Ukraine et survie de l’Europe
Pour Patrick Martin-Genier, spécialiste de l’Europe, « nous avons face à l’agresseur, la Russie, une Union européenne qui est extraordinairement unie avec des mesures qui sont très fortes » et qui vont avoir « des conséquences majeures sur l’économie russe. »
« L’Europe est à un tournant historique de son histoire, elle a réalisé que sa survie était en jeu », estime, mardi 1er mars dans la soirée, sur franceinfo, Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences Po et à l’INALCO, spécialiste de l’Europe, auteur de L’Europe a-t-elle un avenir disponible aux éditions Studyrama. L’Union Européenne sanctionne durement l’économie russe depuis plusieurs jours, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire assume une « guerre économique et financière » qui va selon lui « provoquer l’effondrement de l’économie russe ».
Cinq jours après le début de l’invasion russe de l’Ukraine, est-ce qu’on assiste à un réveil de l’Europe?
Patrick Martin-Genier : Oui, l’Europe est véritablement à un tournant historique de son histoire. Pour moi qui suis historien de la construction européenne, c’est la première fois dans son histoire qu’on voit l’Europe envoyer des armes à l’Ukraine et ça, c’est très important. L’Europe a réalisé que sa survie était en jeu, par conséquent, elle s’est réveillée en disant « nous allons exporter des armes, nous allons aider l’Ukraine ». Concernant les sanctions économiques et financières très lourdes qui ont été décidées, il a fallu convaincre certains États et gouvernements qui étaient réticents. Il y avait la Hongrie, Chypre et surtout l’Allemagne, qui vient de faire un revirement elle-même considérable. Aujourd’hui, nous avons face à l’agresseur, la Russie, une Union européenne qui est extraordinairement unie avec des mesures qui sont très fortes, plus que symboliques, puisqu’on s’aperçoit que cela va avoir des conséquences très importantes, majeures, sur l’économie russe.
Le destin de l’Union Européenne est-il en jeu avec cette guerre à ses frontières ?
Il est en jeu parce qu’on s’aperçoit que ce qui est attaqué aujourd’hui, c’est en plein cœur de l’Europe. Avec cette offensive militaire, criminelle, il faut le dire, de Vladimir Poutine sur l’Ukraine, on atteint un pays culturellement européen, ce qui veut dire qu’avec les menaces de Vladimir Poutine, on sait très bien que c’est un conflit qui pourrait dégénérer et éventuellement atteindre encore plus l’Europe, notamment les pays de l’Otan. On n’est pas à l’abri d’un conflit majeur qui dégénère en conflit généralisé. On s’aperçoit que l’Europe est en danger, et d’ailleurs, il y a des rappels historiques. Rappelez vous la guerre de Corée : il y avait là aussi un sentiment que l’Europe était extrêmement fragile, et ça avait permis de faire repartir le débat sur la défense européenne. Aujourd’hui, c’est exactement la même chose : on s’aperçoit que l’Europe est si fragile qu’elle doit aujourd’hui aller vers une meilleure autonomie stratégique. Il faut renforcer la capacité de défense et son autonomie stratégique, c’est essentiel. Grâce à M. Poutine, on est en train de se réveiller et de se dire « il faut aller plus loin, il faut renforcer l’autonomie et la force de l’Europe ».
Dans un passé récent, la Hongrie et la Pologne ont adopté des postures de défiance vis-à-vis de l’Union, est-ce que ce qui se passe en Ukraine va permettre de resserrer les rangs ?
On va mettre sous le boisseau des divergences que nous avions avec ces pays, notamment sur l’indépendance des juges, l’indépendance de la presse, le respect des minorités. Mais l’urgence aujourd’hui, c’est de se serrer les coudes et de se dire « nous sommes en danger d’un danger d’un conflit militaire, d’une agression militaire, on fait face à une guerre hybride ». La priorité c’est de faire l’unanimité, la solidarité avec l’Ukraine face à la Russie. Nous n’avons pas d’autre choix aujourd’hui que d’être unis pour faire face à cette agression.