Des salariés d’Amazon contre le syndicat, pourquoi ?
Les employés d’Amazon en Alabama qui se sont prononcés contre la syndicalisation justifient leurs choix par leurs grandes inquiétudes concernant la sécurité de l’emploi et la conviction que leurs salaires et leurs avantages sociaux ne seraient pas améliorés de manière significative avec le soutien d’un syndicat. ( Un article du Wall Street Journal)
La victoire retentissante du géant du e-commerce, deuxième employeur privé du pays, fait suite au succès de l’opération menée au niveau local qui a mis en avant les atouts de l’entreprise tout en contestant l’intérêt à se doter d’un syndicat. A l’échelle nationale, Amazon a multiplié les déclarations pour répondre aux critiques concernant les conditions de travail au sein de l’entreprise, comme en témoignent les échanges entre l’un de ses cadres dirigeants et des membres du Congrès sur Twitter.
Les analystes estiment que l’échec de la tentative de syndicalisation renforcera Amazon, qui vient de connaître, dans le contexte porteur de la pandémie, une année de croissance et de succès spectaculaires. En 2020, son chiffre d’affaires a progressé de 38 % pour atteindre 386 milliards de dollars, et ses bénéfices ont presque doublé, alors que 500 000 personnes ont rejoint ses effectifs au niveau mondial.
Les travailleurs expliquent qu’ils se méfiaient du coût des cotisations syndicales et qu’ils n’étaient pas convaincus de la capacité du syndicat à faire augmenter sensiblement leur salaire ou à améliorer leurs avantages sociaux. En fin de compte, moins de 16 % de l’effectif total du site a voté en faveur de l’adhésion au Retail, Wholesale and Department Store Union
Certains employés affirment qu’Amazon a contribué à orienter leur vote contre la possibilité de se syndiquer. D’autres assurent qu’ils n’ont pas eux besoin d’être influencés par l’entreprise et qu’ils étaient dès le départ opposés à la syndicalisation.
Le géant de Seattle a insisté sur son salaire minimum de 15 dollars de l’heure, soit le double du salaire minimum en vigueur dans l’Etat — 7,25 dollars de l’heure —, qui est également le plancher au niveau fédéral. L’entreprise a également rappelé ses avantages en matière de couverture médicale et de retraite.
Les travailleurs expliquent qu’ils se méfiaient du coût des cotisations syndicales et qu’ils n’étaient pas convaincus de la capacité du syndicat à faire augmenter sensiblement leur salaire ou à améliorer leurs avantages sociaux. En fin de compte, moins de 16 % de l’effectif total du site a voté en faveur de l’adhésion au Retail, Wholesale and Department Store Union (RWDSU).
« Je travaille dur pour gagner mon argent et je ne veux pas que la moindre part aille à un syndicat dont on ne sait pas s’il pourrait nous obtenir un meilleur salaire ou des pauses plus longues », explique Melissa Charlton Myers, une employée de 41 ans de l’usine de Bessemer, en Alabama, qui a participé au scrutin. « Le jeu n’en vaut pas la chandelle ».
Lors des réunions au sein de l’entreprise, qualifiées par certains employés d’obligatoires, Amazon a présenté des informations sur des accords que la RWDSU avait négociés au nom des employés dans d’autres secteurs. Les conventions collectives que le géant du e-commerce a montrées aux employés ne semblaient pas indiquer de différence substantielle avec le régime en vigueur dans l’entreprise, raconte Cori Jennings, 40 ans, qui a voté contre la création du syndicat.
De son côté, ce dernier a avancé des données du Bureau américain des statistiques du travail qui révèlent que les employés syndiqués gagnent en moyenne plus que les non-syndiqués.
Lors d’une conférence de presse organisée par Amazon vendredi, certains employés qui se sont prononcés contre la syndicalisation ont déclaré qu’ils souhaitaient toujours assister à des évolutions sur le lieu de travail, comme une formation plus poussée des managers. Cependant, d’autres ont précisé qu’ils pensaient pouvoir résoudre les problèmes avec l’entreprise sans intervention d’une tierce partie.
La crainte des répercussions possibles de la formation d’un syndicat, notamment la possibilité qu’Amazon ferme le site, a également joué un rôle dans le résultat, selon certains employés. D’autres craignaient que la société n’annule son projet, annoncé l’année dernière, d’ouvrir deux autres entrepôts aux alentours.
Amazon n’a pas souhaité faire de commentaires.
Les employés pro-syndicat ont déclaré qu’ils voulaient avoir davantage leur mot à dire au sujet des temps de pause, de la manière dont ils sont évalués par l’entreprise et du rythme auquel ils sont censés trier et déplacer les colis. Le syndicat devrait d’ailleurs faire appel des résultats.
Iwan Barankay, économiste du travail à l’Université de Pennsylvanie, estime que si les tentatives de syndicalisation peuvent, au départ, être plébiscitées par les employés, les arguments avancés par les entreprises peuvent, au fil du temps, avoir raison de leur volonté, surtout s’ils sentent que cela fait peser un risque sur leur gagne-pain.
« L’emplacement du site a été un facteur important », poursuit M. Barankay. L’Alabama compte de nombreux habitants ayant de faibles revenus, « qui n’ont pas beaucoup d’autres opportunités de travail. Ces personnes ont vraiment pu ressentir les difficultés de la vie en période de pandémie. »
La défaite des pro-syndicats ôte une épine du pied à Amazon, mais d’autres menaces se profilent à l’horizon.
En fin d’année dernière, un comité du Congrès a affirmé qu’Amazon avait acquis un « pouvoir monopolistique » au détriment des vendeurs tiers présents sur sa plateforme, qu’il avait fait pression sur ses revendeurs et qu’il avait utilisé de manière abusive leurs données pour concurrencer ses rivaux. Amazon avait déclaré à l’époque que « les grandes entreprises ne sont pas par définition en position dominante » et que « l’hypothèse selon laquelle le succès ne peut que résulter d’un comportement anticoncurrentiel est tout simplement fausse. »
Le Congrès envisage actuellement de faire les modifications les plus importantes jamais apportées à la législation antitrust depuis des décennies, notamment en proposant des mesures qui permettraient aux pouvoirs publics de contester plus facilement les comportements anticoncurrentiels ou d’obliger les géants de la technologie à scinder leurs activités.
En parallèle, des groupements d’entreprises ont annoncé la semaine dernière la formation d’une alliance au niveau national pour mener une campagne en faveur de lois antitrust plus strictes. Cette initiative vient s’ajouter aux enquêtes et aux procès intentés par les Etats et les autorités fédérales contre Amazon au sujet de son poids et des conditions de travail à l’intérieur de la société. Le géant de Seattle a déclaré que son modèle économique profite à la fois aux consommateurs et aux millions de marchands indépendants qui vendent sur son site.
Par ailleurs, Amazon n’a pas fini d’affronter des batailles syndicales. Alors que les bulletins de vote étaient dépouillés pour l’élection de Bessemer, quelques employés ont manifesté sur un site de l’entreprise à Chicago pour protester contre les conditions de travail. Et en Europe, des employés se sont récemment mis en grève pour des raisons similaires. L’année dernière, le National Labor Relations Board a estimé que l’entreprise s’était, à de multiples reprises, rendue coupable de représailles à l’encontre d’employés qui s’étaient exprimés sur divers sujets. Amazon a affirmé que les mesures disciplinaires prises à l’égard d’employés étaient dues à des violations des règles en vigueur sur le lieu du travail. Quant aux manifestations à Chicago, il a indiqué qu’elles n’avaient pas perturbé ses activités.
« Je dis souvent que nous sommes le Bernie Sanders des employeurs, mais ce n’est pas tout à fait exact, car nous proposons réellement un lieu de travail progressiste »
Néanmoins, la victoire d’Amazon lors du scrutin en Alabama donne à l’entreprise une certaine souplesse dans la gestion de son entrepôt, observe Sucharita Kodali, analyste du commerce électronique chez Forrester Research. « Ils veulent être en mesure d’apporter des changements rapidement et comme ils l’entendent » sans provoquer de perturbations, ajoute-t-elle.
Alors que le vote se terminait à Bessemer, Amazon et ses dirigeants se sont exprimés avec plus de force. Dave Clark, directeur général de la branche Worldwide Consumer, a publié des tweets visant le sénateur indépendant du Vermont, Bernie Sanders, un détracteur régulier d’Amazon qui soutenait la syndicalisation à Bessemer et avait qualifié le PDG Jeff Bezos de personnage cupide.
« Je dis souvent que nous sommes le Bernie Sanders des employeurs, mais ce n’est pas tout à fait exact, car nous proposons réellement un lieu de travail progressiste », a tweeté M. Clark le 24 mars, en faisant référence au fait que le salaire minimum de 15 dollars pratiqué chez Amazon était supérieur au salaire horaire de 11,75 dollars en vigueur dans le Vermont. Le président Biden et des célébrités telles que l’acteur Danny Glover s’étaient joints à M. Sanders pour soutenir les employés d’Amazon en Alabama.
« Tout ce que je veux savoir, c’est pourquoi l’homme le plus riche du monde, Jeff Bezos, dépense des millions pour essayer d’empêcher les travailleurs de se syndiquer », a répondu M. Sanders le jour même sur Twitter.
Le compte d’actualités d’Amazon sur Twitter a également publié des messages défendant l’entreprise. Mais certains d’entre eux se sont retournés contre elle. Le géant du e-commerce a ainsi dû présenter ses excuses après la publication, le 24 mars, d’un tweet sur ce compte qui remettait en cause de manière erronée les récits de certains employés expliquant être parfois obligés d’uriner dans des bouteilles en raison du rythme soutenu de livraison des colis imposé par Amazon.
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Grégoire Arnould
Comment préserver l’avenir des Gilets jaunes : un parti ou un syndicat ?
Comment préserver l’avenir des Gilets jaunes : un parti ou un syndicat ?
Les gilets jaunes ont évidemment compris qu’ils ne pouvaient pas limiter leur action éternellement à l’occupation de rond-points et qu’il convenait désormais d’envisager une structuration de cette contestation. Deux grandes lignes se dégagent. La plus importante pour l’instant est celle qui consiste à organiser le mouvement en sorte de syndicat des citoyens. C’est-à-dire une organisation porteuse des intérêts des couches moyennes et populaires mais qui ne met pas le doigt dans la gestion par crainte d’être absorbé par les logiques politiciennes. Un syndicat de protestation et de proposition qui entend maintenir une distance avec tous les partis politiques dont ils se méfient par-dessus tout. Une autre ligne envisage de transformer les gilets jaunes en parti politique avec une première étape lors des européennes. Cette tendance éprouve le même mépris défiance vis-à-vis des partis politiques classiques mais veut se faire entendre durablement en prenant sa part sur le terrain politique. Le choix n’est pas évident car ce sont deux lignes stratégiques assez opposées. Chaque fois qu’un syndicat s’est immiscé dans la politique directement ou indirectement, il en a payé le prix. La CGT par exemple paye encore le coût pour avoir été inféodée pendant trop longtemps au parti communiste lequel aujourd’hui est remplacé par des groupuscules gauchistes, ce qui n’est pas mieux et plus rassurant pour l’avenir de ce syndicat. Autre exemple, celui du mouvement des commerçants de Poujade en 1956, un syndicat corporatiste qui a connu un passage éclair en politique avant de disparaître complètement. On peut faire aussi l’hypothèse que certains partis politiques établis comme les insoumis, le rassemblement national, debout la France voire d’autres voudront récupérer à leur compte le succès des gilets jaunes. Du coup certains gilets jaunes seront présents sur les listes aux européennes et quelques-uns en bonne place pour être éligibles. Par ailleurs, il est possible qu’il n’y ait pas plusieurs listes de gilets jaunes autonomes mais tout cela risque d’affaiblir ce qui faisait l’originalité des gilets jaunes à savoir leur souci d’autonomie. De toute manière, il paraît peu vraisemblable que les gilets jaunes puissent obtenir une majorité politique, leur potentiel électoral se situe sans doute entre eux 10 et 20 %. S’ils veulent peser ils devront donc passer des alliances. Précisément perdre cette distance qu’il voulait à tout prix entretenir avec les partis politiques. Dernière observation, ce mouvement a besoin de structuration du point de vue organisationnel mais aussi du point de vue idéologique car pour l’instant c’est un peu la grande foire en matière d’analyse et de propositions. Voir à cet égard les positions autour du référendum d’initiative citoyenne. Or en l’état de la structuration, le mouvement n’a pas encore fait émerger de responsables suffisamment armés sur le plan économique, social, politique et même culturel. Ces responsables existent sans doute mais il faudra du temps pour les faire émerger, il faudra du temps pour construire une stratégie et un argumentaire qui ne soit pas démoli au bout d’un quart d’heure par les technocrates au pouvoir. Lors de passages sur un plateau télé, les gilets jaunes montrent déjà toutes leurs limites, on imagine ce que cela pourrait être face à des oligarques rompus aux exercices politiques et face à des technocrates qui possèdent leur dossier. Au total, l’hypothèse la plus crédible pour préserver le mouvement serait sans doute de transformer les gilets jaunes en syndicat de citoyens comme il existe des syndicats de salariés ou d’autres couches sociologiques. Pour être clair, les gilets jaunes risquent de se faire bouffer rapidement dans une arène politique et technocratique dont ils ignorent tout. Se faire bouffer collectivement voir individuellement car malheureusement aucune organisation n’est à l’abri concernant certains membres d’une confusion entre l’intérêt personnel est l’intérêt collectif.