L’austérité écologique brutale serait suicidaire
La révolte des « gilets jaunes » contre la taxe carbone hante toujours Emmanuel Macron, qui rechigne à prendre des mesures de rupture pour réduire nos émissions de CO₂, constate l’économiste Christian Gollier dans une tribune au « Monde »
En matière de lutte contre le changement climatique, dans un contexte où les coûts de la décarbonation sont privés et les bénéfices sont distribués aux citoyens du monde, personne n’a intérêt à en faire beaucoup. C’est certainement vrai au niveau des consommateurs et des entreprises, mais ça l’est aussi au niveau des Etats. Quel chef de parti en France oserait défendre la seule parole de vérité, celle de la sueur et des efforts, que beaucoup appellent « écologie punitive » alors qu’elle n’est qu’une écologie de la responsabilité ?
Reconnaissons que, sauf miracle technologique, remplacer des sources d’énergie fossiles, celles qui ont fait la prospérité de l’Occident depuis deux siècles, par des énergies renouvelables dont les coûts de production sont (beaucoup) plus élevés, ne peut qu’avoir un impact globalement négatif sur le pouvoir d’achat de la génération actuelle. Contrairement à ce que dit la parole publique, la transition écologique sera inflationniste. A titre d’illustration, l’acier décarboné pourrait bien être deux fois plus coûteux à produire que celui issu de nos hauts fourneaux, un kérosène décarboné pourrait coûter cinq fois plus cher, tandis que la voiture électrique reste bien plus chère à l’achat que son équivalent thermique.
Dans cette utopie ambiante d’une transition énergétique heureuse, tenir un discours de rigueur écologique, de sobriété et de sacrifice serait suicidaire. Chez nos voisins britanniques, la rébellion récente des électeurs devant des politiques écologiques désagréables a décidé le premier ministre à rabattre les ambitions climatiques de son gouvernement. La consultation des partis par la première ministre, Elisabeth Borne, le 18 septembre, illustre aussi ce phénomène, avec une alliance de la plupart des partis pour que la transition écologique n’affecte pas le pouvoir d’achat des ménages.
En l’absence de majorité parlementaire, le gouvernement n’a d’autre choix que de chercher un petit dénominateur commun avec l’opposition, et celui-ci prend la forme de nouvelles dépenses publiques non financées. Mais comme les caisses sont vides et que le coût de la dette publique va exploser dans les années à venir avec la hausse des taux d’intérêt, tout cela ne peut aller très loin. Les transports en commun et les mobilités douces imposent souvent des temps de parcours plus longs que la voiture individuelle, sans que cela soit compensé par un avantage économique suffisant.
Emmanuel Macron a suivi certaines recommandations du rapport que lui ont remis Olivier Blanchard et Jean Tirole, il y a deux ans, comme celle d’un soutien aux efforts de recherche dans les technologies vertes des entreprises, ou la sortie rapide du charbon. Les investissements publics d’infrastructure, notamment dans le ferroviaire et les mobilités douces ou électriques, sont aussi les bienvenus. Mais tant que les pollueurs que nous sommes tous, producteurs comme consommateurs, n’auront pas d’incitation à décarboner nos mobilités à la hauteur de nos ambitions climatiques collectives, ces investissements risquent d’être peu utiles.