Croissance et progrès technique ne vont pas forcément de pair
L’économiste Pierre-Cyrille Hautcœur rappelle, dans sa chronique au Monde , que la quête du profit a mené, dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, le premier exploitant de la machine à vapeur à la faillite.
Chronique.
La COP26 a certes échoué à définir les modalités partagées d’une révolution énergétique, mais celle-ci se dessine néanmoins pour les prochaines décennies : les énergies carbonées, qui ont permis la croissance des âges industriel et postindustriel, vont céder le pas. De multiples innovations ont déjà réduit massivement les coûts des énergies renouvelables (éolien et solaire). Les investissements suivront tout seuls, disent les optimistes. Pourtant, ni les choix politiques ni les investissements privés ne dépendent des seules réductions de coûts, comme le rappellent les premiers pas de la machine à vapeur, symbole de la révolution industrielle anglaise.
L’extraction massive du charbon permit à l’Angleterre de surmonter la pénurie d’énergie qui la guettait à la fin du XVIIIe siècle, quand les cours d’eau étaient saturés de moulins et les forêts surexploitées. Outre le chauffage et bientôt le transport, elle permit de produire une énergie mécanique en quantité très supérieure, et moins contraignante à localiser. La machine à vapeur de l’inventeur Watt et de l’entrepreneur Boulton reste ainsi le symbole des « lumières industrielles » britanniques.
Dans un travail récemment présenté à l’Ecole d’économie de Paris, Mary O’Sullivan, professeure à l’université de Genève, explique les conditions de l’adoption et de la diffusion de ces machines dans les mines de Cournouailles à partir de 1776.
Obsession pour le profit
L’industrie du cuivre est l’un des secteurs les plus dynamiques de la Grande-Bretagne du XVIIIe siècle, mais son développement se heurte au coût prohibitif du pompage de l’eau dans les mines. La machine de Boulton et Watt permet de réaliser ce pompage à bien moindre coût que celle de Newcomen qu’elle remplace : la réduction de coût (en charbon) est d’au moins 65 %, un vrai saut qualitatif. Après le brevet pris en 1769 et sa prolongation jusqu’à 1800, des perspectives radieuses s’offrent : la demande en cuivre est en hausse grâce aux exportations et, surtout, aux besoins de l’industrie navale qui commence à gainer de cuivre les coques de bois des navires, que les mers chaudes détériorent vite. La Royal Navy, qui règne sur toutes les mers du globe, la Compagnie des Indes et les navires négriers s’équipent rapidement après 1775. En 1779, le gouvernement décide d’en doter toute la Navy – la guerre d’indépendance américaine se joue aussi sur les mers.
Pourtant, malgré ce brillant saut technologique et ces perspectives favorables, les mines de Cornouailles vont faire faillite en quelques années. Certes, l’émergence des mines concurrentes d’Anglesey (Pays de Galles) y est pour quelque chose, car le cuivre y est extrait à ciel ouvert à moindre coût. Mais l’obsession de Boulton et Watt pour le profit y est pour davantage. En effet, leur brevet leur permet d’imposer des contrats léonins aux entreprises minières, qui de ce fait ont le plus grand mal à réaliser des profits et doivent fermer certains sites pour éviter de tourner à perte. Obsédés par l’extraction maximale de leur rente, Boulton et Watt négligent les autres débouchés pour leur machine. Ils en retardent notamment l’adaptation à l’industrie textile, bien plus importante mais très concurrentielle. Toujours à la recherche de profit, Boulton cherche, au contraire, à coaliser les entreprises minières dans une fusion puis un cartel qui leur permettrait de contrôler le marché et d’augmenter les prix. Mais les stocks s’accumulent et l’entreprise fait faillite.