Le « Monde » tenté par le Wokisme ?
Le journal Le Monde se défend d’être tenté par la mode du wokisme venu des États-Unis qui s’impose de plus en plus chez les gauchistes ( Notamment écolos, insoumis, Taubira , sans parler de l’université).
Les arguments du monde
Ouriel Reshef s’inquiète d’un possible tournant du « Monde » qui le conduirait à « assommer [ses lecteurs] avec une doxa à la mode », autrement dit le mouvement « woke ». Gilles van Kote, directeur délégué aux relations avec les lecteurs, lui répond que s’intéresser à un courant de pensée ne signifie pas prendre parti pour celui-ci.
Tout en reconnaissant l’incontestable qualité générale du Monde, dont je suis un fidèle abonné depuis plusieurs décennies, le tournant récent en faveur du wokisme inquiète et exaspère. On ne peut évacuer d’un haussement d’épaule les excès de cette nouvelle idéologie totalitaire, même si on ne peut lui dénier qu’elle pose de bonnes questions nécessitant des réponses complexes et nuancées.
Je renvoie au livre de Helen Pluckrose et James Lindsay (Le Triomphe des impostures intellectuelles, H&O, 2021), à celui de John McWhorter (Woke Racism, Portfolio, 2021, non traduit), ainsi qu’à celui de Greg Lukianoff et Jonathan Haidt (The Coddling of the American Mind, Penguin Books, 2019, non traduit). Pierre Valentin a produit pour la Fondation pour l’innovation politique deux notes remarquablement bien étayées sur le wokisme. Je me permets aussi de citer le site de la National Association of Scholars, qui donne une vision complète des ravages de cette idéologie dans les milieux académiques américains.
Depuis quelques semaines, Le Monde a publié quatre articles en réponse à la conférence tenue à la Sorbonne, sans qu’aucune réponse ne soit donnée à ces détracteurs. Et dans l’édition du mardi 1er février, la coupe est pleine avec deux articles : un entretien avec Laure Murat et un article sur le documentaire de Raoul Peck, Exterminez toutes ces brutes. On ne peut qu’être révolté par le parti pris de ce documentaire de considérer la pulsion exterminatrice comme la matrice de la civilisation occidentale, comme s’il fallait en négliger – ou même carrément occulter – les accomplissements.
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C’est une chose de vouloir compléter une représentation du passé qui fait, il est vrai, l’impasse sur des pans de l’histoire qui méritent d’être ressuscités (la traite et l’esclavage, la spoliation des peuples autochtones). C’en est une autre de prétendre procéder à un révisionnisme radical qui remplacerait une vision (taxée de partielle et d’erronée) par une autre (tout aussi incomplète). Le documentaire, qui n’a droit qu’à des éloges et ne suscite pas la moindre critique dans votre article, fait le choix d’un parti pris provoquant et qui heurte le bon sens.
Quant à l’entretien avec Laure Murat, professeure à UCLA, qui doit être parfaitement au courant des dérives du wokisme et de la « cancel culture », dont des dizaines de ses collègues ont souffert, perdant même pour certains leur travail sous les coups de boutoirs d’une foule à leurs trousses, elle évacue tout ça sous le vocable « escalades délirantes » – ce qui, quand même, est un peu trop facile et fait mine d’ignorer l’essentiel. Il y a tout de même un monde entre l’annulation des statues, qui pose la question légitime de la relation entre mémoire et histoire, et « l’annulation » de personnes pour des raisons futiles, sous prétexte de racisme systémique et de privilège blanc, ainsi que de cours de civilisation occidentale (Western Civ) ou portant sur les chefs-d’œuvre (Great Books) sur lesquels elle n’a rien à dire !
Si Le Monde veut informer ses lecteurs, et non les assommer avec une doxa à la mode, il faut donner la parole à la résistance aux délires et aux excès, et avant tout les reconnaître, pour ensuite les expliquer. A titre d’exemple, saviez-vous que l’université Cornell offre maintenant un cours d’astronomie intitulé : « Black Holes : Race and the Cosmos », dont la question directrice est la suivante : « Is there a connection between the cosmos and the idea of racial blackness ? ».
Les appels à décoloniser le curriculum aboutissent à appeler à « réhumaniser » les mathématiques parce qu’elles enseignent qu’il n’y a qu’une seule réponse juste et objective. Le terme de délire n’est pas trop fort pour caractériser de telles dérives, et il faut bien appeler un chat un chat. Les Etats-Unis sont malades de cette idéologie, et ce serait faire œuvre d’esprit civique que de se prémunir de la contagion et faire en sorte que la France ne soit pas touchée à son tour par cette véritable folie.
Ouriel Reshef, Paris
Gilles van Kote, directeur délégué aux relations avec les lecteurs, vous répond :
Nous recevons régulièrement des courriers de lecteurs regrettant que Le Monde soit devenu « woke » ou « wokiste », c’est selon. Mais s’intéresser à ce courant de pensée, dont le retentissement réel en France reste au demeurant très incertain, ne signifie pas y adhérer ! Que les valeurs que Le Monde a toujours défendues le rende naturellement sensible aux mouvements féministes, anti-racistes, anti-coloniaux ou de luttes contre les discriminations cela n’a rien de nouveau. De là à défendre la « cancel culture », ou culture de l’effacement, il y a un pas que nous sommes très loin d’avoir franchi. Je vous engage à cet égard à relire la chronique de Michel Guerrin écrite il y a exactement dans Le Monde sur ce sujet.
Lire la chronique de Michel Guerrin : Article réservé à nos abonnés Décolonialisme, « cancel culture »… : « La France, l’Amérique et les idées »
Je vous accorde que consacrer un article, une chronique (celle de Jean-Baptiste Fressoz) et une tribune du sociologue François Dubet au colloque consacré au thème « Que reconstruire après la déconstruction ? » qui s’est tenu les 7 et 8 janvier en Sorbonne a pu donner l’impression d’un acharnement. Mais ce qui nous intéresse dans ce courant de pensée et de militantisme baptisé woke ou wokisme, ce sont autant ses ressorts que son possible dévoiement par certaines formes de radicalité ou que les réactions parfois épidermiques de rejet qu’il suscite dans les milieux intellectuels, militants et politiques.
Lire aussi la tribune de François Dubet : Article réservé à nos abonnés « Le colloque organisé à La Sorbonne contre le “wokisme” relève d’un maccarthysme soft »
Pour qui s’intéresse aux idées et au débat d’idées, ce qui est le cas du Monde, il me semble difficile d’ignorer celles-ci. Je dirais même que le sujet me semble passionnant, bien qu’il ne faille jamais perdre de vue qu’il n’intéresse réellement qu’une part très minoritaire de la population, les analyses d’opinion montrant qu’une majorité de Français ignore ce qui se cache derrière les expressions « woke », « cancel culture » ou, pour revenir au français, intersectionnalité ou déconstruction.
Quant à la position du Monde, elle est loin d’être figée et différentes sensibilités sur ce sujet cohabitent au sein de sa rédaction. Nous continuerons donc de rendre compte des débats autour de ces courants, en tentant de garder nos distances et de conserver un regard critique vis-à-vis des uns comme des autres.
Le Monde