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Telegram : L’imbroglio juridique

Telegram : L’imbroglio juridique

 Intreview  d’  Étienne Drouard, avocat associé au sein du cabinet Hogan Lovells. Dans La Tribune

LA TRIBUNE – L’Europe a-t-elle un rôle à jouer dans cette affaire, notamment par le biais du Digital Services Act (DSA), qui contraint les entreprises à un certain niveau de modération des contenus qui circulent sur leur plateforme ?

ÉTIENNE DROUARD - Le DSA n’a absolument rien à voir avec ce qui est en train d’arriver à la plateforme Telegram. Les chefs d’accusation retenus contre M. Durov relèvent du code pénal. Un premier volet touche au manque de coopération avec les autorités judiciaires pour obtenir l’identification de criminels, et un second volet touche au régime français de la cryptographie, qui nécessite de déclarer en France les clés de déchiffrement.

Les chefs d’accusation ne portent pas sur le contenu des discussions qui circulent sur la plateforme. Or, c’est ce point qu’encadre le DSA : il permet par exemple aux particuliers et aux autorités judiciaires de demander la suppression d’un contenu illicite par la plateforme, qui doit faire preuve de diligence. Mais en aucun cas il serait possible de demander l’identité d’un criminel en application du DSA.

D’ailleurs, la Commission européenne, chargée d’appliquer le DSA, a bien pris la précaution de dire rapidement que cette affaire ne la concerne pas. Elle est entre les mains des autorités françaises.

Pourquoi Pavel Durov est-il mis en cause plutôt que son entreprise Telegram ?

Quand de tels faits sont reprochés, il peut y avoir une responsabilité pénale du dirigeant de l’entreprise, qui n’exclut pas pour autant une responsabilité pénale de l’entreprise. En revanche, attaquer le dirigeant offre un avantage : on ne peut pas mettre en garde à vue une entreprise, alors qu’on peut mettre en garde à vue son patron. La justice peut ainsi exercer son pouvoir de coercition physique, ce qu’elle a fait avec l’interdiction pour M. Durov de quitter le territoire français, et son obligation d’effectuer un contrôle judiciaire deux fois par semaine au commissariat.

Pour l’instant, on ne sait pas si les chefs d’accusation sont également dirigés contre l’entreprise. Néanmoins, les faits qui sont reprochés à M. Durov sont directement liés au service de Telegram, donc l’affaire comprendra forcément un volet sur le droit des sociétés. Quoiqu’il en soit, les responsabilités pénales de l’entreprise n’ont pas besoin d’être dévoilées ni même stabilisées par les juges à ce stade.

La phase d’instruction pénale peut durer entre huit mois et huit ans, une période pendant laquelle M. Durov aura plusieurs recours possibles. Et c’est à l’issue de cette instruction pénale le concernant que seront consolidés les aspects concernant l’entreprise Telegram.

Pendant cette durée d’instruction qui peut durer jusqu’à huit ans, Pavel Durov n’aura d’autre choix que de rester en France ?

Il va faire appel de la décision de rester sur le territoire français. On peut imaginer qu’il demande un nouvel accord avec une caution plus élevée en échange d’une liberté de sortie et d’entrée sur le territoire français. Il va quoiqu’il en soit y avoir plusieurs recours tout au long de l’affaire. Mais pour l’instant, nous sommes dans une première phase où il est coincé en France.

Le bon côté des choses, c’est que cette assignation a déjà des effets voulus par la justice, avant même qu’on ne connaisse la suite du dossier, car les criminels pourraient perdre confiance dans l’avenir de la confidentialité de leurs communications sur Telegram.

Imaginez, si vous êtes un criminel et que vous hébergez vos communications chiffrées de point à point sur Telegram, et que vous voyez que son dirigeant est sous la pression de la justice française pour coopérer davantage avec les autorités, la décision logique est d’emballer ses affaires et de partir vers un autre service.

Ce moment où les criminels partent de Telegram pour aller vers un autre service, potentiellement moins confidentiel, offre une opportunité aux autorités de découvrir qui ils sont et ce qu’ils font. C’est un véritable piège qui leur est tendu.

Pavel Durov a obtenu en août 2021 la citoyenneté française, en plus de son passeport émirati, grâce à une procédure secrète que refuse de commenter le gouvernement. Cette particularité entre-t-elle en compte dans l’affaire ?

Cette nationalité française facilite énormément la tâche aux autorités. La France n’extrade pas ses ressortissants, donc elle va pouvoir décider ce qu’elle fait de lui. Je suppose qu’il va y avoir des tractations pour savoir qui est le plus offrant, ou le plus menaçant, pour récupérer M. Durov, car c’est quelqu’un d’assez puissant.

En France, son arrestation s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la pédopornographie et des enjeux autour du chiffrement. Mais d’autres régions du monde ont aussi intérêt à le récupérer, pour d’autres raisons, notamment liées à des enjeux géopolitiques.

L’arrestation de Pavel Durov inquiète une partie des spécialistes de la cryptographie et des libertés en ligne, qui y voient une attaque contre le chiffrement de bout en bout. Ce mécanisme, aussi utilisé par WhatsApp, Signal ou encore Messenger, garantit aux utilisateurs que leurs conversations ne pourront pas être lues si elles sont interceptées. Est-ce un moyen pour les autorités de mettre le pied dans la porte sur ce vaste sujet ?

Pour mettre le pied dans la porte, il faudrait qu’elle ne soit pas déjà ouverte. En 1996, la France a cessé d’exiger des autorisations préalables pour les solutions de cryptographie, mais en contrepartie, elle a mis en place un régime de déclaration. Quand vous utilisez des clés de chiffrement pour fournir des services qui touchent le territoire français, vous devez déposer vos clés à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi).

Si vous ne vous pliez pas à cette exigence, qui permet à l’État français de déchiffrer les informations dans les cas prévus par la loi française, c’est une infraction. Avec cette affaire, on est en train de réveiller une législation qu’on a laissée dormir mais qui a toujours existé. Dans aucun pays du monde, qu’il soit autoritaire ou démocratique, un État ne peut se permettre d’être aveugle sur les activités chiffrées.

Dans le cas d’un chiffrement normal, l’entreprise détient l’accès aux clés, ce qui est par exemple le cas pour les discussions tenues sur les groupes Telegram. Mais dans le cas du chiffrement de bout en bout, l’entreprise n’a à aucun moment accès aux clés de chiffrement. Comment l’entreprise peut-elle se plier aux exigences légales dans ce cas ?

C’est vrai que Telegram n’a pas les capacités de lever le chiffrement sur les discussions chiffrées de bout en bout, même avec de la bonne foi. Mais ils ne peuvent pas s’en plaindre : c’est leur choix de ne pas avoir cette possibilité ! C’est même l’essence du service, sa promesse de confidentialité, et c’est de là que vient la confiance des utilisateurs. Pavel Durov et ses associés se sont mis eux-mêmes dans cette situation impossible : il faudrait reprogrammer le service pour qu’il devienne légal en France.

En quoi la situation de Telegram et M. Durov diffère-t-elle des autres messageries qui emploient le chiffrement de bout en bout, comme WhatsApp ou Signal ?

WhatsApp et Signal ont choisi leurs policiers. En se plaçant sous l’influence d’un État plutôt qu’un autre, une entreprise peut se permettre de mettre en place une capacité de coopération, et même d’être protégée par l’État avec lequel elle coopère.

C’est un vrai choix stratégique, qui alimente d’ailleurs les débats en Europe. Certains pays souhaitent forcer les messageries à mettre en place des portes dérobées [des accès détournés aux conversations, ndlr] pour que les autorités puissent accéder à toutes les conversations, même si elles sont protégées de bout en bout.

La France s’est jusqu’à présent opposée à cette idée, et préfère plutôt se reposer sur la volonté des prestataires de collaborer avec les autorités. L’idée est que les entreprises s’arrangent en interne pour pouvoir accéder aux informations, ou du moins à l’identité des personnes, sans pour autant donner cette possibilité aux États ou à quiconque d’autres. On laisse ainsi la responsabilité de la sécurité au prestataire, et on n’ouvre pas des portes dérobées dont n’importe qui pourrait potentiellement se servir.

Telegram, de son côté, a décidé de partir à Dubaï en se disant qu’il échappe aux Chinois, aux Américains et aux Européens. Il choisit d’être l’allié, le protégé ou le complice de personne. C’est aussi pour cette raison que les autorités françaises ont pu passer à l’action.

Pavel Durov et Telegram : affaire géopolitique ?

 Pavel Durov et Telegram :  affaire géopolitique ?

 
 

Le 24 août, Pavel Durov était arrêté alors que son jet privé faisait un arrêt au Bourget. Les autorités françaises expliquent cette décision par le refus de coopération du PDG de Telegram, notamment dans le cadre d’enquêtes relatives à des actions criminelles (trafic de drogue, escroquerie ou encore pédocriminalité) dont les auteurs auraient employé sa messagerie pour les perpétrer. En effet, si Telegram est largement utilisé pour communiquer entre individus ou sur des chaînes – lesquelles sont souvent considérées par leurs abonnés comme des sources d’information –, c’est aussi une marketplace d’envergure, y compris pour les milieux criminels.

 

par 

Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris – Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business School dans The Conversation 

Si Pavel Durov est connu pour son rôle au sein de Telegram, son aventure commence bien avant, notamment à travers la création en 2006 du réseau social en langue russe VKontakte. Les réseaux sociaux, dont VKontakte, sont fortement mobilisés lors des manifestations massives de 2011 et 2012 qui contestent notamment le résultat des élections législatives de décembre 2011. Le pouvoir russe demande alors à VKontakte de collaborer mais Durov n’obtempère pas, refusant en particulier de fermer le compte d’Alexeï Navalny.

Nouveau bras de fer fin 2013 : le FSB exige que VKontakte fournisse des données sur les membres de groupes associés au Maïdan ukrainien, parmi lesquels We Are Patriots of Ukraine ou encore Ukrainian Offensive, ce à quoi Durov oppose une fin de non-recevoir. À la suite de ses démêlés avec les autorités russes pour ses refus de collaboration, et après avoir vendu ses parts dans VKontakte et en avoir été révoqué du poste de directeur, le milliardaire quitte la Russie en 2014.

En 2018, alors qu’il vogue de pays en pays, il refuse encore une fois de coopérer avec le Kremlin, en ne donnant pas suite à la demande de l’agence Roskomnadzor (le gendarme des communications russe) de lui transmettre les clés permettant de décrypter les messages de Telegram. Roskomnadzor, face au refus de Durov, ordonne le blocage de la messagerie, mais n’est pas en mesure de le réaliser. Cet épisode accroît significativement la notoriété du réseau, qui apparaît désormais, dans le monde entier, comme celui qui a su résister aux tentatives de blocage de la Fédération de Russie.

Durov, qui reste citoyen russe, obtient dès 2014 la nationalité de Saint-Christophe-et-Nièves puis, en 2021, celle des Émirats arabes unis et celle de la France. C’est ce point qui explique qu’en tant que citoyen naturalisé, il tombe sous le coup de la législation française, qui lui reproche son manque de collaboration – mais, à la différence de la Russie, cela porte sur des affaires criminelles et non pas politiques.

Telegram, un outil de la propagande russe ?

Si les relations entre la messagerie et le Kremlin ont longtemps été particulièrement tumultueuses, on relève un apaisement certain depuis 2018.

Telegram est largement employé depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par les milbloggers (ou correspondants militaires), mais aussi par des officines reliées plus ou moins directement au ministère russe de la Défense ainsi que par des groupes paramilitaires et des sociétés militaires privées telles que Wagner. Si bien que Telegram est devenu un outil incontournable de l’influence russe, que ce soit en Russie ou à l’étranger, le réseau regroupant aujourd’hui quelque 1 milliard d’utilisateurs.

Outre les contenus (vrais ou contrefaits) relatifs au conflit russo-ukrainien circulant sur Telegram, le réseau a pu être utilisé par les divers acteurs pour stocker des vidéos, pour partager des dossiers, voir, pour coordonner des actions. Il sera intéressant d’observer dans l’avenir la place que Telegram aura prise en matière de sources d’archives sur le conflit en Ukraine, mais aussi sur les activités russes en Afrique, les SMP russes y étant très présentes depuis des années.

Malgré l’apaisement des relations entre Moscou et Durov, Vladimir Poutine a signé à l’été 2024 un paquet de lois imposant à tous les administrateurs de chaînes Telegram ayant plus de 10 000 abonnés de communiquer à Roskomnadzor tous les renseignements exigés par l’agence ; en cas de refus, ils ne pourraient plus diffuser de publicité sur leurs chaînes, ce qui est une source notable de revenus, notamment pour des chaînes pro-guerre influentes comme WarGonzo (plus de 1,2 million d’abonnés) ou Grey_Zone (plus de 60 000 abonnés, identifié comme un canal « officiel » du groupe Wagner).

À compter du 1er janvier 2025, les administrateurs auront également l’obligation de limiter l’accès aux pages personnelles des utilisateurs dans les 24 heures suivant la réception d’une demande de Roskomnadzor si ces utilisateurs n’ont pas fourni leurs informations au régulateur. Dans le même ordre d’idées, les chaînes de plus de 500 000 utilisateurs devront, sur demande de Roskomnadzor ou du FSB, communiquer aux autorités des données relatives à leurs utilisateurs.

Ces textes rappellent les demandes des années 2018 ; pour autant Durov n’y a pas réagi de manière véhémente. Ce calme apparent participait à renforcer des rumeurs faisant état d’une certaine proximité entre le pouvoir russe et le milliardaire exilé, même s’il nie publiquement entretenir de telles connexions. Tout récemment, le Kremlin a officiellement démenti l’information selon laquelle Vladimir Poutine aurait rencontré Durov à Bakou quelques jours avant l’arrestation de ce dernier.

Telegram aurait été déficitaire pendant plusieurs années et aurait fonctionné grâce aux fonds propres de Durov. En 2021, des messages publicitaires ont commencé à apparaître sur les chaînes. On voyait alors des annonces portant aussi bien sur des taux de change parfois douteux, des fausses nouvelles, mais aussi sur des cryptomonnaies.

En 2018 et 2021, Durov levait 2,5 milliards de dollars pour lancer une cryptomonnaie et couvrir les dettes de l’entreprise. Parmi les investisseurs russes de Telegram, on a pu retrouver les milliardaires Roman Abramovitch, Sergueï Solonine (fondateur du système de paiement russe Qiwi) David Yakobashvili (créateur de la grande entreprise agro-alimentaire Wimm-Bill-Dann), placé sous sanctions par l’Ukraine pour sa proximité avec le régime de Poutine, ou encore Mikhaïl Fridman, propriétaire d’Alpha Capital, structure dont le projet caritatif a été un temps dirigé par la fille aînée de Poutine. Enfin, en 2021, la société VTB Capital, détenue à 60 % par l’État russe et dirigée par un proche de Poutine, Andreï Kostine, dépensait plus d’un milliard de dollars en obligations Telegram.

Tous ces liens participent à semer le doute quant aux connexions entretenues entre la plate-forme et le pouvoir russe.

Un des arguments mis en avant par Telegram pour assurer ses utilisateurs du fait que leurs messages ne seront accessibles qu’aux destinataires et auteurs de ceux-ci est le chiffrement de bout en bout, ou End-to-End (E2E), mis en place sur la plate-forme pour protéger les données y circulant.

À ce titre, les clés permettant de déchiffrer les données se trouvent uniquement sur l’appareil qui a envoyé ces données et sur l’appareil du destinataire, assurant la fiabilité du système. Toutefois, le chiffrement n’est pas mis en œuvre par défaut. Il doit être activé manuellement afin de créer un chat secret, sachant que ce dernier devra être distinct pour chaque personne à qui l’initiateur du chat voudra parler, ce qui rend la manipulation assez complexe. Enfin, concernant les discussions secrètes chiffrées de bout en bout, un chercheur allemand a découvert en 2021 que Telegram créait des aperçus de liens transmis dans les chats secrets sur ses serveurs, ce qui semblerait indiquer que la messagerie a bel et bien accès aux correspondances secrètes.

En résumé, Telegram est un acteur majeur de la sphère informationnelle en général, y compris de la sphère informationnelle russe. À ce titre, la plate-forme est aujourd’hui un acteur de premier plan maîtrisant un nœud stratégique du cyberespace russe. L’arrestation de Durov permettra (et permet déjà) à la Russie, mais aussi à des représentants des courants radicaux européens et américains, notamment de droite, de s’offusquer et d’invoquer la liberté d’expression bafouée par les Occidentaux et par la France en particulier. Cet argumentaire omettra de prendre en considération que les raisons de l’arrestation sont directement liées à la non-coopération de Telegram dans le cadre d’enquêtes portant sur des activités criminelles, et passera sous silence les nombreuses lois visant à maîtriser la sphère informationnelle russe, particulièrement renforcées depuis l’invasion de l’Ukraine.

Il n’en reste pas moins que la mise en garde à vue de Durov, même brève – le 28 août, il a été mis en examen pour douze infractions dont « complicité d’administration d’une plate-forme en ligne pour permettre une transaction illicite, en bande organisée », « blanchiment de crimes ou délits en bande organisée » ou encore « fourniture et importation d’un moyen de cryptologie n’assurant pas exclusivement des fonctions d’authentification ou de contrôle d’intégrité sans déclaration préalable » et libéré, mais il n’est pas autorisé à quitter le territoire français –, n’est pas celle d’un simple patron d’entreprise, mais bien celle d’un homme se trouvant au cœur d’enjeux géopolitiques importants, particulièrement dans le contexte actuel.

Pavel Durov et Telegram : affaire géopolitique ?

 Pavel Durov et Telegram :  affaire géopolitique ?

 

Le 24 août, Pavel Durov était arrêté alors que son jet privé faisait un arrêt au Bourget. Les autorités françaises expliquent cette décision par le refus de coopération du PDG de Telegram, notamment dans le cadre d’enquêtes relatives à des actions criminelles (trafic de drogue, escroquerie ou encore pédocriminalité) dont les auteurs auraient employé sa messagerie pour les perpétrer. En effet, si Telegram est largement utilisé pour communiquer entre individus ou sur des chaînes – lesquelles sont souvent considérées par leurs abonnés comme des sources d’information –, c’est aussi une marketplace d’envergure, y compris pour les milieux criminels.

 

par 

Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris – Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business School dans The Conversation 

Si Pavel Durov est connu pour son rôle au sein de Telegram, son aventure commence bien avant, notamment à travers la création en 2006 du réseau social en langue russe VKontakte. Les réseaux sociaux, dont VKontakte, sont fortement mobilisés lors des manifestations massives de 2011 et 2012 qui contestent notamment le résultat des élections législatives de décembre 2011. Le pouvoir russe demande alors à VKontakte de collaborer mais Durov n’obtempère pas, refusant en particulier de fermer le compte d’Alexeï Navalny.

Nouveau bras de fer fin 2013 : le FSB exige que VKontakte fournisse des données sur les membres de groupes associés au Maïdan ukrainien, parmi lesquels We Are Patriots of Ukraine ou encore Ukrainian Offensive, ce à quoi Durov oppose une fin de non-recevoir. À la suite de ses démêlés avec les autorités russes pour ses refus de collaboration, et après avoir vendu ses parts dans VKontakte et en avoir été révoqué du poste de directeur, le milliardaire quitte la Russie en 2014.

En 2018, alors qu’il vogue de pays en pays, il refuse encore une fois de coopérer avec le Kremlin, en ne donnant pas suite à la demande de l’agence Roskomnadzor (le gendarme des communications russe) de lui transmettre les clés permettant de décrypter les messages de Telegram. Roskomnadzor, face au refus de Durov, ordonne le blocage de la messagerie, mais n’est pas en mesure de le réaliser. Cet épisode accroît significativement la notoriété du réseau, qui apparaît désormais, dans le monde entier, comme celui qui a su résister aux tentatives de blocage de la Fédération de Russie.

Durov, qui reste citoyen russe, obtient dès 2014 la nationalité de Saint-Christophe-et-Nièves puis, en 2021, celle des Émirats arabes unis et celle de la France. C’est ce point qui explique qu’en tant que citoyen naturalisé, il tombe sous le coup de la législation française, qui lui reproche son manque de collaboration – mais, à la différence de la Russie, cela porte sur des affaires criminelles et non pas politiques.

Telegram, un outil de la propagande russe ?

Si les relations entre la messagerie et le Kremlin ont longtemps été particulièrement tumultueuses, on relève un apaisement certain depuis 2018.

Telegram est largement employé depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par les milbloggers (ou correspondants militaires), mais aussi par des officines reliées plus ou moins directement au ministère russe de la Défense ainsi que par des groupes paramilitaires et des sociétés militaires privées telles que Wagner. Si bien que Telegram est devenu un outil incontournable de l’influence russe, que ce soit en Russie ou à l’étranger, le réseau regroupant aujourd’hui quelque 1 milliard d’utilisateurs.

Outre les contenus (vrais ou contrefaits) relatifs au conflit russo-ukrainien circulant sur Telegram, le réseau a pu être utilisé par les divers acteurs pour stocker des vidéos, pour partager des dossiers, voir, pour coordonner des actions. Il sera intéressant d’observer dans l’avenir la place que Telegram aura prise en matière de sources d’archives sur le conflit en Ukraine, mais aussi sur les activités russes en Afrique, les SMP russes y étant très présentes depuis des années.

Malgré l’apaisement des relations entre Moscou et Durov, Vladimir Poutine a signé à l’été 2024 un paquet de lois imposant à tous les administrateurs de chaînes Telegram ayant plus de 10 000 abonnés de communiquer à Roskomnadzor tous les renseignements exigés par l’agence ; en cas de refus, ils ne pourraient plus diffuser de publicité sur leurs chaînes, ce qui est une source notable de revenus, notamment pour des chaînes pro-guerre influentes comme WarGonzo (plus de 1,2 million d’abonnés) ou Grey_Zone (plus de 60 000 abonnés, identifié comme un canal « officiel » du groupe Wagner).

À compter du 1er janvier 2025, les administrateurs auront également l’obligation de limiter l’accès aux pages personnelles des utilisateurs dans les 24 heures suivant la réception d’une demande de Roskomnadzor si ces utilisateurs n’ont pas fourni leurs informations au régulateur. Dans le même ordre d’idées, les chaînes de plus de 500 000 utilisateurs devront, sur demande de Roskomnadzor ou du FSB, communiquer aux autorités des données relatives à leurs utilisateurs.

Ces textes rappellent les demandes des années 2018 ; pour autant Durov n’y a pas réagi de manière véhémente. Ce calme apparent participait à renforcer des rumeurs faisant état d’une certaine proximité entre le pouvoir russe et le milliardaire exilé, même s’il nie publiquement entretenir de telles connexions. Tout récemment, le Kremlin a officiellement démenti l’information selon laquelle Vladimir Poutine aurait rencontré Durov à Bakou quelques jours avant l’arrestation de ce dernier.

Telegram aurait été déficitaire pendant plusieurs années et aurait fonctionné grâce aux fonds propres de Durov. En 2021, des messages publicitaires ont commencé à apparaître sur les chaînes. On voyait alors des annonces portant aussi bien sur des taux de change parfois douteux, des fausses nouvelles, mais aussi sur des cryptomonnaies.

En 2018 et 2021, Durov levait 2,5 milliards de dollars pour lancer une cryptomonnaie et couvrir les dettes de l’entreprise. Parmi les investisseurs russes de Telegram, on a pu retrouver les milliardaires Roman Abramovitch, Sergueï Solonine (fondateur du système de paiement russe Qiwi) David Yakobashvili (créateur de la grande entreprise agro-alimentaire Wimm-Bill-Dann), placé sous sanctions par l’Ukraine pour sa proximité avec le régime de Poutine, ou encore Mikhaïl Fridman, propriétaire d’Alpha Capital, structure dont le projet caritatif a été un temps dirigé par la fille aînée de Poutine. Enfin, en 2021, la société VTB Capital, détenue à 60 % par l’État russe et dirigée par un proche de Poutine, Andreï Kostine, dépensait plus d’un milliard de dollars en obligations Telegram.

Tous ces liens participent à semer le doute quant aux connexions entretenues entre la plate-forme et le pouvoir russe.

Un des arguments mis en avant par Telegram pour assurer ses utilisateurs du fait que leurs messages ne seront accessibles qu’aux destinataires et auteurs de ceux-ci est le chiffrement de bout en bout, ou End-to-End (E2E), mis en place sur la plate-forme pour protéger les données y circulant.

À ce titre, les clés permettant de déchiffrer les données se trouvent uniquement sur l’appareil qui a envoyé ces données et sur l’appareil du destinataire, assurant la fiabilité du système. Toutefois, le chiffrement n’est pas mis en œuvre par défaut. Il doit être activé manuellement afin de créer un chat secret, sachant que ce dernier devra être distinct pour chaque personne à qui l’initiateur du chat voudra parler, ce qui rend la manipulation assez complexe. Enfin, concernant les discussions secrètes chiffrées de bout en bout, un chercheur allemand a découvert en 2021 que Telegram créait des aperçus de liens transmis dans les chats secrets sur ses serveurs, ce qui semblerait indiquer que la messagerie a bel et bien accès aux correspondances secrètes.

En résumé, Telegram est un acteur majeur de la sphère informationnelle en général, y compris de la sphère informationnelle russe. À ce titre, la plate-forme est aujourd’hui un acteur de premier plan maîtrisant un nœud stratégique du cyberespace russe. L’arrestation de Durov permettra (et permet déjà) à la Russie, mais aussi à des représentants des courants radicaux européens et américains, notamment de droite, de s’offusquer et d’invoquer la liberté d’expression bafouée par les Occidentaux et par la France en particulier. Cet argumentaire omettra de prendre en considération que les raisons de l’arrestation sont directement liées à la non-coopération de Telegram dans le cadre d’enquêtes portant sur des activités criminelles, et passera sous silence les nombreuses lois visant à maîtriser la sphère informationnelle russe, particulièrement renforcées depuis l’invasion de l’Ukraine.

Il n’en reste pas moins que la mise en garde à vue de Durov, même brève – le 28 août, il a été mis en examen pour douze infractions dont « complicité d’administration d’une plate-forme en ligne pour permettre une transaction illicite, en bande organisée », « blanchiment de crimes ou délits en bande organisée » ou encore « fourniture et importation d’un moyen de cryptologie n’assurant pas exclusivement des fonctions d’authentification ou de contrôle d’intégrité sans déclaration préalable » et libéré, mais il n’est pas autorisé à quitter le territoire français –, n’est pas celle d’un simple patron d’entreprise, mais bien celle d’un homme se trouvant au cœur d’enjeux géopolitiques importants, particulièrement dans le contexte actuel.

Le patron de Telegram sous contrôle judiciaire

Le patron de Telegram sous contrôle judiciaire

Pour l’essentiel le patron de télégramme est accusé de crimes commis dans le cadre de sa célèbre messagerie. Il se pourrait bien toutefois que cette affaire repose aussi sur des enjeux géostratégiques vis-à-vis de la Russie et sur le rôle de l’intéressé dans ce cadre. Après quatre jours de garde à vue, Pavel Dourov, fondateur et patron de la messagerie cryptée Telegram, a été mis en examen à Paris mercredi soir par deux juges d’instruction pour une litanie d’infractions relevant de la criminalité organisée, a annoncé la procureur de Paris Laure Beccuau dans un communiqué. L’entrepreneur de 39 ans a été remis en liberté avec un lourd contrôle judiciaire ; celui-ci prévoit l’obligation de remettre un cautionnement de 5 millions d’euros et de pointer au commissariat deux fois par semaine, et l’interdiction de quitter le territoire français.

semblent s’être notamment focalisées sur les mécanismes de régulation de la plateforme Telegram, dont le patron se targue de garantir la confidentialité, ainsi que sur son utilisation pour partager des contenus criminels ou délictueux.

L’information judiciaire, ouverte à l’encontre de plusieurs suspects qui ne sont pas explicitement nommés, porte notamment sur la diffusion d’images pédopornographiques et de produits stupéfiants. Elle vise aussi des faits de complicité d’escroquerie en bande organisée, d’association de malfaiteurs et de blanchiment. Les juges soupçonnent notamment les dirigeants de Telegram d’avoir refusé « de communiquer, sur demandes des autorités habilitées, les informations ou documents nécessaires pour la réalisation et l’exploitation des interceptions autorisées par la loi ».

L’arrestation de Pavel Dourov, qui réside à Dubaï depuis plusieurs années, a suscité de vives réactions à travers le monde. « Telegram se conforme aux lois européennes, y compris le règlement sur les services numériques, son action de modération est dans la norme du secteur », s’est défendu dimanche soir Telegram sur son propre canal, jugeant « absurde de dire qu’une plateforme ou son patron sont responsables des abus » relevés sur la plateforme. Il est «absurde» de penser que Pavel Dourov puisse être «impliqué» dans des crimes qui seraient commis via sa messagerie, a réagi son avocat après sa mise en examen.

Le Russe Telegram pour menacer le Libra mais aussi Visa

Le Russe Telegram pour menacer le Libra mais aussi Visa

 

 

La guerre des moyens de paiement et derrière la guerre monétaire est sans doute engagée au plan international. Compte tenu de la conjoncture très maussade, nombre d’épargnants commence à douter de monnaies traditionnelles et convertissent leurs liquidités dans des actifs qui leur semblent plus stables. La conjoncture bien sûr exerce  un rôle mais de manière plus structurelle, on s’interroge à propos des bricolages monétaires des banques centrales qui objectivement aujourd’hui fabriquent de la fausse  monnaie pour tenter de sauver tout le système financier. Un jour ou l’autre une ou plusieurs bulles éclateront et l’inflation viendra remettre à leur vrai niveau la valeur des monnaies. Dans ce cadre, les cryptomonnaies  amènent un élément révolutionnaire à savoir la mise sous tutelle des banques centrales voir leur élimination. C’est l’objectif de monnaies virtuelles comme le Libra  de Facebook ou même de Telegram, la messagerie créée par le russe Pavel Dourov. Pour Telegram, il s’agit est de créer un produit plus facile d’accès que les cryptomonnaies actuelles, comme le Bitcoin, qui fédèrent essentiellement un public d’initiés.

Dans un document ayant fuité l’an passé, Telegram affirmait vouloir créer plus qu’une monnaie.

Son réseau TON (Telegram Open Network), reposant sur la technologie blockchain, devrait créer tout un système de paiement sécurisé et rapide se voulant  »une alternative à Visa et Mastercard pour une nouvelle économie décentralisée ».

Pour cela, Telegram a recueilli la somme record de 1,7 milliard de dollars auprès de 200 investisseurs privés, lors d’une levée de fonds massive en cryptomonnaies (ICO) effectuée en deux fois.

Le succès à été tel que la messagerie a annulé l’organisation d’une levée de fonds publique, imposant aux investisseurs non triés sur le volet d’attendre le lancement officiel du « Gram » pour pouvoir se procurer la nouvelle cryptomonnaie, qu’ils auraient pu commencer à acquérir au moment de la levée de fonds.

Projet en test dès le 1erseptembre

Telegram ne s’étant jamais exprimé sur le sujet, les informations filtrent au compte-goutte via les investisseurs, situés notamment aux Etats-Unis, en Asie et en Russie.

« Ils sont liés par un accord de confidentialité », a déclaré à l’AFP une source proche des milieux économiques de Moscou, affirmant connaître personnellement « au moins un banquier de premier plan et un homme d’affaires de la liste Forbes Russie », qui compile les hommes les plus riches du pays, parmi les investisseurs.

« On ne pouvait investir que sur invitation, beaucoup de gens voulaient y participer », ajoute cette source.

Selon le quotidien économique russe Vedomosti, Telegram commencera ainsi à tester son projet TON dès le 1er septembre, mettant en accès public du code et des instructions pour créer un « noeud » et devenir ainsi un acteur du réseau.

Les premiers Gram devraient être mis en circulation d’ici deux mois, selon le New York Times, qui cite anonymement des investisseurs. Soit avant la cryptomonnaie Libra, que Facebook espère mettre en circulation au cours du premier semestre 2020. C’est que le temps presse: selon la presse spécialisée, Telegram s’est engagé à remettre les Grams aux investisseurs d’ici le 31 octobre, ou à leur rendre l’argent.

Perte d’influence des Etats nations

« Facebook comme Telegram voient bien qu’il y a un espace à prendre: permettre aux gens d’échanger via internet des petits montants, sans passer par de la monnaie fiduciaire, des opérations bancaires ou des applications », affirme à l’AFP Manuel Valente.

« Cela va renforcer les craintes des Etats nations sur leur perte d’influence », ajoute le directeur analyse et stratégie de Coinhouse, qui propose au grand public des outils pour investir dans des cryptomonnaies.

A ce petit jeu, les services de messageries, comme Telegram ou Facebook avec WhatsApp, ont beaucoup à gagner. Selon un rapport d’Aton, un des principaux fonds d’investissement russe, « les cryptomonnaies qui auront du succès sont celles qui feront partie intégrante de l’écosystème de messagerie d’un réseau social existant ».

Un réseau d’utilisateurs important, à l’instar des 250 millions estimés de Telegram, permettrait « d’accroître l’acceptation de la cryptomonnaie auprès du grand public », ajoute Aton, selon qui des produits comme Gram ou Libra pourraient ainsi « littéralement introduire la cryptomonnaie dans chaque ménage ».

Reste un écueil soulevé par Aton: une cryptomonnaie qui fonctionne devra être en « parfaite conformité avec la réglementation en vigueur ».

Lors du sommet du G7 Finances en juillet à Chantilly, près de Paris, les ministres et banquiers centraux des pays membres avaient alerté sur les risques pour le système financier international de ces projets ambitieux de monnaie numérique.

La messagerie Telegram, créée en 2013 par les frères russes Nikolaï et Pavel Dourov, est avant tout connue pour sa capacité à protéger et anonymiser les échanges. Son utilisation par les mouvements jihadistes a régulièrement suscité la polémique.

Organisation à but non lucratif, Telegram est basée sur des logiciels en « open source », c’est-à-dire libres de droits et accessibles à tous afin d’en améliorer le programme, et rejette tout type de contrôle sur son fonctionnement et sa gouvernance.

 




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