit rigoureusement sa méthode de travail (un comparatisme sociologique à la recherche des plus grands contrastes entre sociétés, plutôt que des petites variations) et ses concepts principaux, tout en montrant leur pertinence sur une série de sociétés choisies pour leur caractère particulièrement cohérent et homogène. Alain Testart propose donc bien une « sociologie générale », qui tire parti de la comparaison en posant les mêmes questions, à l’aide des mêmes outils conceptuels, aux sociétés les plus différentes : chasseurs-cueilleurs avec ou sans richesse, sociétés antiques, féodales, lignagères (le lignage étant un groupe de filiation dont les membres se réclament d’un ancêtre commun) ou capitalistes.