Fournisseurs d’énergie : La faillite du système de concurrence
Un papier de la Tribune souligne la faillite du système de concurrence des fournisseurs d’énergie et les conséquences néfastes notamment pour l’utilisateur NDLR
C’est un scénario noir qui semblait, il y a quelques mois encore, hautement improbable. Et pourtant, les cours de l’électricité témoignent de la catastrophe énergétique à venir en France : pour décembre, le mégawattheure (MWh) s’échange ce vendredi à plus de 1.600 euros sur les bourses, contre 80 euros à la même période l’an dernier – un niveau déjà considéré comme anormalement haut. Alors que la guerre en Ukraine s’est couplée aux déboires actuels du parc nucléaire d’EDF pour former un cocktail explosif, le marché anticipe en effet une grave défaillance cet hiver.
Pris au dépourvu, les fournisseurs alternatifs d’électricité (c’est-à-dire autres qu’EDF) se trouvent dans la tourmente. Alors qu’une partie d’entre eux appellent désormais leurs clients à les quitter pour rejoindre le tarif réglementé de vente (TRV, l’offre d’EDF encadrée par les pouvoirs publics), d’autres décident d’augmenter brusquement les tarifs cet hiver, et de supprimer leurs offres au tarif indexé sur le TRV d’EDF. A les entendre, ces derniers n’auraient pas le choix : « La hausse exceptionnelle des coûts d’approvisionnement en électricité, liée à la crise de l’énergie, ne permet plus de maintenir les tarifs actuels », explique GreenYellow (groupe Casino) dans un mail envoyé jeudi informant d’une hausse de 70% à la rentrée. « Nous sommes obligés de se désindexer du TRV », fait-on valoir chez Ohm Energie, dont les clients ont découvert début août des doublements de leurs mensualités dès septembre.
Et pourtant, dans la jungle de la concurrence, l’un d’eux semble pour l’heure résister à la tempête : avec ses quelque 40.000 abonnés particuliers, Plüm Energie maintient de son côté ouverte la souscription à son offre indexée au TRV, contre vents et marées. Pourquoi alors certains se disent-t-ils forcés d’imposer des hausses drastiques des prix afin de survivre en ces temps troublés, quand d’autres affirment pouvoir « maintenir le cap » ?
Dans les faits, les fournisseurs devraient être capables d’approvisionner leurs clients abonnés à une offre indexée au même prix qu’auparavant cet hiver. Et pour cause, afin de permettre aux fournisseurs alternatifs de rivaliser avec EDF, la construction du TRV repose sur les conditions économiques théoriques d’un de ses concurrents. « Pour parvenir à un tarif équivalent, il suffit donc de le répliquer : on achète de l’électricité à l’avance pour couvrir les besoins des clients, en miroir de ce que la Commission de régulation de l’énergie affiche pour le TRV », explique Vincent Maillard, cofondateur de Plüm Energie.
« Ensuite, l’Etat compense financièrement la différence avec le TRV induite par le bouclier tarifaire : il n’y a donc aucune raison de faire face à des impayés cet hiver, et d’augmenter les tarifs », poursuit-il.
En avril dernier, le fondateur d’Ohm Energie, François Joubert, affirmait d’ailleurs lui aussi à La Tribune s’être couvert en conséquence, et pouvoir ainsi rester « solide quelle que soit l’évolution des conditions de marché ».
Comment se fait-il alors que ses clients soient informés en août d’une modification substantielle de leur contrat, qui, de l’aveu même de François Joubert, entraînera de nombreuses résiliations ? Pour nombre de connaisseurs du secteur, pas de doute : « Le but est justement de se défaire d’une partie des clients, malgré ce qu’en dit Ohm », glissent à La Tribune plusieurs sources.
Pourtant, il y a encore quelques semaines, la petite entreprise harponnait les clients avec d’importants rabais sur l’été, promettant des tarifs « toujours inférieurs au TRV ». A l’instar de Marc*, qui a souscrit à une offre « très alléchante » courant juin, avant d’apprendre en août que sa mensualité, initialement fixée à 109 euros, augmentera à 272 euros dès le 1er septembre.
« Concrètement, l’idée est de recruter un maximum de clients en été, puis de s’en délester dès septembre afin de maximiser les droits à l’ARENH pour 2023 », estime un expert du secteur.
L’ARENH, pour Accès régulé à l’électricité nucléaire historique, est le quota d’électricité vendu à prix coûtant par EDF à ses concurrents, et que chaque fournisseur alternatif peut réclamer en fonction de la consommation de ses clients. Si de tels soupçons se portent sur Ohm Energie, c’est parce que le calcul de ces « droits ARENH », qui garantissent l’accès aux précieux électrons pour 46 euros seulement le MWh, sont calculés principalement en été, quand la consommation est la plus faible.
De fait, dans un mail daté de novembre 2021 qu’a pu consulter La Tribune, la jeune entreprise aux 250.000 compteurs informe l’un de ses clients d’une hausse provisoire des tarifs du fait de la flambée des cours, et lui conseille de rejoindre un autre fournisseur « pour éviter de payer plus cher que le tarif réglementé cet hiver ». Avant de lui proposer une « remise de 50 euros » sur son prochain contrat en cas de re-souscription chez Ohm Energie dès le 1er mai 2022, date à laquelle « l’offre reviendra à son niveau de remise initial ».
De son côté, François Joubert dément formellement toute pratique de ce genre, puisque l’ancien président de la filiale de trading d’EDF expliquait en avril à La Tribune ne jamais avoir modifié ses tarifs. Il n’empêche, le procédé semble se répéter cette année : alors que l’entreprise a fait valoir en août qu’elle serait « contrainte » d’augmenter substantiellement ses prix dès le 1er septembre, la grille tarifaire qui s’appliquera à nouveau à partir du 31 mars 2023, déjà disponible sur Internet, affiche des prix très compétitifs (alors même que les prix sur les marchés à terme flirtent avec les 600 euros le MWh sur la période). Une politique non liée à l’ARENH, affirme François Joubert, qui défend son « droit de proposer des offres attractives » et de les « modifier »,
Une chose est sûre : la pratique est vue d’un mauvais œil par le médiateur national de l’énergie, Olivier Challan Belval (chargé de recommander des solutions aux litiges entre les consommateurs et les fournisseurs). Celui-ci se réserve d’ailleurs la possibilité d’alerter la répression des fraudes pour contrôler ce qu’il estime être une « pratique trompeuse ».
« J’ai reçu jeudi François Joubert et lui ai demandé de prendre aujourd’hui l’engagement que les prix annoncés aujourd’hui et activables en avril ne seront pas modifiés. Mais il a noyé le poisson », explique Olivier Challan Belval.
Cependant, en l’état, cet éventuel arbitrage sur l’ARENH n’est pas répréhensible, malgré le contrôle de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). « Certains ont industrialisé le processus. Il existe bien une clause de complément de prix, censée vérifier qu’un fournisseur n’a pas trop demandé d’ARENH par rapport à la consommation de ses clients en été, avec une pénalité prévue. Mais il n’y a, pour l’heure, aucun mécanisme clair qui pénaliserait les fournisseurs attirant les clients entre avril et septembre », explique un acteur du marché. D’autant qu’il est toujours possible de vendre sur le marché à des prix pharamineux les MWh correspondant à ces droits ARENH acquis à moins de 50 euros.
Plus généralement, chacun peut, a priori, spéculer comme il l’entend sur les marchés en se délestant de clients au moment où l’affaire rapporte, y compris en-dehors de l’ARENH.
« Pour cet hiver, arbitrer sur le marché est, en toute hypothèse, plus rentable que de fournir. Si une entreprise a acheté fin 2021 des électrons pour 2022 à 120€/MWh et qu’il peut les revendre à 1.530€/MWh ce jour pour le premier trimestre de 2023, on comprend qu’il ne tienne spécialement pas à garder ses clients », pointe un connaisseur du secteur.
La faillite d’Hydroption à la fin de l’année dernière illustre ces lacunes profondes de la régulation : « Ce fournisseur s’était mal couvert, il a donc vu son autorisation de fourniture retirée. Par conséquent, il n’avait plus de client à approvisionner, mais conservait une certaine couverture d’achat d’électricité sur les marchés de gros. Quand il l’a vendue, il a donc récupéré de l’argent ! Dans ce système, un fournisseur qui n’est pas sérieux peut donc s’enrichir » souligne un alternatif.
Si ces arbitrages peuvent ne pas affecter immédiatement le client, étant donné que la résiliation en tant que telle n’implique pas de frais, le piège peut parfois se refermer sur certains d’entre eux. « Les fournisseurs ont le droit de changer d’offre en cours de route, mais cela doit se faire en toute transparence et loyauté, et chacun doit en être informé des nouvelles conditions un mois avant, en vertu de la loi », précise le médiateur de l’énergie. Seulement voilà : plusieurs clients d’Ohm Energie contactés par La Tribune affirment n’avoir reçu aucun mail, SMS ou appel les informant de la hausse du 1er septembre avant le 16 août, y compris en épluchant leurs spams. « Le mail a été envoyé à la base de clients en temps et en heure », assure de son côté François Joubert.
Quoi qu’il en soit, « c’est au fournisseur de prouver que l’information a bien été reçue, et que son destinataire n’est pas passé à côté, d’autant plus lorsqu’on parle d’augmentations de plus de 100% », fait valoir le médiateur de l’énergie. Sans quoi celui qui pensait jusqu’alors avoir fait une bonne affaire risque d’être pris au dépourvu en recevant sa facture.
* Le prénom a été modifié.
Système éducatif : Comment éviter le naufrage ?
Système éducatif : Comment éviter le naufrage ?
Les élèves français peinent à acquérir les savoirs fondamentaux, comme en témoignent les classements PISA de la France, et l’école de la République n’arrive plus à tenir sa promesse d’égalité des chances, socle de notre République. Professeurs en colère, parents inquiets, système éducatif qui semble péricliter… Comment éviter le naufrage annoncé ? Par Sandrine Dirani, PDG de Zeneduc. (La tribune)
Qui dit attractivité de notre école dit nécessairement revalorisation du métier d’enseignant. La hausse des salaires annoncée par notre ministre de l’Education, Pap Ndiaye, est certes un prérequis indispensable mais elle ne sera pas suffisante pour stopper l’hémorragie des professeurs qui quittent le navire et pour pourvoir les postes vacants.
Les enseignants sont également en quête d’une vraie reconnaissance de la hiérarchie à la hauteur de leur engagement et d’un accompagnement concret pour les aider à exprimer leur vocation : un mentorat de terrain des jeunes professeurs qui débutent leur carrière dans les établissements les plus difficiles, une meilleure formation sur les neurosciences, les aspects pédagogiques de la gestion de la classe et de l’hétérogénéité des élèves, une liberté pédagogique pour promouvoir l’innovation dans l’acquisition des savoirs fondamentaux, un meilleur dialogue avec les familles pour définir les rôles respectifs entre parents et école dans l’éducation des enfants, … Nombreuses sont les pistes à explorer pour répondre au malaise du corps professoral.
L’école de la république ne parvient plus à éviter la reproduction sociale. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les enfants d’ouvriers représentent 12% des élèves du supérieur et le tableau est encore plus sombre si, aux inégalités socio-économiques, on rajoute celles d’origine territoriale. La France est le règne de l’entre-soi : trois lycées (Sainte Geneviève, Louis le Grand et Stanislas) remplissent à eux-seuls plus de la moitié des promotions de Polytechnique !
Outre le fait que cela renforce les inégalités en créant une France à double vitesse, cet élitisme forcené tend à creuser sa propre tombe à force de consanguinité et d’inertie. Là encore, ce ne sont pas les pistes de réflexion qui manquent et notamment le renforcement du dédoublement des classes en zone prioritaire, l’attribution de primes et logements de fonction pour attirer les enseignants les mieux formés vers les zones défavorisées et la substitution de la notion d’équité à celle d’égalité des chances (aide aux devoirs, embauches d’assistantes sociales, révision des seuils de bourses pour l’enseignement secondaire).
La France survalorise ses diplômes et ses élites au détriment d’une meilleure intégration entre le marché du travail et les apprentissages ou d’une revalorisation nécessaire des métiers techniques ou manuels.
Il est grand temps que cela change ! Non un diplôme, une filière, un premier emploi ne devrait pas conditionner toute une vie. Créons des passerelles, libérons les énergies, permettons à notre jeunesse de tenter, d’échouer, de se relever, d’apprendre, de progresser à tout âge.
Notre société ne cesse de parler de soft skills et pourtant, qu’est-il fait concrètement pour que nos jeunes apprennent à se connaître, découvrent leurs talents, se posent la question de leurs rêves et de leurs aspirations pour trouver une voie où ils pourraient véritablement s’épanouir et se réaliser ? Je pense qu’il est indispensable qu’ils se posent la question de leur orientation et de leurs intérêts bien plus tôt et au sein même de l’école qui devrait les préparer bien plus largement à leur vie professionnelle, en collaboration avec les entreprises.
Le pessimisme ne sert à rien. Seule l’action nous permettra de redéfinir un nouveau contrat social et de renouer avec les valeurs républicaines de notre école. Tous les citoyens pourront, ainsi, croire à nouveau en sa capacité à leur assurer un avenir.
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(*) Sandrine Dirani est conférencière et autrice de « Aider son enfant à surmonter ses colères » – Hatier, « Ton meilleur atout, c’est toi ! » – de Boeck Supérieur et « Je maîtrise l’orthographe » (à paraître en janvier 2023).