Terrorisme : les nouvelles promesses de Darmanin (interview)
Suite notamment à l’attentat de Rambouillet le ministre de l’intérieur dans une interview au JDD, affiche de nouvelles promesses
Interview
Une attaque terroriste a tué vendredi une policière au commissariat de Rambouillet. Une nouvelle manifestation de la menace islamiste?
Oui. Les mots sont importants. C’est une attaque islamiste. Mais, avant toute chose, je veux dire aux agents de la police nationale, policier et personnel administratif, qui ont tous été endeuillés par cette terrible attaque, mon affection et mon soutien total. Au-delà du ministère de l’Intérieur, c’est le pays tout entier qui a été touché par cet odieux assassinat. Nous savons que la lutte contre la menace islamiste sera longue, mais nous voulons que l’on puisse dire à nos enfants que l’on a mis fin à cela. J’y déploie toute mon énergie.
Comment lutter?
À la demande du président de la République et du Premier ministre, je présenterai mercredi un projet de loi consacré au renseignement et à la lutte contre le terrorisme. Depuis 2017, des efforts très importants ont été accomplis : 36 attentats ont été déjoués, 1.900 agents supplémentaires sont recrutés dans les services de renseignement territoriaux et à la DGSI [Direction générale de la sécurité intérieure], chef de file de la lutte antiterroriste qui a vu par ailleurs son budget doubler. Mais, comme je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, la menace reste forte : nous avons subi depuis 2017 14 attentats provoquant la mort de 25 personnes. L’hydre islamiste est toujours très présente. C’est pour cela que nous avons porté la loi séparatisme et que nous continuons à renforcer nos moyens pour lutter contre une menace qui évolue.
Quelles sont ces évolutions?
Nous avons désormais affaire sur notre sol à des individus isolés, de plus en plus jeunes, inconnus des services de renseignement avant leur passage à l’acte et sans forcément de lien avec des réseaux islamistes constitués. Leur usage systématique d’Internet et des réseaux sociaux plutôt que des moyens téléphoniques classiques rend difficile leur repérage. C’était le cas de l’assassin du professeur Samuel Paty : il avait des contacts réguliers avec la Syrie qui avaient échappé à la vigilance puisqu’ils passaient par la messagerie d’Instagram. La loi doit nous permettre d’être plus efficaces, en nous renforçant sur le terrain de la technologie qu’utilisent les terroristes. Le texte prévoit ainsi d’actualiser et de pérenniser le recours aux algorithmes, c’est-à-dire le traitement automatisé des données de connexion, par la DGSI. Nous n’oublions pas pour autant le suivi humain puisque nous continuons à recruter. Par ailleurs, les mesures de contrainte administrative qui visent les personnes condamnées pour des faits de terrorisme à leur sortie de prison pourront aller jusqu’à deux ans (contre un an aujourd’hui), ce qui est une mesure extrêmement importante. Concrètement, nous pourrons suivre jusqu’à deux ans après l’exécution de leur peine les personnes condamnées pour terrorisme. Enfin, nous améliorons le suivi socio psychiatrique des personnes potentiellement dangereuses.
Ce renforcement de la surveillance des données n’est-il pas un danger pour les libertés individuelles?
Non. Arrêtons avec cette naïveté. Toutes les grandes entreprises utilisent des algorithmes. Et il n’y aurait que l’État qui ne pourrait pas les utiliser? Pour mettre en œuvre ces techniques, il existe des garanties, comme par exemple la nécessité d’avoir quatre visas, dont ceux du Premier ministre, du ministre de l’Intérieur et de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Ces garanties sont encore renforcées dans le texte et le Conseil d’État comme le Parlement jouent aussi leur rôle de contre-pouvoir.
Mia, enfant de 8 ans, a été enlevée par des survivalistes. Est-ce une nouvelle menace terroriste?
Je le répète, l’islamisme demeure le plus grand péril et notre main ne tremble pas : depuis 2017, 575 personnes fichées pour radicalisation ont été expulsées de France, dont près de 300 depuis un an, et une vingtaine d’écoles clandestines ont été fermées à la demande du président de la République. Mais un autre type de menace est effectivement là, celle de l’ultra droite, complotiste, survivaliste. Cinq projets d’attentat venant de ces groupes ont été déjoués, dont trois visaient des lieux de culture ou de culte musulmans. Nous surveillons ces individus, comme ceux du commando qui a enlevé Mia, déjà repérés par la DGSI, ce qui a sûrement permis de sauver la fillette. Un autre danger vient de l’ultragauche, dont un passage à l’acte criminel a été empêché en décembre.
Faut-il placer les personnes fichées en rétention administrative, comme le propose Guillaume Peltier, vice-président des Républicains (LR)?
On assiste malheureusement au concours Lépine de la mesure la plus démagogique, qui consiste à dire « tout le monde en prison et même des innocents ». Être fiché, cela ne veut pas dire être coupable. Ça veut dire être suivi. Vous pouvez figurer sur le fichier parce que vous êtes en relation avec une personne suspecte mais n’avoir commis aucune infraction. Si rien ne peut vous être reproché, on vous retire du fichier. Par ailleurs, il est important de pouvoir suivre ces personnes sans qu’elles s’en rendent compte. Je regrette qu’une partie de la classe politique soit devenue populiste, au lieu de construire un parti de gouvernement.
À droite et à l’extrême droite, le gouvernement est régulièrement mis en cause pour son « laxisme ». Que répondez-vous?
Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, nous avons augmenté comme personne les effectifs de police et de gendarmerie (10 000 postes supplémentaires). Le chef de l’État a naturalisé 30 % de moins que ses prédécesseurs. Nous avons multiplié par deux les effectifs de police aux frontières. Lors de la présidence française de l’Union européenne au premier semestre 2022, j’engagerai, à la demande du président de la République, une réforme des accords de Schengen avec nos partenaires. La circulation libre des citoyens dans l’Union doit être garantie, mais nous voulons créer de véritables frontières extérieures de l’UE. Et sur la drogue le discours clair est du côté du gouvernement. Il l’est moins du côté des oppositions. Quand je vois le président des députés LR, Damien Abad, ou Robin Reda, le bras droit de Valérie Pécresse, prôner la légalisation du cannabis, je me demande où est le laxisme?
Cette ligne répressive contre l’usage du cannabis est dénoncée comme inefficace par les médecins… Ne faut-il pas une autre méthode?
Le cannabis est devenu une drogue dure. Tout le monde sait que le niveau de THC a augmenté de manière considérable et crée une dépendance très forte. Le cannabis est responsable de 500 morts sur les routes. Depuis janvier, nous avons conduit plus de 1 300 opérations de démantèlement des points de deal. Nous effectuons des saisies importantes et régulières. Mais notre stratégie est aussi de s’attaquer aux consommateurs : plus de 70 000 amendes pénales leur ont été délivrées depuis le 1er septembre. Et il faut dire la vérité, c’est souvent le bourgeois du 16e arrondissement parisien qui fait vivre le point de deal de Sarcelles. Nous allons nous attaquer encore plus à la livraison à domicile et lutter contre le soft power des prolégalisation mené sur certaines plateformes Internet qui réunissent plusieurs millions de personnes. Mais il faut aussi agir sur la prévention : la dernière campagne de sensibilisation contre la drogue date de trente ans ! Le gouvernement en lancera une nouvelle avant la fin de l’été sous l’autorité du Premier ministre.
La Cour de cassation vient de décider que le meurtrier de Sarah Halimi ne serait pas jugé. Faut-il rendre impossible la déclaration d’irresponsabilité pénale en cas de consommation de drogues?
D’abord, je constate que, dans le meurtre ignoble de Sarah Halimi, la drogue est là aussi en cause. Prenons nos responsabilités plutôt que de se réfugier derrière de fausses excuses : oui, en cas d’absorption volontaire de drogue, la responsabilité pénale doit s’appliquer et je suis favorable à une évolution de la loi. Cette affaire nous touche tous, ce n’est pas uniquement la peine « de la communauté juive », comme l’a dit de façon extrêmement choquante Julien Bayou. Il y a une forme de banalisation de l’antisémitisme par quelques responsables politiques…
Comment lutter face à l’augmentation des violences contre les personnes?
Elles concernent avant tout nos forces de l’ordre et nos pompiers. Le ministère de l’Intérieur a perdu l’an dernier onze de ses fonctionnaires en mission et a dénombré la même année près de 9 000 blessés. La violence est contre les forces de l’ordre. C’est révélateur de notre difficulté à vivre ensemble et d’une crise de l’autorité qui vient de loin. C’est pour ça que nous devons incarner cette autorité, tranquille mais ferme. La moitié de cette augmentation des violences contre les personnes est aussi due à la libération de la parole des victimes de violences intrafamiliales, encouragée par le Grenelle auquel a fortement contribué Marlène Schiappa. Nous travaillons à y répondre : avec la préplainte en ligne, la brigade numérique de la gendarmerie et moncommissariat.fr, la saisie d’armes systématisée en cas d’accusation de violences conjugales, le bracelet antirapprochement, le « téléphone grand danger » pour contacter immédiatement la police. Nous dénombrons aujourd’hui 276 brigades de protection des familles et nous renforçons les structures adaptées à l’écoute des enfants victimes. Il suffit d’aller voir le travail des policiers de Lens avec la structure d’accueil dédiée « Mélanie » pour se rendre compte de la beauté du métier de policier.
Certains policiers pointent l’inefficacité de la réponse pénale dans leur lutte contre l’insécurité…
L’opposition caricaturale entre la police et la justice ne fonctionne pas. Voilà trente ans que les gouvernements opposent systématiquement justice et police. Pour quels résultats? Notre réponse, c’est le renforcement des moyens de la justice et les réformes essentielles que mène le garde des Sceaux pour accélérer le jugement des mineurs, encadrer les enquêtes préliminaires, supprimer les remises de peine automatiques que des gouvernements précédents avaient mises en place. De la même façon, si on veut des condamnations justes, il faut aider les forces de l’ordre à faire de bonnes enquêtes. D’où le renforcement de la formation initiale et continue des policiers, les nouveaux moyens que nous leur accordons, comme les drones et caméras-piétons, votés dans la loi sécurité globale ou encore la revalorisation du métier d’officier de police judiciaire. Je souhaite également que nos enquêteurs puissent être appuyés par des agents administratifs – des « greffiers de police » – afin qu’ils puissent exclusivement se concentrer sur le travail d’enquête. Chacun voit l’importance des agents administratifs dans le travail de la police et de la gendarmerie.
Vous avez reçu samedi les policiers blessés en 2016 à Viry-Châtillon. Comprenez-vous la colère des syndicats face à la condamnation de cinq accusés sur 13 dans cette affaire?
J’ai reçu samedi les policiers victimes pour leur faire part de tout mon soutien. Dans l’heure d’échange que nous avons eue, ils ont montré une grande dignité. C’est un moment que je n’oublierai jamais et qui justifie mon engagement : protéger ceux qui nous protègent.
Les avocats de la défense mettent en cause le travail des enquêteurs dans cette affaire. Que leur répondez-vous?
Chercher un bouc émissaire n’est jamais une bonne solution. Ces enquêteurs sont des policiers comme les autres qui ont fait leur travail honnêtement, j’ai demandé au directeur de la police nationale de les rencontrer pour les assurer de notre soutien.
Xavier Bertrand, candidat à la présidentielle, veut proposer s’il est élu « une peine de prison d’un an non aménageable » et automatique en cas d’attaque des forces de l’ordre, pompiers, maires. Qu’en pensez-vous?
Cette proposition n’a malheureusement aucun rapport avec l’affaire de Viry-Châtillon puisqu’il serait absurde de condamner automatiquement à un an de prison ceux qui ont été déclarés innocents par une cour d’assises. Par ailleurs, ceux qui ont été condamnés l’ont été à des peines largement supérieures à un an (de six ans à dix-huit ans ferme). De manière générale, sur des sujets comme le terrorisme ou la sécurité, je crois que les dirigeants politiques de notre pays devraient soutenir l’action du président de la République, qui, avec des positions courageuses et héritant d’une situation difficile, protège notre pays.
Voyez-vous l’enjeu sécuritaire devenir prioritaire dans la campagne présidentielle de 2022?
Les Français doivent difficilement comprendre que l’on soit déjà en campagne électorale, en pleine crise sanitaire, à un an de l’élection présidentielle… Et puis il y a d’abord les campagnes régionales et départementales, où tout semble annoncer un haut score du Rassemblement national. Notre combat pour tous les démocrates et tous les républicains doit être la mobilisation pour éviter qu’une Région bascule dans le parti de la famille Le Pen.