Archive pour le Tag 'Syrie'

Syrie : les États-Unis lèvent les sanctions et reconnaît le nouveau pouvoir

Syrie : les États-Unis lèvent les sanctions et reconnaît le nouveau pouvoir

Lors de son voyage au Moyen-Orient, le président américain en a profité pour rencontrer le nouveau dirigeant de la Syrie, ancien djihadiste, de lever les sanctions à l’égard de la Syrie et de reconnaître les nouvelles conditions politiques du pays. Notons que la France de son côté avait reçu le nouveau dirigeant de la Syrie.

La rencontre mercredi matin entre Donald Trump et Ahmed al-Charaa et cette levée des sanctions marquent un spectaculaire tournant dans la politique américaine vis-à-vis du nouveau pouvoir syrien, issu de la mouvance djihadiste, face auquel la nouvelle Administration…

Trump président: Félicitations aussi……… de la Syrie

Trump président:  Félicitations aussi……… de la Syrie

 

Traditionnellement tous les pays adressent leurs félicitations pour l’élection présidentielle d’un pays tiers. À remarquer toutefois aussi des félicitations appuyées des nouveaux dirigeants de la Syrie. Le signe sans doute qu’il se passe quelque chose dans ce pays qui veut sans doute se reconstruire économiquement et politiquement et ne plus dépendre de la tutelle envahissante d’un de ses voisins voire d’un pays plus loin. Cette évolution de la Syrie pourrait offrir des possibilités nouvelles de paix avec le Moyen-Orient.

Le nouveau dirigeant syrien estime en efet  que Trump «apportera la paix au Moyen-Orient»

Le nouveau pouvoir en Syrie a félicité le président américain Donald Trump après son investiture lundi, voyant en lui «le dirigeant qui apportera la paix au Moyen-Orient»«Je félicite M. Donald J. Trump», a écrit dans un communiqué le dirigeant syrien Ahmad al-Chareh, estimant que son élection «témoigne de la confiance accordée par le peuple américain à son leadership».

«Nous sommes convaincus qu’il sera le dirigeant qui amènera la paix au Moyen-Orient et rétablira la stabilité dans la région», a-t-il ajouté. «Nous sommes impatients d’améliorer les relations entre nos deux pays basées sur le dialogue et la compréhension», a poursuivi Ahmad al-Chareh, en appelant de ses vœux «un partenariat qui reflète les aspirations des deux nations».

 

Félicitations aussi de la Syrie

Syrie : un accord durable avec les kurdes ?

Syrie : un accord durable avec les kurdes ?

 

Dans une Syrie  très divisée et des forces souvent qui se sont affrontés militairement, l’ordre du jour semble à l’apaisement et à l’unité. Ainsi les partisans du nouveau régime syrien auraient trouvé un accord avec les forces kurdex syriennes. La question est de savoir si cet accord sera durable qui est évidemment souhaitable. En effet la Turquie veut récupérer ces territoires et en particulier empêcher la création d’une zone plus ou moins autonome des kurdes.

 

Le chef des forces kurdes syriennes qui ont établi une administration autonome dans le nord-est du pays a déclaré à l’AFP mercredi s’être mis d’accord avec le nouveau pouvoir pour rejeter toute «division» territoriale de la Syrie.
«Nous sommes d’accord sur l’importance de l’unité et de l’intégrité territoriale de la Syrie, et nous rejetons tout projet de division qui menacerait l’unité du pays», a déclaré le chef des Forces démocratiques syriennes (FDS), Mazloum Abdi, dans une déclaration transmise à l’AFP commentant une rencontre en décembre entre ses forces et les autorités islamistes qui ont renversé Bachar al-Assad à Damas.

Sa déclaration intervient après des semaines d’affrontement dans le nord du pays entre ses forces soutenues par Washington et les combattants appuyés par la Turquie, qui les accuse d’avoir des liens avec les séparatistes armés kurdes sur son sol. Dans la région de Manbij (nord), ces affrontements ont fait plus de cent morts en deux jours, jusqu’à dimanche, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, malgré la déclaration d’une trêve sous médiation américaine.

Mercredi, cinq civils ont été tués et quinze autres blessés dans un raid aérien turc visant des convois civils se rendant au barrage de Tichrine près de Manbij, a indiqué l’administration autonome. Dans les régions contrôlées par les FDS se trouvent de vastes zones agricoles mais aussi la plupart des précieux puits pétroliers du pays, cruciaux pour les revenus de la Syrie. Lors d’une interview à la chaîne Al-Arabiya diffusée fin décembre, Ahmad al-Chareh a affirmé que les FDS devraient être intégrées à la future armée syrienne.

Boucherie en Syrie :528.500 morts et 60 000 en prison

Boucherie en Syrie :528.500 morts et 60 000 en prison

Une véritable boucherie sous le régime d’Assad. En effet, la guerre en Syrie a fait plus de 528.500 morts, a indiqué ce mercredi l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH) après près de 14 ans d’un conflit dévastateur déclenché par la répression d’un soulèvement prodémocratie par le régime de Bachar el-Assad, renversé le 8 décembre.

Plus de 181.939 civils figurent parmi les plus de 528.592 personnes tuées depuis le début de la guerre en 2011, dont au moins 15.207 femmes et 25.284 enfants, ainsi que des combattants, selon l’Observatoire.

Ce bilan inclut les décès de l’année 2024, mais aussi des milliers d’autres morts durant les années de guerre que l’ONG n’a pu vérifier que dernièrement. Au total pour l’année 2024, l’OSDH rapporte la mort de 6777 personnes. tervention d’acteurs internationaux et l’afflux de djihadistes du monde entier, sur un territoire morcelé par la guerre.Depuis plus d’un demi-siècle la famille Assad régnait sans partage sur la Syrie, réprimant toute opposition et muselant les libertés publiques.
L’OSDH, depuis 2011, a pu catégoriquement vérifier la mort de plus de 64.000 personnes dans les geôles de l’ancien pouvoir «à cause de la torture, la négligence médicale ou des mauvaises conditions» de détention.

Syrie : des élections peut-être dans quatre ans

Syrie : des élections peut-être dans quatre ans

 

Après la chute du régime de Bachar al-Assad le 8 décembre, le nouveau dirigeant de la Syrie Ahmad al-Chareh estime désormais que l’organisation de nouvelles élections dans le pays pourrait prendre quatre ans. Il a ajouté qu’il serait nécessaire de « réécrire la Constitution », une tâche qui pourrait prendre « deux ou trois ans », dans cet entretien avec une chaîne saoudienne.
« Les sanctions ont été imposées à la Syrie en raison des crimes commis par le régime » de Bachar al-Assad, a-t-il indiqué, ajoutant que vu que les auteurs des exactions ne sont plus au pouvoir, « les sanctions doivent donc être levées automatiquement ».

Le conflit a été marqué par l’implication de plusieurs puissances internationales occidentales comme les Etats-Unis ou la France, mais aussi la Russie et l’Iran ou encore de groupes armés comme le Hezbollah libanais.

Dans son interview, Ahmad al-Chareh s’est notamment adressé aux deux alliés de Bachar al-Assad, l’Iran voisin et la Russie.De son coté,Assaad Hassan al-Chibani, Chef de la diplomatie, a affirmé sur X que les autorités soutenaient « pleinement » les droits des femmes. « Nous croyons au rôle actif de la femme au sein de la société, et nous avons confiance en ses capacités et ses compétences », a-t-il précisé.

Syrie: Manifestation des Alaouites

Syrie: Manifestation des Alaouites

 

 

Il est clair que le le retour à la sérénité en Syrie sera difficile compte tenu de la diversité des tendances ethniques et religieuses. Ainsi un incident  grave s’est produit sans doute à l’initiative des Alouites, anciens soutiens  d’Assad.

«Un manifestant a été tué et cinq autres blessés après que les forces de sécurité à Homs ont ouvert le feu pour disperser les manifestants» descendus dans la rue après la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo montrant «une attaque de combattants» contre un sanctuaire alaouite à Alep (nord), a indiqué à l’AFP le directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, Rami Abdel Rahmane.

 

À Damas, le ministère de l’Intérieur a assuré que la vidéo était «ancienne» et datait de la prise d’Alep par les rebelles le 1er décembre. «Le but de faire circuler à nouveau de telles images est de semer la discorde parmi le peuple syrien (…)», a-t-il ajouté en accusant des «groupes inconnus» de l’attaque.

Les nouvelles autorités ont multiplié les gestes d’assurance envers toutes les minorités d’un pays traumatisé par la guerre.

À Jableh, les manifestants ont scandé «Alaouites, Sunnites, nous voulons la paix», a indiqué un manifestant, Ali Daoud, à l’AFP, appelant à «punir les assaillants».

Des images ont montré une foule défilant dans la rue, brandissant le drapeau des rebelles datant de l’ère de l’indépendance.
«Non à l’incendie des lieux saints et à la discrimination religieuse, non au sectarisme, oui à une Syrie libre», pouvait-on lire sur une pancarte.

À Lattaquié, les manifestants ont dénoncé «les violations contre la communauté alaouite», selon Ghidak Mayya, un manifestant de 30 ans. «Pour le moment nous écoutons les appels au calme (…) Mais la situation peut exploser.»

Après la fuite à Moscou de Bachar al-Assad dans le sillage de l’offensive rebelle, des membres de la minorité alaouite se sont réjouis de sa chute mais ont dit craindre la marginalisation, ou pire, des représailles.

Selon le politologue Fabrice Balanche, «les alaouites étaient très proches du régime de Bachar», dont ils constituaient la «garde prétorienne». Il estime à 1,7 million leur nombre aujourd’hui, soit environ 9% de la population.

Syrie: Dissolution des groupes armés ?

Syrie:  Dissolution des groupes armés ?

 

 

Les nouvelles autorités syriennes, menées par Hayat Tahrir al-Cham (HTC), ont annoncé mardi un accord avec «tous les groupes armés» pour leur dissolution, précisant qu’ils allaient être intégrés au ministère de la Défense.
«Une réunion des chefs des groupes» armés avec le nouveau dirigeant de la Syrie Ahmad al-Chareh «a abouti à un accord sur la dissolution de tous les groupes et leur intégration sous la tutelle du ministère de la Défense», ont indiqué l’agence officielle Sana et les nouvelles autorités sur leur compte Telegram.

 

Ahmad al-Chareh a affirmé dimanche qu’il ne «permettrait absolument pas que des armes échappent au contrôle de l’État». Il avait ajouté lors d’une conférence de presse que cette décision s’appliquerait également aux «factions présentes dans la zone des Forces démocratiques syriennes» (FDS, dominées par les Kurdes, NDLR).La question est de savoir si les Kurdes en prise aussi  avec le pouvoir turc accepteront d’être facilement désarmés;  Sans parler des autres groupes islamistes très radicaux.

Au Moyen-Orient mais aussi un Occident souhaite désormais que soit  étudiée la levée des sanctions qui frappaient l’ancien régime.

L’avenir immédiat de la Syrie

L’avenir immédiat de la Syrie 

S’il est un acteur géostratégique régional dont on doute qu’il puisse à court terme jouer un rôle majeur dans la nouvelle Syrie, et dans sa reconstruction, c’est bien la confédération émiratie dirigée par Mohamed Ben Zayed (MBZ).
Par Sébastien Boussois, Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (*)  dans la Tribune

Pendant plus de dix ans, Abu Dhabi a allègrement contourné les sanctions américaines à l’égard du régime de Damas, irritant son partenaire américain, et tout fait pour envoyer ses hommes d’affaires dans le pays afin de signer le plus grand nombre de contrats pour le compte des Émirats. Bien sûr il ne s’agissait pas d’œuvrer à la reconstruction, il s’agissait de faire beaucoup d’argent avec les régimes habituels que Mohamed Ben Zayed cajole, les régimes autoritaires qui empêchent toute démocratisation. La dictature a un mérite : elle est stable, ce qui est la condition sine qua non pour pouvoir faire du business.

Seulement voilà : les cartes ont changé et le régime alaouite s’est effondré, suite à l’abandon de Bachar Al Assad, par ses alliés russe et iranien. Le groupe islamiste HTC, porté par Mohamed Al Jolani, n’a eu qu’à s’emparer des grandes villes du pays jusqu’à Damas pour faire fuir le dirigeant syrien. Avec la fuite de ce dernier en Russie, Abu Dhabi perd un allié important et un dominant déterminant dans sa stratégie d’emprise régionale. Cela place à nouveau les Émirats dans une situation très inconfortable comme après les attaques terroristes du Hamas en Israël le 7 octobre 2023 : en effet, alors que tous les pays arabes ont critiqué la démesure des représailles de Benjamin Netanyahou au terrible massacre de 1200 Israéliens dans le sud du pays, on a peu entendu MBZ venir en aide à ses « frères » arabes en condamnant Israël. Désormais, son soutien à Bachar Al Assad, et ses circonvolutions pour convaincre d’autres pays de réintégrer Damas dans le concert des nations passent encore plus mal depuis la chute du régime alaouite.

La place des puissances régionales, à qui influencera le plus l’avenir du pays, est déjà en jeu. Alors que la Turquie joue un rôle central pour le moment dans le jeu d’influences qui s’opère depuis l’arrivée au pouvoir de son protégé, le leader islamiste de HTC, l’Iran est le grand perdant. Désormais l’arc chiite se fissure et semble bien mal en point avec l’affaiblissement majeur du Hamas et du Hezbollah. Les Émirats sont donc les seconds grands perdants dans cette histoire : ils perdent à leur tour un allié, et n’ont pas beaucoup d’opportunités actuellement pour faire patte blanche et se présenter en sauveurs de la population syrienne. Cela dit, leur méfiance à l’égard de ce genre de groupes comme HTC n’est pas un mauvais point en soi, car nul ne peut prédire comment la situation va tourner dans les semaines à venir. Ce qui est sûr, c’est qu’au-delà de la Turquie maître du nord du pays, les chancelleries étrangères commencent à rouvrir petit à petit à Damas : l’ambassadeur de l’Union vient de regagner la capitale syrienne, USA, et le Qatar vient de réouvrir sa capitale. Habitué aux tâches ardues de médiation dans la région et au-delà, du Hamas aux Talibans, Doha sait qu’à tout moment il pourra être sollicité pour servir d’intermédiaire avec HTC, si les choses tournent mal. Et la guerre civile n’est pas à exclure, tant il est difficile encore de croire à l’opération de blanchissement en cours qu’a opéré Al Jolani pour rassurer et les Syriens et le monde entier.

______

(*) Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense), à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée (IEGA Paris), au NORDIC CENTER FOR CONFLICT TRANSFORMATION (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire Géostratégique de Genève (Suisse).

Avenir Syrie : délicat jeu d’équilibre entre les puissances régionales

 Syrie :  délicat  jeu d’équilibre entre les puissances régionales

La Russie occupée ailleurs, les États-Unis en retrait, l’Iran affaibli… La nouvelle Syrie doit d’abord se préoccuper de ne pas susciter l’ire des puissances arabes, très méfiantes envers toute orientation djihadiste qui remettrait en cause leurs régimes respectifs. Elle doit aussi rester dans les bonnes grâces de la Turquie d’Erdogan et faire le dos rond face aux bombardements israéliens sur les arsenaux de l’armée défaite de Bachar Al-Assad. Al-Joulani a montré ses capacités de chef de guerre ; il va maintenant devoir faire ses preuves en tant que diplomate.

 

par   Professeur agrégé de Géographie, membre du laboratoire Médiations, Sorbonne Université dans  » The Conversation » 

 

L’entretien accordé par Abou Mohammed Al-Joulani à CNN le 6 décembre dernier, alors que les combattants de son mouvement, Hayat Tahrir-al-Cham (HTC), étaient sur le point de renverser le régime de Bachar Al-Assad, témoigne de sa volonté de présenter désormais un profil plus « présentable » aux puissances occidentales, et notamment aux États-Unis, dont la capacité de projection dans la région reste importante.

La presse souligne à juste titre ce renouveau : HTC rejette la logique du djihad global, qui a abouti à l’intervention des puissances occidentales en Syrie et en Irak contre l’État islamique (EI ou Daech) et les filiales d’Al-Qaida. Joulani semble soucieux de ne franchir aucune ligne rouge et tire les enseignements de l’échec de l’EI, dont l’éphémère califat instauré en 2015 a été démantelé, avec une perte quasi totale de ses territoires, en 2019.

Cependant, si HTC respecte plusieurs lignes rouges, celles-ci sont surtout tracées par les puissances régionales comme l’Arabie saoudite, la Turquie, le Qatar, l’Iran ou encore Israël. À l’inverse des puissances lointaines comme les États-Unis ou la Russie, contraintes l’une et l’autre à se désengager de la Syrie soit par isolationnisme (les États-Unis de Trump) soit par manque de moyens militaires disponibles (l’Ukraine absorbe la quasi-totalité du potentiel militaire russe), les puissances régionales sont, quant à elles, particulièrement enclines à s’ingérer dans les affaires intérieures de la Syrie, particulièrement si le nouveau gouvernement de Damas menace leurs intérêts stratégiques.

Le risque d’ingérence de la part de la Turquie, de l’Arabie saoudite ou du Qatar est d’autant plus grand que la Syrie sort de la guerre considérablement affaiblie : l’armée dirigée par les alaouites s’étant décomposée, les deux principaux groupes rebelles, le HTS et l’ANS (l’armée nationale syrienne soutenue par la Turquie), certes alliés contre Bachar Al-Assad, pourraient s’opposer maintenant que leur ennemi commun a disparu.

Pour compléter ce tableau, les frappes massives de Tsahal ont achevé de détruire les capacités opérationnelles de l’État syrien tandis que les graves tensions entre les milices kurdes qui contrôlent le nord-est du pays et l’ANS pro-turque risquent de plonger à nouveau cette partie du pays dans la guerre civile.

Dès lors, la nouvelle république islamique que souhaite probablement instaurer HTC en Syrie s’apparente à un État failli ou, du moins, à un régime trop faible pour survivre à d’éventuelles interventions de puissances voisines.

C’est pourquoi HTC n’a d’autre choix que de conduire une politique équilibriste destinée à ménager les intérêts des puissances voisines pour limiter leur ingérence et ainsi espérer construire un régime pérenne dans un pays ravagé par 13 ans de guerres civiles et soumis à l’influence grandissante de ses voisins.

Dans un contexte de révolte des masses sunnites contre le régime alaouite et de rejet de la domination iranienne dans la région, il est fondamental pour HTC de s’assurer le soutien, ou du moins, la neutralité des puissances sunnites de la Ligue arabe comme l’Égypte, la Jordanie et, surtout, l’Arabie saoudite. Cette dernière a montré, lors de la guerre civile syrienne, qu’elle était capable d’intervenir directement ou indirectement contre les forces sunnites qui remettent en question la légitimité de la monarchie des Saoud.

En 2014, la restauration du titre de calife par Abou Bakr Al-Baghadi et Daech a achevé de persuader Riyad de participer à la coalition contre l’EI, mouvement que les Saoud avaient pourtant soutenu lors de son émergence. La restauration califale constitue clairement une ligne rouge pour l’Arabie saoudite puisqu’elle rappelle l’illégitimité dynastique et historique de la monarchie saoudienne. En 1932, la proclamation de l’Arabie saoudite s’était faite au détriment du dernier calife, Hussein ben Ali al-Hashimi.

Roi du Hedjaz, chérif de la Mecque puis calife (après l’abrogation du califat ottoman) de 1924 jusqu’à 1925, le roi Hussein disposait alors d’une puissante légitimité à gouverner les lieux saints de l’islam : appartenant à la famille des Hachémites, le dernier calife était un Quraysh, la tribu du prophète Mahomet. D’autant qu’Hussein était la figure tutélaire des mouvements panarabistes alors en plein essor, ce qui lui assurait un vrai soutien populaire et l’appui de nombreux cheikhs.

La prise de La Mecque en 1925 par Ibn Séoud puis la proclamation en 1932 du royaume saoudien peuvent dès lors s’apparenter à une usurpation, ce qui prive la monarchie saoudienne d’une réelle légitimité dynastique et historique. D’où l’hostilité de Riyad aux groupes djihadistes qui aspirent à recréer un « califat » et à s’approprier un titre que la monarchie saoudienne tente de faire disparaître. On comprend dès lors pourquoi Al-Joulani ne proclamera certainement pas le retour du « califat », à l’inverse de ce qu’avait fait Al-Baghdadi en 2014 : le leader de HTC connaît parfaitement les lignes rouges de l’Arabie saoudite et ne compte pas les franchir avant d’avoir reconstruit un régime pérenne et stable à Damas.

De même, le régime syrien ne revendique pas pour l’instant de liens directs avec les Frères musulmans qui soutiennent officiellement l’ANS (l’armée nationale syrienne) alliée à la Turquie et plus particulièrement le Faylaq-al-Cham (l’une des composantes de l’ANS). Le mouvement des Frères musulmans, organisé depuis le Qatar et la Turquie, est interdit dans la plupart des pays arabes de la région, surtout dans les régimes autoritaires dont l’Égypte depuis le retour de l’armée au pouvoir en 2013 ainsi que dans les monarchies comme l’Arabie saoudite ou la Jordanie.

En effet, le mouvement frériste se veut républicain et hostile aux monarchies en place auxquelles il reproche, outre leur nature autoritaire, leur convergence avec les intérêts occidentaux. Les Frères restent avant tout un mouvement postcolonial qui lutte contre les résidus d’influence occidentale dans la région et contre Israël, perçu comme « une avant-garde américaine » au Levant. Dès lors, ils fustigent la politique de rapprochement entre Israël et les monarchies arabes comme l’Arabie saoudite, la Jordanie ou le Maroc qui a abouti aux accords d’Abraham en 2020.

Dans ces conditions, on comprend mieux le refus d’Al-Joulani de tomber dans la surenchère antisioniste ou anti-occidentale. Il ne s’agit pas simplement de « faire bonne figure » auprès de l’Ouest mais aussi de rassurer les voisins arabes de la Syrie, qui voient d’un œil pour le moins inquiet l’émergence de groupes alignés sur les Frères musulmans. D’où aussi la timidité du soutien d’Al-Joulani au Hamas palestinien, véritable branche armée des Frères musulmans à Gaza, et ce malgré les bombardements massifs de Tsahal sur le sol syrien ces derniers jours. Dès lors, HTC doit rester sur une ligne de crête puisque la Turquie, alliée aux Frères musulmans, constitue le principal parrain du nouveau régime…

Le principal acteur dont Joulani doit ménager les intérêts est bien évidemment la Turquie, qui tente de placer la Syrie sous son influence. La chute d’Assad a en effet été rendue possible par la politique turque de rapprochement entre l’ANS (armée nationale syrienne), composée de supplétifs arabes de l’armée turque, et le mouvement HTC. Cette alliance provisoire contre Assad pourrait faire long feu si le nouveau gouvernement syrien s’éloignait des projets d’Ankara pour la Syrie. D’autant que l’offensive actuelle de l’ANS à Manbij contre les milices kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS) montre que l’ANS obéit plus à Ankara qu’à Damas, l’offensive contre les Kurdes n’ayant pas été officiellement revendiquée par HTC.

À la lumière de ces évènements, on comprend l’accord passé entre HTC et la Turquie : accepter les offensives turques contre le FDS en échange du soutien des milices de l’ANS au pouvoir de Joulani. Ankara voit dans le Rojava kurde, au nord-est de la Syrie, une véritable menace pour son propre territoire, la Turquie considérant cette zone comme une base arrière du PKK, le parti indépendantiste kurde qui lutte contre la Turquie dans le Kurdistan turc.

Sous la pression d’Ankara, soucieux de conserver le soutien des milices proturques, Joulani devrait vraisemblablement abandonner le Rojava à la Turquie et à ses supplétifs. D’autant que le principal soutien des Kurdes, les Américains, avec le retour du très isolationniste Donald Trump à la Maison Blanche, devraient mener à son terme la politique de retrait de la Syrie. La neutralité des États-Unis en cas d’offensive massive turque sur le Kurdistan syrien ne fait presque aucun doute, comme le montrent les précédents des offensives lancées par Ankara sur la ville d’Afrine lors de l’Opération Rameau d’olivier en 2018, ou lors de l’Opération Source de Paix en 2019. Les deux fois, les États-Unis ont littéralement abandonné leur allié kurde menacé par l’armée turque et ses milices.

Par ailleurs, la Turquie pourrait constituer autour de Damas un nouvel « axe de la résistance » antisioniste et, par ce biais, reprendre un leadership dans le monde moyen-oriental laissé en jachère par l’affaiblissement de l’Iran et de ses « proxies ». L’hostilité d’Ankara et de l’AKP (le parti d’Erdogan) envers Israël croît d’année en année et s’intègre à la politique néo-ottomane de réaffirmation de la tutelle turque sur les anciennes provinces arabes de l’Empire ottoman.

Devenir le principal soutien à la lutte palestinienne permettrait à Ankara de fédérer les sociétés du Levant autour d’elle et d’accroître son soft power dans le monde arabe. Dans cette optique, la Syrie de Joulani joue un rôle clé puisqu’elle permet à la Turquie de se projeter aux frontières israéliennes, et pourrait constituer le cœur d’un « nouveau front de la résistance » anti-Israël qui, à la différence du front actuel piloté par l’Iran, serait, quant à lui, sunnite et donc plus susceptible de fédérer les masses musulmanes de la région.

Par conséquent, une orientation clairement antisioniste du régime de Joulani constitue un scénario très envisageable même si HTS ne peut à court terme, en aucun cas, défier Tsahal étant donnée le déséquilibre des forces au niveau militaire. Cette crainte a d’ailleurs certainement inspiré les bombardements massifs menés par l’État hébreu contre les dépôts d’armes de l’ancienne armée syrienne au lendemain de la chute d’Assad. Même s’il reste pour l’instant embryonnaire, le nouvel « axe de la résistance sunnite » se forme actuellement autour de la Turquie et de son vassal syrien et pourrait pousser les sunnites libanais du nord-Liban à rejoindre cette alliance en gestation.

Ainsi, dans un contexte d’affaiblissement extrême de l’État syrien, HTC ne peut survivre sans le soutien des puissances régionales et se trouve sur une ligne de crête entre deux orientations politiques possibles : HTC pourrait jouer la carte du rapprochement avec les puissances arabes sunnites (Arabie saoudite, Jordanie, Égypte), unies dans leur volonté commune d’affaiblir l’Iran et tous ses alliés dans la région ; ou bien le régime de Joulani pourrait accepter, voire revendiquer, le parrainage turc, et devenir le premier proxy « néo-ottoman » d’Ankara.

Entre ces deux orientations, HTC semble privilégier la deuxième option. Mais il continue de mener un habile jeu d’équilibriste en attendant la reconstruction de la puissance syrienne tout en acceptant l’ingérence turque. HTC ne revendique pas d’affiliation avec les partis qui combattent les régimes arabes en place comme les Frères musulmans et cherche à ne pas bousculer Riyad ou Le Caire.

On voit bien, à travers l’exemple de la Syrie, à quel point le retrait des puissances internationales comme les États-Unis ou la Russie offre de nouvelles opportunités aux impérialismes régionaux qui, à l’image de celui de la Turquie néo-ottomane, redessinent la carte du Moyen-Orient.

En Syrie: vers un islamisme pragmatique ?

En Syrie: vers un islamisme pragmatique ?

La victoire du chef de HTC, le groupe armé issu d’Al-Qaida qui a renversé Bachar Al-Assad, pourrait accélérer sa mutation d’un djihadisme vers un islamisme conservateur dans un cadre national, estime, dans sa chronique Gilles Paris, éditorialiste au « Monde ».

 

Moins d’un quart de siècle après les attentats perpétrés le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis par Al-Qaida, prélude à une « guerre contre le terrorisme » américaine de plus de deux décennies, un groupe armé issu de cette mouvance la plus radicale de l’islamisme politique vient de jouer un rôle essentiel dans le renversement en Syrie d’une dictature honnie, le régime de Bachar Al-Assad. Il pourrait prendre toute sa part, si une transition ordonnée parvenait à se mettre en place, dans le nouvel ordre institutionnel susceptible d’émerger à Damas.

Son chef, Ahmed Al-Charaa (connu sous son nom de guerre, Abou Mohammed Al-Joulani), est un ancien adjoint d’Abou Bakr Al-Baghdadi, fondateur de l’organisation Etat islamique (EI), qui fit régner la terreur sur le territoire prenant en écharpe le nord-est de la Syrie et le nord-ouest de l’Irak de 2014 à 2017, et au-delà. Depuis l’offensive victorieuse de sa milice, il se montre soucieux, comme l’a montré, le 8 décembre, son discours dans la mosquée des Omeyyades, de se démarquer au maximum des symboles convoqués en son temps par Abou Bakr Al-Baghdadi dans celle de Mossoul après la prise de la ville et la proclamation d’un califat d’essence totalitaire. Ce faisant, Ahmed Al-Charaa est devenu un interlocuteur pour les principales puissances arabes et celles, extérieures au Moyen-Orient, qui entendent y jouer un rôle. Les unes comme les autres ont pourtant consacré par le passé des ressources considérables pour éradiquer Al-Qaida comme l’EI.

La trajectoire de celui qui apparaît pour l’instant comme le nouvel homme fort de Damas est le produit d’une forme de darwinisme appliqué à la guerre civile syrienne. Dans les premiers mois du soulèvement, le régime syrien avait en effet concentré sa répression sur les oppositions libérales susceptibles d’attirer le soutien des pays occidentaux en quête d’alternatives jugées acceptables face à Bachar Al-Assad. Parallèlement, ce dernier affranchissait à grand renfort d’amnisties les islamistes radicaux qui croupissaient dans ses geôles. Sa tactique était d’avoir pour adversaires principaux ces parfaits repoussoirs.

Syrie: Retour de la paix et des libertés ?

Syrie: Retour de la paix et des libertés ?

 

Les rebelles qui ont pris le pouvoir semblent faire preuve aujourd’hui de modération avec une amnistie de prisonniers d’Assad et la liberté de circuler et de vivre normalement. Le cabinet d’union nationale semble par ailleurs vouloir rétablir la paix sur tout le territoire. Rien n’est certain quant à l’avenir dans ce pays très composite et qui a connu les pires exactions. L’ONU a dépêché un représentant pour évoquer les conditions du rétablissement des relations et de l’aide. Mardi ce sera autour d’un représentant de l’union européenne d’échanger avec les nouvelles autorités syriennes.

 

Mohammad al-Bachir, a promis de «garantir les droits de tous», alors que les Syriens tentent de reprendre leur vie normale. Dimanche, une partie des élèves ont repris le chemin de l’école dans la capitale, où les universités ont également rouvert leurs portes. ersité de Damas.

Commerces et entreprises ont aussi rouvert. Et la messe du dimanche a été célébrée à la cathédrale Notre-Dame de la Dormition à Damas, en présence de nombreux fidèles. 

Mais chaque jour qui passe depuis la chute de Bachar el-Assad donne aussi lieu à des découvertes macabres, témoignage des pires exactions du pouvoir déchu. À la morgue de l’hôpital al-Moujtahed de Damas, des habitants ont afflué après que des combattants de HTS ont ramené 35 corps, dont 21 ont déjà été identifiés par leurs familles.

Politique- Quel avenir pour la Syrie ?

Politique- Quel avenir pour la Syrie ?

 

Le « boucher de Damas » a fui la Syrie, laissant derrière lui une société dévastée par près d’un demi-siècle de dictature et treize années d’une guerre civile sanglante. Le groupe islamiste HTC est désormais au pouvoir, mais bien des questions demeurent quant à sa capacité à unifier la population. Entretien dans « The Conversation » avec Laura Ruiz de Elvira, politiste spécialiste de la Syrie (CEPED-IRD). Au lendemain de la chute de Bachar Al-Assad, quel est le sentiment qui prime au sein de la société syrienne ? La célébration de la fin d’un demi-siècle de dictature ? L’horreur face aux exactions commises par le régime, notamment au sein de ses prisons aujourd’hui libérées ? Ou la crainte d’une nouvelle gouvernance aux contours encore indéfinis ?

 


Les sentiments qui traversent en ce moment la société syrienne sont complexes et ambivalents. D’une part, les mobilisations des Syriens partout dans le monde et en Syrie même montrent la joie et le soulagement de la population, qui s’expriment aussi par le fait que de nombreux ressortissants syriens tentent d’ores et déjà de rentrer en Syrie depuis la Turquie ou le Liban. Cette euphorie s’accompagne d’un sentiment de surprise puisque la population syrienne et les observateurs du monde entier avaient perdu l’espoir de voir le régime d’Assad tomber.
Mais d’autre part, il est évident que la plupart des Syriens sont aussi inquiets vis-à-vis de ce qui va se passer. Les activistes ayant participé à la révolution, pour beaucoup, étaient eux-mêmes persécutés par HTC, ou avaient dû quitter le pays face aux offensives de l’État islamique. Les forces qui ont mené la reconquête ne sont pas celles qu’ils auraient aimé voir au pouvoir..

Des incertitudes et des craintes demeurent donc, mais il y a aussi une forte volonté de reconstruire le pays et de bien faire les choses : pendant toutes ces années, les Syriens se sont formés et ont mené des réflexions sur ce qui aurait dû être fait autrement.

De qui parle-t-on quand on dit « les Syriens » ? Y a-t-il une identité nationale syrienne forte ou avant tout des identités communautaires ?

90 % de la population du pays est musulmane et 70 à 75 % des musulmans syriens sont sunnites. Il existe une diversité de minorités religieuses (alaouites, druzes, chrétiens) et ethniques (8 % des Syriens sont Kurdes, ces Kurdes étant quasiment tous des musulmans sunnites).

Le gouvernement des Assad s’est appuyé, pendant des décennies, sur des politiques communautaires ; et le confessionnalisme s’est encore renforcé pendant les treize années de conflit qui ont suivi le déclenchement de la révolution en 2011. Cette donnée est donc évidemment à prendre en compte.

Mais on aurait tort de penser que la révolution et la rébellion ont exclusivement été le fait d’éléments islamistes. Le cas de la ville de Soueida, dans le sud du pays, montre que le mécontentement était également présent au sein des minorités. Depuis plus d’un an, les druzes y ont régulièrement manifesté en arborant le drapeau de la révolution.

Assad comptait avant tout sur le soutien de la communauté alaouite, dont il est lui-même issu, et sur la cooptation de certaines élites sunnites…

Le régime favorisait les alaouites et s’appuyait sur ce socle, tout en cooptant effectivement des individus issus de la majorité sunnite et d’autres minorités : sans cela, il n’aurait pu jamais tenir. De sorte que, oui, des entrepreneurs et des élites sunnites ont coopéré avec le régime pendant toutes ces années. L’enjeu, maintenant, est de reconstruire les liens entre les différentes communautés religieuses et ethniques et de rompre avec ce communautarisme que la dictature n’avait cessé d’entretenir et de renforcer.

L’attitude du régime face aux minorités ethniques et religieuses syriennes tient-elle aux positions traditionnelles du parti Baas ?

Le Baas avait en réalité été mis de côté dès l’arrivée au pouvoir de Bachar Al-Assad. Ce dernier s’est appuyé sur de nouvelles élites politiques. Les cadres du Baas de l’époque de Hafez Al-Assad avaient été marginalisés, y compris au sein du gouvernement. Dans l’ouvrage tiré de ma thèse, j’examine cette reconfiguration de l’ingénierie politique par Bachar Al-Assad, qui avait généré énormément de mécontentement en Syrie avant 2011.

Aujourd’hui, le nouvel homme fort du pays, Abou Mohammed Al-Joulani, tient un discours qui se veut rassurant et unificateur. Il affirme qu’il fera une place à toutes les communautés : comment interpréter cette promesse, et les Syriens y croient-ils ?

Je pense que les Syriens sont circonspects malgré le fait que le premier ministre du gouvernement transitoire ait annoncé hier que les droits de toutes les communautés seront garantis.

D’après les spécialistes de HTC, dans la région d’Idlib qu’il contrôlait depuis plusieurs années Al-Joulani a mis en pratique le respect des minorités et une liberté de culte contenue qu’il annonce vouloir appliquer aujourd’hui à l’ensemble de la Syrie. Et depuis le lancement des opérations qui ont mené à la chute de Bachar Al-Assad, il n’y a pas eu d’exactions ni de représailles à l’encontre des chrétiens d’Alep, par exemple, ou des alaouites sur la côte.

 

Si cela peut donner une certaine crédibilité à ce qu’il affirme, il faut tout de même conserver une attitude prudente et voir comment évoluera la situation maintenant que HTC est en position de force dans l’ensemble du pays. Le fait qu’Al-Joulani ait nommé premier ministre, sans aucune négociation, l’homme qui exerçait déjà cette fonction au sein du « Gouvernement du salut » de la région d’Idlib contrôlée par HTC peut inviter à nuancer ses gages d’ouverture.

La société syrienne sort profondément divisée d’une guerre civile d’une violence extrême. Une réconciliation nationale est-elle envisageable ?

Il y a vraiment une volonté de réparation, de passer à autre chose et de se projeter vers l’avenir. La vie a été suspendue pour les réfugiés, les déplacés et les gens restés sur le territoire durant ces treize années de conflit.
La prise de Damas quelques jours après celle d’Alep, sans résistance ni grands combats, montre bien que les soutiens au régime s’étaient fortement dégradés. Je pense qu’il y a une opportunité aujourd’hui pour que le corps politique national se reconstruise, même si les traumatismes sont très lourds.

Néanmoins, les soutiens au régime n’ont pas complètement disparu, notamment sur la côte ; un régime ne peut pas être dissous du jour au lendemain. Si plusieurs hauts responsables ont pu prendre la fuite et d’autres essaient encore aujourd’hui de traverser la frontière du Liban, la plupart d’entre eux sont restés dans le pays.

Ainsi, un enjeu important va être de veiller à ce que les cadres du régime et de sa machine répressive soient jugés. Et, plus généralement, de faire en sorte que les cellules pro-régime ne puissent pas tenter d’entreprendre un coup d’État, une restauration autoritaire ou encore former de groupes terroristes, comme on a pu le voir ailleurs. En Irak, par exemple, les anciens du régime de Sadam Hussein s’étaient associés à d’autres acteurs, issus du djihadisme international, pour former l’État islamique.

Justement, l’État islamique existe encore en Syrie, même s’il est résiduel. Or, le 10 décembre, il aurait exécuté une cinquantaine de soldats du régime d’Assad interceptés dans leur fuite. Est-ce que l’État islamique, dont on sait qu’il est très hostile à HTC par ailleurs, pourrait profiter du contexte actuel pour capitaliser sur un éventuel mécontentement de la population ?

Les djihadistes de l’EI pourraient essayer de profiter de la situation actuelle pour se renforcer. Mais la population syrienne n’est pas favorable à l’EI. Tous les révolutionnaires que j’ai rencontrés ont été déchirés par l’émergence de l’EI, qui les a persécutés et qu’ils ont combattu. Quant au reste de la population, elle ne le voit pas non plus d’un bon œil.
De plus, les États-Unis sont déjà sur le qui-vive dans la région. Les troupes américaines ne sont pas parties. Dans ce contexte, est-ce que l’État islamique parviendra à monter en puissance ? Rien n’est moins sûr.

Vous avez mentionné la diversité de l’opposition au régime d’Assad, qui ne se résume pas à HTC. Si HTC se met à instaurer une forme d’autoritarisme où aucune opposition ne peut se faire jour, pourrait-on assister à une nouvelle insurrection – non pas de la part des anciens fidèles au régime, mais des anciens ennemis d’Assad ?

Oui, bien sûr. La population syrienne ne va pas accepter ce genre de régime. Après 50 ans de régime baasiste et des horreurs de la guerre, si la transition n’est pas suffisamment inclusive, il y aura des résistances. De la part des Kurdes, entre autres, qui contrôlent encore le Nord-Est de la Syrie – une région en proie à de fortes tensions.

Quel avenir pour les Kurdes syriens ? Pourraient-ils se voir attribuer une forme d’autonomie, comme en Irak ?

Difficile de répondre à cette question. Il est certain que la Turquie ne va pas accepter un tel développement ; or Ankara a beaucoup d’influence sur une partie des rebelles qui ont pris le pouvoir. Aujourd’hui, beaucoup de Kurdes ont peur, c’est un fait. Ils ont été la cible de pillages et sont en train de se retirer progressivement dans le Nord-Est de la Syrie, alors qu’ils ont déjà perdu plusieurs des territoires qu’ils administraient. Mais dans le même temps, des avis divergents existent au sein de la communauté kurde syrienne et finalement l’administration autonome kurde a annoncé jeudi 12 décembre qu’elle adoptait le drapeau de la révolution.

Vous avez travaillé sur la reconversion d’anciens combattants de la guerre civile dans l’action humanitaire. On imagine qu’une part conséquente de la population syrienne est affectée de près ou de loin par la violence de la guerre. Une démilitarisation de la société syrienne est-elle possible ?

Je pense que la démilitarisation est possible. Il ne faut pas oublier qu’un grand nombre de combattants avaient déjà déposé les armes au cours de ces dernières années ou sont partis à mesure que les territoires dits « libérés » étaient récupérés par le régime et que les financements venaient à manquer. Avant la guerre civile, la plupart de ces combattants étaient des citoyens ordinaires et non des militaires. Donc je pense que la démilitarisation peut se poursuivre. Mais elle va dépendre des jeux d’alliances entre les différents groupes armés et de la capacité du gouvernement transitoire piloté par HTC à proposer une nouvelle donne politique dans laquelle les différentes parties prenantes se sentiront reconnues.

Or des tensions sont en train de monter et pourraient ralentir le processus de démilitarisation. J’ai déjà parlé de celles qui touchent le Nord-Est du pays avec les Kurdes. Des bruits courent aussi sur le mécontentement de factions à Damas. La situation est donc très fragile.

D’autre part, il ne faut pas oublier qu’Israël bombarde massivement des sites militaires et des stocks d’armes de l’ancien régime, avec près de 500 frappes en Syrie en deux jours. La démilitarisation va donc être aussi forcée, d’une certaine manière.
Avec l’arrivée de HTC, peut-on s’attendre à une application stricte de la charia et d’une politique extrêmement rigoriste à l’égard des femmes ? De manière plus générale, quelle est la place des femmes aujourd’hui en Syrie ?

Depuis qu’ils ont pris le contrôle d’Idlib, HTC n’y a pas imposé une charia stricte dans le style afghan. Je ne pense donc pas qu’un tel scénario soit envisageable à l’échelle nationale maintenant qu’ils ont pris Damas. Concernant les femmes, même si la Syrie est un pays conservateur, notamment sur le plan religieux, les femmes travaillent, conduisent et occupent l’espace public depuis longtemps. Elles ont aussi joué un rôle très important dans la révolution à partir de 2011.

J’ai rencontré énormément de femmes qui ont pris part aux manifestations, qui ont travaillé dans l’humanitaire, qui se sont impliquées en politique ou créé des organisations féministes. La cause des femmes s’est beaucoup développée à la faveur de la révolution. Et elles devraient continuer à être impliquées dans la transition.

La justice peut-elle condamner les principaux responsables des crimes du régime d’Assad ?

Al-Joulani a annoncé que le gouvernement de transition publierait la liste des noms des plus hauts responsables impliqués dans les tortures commises par le régime, afin qu’ils soient jugés. Une justice transitionnelle est absolument nécessaire pour l’avenir du pays.

Pour cela, ceux qui rendront la justice pourront s’appuyer sur le travail des associations et des groupes qui, depuis le début de la révolution, ont documenté les crimes commis par le régime. Il y a énormément d’expertise dans ce domaine, y compris sur le plan juridique. The Day After Project est à titre d’exemple très actif en la matière. Dès 2012, il a réuni une cinquantaine de figures issues des différentes franges de l’opposition, pour travailler sur différentes thématiques comme l’État de droit, la justice transitionnelle, la réforme du secteur de la sécurité, la réforme électorale et aussi sur l’élaboration d’une nouvelle Constitution syrienne. Toute la génération qui a été formée avec la révolution contre le régime d’Assad ces dix dernières années peut contribuer à cette transition et notamment à une justice transitionnelle qui pourrait s’articuler autour des procès de responsables du régime qui ont récemment eu lieu en Europe.

Ce qui est intéressant aussi, c’est qu’avec l’annonce d’Al-Joulani on voit déjà qu’il y aura différents échelons de responsabilité. Il a promis une amnistie aux personnes astreintes par le régime au service obligatoire, ce qui révèle une volonté de réconciliation. C’est l’inverse de ce qui est arrivé en Irak après que les Américains aient occupé le pays. Ils ont tenté de démanteler toutes les structures de la dictature déchue, créant un fort mécontentement parmi ceux qui avaient collaboré avec le régime de Saddam Hussein. Al-Joulani a l’air plus pragmatique et pour le moment il semblerait qu’il ne conduira pas une chasse aux sorcières.

Pour que la transition pilotée par les nouveaux dirigeants du pays réussisse il faudra trouver un équilibre entre d’une part établir la responsabilité pour les crimes commis et lancer des réparations, et d’autre part ne pas exclure tout un pan de la population syrienne qui pourrait à nouveau se révolter. Ce que permettrait la mise en œuvre d’une justice transitionnelle comme cela avait été le cas en Argentine ou au Rwanda, par exemple – toutes proportions gardées…

Vous vous êtes rendue à de multiples reprises en Syrie dans le cadre de vos recherches. Qu’est-ce que la chute du régime d’Assad change pour les chercheurs spécialistes de la Syrie, notamment en termes d’enquêtes de terrain ?

La plupart des chercheurs qui travaillaient sur la Syrie avant 2011, comme moi, n’ont pas pu y retourner à partir du début de la guerre civile. On a dû travailler autrement, avec des entretiens en ligne ou auprès des communautés réfugiées. D’autres collègues ont utilisé des images, des vidéos, tandis que d’autres encore ont travaillé en collaboration avec des personnes qui se trouvaient sur le territoire syrien. On a donc réévalué nos manières de travailler ; mais évidemment, savoir ce qui se passait au quotidien dans les régions tenues par le régime était devenu très compliqué. Désormais, nous pouvons envisager à nouveau de nous rendre en Syrie pour y reprendre des enquêtes de terrain un peu plus classiques, au plus près des acteurs et des dynamiques sociales.

Il faut noter que ce type de recherche a cependant pu être mené pendant toutes ces années par des chercheurs syriens qui, avant 2011, ne pouvaient pas vraiment travailler dans le pays parce que les sciences sociales étaient sous-développées en Syrie – la science politique n’y existait pratiquement pas. Et puis, à partir du début de la révolution, des centres de recherche syriens ayant des relais à l’intérieur du pays, comme le Centre syrien pour la recherche politique ou le Centre Omran de recherches stratégiques, ont été créés en Turquie, au Liban et dans d’autres endroits du Golfe.

Géopolitique-Lâchage de la Syrie par Moscou : un avertissement pour les dictateurs pro-russes

Géopolitique-Lâchage de la Syrie par Moscou : un avertissement pour les dictateurs pro-russes

Nombre de pays à régime politique  illibéral , pour ne pas dire dictatorial, se sont rapprochées idéologiquement et politiquement de Moscou ces dernières années pour bénéficier d’un parapluie russe garantissant leur maintien au pouvoir. C’était vrai en Syrie où la Russie qui a fui comme l’ Iran un pays martyrisé.  Les conséquences géopolitiques sont loin d’avoir toute été examinées.

 

il y a d’abord les bases militaires que perd la Russie et qui lui permettaient d’assurer la continuité logistique jusqu’en Afrique . Poutine déstabilise les régimes pays après pays. Cela d’autant plus facilement que ces pays sont très perméables à la corruption et aux évitements de la démocratie. Bref des oligarques qui profitent du pouvoir pour s’attribuer les richesses de leur pays en maintenant des régimes qui ignorent  la démocratie voire imposent la dictature.

Personne n’est dupe dans ces pays, surtout en Afrique où il est facile d’afficher de faux mouvements pro-russes avec quelques dollars. La France a fait  les frais de cette politique en particulier au Sahel  mais le mal gagne d’autres pays comme le Tchad ou encore le Sénégal. Le problème c’est que ces pays sont politiquement et surtout économiquement très fragiles. La hausse des prix et le chômage gangrènent le climat général. Avec le ralentissement mondial la conjoncture sera encore davantage tendue.

En cas de révolte, il n’est pas certain que la Russie qui connaît comme Iran des difficultés internes viennent sauver  des pays dont les populations se révolteraient  contre la misère et les atteintes à la démocratie. C’est un avertissement à nombre de pays et de dictateurs qui hypothèque de façon un peu irresponsable leur avenir politique et économique. Un avertissement en particulier pour l’Afrique . Mais aussi un avertissement à usage interne pour la Russie elle-même et pour l’Iran !

Lâchage de la Syrie par Moscou : un avertissement pour les dictateurs pro-russes

Lâchage de la Syrie par Moscou : un avertissement pour les dictateurs pro-russes

Nombre de pays à régime politique  illibéral , pour ne pas dire dictatorial, se sont rapprochées idéologiquement et politiquement de Moscou ces dernières années pour bénéficier d’un parapluie russe garantissant leur maintien au pouvoir. C’était vrai en Syrie où la Russie qui a fui comme l’ Iran un pays martyrisé.  Les conséquences géopolitiques sont loin d’avoir toute été examinées.

 

il y a d’abord les bases militaires que perd la Russie et qui lui permettaient d’assurer la continuité logistique jusqu’en Afrique . Poutine déstabilise les régimes pays après pays. Cela d’autant plus facilement que ces pays sont très perméables à la corruption et aux évitements de la démocratie. Bref des oligarques qui profitent du pouvoir pour s’attribuer les richesses de leur pays en maintenant des régimes qui ignorent  la démocratie voire imposent la dictature.

Personne n’est dupe dans ces pays, surtout en Afrique où il est facile d’afficher de faux mouvements pro-russes avec quelques dollars. La France a fait  les frais de cette politique en particulier au Sahel  mais le mal gagne d’autres pays comme le Tchad ou encore le Sénégal. Le problème c’est que ces pays sont politiquement et surtout économiquement très fragiles. La hausse des prix et le chômage gangrènent le climat général. Avec le ralentissement mondial la conjoncture sera encore davantage tendue.

En cas de révolte, il n’est pas certain que la Russie qui connaît comme Iran des difficultés internes viennent sauver  des pays dont les populations se révolteraient  contre la misère et les atteintes à la démocratie. C’est un avertissement à nombre de pays et de dictateurs qui hypothèque de façon un peu irresponsable leur avenir politique et économique. Un avertissement en particulier pour l’Afrique . Mais aussi un avertissement à usage interne pour la Russie elle-même et pour l’Iran !

Quel avenir pour la Syrie ?

Quel avenir pour la Syrie ?

 

Le « boucher de Damas » a fui la Syrie, laissant derrière lui une société dévastée par près d’un demi-siècle de dictature et treize années d’une guerre civile sanglante. Le groupe islamiste HTC est désormais au pouvoir, mais bien des questions demeurent quant à sa capacité à unifier la population. Entretien dans « The Conversation » avec Laura Ruiz de Elvira, politiste spécialiste de la Syrie (CEPED-IRD).Au lendemain de la chute de Bachar Al-Assad, quel est le sentiment qui prime au sein de la société syrienne ? La célébration de la fin d’un demi-siècle de dictature ? L’horreur face aux exactions commises par le régime, notamment au sein de ses prisons aujourd’hui libérées ? Ou la crainte d’une nouvelle gouvernance aux contours encore indéfinis ?

 


Les sentiments qui traversent en ce moment la société syrienne sont complexes et ambivalents. D’une part, les mobilisations des Syriens partout dans le monde et en Syrie même montrent la joie et le soulagement de la population, qui s’expriment aussi par le fait que de nombreux ressortissants syriens tentent d’ores et déjà de rentrer en Syrie depuis la Turquie ou le Liban. Cette euphorie s’accompagne d’un sentiment de surprise puisque la population syrienne et les observateurs du monde entier avaient perdu l’espoir de voir le régime d’Assad tomber.
Mais d’autre part, il est évident que la plupart des Syriens sont aussi inquiets vis-à-vis de ce qui va se passer. Les activistes ayant participé à la révolution, pour beaucoup, étaient eux-mêmes persécutés par HTC, ou avaient dû quitter le pays face aux offensives de l’État islamique. Les forces qui ont mené la reconquête ne sont pas celles qu’ils auraient aimé voir au pouvoir..

Des incertitudes et des craintes demeurent donc, mais il y a aussi une forte volonté de reconstruire le pays et de bien faire les choses : pendant toutes ces années, les Syriens se sont formés et ont mené des réflexions sur ce qui aurait dû être fait autrement.

De qui parle-t-on quand on dit « les Syriens » ? Y a-t-il une identité nationale syrienne forte ou avant tout des identités communautaires ?

90 % de la population du pays est musulmane et 70 à 75 % des musulmans syriens sont sunnites. Il existe une diversité de minorités religieuses (alaouites, druzes, chrétiens) et ethniques (8 % des Syriens sont Kurdes, ces Kurdes étant quasiment tous des musulmans sunnites).

Le gouvernement des Assad s’est appuyé, pendant des décennies, sur des politiques communautaires ; et le confessionnalisme s’est encore renforcé pendant les treize années de conflit qui ont suivi le déclenchement de la révolution en 2011. Cette donnée est donc évidemment à prendre en compte.

Mais on aurait tort de penser que la révolution et la rébellion ont exclusivement été le fait d’éléments islamistes. Le cas de la ville de Soueida, dans le sud du pays, montre que le mécontentement était également présent au sein des minorités. Depuis plus d’un an, les druzes y ont régulièrement manifesté en arborant le drapeau de la révolution.

Assad comptait avant tout sur le soutien de la communauté alaouite, dont il est lui-même issu, et sur la cooptation de certaines élites sunnites…

Le régime favorisait les alaouites et s’appuyait sur ce socle, tout en cooptant effectivement des individus issus de la majorité sunnite et d’autres minorités : sans cela, il n’aurait pu jamais tenir. De sorte que, oui, des entrepreneurs et des élites sunnites ont coopéré avec le régime pendant toutes ces années. L’enjeu, maintenant, est de reconstruire les liens entre les différentes communautés religieuses et ethniques et de rompre avec ce communautarisme que la dictature n’avait cessé d’entretenir et de renforcer.

L’attitude du régime face aux minorités ethniques et religieuses syriennes tient-elle aux positions traditionnelles du parti Baas ?

Le Baas avait en réalité été mis de côté dès l’arrivée au pouvoir de Bachar Al-Assad. Ce dernier s’est appuyé sur de nouvelles élites politiques. Les cadres du Baas de l’époque de Hafez Al-Assad avaient été marginalisés, y compris au sein du gouvernement. Dans l’ouvrage tiré de ma thèse, j’examine cette reconfiguration de l’ingénierie politique par Bachar Al-Assad, qui avait généré énormément de mécontentement en Syrie avant 2011.

Aujourd’hui, le nouvel homme fort du pays, Abou Mohammed Al-Joulani, tient un discours qui se veut rassurant et unificateur. Il affirme qu’il fera une place à toutes les communautés : comment interpréter cette promesse, et les Syriens y croient-ils ?

Je pense que les Syriens sont circonspects malgré le fait que le premier ministre du gouvernement transitoire ait annoncé hier que les droits de toutes les communautés seront garantis.

D’après les spécialistes de HTC, dans la région d’Idlib qu’il contrôlait depuis plusieurs années Al-Joulani a mis en pratique le respect des minorités et une liberté de culte contenue qu’il annonce vouloir appliquer aujourd’hui à l’ensemble de la Syrie. Et depuis le lancement des opérations qui ont mené à la chute de Bachar Al-Assad, il n’y a pas eu d’exactions ni de représailles à l’encontre des chrétiens d’Alep, par exemple, ou des alaouites sur la côte.

 

Si cela peut donner une certaine crédibilité à ce qu’il affirme, il faut tout de même conserver une attitude prudente et voir comment évoluera la situation maintenant que HTC est en position de force dans l’ensemble du pays. Le fait qu’Al-Joulani ait nommé premier ministre, sans aucune négociation, l’homme qui exerçait déjà cette fonction au sein du « Gouvernement du salut » de la région d’Idlib contrôlée par HTC peut inviter à nuancer ses gages d’ouverture.

La société syrienne sort profondément divisée d’une guerre civile d’une violence extrême. Une réconciliation nationale est-elle envisageable ?

Il y a vraiment une volonté de réparation, de passer à autre chose et de se projeter vers l’avenir. La vie a été suspendue pour les réfugiés, les déplacés et les gens restés sur le territoire durant ces treize années de conflit.
La prise de Damas quelques jours après celle d’Alep, sans résistance ni grands combats, montre bien que les soutiens au régime s’étaient fortement dégradés. Je pense qu’il y a une opportunité aujourd’hui pour que le corps politique national se reconstruise, même si les traumatismes sont très lourds.

Néanmoins, les soutiens au régime n’ont pas complètement disparu, notamment sur la côte ; un régime ne peut pas être dissous du jour au lendemain. Si plusieurs hauts responsables ont pu prendre la fuite et d’autres essaient encore aujourd’hui de traverser la frontière du Liban, la plupart d’entre eux sont restés dans le pays.

Ainsi, un enjeu important va être de veiller à ce que les cadres du régime et de sa machine répressive soient jugés. Et, plus généralement, de faire en sorte que les cellules pro-régime ne puissent pas tenter d’entreprendre un coup d’État, une restauration autoritaire ou encore former de groupes terroristes, comme on a pu le voir ailleurs. En Irak, par exemple, les anciens du régime de Sadam Hussein s’étaient associés à d’autres acteurs, issus du djihadisme international, pour former l’État islamique.

Justement, l’État islamique existe encore en Syrie, même s’il est résiduel. Or, le 10 décembre, il aurait exécuté une cinquantaine de soldats du régime d’Assad interceptés dans leur fuite. Est-ce que l’État islamique, dont on sait qu’il est très hostile à HTC par ailleurs, pourrait profiter du contexte actuel pour capitaliser sur un éventuel mécontentement de la population ?

Les djihadistes de l’EI pourraient essayer de profiter de la situation actuelle pour se renforcer. Mais la population syrienne n’est pas favorable à l’EI. Tous les révolutionnaires que j’ai rencontrés ont été déchirés par l’émergence de l’EI, qui les a persécutés et qu’ils ont combattu. Quant au reste de la population, elle ne le voit pas non plus d’un bon œil.
De plus, les États-Unis sont déjà sur le qui-vive dans la région. Les troupes américaines ne sont pas parties. Dans ce contexte, est-ce que l’État islamique parviendra à monter en puissance ? Rien n’est moins sûr.

Vous avez mentionné la diversité de l’opposition au régime d’Assad, qui ne se résume pas à HTC. Si HTC se met à instaurer une forme d’autoritarisme où aucune opposition ne peut se faire jour, pourrait-on assister à une nouvelle insurrection – non pas de la part des anciens fidèles au régime, mais des anciens ennemis d’Assad ?

Oui, bien sûr. La population syrienne ne va pas accepter ce genre de régime. Après 50 ans de régime baasiste et des horreurs de la guerre, si la transition n’est pas suffisamment inclusive, il y aura des résistances. De la part des Kurdes, entre autres, qui contrôlent encore le Nord-Est de la Syrie – une région en proie à de fortes tensions.

Quel avenir pour les Kurdes syriens ? Pourraient-ils se voir attribuer une forme d’autonomie, comme en Irak ?

Difficile de répondre à cette question. Il est certain que la Turquie ne va pas accepter un tel développement ; or Ankara a beaucoup d’influence sur une partie des rebelles qui ont pris le pouvoir. Aujourd’hui, beaucoup de Kurdes ont peur, c’est un fait. Ils ont été la cible de pillages et sont en train de se retirer progressivement dans le Nord-Est de la Syrie, alors qu’ils ont déjà perdu plusieurs des territoires qu’ils administraient. Mais dans le même temps, des avis divergents existent au sein de la communauté kurde syrienne et finalement l’administration autonome kurde a annoncé jeudi 12 décembre qu’elle adoptait le drapeau de la révolution.

Vous avez travaillé sur la reconversion d’anciens combattants de la guerre civile dans l’action humanitaire. On imagine qu’une part conséquente de la population syrienne est affectée de près ou de loin par la violence de la guerre. Une démilitarisation de la société syrienne est-elle possible ?

Je pense que la démilitarisation est possible. Il ne faut pas oublier qu’un grand nombre de combattants avaient déjà déposé les armes au cours de ces dernières années ou sont partis à mesure que les territoires dits « libérés » étaient récupérés par le régime et que les financements venaient à manquer. Avant la guerre civile, la plupart de ces combattants étaient des citoyens ordinaires et non des militaires. Donc je pense que la démilitarisation peut se poursuivre. Mais elle va dépendre des jeux d’alliances entre les différents groupes armés et de la capacité du gouvernement transitoire piloté par HTC à proposer une nouvelle donne politique dans laquelle les différentes parties prenantes se sentiront reconnues.

Or des tensions sont en train de monter et pourraient ralentir le processus de démilitarisation. J’ai déjà parlé de celles qui touchent le Nord-Est du pays avec les Kurdes. Des bruits courent aussi sur le mécontentement de factions à Damas. La situation est donc très fragile.

D’autre part, il ne faut pas oublier qu’Israël bombarde massivement des sites militaires et des stocks d’armes de l’ancien régime, avec près de 500 frappes en Syrie en deux jours. La démilitarisation va donc être aussi forcée, d’une certaine manière.
Avec l’arrivée de HTC, peut-on s’attendre à une application stricte de la charia et d’une politique extrêmement rigoriste à l’égard des femmes ? De manière plus générale, quelle est la place des femmes aujourd’hui en Syrie ?

Depuis qu’ils ont pris le contrôle d’Idlib, HTC n’y a pas imposé une charia stricte dans le style afghan. Je ne pense donc pas qu’un tel scénario soit envisageable à l’échelle nationale maintenant qu’ils ont pris Damas. Concernant les femmes, même si la Syrie est un pays conservateur, notamment sur le plan religieux, les femmes travaillent, conduisent et occupent l’espace public depuis longtemps. Elles ont aussi joué un rôle très important dans la révolution à partir de 2011.

J’ai rencontré énormément de femmes qui ont pris part aux manifestations, qui ont travaillé dans l’humanitaire, qui se sont impliquées en politique ou créé des organisations féministes. La cause des femmes s’est beaucoup développée à la faveur de la révolution. Et elles devraient continuer à être impliquées dans la transition.

La justice peut-elle condamner les principaux responsables des crimes du régime d’Assad ?

Al-Joulani a annoncé que le gouvernement de transition publierait la liste des noms des plus hauts responsables impliqués dans les tortures commises par le régime, afin qu’ils soient jugés. Une justice transitionnelle est absolument nécessaire pour l’avenir du pays.

Pour cela, ceux qui rendront la justice pourront s’appuyer sur le travail des associations et des groupes qui, depuis le début de la révolution, ont documenté les crimes commis par le régime. Il y a énormément d’expertise dans ce domaine, y compris sur le plan juridique. The Day After Project est à titre d’exemple très actif en la matière. Dès 2012, il a réuni une cinquantaine de figures issues des différentes franges de l’opposition, pour travailler sur différentes thématiques comme l’État de droit, la justice transitionnelle, la réforme du secteur de la sécurité, la réforme électorale et aussi sur l’élaboration d’une nouvelle Constitution syrienne. Toute la génération qui a été formée avec la révolution contre le régime d’Assad ces dix dernières années peut contribuer à cette transition et notamment à une justice transitionnelle qui pourrait s’articuler autour des procès de responsables du régime qui ont récemment eu lieu en Europe.

Ce qui est intéressant aussi, c’est qu’avec l’annonce d’Al-Joulani on voit déjà qu’il y aura différents échelons de responsabilité. Il a promis une amnistie aux personnes astreintes par le régime au service obligatoire, ce qui révèle une volonté de réconciliation. C’est l’inverse de ce qui est arrivé en Irak après que les Américains aient occupé le pays. Ils ont tenté de démanteler toutes les structures de la dictature déchue, créant un fort mécontentement parmi ceux qui avaient collaboré avec le régime de Saddam Hussein. Al-Joulani a l’air plus pragmatique et pour le moment il semblerait qu’il ne conduira pas une chasse aux sorcières.

Pour que la transition pilotée par les nouveaux dirigeants du pays réussisse il faudra trouver un équilibre entre d’une part établir la responsabilité pour les crimes commis et lancer des réparations, et d’autre part ne pas exclure tout un pan de la population syrienne qui pourrait à nouveau se révolter. Ce que permettrait la mise en œuvre d’une justice transitionnelle comme cela avait été le cas en Argentine ou au Rwanda, par exemple – toutes proportions gardées…

Vous vous êtes rendue à de multiples reprises en Syrie dans le cadre de vos recherches. Qu’est-ce que la chute du régime d’Assad change pour les chercheurs spécialistes de la Syrie, notamment en termes d’enquêtes de terrain ?

La plupart des chercheurs qui travaillaient sur la Syrie avant 2011, comme moi, n’ont pas pu y retourner à partir du début de la guerre civile. On a dû travailler autrement, avec des entretiens en ligne ou auprès des communautés réfugiées. D’autres collègues ont utilisé des images, des vidéos, tandis que d’autres encore ont travaillé en collaboration avec des personnes qui se trouvaient sur le territoire syrien. On a donc réévalué nos manières de travailler ; mais évidemment, savoir ce qui se passait au quotidien dans les régions tenues par le régime était devenu très compliqué. Désormais, nous pouvons envisager à nouveau de nous rendre en Syrie pour y reprendre des enquêtes de terrain un peu plus classiques, au plus près des acteurs et des dynamiques sociales.

Il faut noter que ce type de recherche a cependant pu être mené pendant toutes ces années par des chercheurs syriens qui, avant 2011, ne pouvaient pas vraiment travailler dans le pays parce que les sciences sociales étaient sous-développées en Syrie – la science politique n’y existait pratiquement pas. Et puis, à partir du début de la révolution, des centres de recherche syriens ayant des relais à l’intérieur du pays, comme le Centre syrien pour la recherche politique ou le Centre Omran de recherches stratégiques, ont été créés en Turquie, au Liban et dans d’autres endroits du Golfe.

Désormais nous pourrons commencer à travailler avec tous ces gens, d’une façon qui était impossible jusqu’ici, y compris avant 2011, c’est-à-dire ouvertement, en affichant vraiment nos questionnements politiques, etc.

12345...9



L'actu écologique |
bessay |
Mr. Sandro's Blog |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | astucesquotidiennes
| MIEUX-ETRE
| louis crusol