Développement économique: le Maroc un exemple à suivre ?
En matière de diplomatie, le Maroc se fait souvent assez discret. Ses dirigeants ne font pas parti des grandes gueules internationales qui veulent réguler le monde mais se montrent incapables de moderniser leur pays. Le Maroc fait sans doute parti des exceptions car il développe à la fois une politique économique dynamique, une politique sociale plus substantielle et plus égalitaire et des infrastructures conséquentes pour aider le développement notamment en matière de transport. Certains objecteront à juste titre que dans le domaine démocratique des avancées sont à enregistrer mais il faut aussi prendre en compte que ce pays est la cible de séismes islamistes qui ne peuvent être gérés à la mode libérale des pays développés. NDLR
Le FMI a publié un rapport mettant en évidence la stabilité macroéconomique, la résilience institutionnelle et le cadre réglementaire avancé du Maroc. L’étude montre également la remarquable capacité du royaume à attirer les investissements directs étrangers (IDE), notamment dans l’industrie manufacturière à moyenne et haute technologie (automobile, aéronautique, électronique). Ces résultats ont été obtenus grâce aux investissements significatifs consentis dans les infrastructures, dont les exemples les plus emblématiques sont le mégaport de Tanger Med, et la ligne à grande vitesse (LGV) reliant Tanger à Casablanca. C’est aussi le résultat d’une politique industrielle incarnée par le Plan d’accélération industrielle lancé en 2014. Les infrastructures routières, ferroviaires et portuaires du pays sont au même niveau de qualité que dans l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), selon l’institution basée à Washington.
Alexandre Kateb
Maître de conférence en économie, Sciences Po
Nonobstant ces acquis indéniables, auxquels on peut ajouter une hausse continue du développement humain (xxx) depuis 1990, l’économie marocaine connaît un ralentissement marqué de sa croissance depuis près d’une décennie. Cette dernière est en effet passée de 5 % en moyenne entre 2000 et 2009 à 3,5 % en moyenne entre 2010 et 2019.
Ce ralentissement de la croissance économique s’est accompagné d’une baisse du contenu en emploi de la croissance, pratiquement divisée par trois, ainsi que d’une hausse concomitante du chômage des jeunes et d’un recul de la participation au travail, notamment celle des jeunes femmes âgées de 20 ans et plus.
Comme beaucoup d’autres pays émergents, le Maroc est confronté au « piège du revenu intermédiaire ». Ce concept élaboré par la Banque mondiale se fonde sur un constat empirique : seule une poignée de pays à revenu intermédiaire en 1960 ont réussi à atteindre le statut d’économie avancée en 2010. Si l’on excepte les pétromonarchies du Golfe, dont l’ascension est liée à la rente des hydrocarbures, le constat est encore plus sévère. Parmi les pays qualifiés en « première ligue économique », on trouve les bien connus « tigres et dragons » asiatiques, ainsi qu’une poignée seulement de pays situés hors d’Asie.
Selon le rapport de la Commission spéciale modèle de développement (CSMD), le Maroc ne valorise pas suffisamment son capital humain, dans un contexte de faible transformation structurelle. Le secteur agricole emploie encore un tiers de la population active et l’emploi informel représente 70 % à 80 % de l’emploi total. Le rapport précité du FMI pointe également le problème des inégalités de genre, notamment dans l’accès à l’emploi, comme la cause principale du ralentissement de la croissance.
En 2020, en pleine épidémie de Covid-19, le roi Mohammed VI a annoncé un ensemble de politiques destinées à sortir du piège du revenu intermédiaire. Ce nouveau programme de réformes inclut un plan d’envergure pour généraliser la protection sociale et une réforme de l’État actionnaire, à travers la rationalisation des entreprises publiques existantes, et le lancement d’un Fonds stratégique destiné à investir dans les entreprises privées à fort potentiel de croissance.
Le plan d’universalisation de la protection sociale, votée en avril 2021, a été mis en œuvre par étape : tout d’abord à travers l’extension à tous les Marocains –, quel que soit leur statut social ou professionnel – de l’assurance maladie obligatoire (AMO) qui était réservée jusque-là aux salariés. Seconde étape : la mise en œuvre d’un programme ambitieux d’aides sociales directes ciblant 60 % des ménages non couverts par un régime de protection sociale.
Ces aides comprennent une allocation de subsistance avec un plancher mensuel de 500 dirhams (Dh) par ménage bénéficiaire, ainsi que des allocations supplémentaires pour les enfants, les handicapés et les personnes âgées. Au total, l’aide peut dépasser les 1000 Dh par mois, soit près d’un tiers du salaire minimum officiel.
Le financement de ces aides reposera à la fois sur la rationalisation des dispositifs d’aide existants, la mobilisation de ressources fiscales supplémentaires ainsi que la décompensation progressive des prix de certains produits de base encore subventionnés comme la farine de blé tendre, le sucre et le gaz de pétrole liquéfié (GPL).
Ces mesures, assimilables à un revenu minimum, visent à fournir un soutien immédiat au pouvoir d’achat des ménages pauvres et vulnérables. Ainsi, le programme cherche à briser la mécanique de la pauvreté et de l’exclusion à travers l’investissement dans le capital humain des enfants – la perception intégrale des aides est conditionnée à la scolarisation de ces derniers – et la libération des énergies individuelles – notamment celles des femmes non qualifiées, qui pourront prétendre à des emplois plus rémunérateurs que les emplois d’aide à la personne dans lesquels elles sont souvent cantonnées.
Ces aides directes devraient également soutenir la croissance économique dans les localités les plus pauvres du pays – en soutenant la demande des ménages – et favoriser la résorption de l’économie informelle.
Dans l’ère pré-Covid, pour sortir du piège du revenu intermédiaire, de nombreux pays – Maroc compris – avaient mis en œuvre une politique centrée sur l’offre, fondée sur des mesures d’inspiration libérale comme la dérégulation des marchés. Les bouleversements induits par la pandémie ont fait émerger au Maroc un nouveau paradigme en matière de politiques publiques, mettant davantage l’accent sur la complémentarité entre l’offre et la demande, entre l’État et le marché. Ce rééquilibrage peut désormais inspirer d’autres pays en développement en Afrique et ailleurs dans le monde.