Quelle stratégie de coopération économique en Europe
« Pour Airbus, comme pour Eurocopter et MBDA, la France a choisi le modèle de la ‘Best team’. Trois excellentes décisions qui ne furent pas si faciles à prendre. Trois excellentes décisions dont la France et l’Europe récoltent aujourd’hui les fruits : Airbus numéro 1 mondial des avions commerciaux, une position de leader mondial dans les hélicoptères et les missiles » (Antoine Bouvier, ancien directeur de la stratégie d’Airbus, ancien PDG de MBDA dans La Tribune)
« Pour Airbus, comme pour Eurocopter et MBDA, la France a choisi le modèle de la ‘Best team’. Trois excellentes décisions qui ne furent pas si faciles à prendre. Trois excellentes décisions dont la France et l’Europe récoltent aujourd’hui les fruits :…
Merci Président Trump ! Oui, un grand merci. Combien d’années avons-nous perdues à argumenter entre Européens sur les bénéfices et les limites de la coopération européenne ! En quelques semaines un consensus a émergé. Les Européens déplorent, à juste titre, la fragmentation de l’industrie de défense, ils appellent, à juste titre, à plus de coopération. Il y a encore loin de la coupe aux lèvres, mais c’est un pas dans la bonne direction.
De quelle coopération parlons-nous ?.
Le F-35 est un modèle de « coopération à l’américaine » : achat sur étagères, quelques contrats de sous-traitance et des réassurances militaires. Lockheed Martin, maître d’œuvre du F-35, emploie la merveilleuse expression « Global partnership ».
×
En Europe, deux approches s’opposent : « Best athlete » et « Best team ». Le « Best athlete », est convaincu, certainement à juste titre, qu’il a le meilleur produit et qu’il possède toutes les compétences. Il peut être tenté de faire cavalier seul et de proposer un modèle de coopération s’inspirant de la« coopération à l’américaine » ; mais sans les réassurances militaires que seuls les Etats-Unis, malheureusement, peuvent aujourd’hui apporter.
La « Best team », est une vraie coopération. Une coopération entre partenaires, il n’y a pas un maître d’œuvre et des sous-traitants. Évidemment c’est plus compliqué. Certains programmes en coopération ont eu des débuts difficiles, mais ce sont révélés, comme le Tigre ou l’A400M, des produits exceptionnels.
Entre « Best athlete » ou « Best team », comment choisir ?
Si c’est un sport individuel, comme le saut à la perche, le « Best athlete » s’impose. Si c’est un sport collectif comme le rugby, la « Best team » fera le job. Le terrain de jeu, c’est l’Europe, c’est le Monde. C’est donc un sport collectif que joue l’équipe d’Europe. Et au rugby, chacun a sa place : le grand costaud, le petit qui court vite… à l’image de la diversité européenne. Et, bien sûr, le « Best athlète » a toute sa place dans la « Best team ». L’Europe des compétences ne peut être l’Europe d’un seul pays.
Avions commerciaux, hélicoptères et missiles… En 1970, à la création d’Airbus, la France aurait pu revendiquer la place de « Best athlète », de même en 1992 à la création d’Eurocopter et en 2001 à la création de MBDA. Mais pour Airbus, comme pour Eurocopter et MBDA, la France a choisi le modèle de la « Best team ». Trois excellentes décisions qui ne furent pas si faciles à prendre. Trois excellentes décisions dont la France et l’Europe récoltent aujourd’hui les fruits : Airbus numéro 1 mondial des avions commerciaux, une position de leader mondial dans les hélicoptères et les missiles.
Et progressivement, ces trois « Best teams » sont devenues trois « Best athletes », champions européens intégrés, capables de se battre avec succès contre leurs grands concurrents non européens. Capables aussi de protéger la souveraineté française, en particulier la dissuasion nucléaire.
Dans d’autres secteurs, l’équipe européenne ne s’est pas formée. Nous avons en France avec le Rafale un avion de combat exceptionnel. Mais force est de constater que les Etats-Unis (F-16 et F-35) ont conquis environ la moitié du marché européen. Les trois avions de combat européens, le Rafale, l’Eurofighter-Typhoon et le Saab Gripen se partagent l’autre moitié. Nous aurions fait mieux ensemble.
Indépendance et autonomie stratégique
On cite souvent le Général de Gaulle qui a construit les solides fondations de notre posture de défense : indépendance et dissuasion. Le Général était un esprit visionnaire qui bousculait les idées reçues. Le Général a imposé en 1963 le Traité de l’Élysée de réconciliation franco-allemande. Qu’imposerait-il aujourd’hui ? Nul n’est légitime pour parler à sa place.
Mais, pour rester fidèle à cet impératif d’indépendance, sans doute faudrait-il, aujourd’hui aussi, bousculer quelques idées reçues et ne pas craindre d’aborder de face des questions qui nous feraient sortir de notre zone de confort. Comment s’articulent l’autonomie stratégique française et européenne ? Comment garantir la taille critique, condition d’une industrie de défense efficace et innovante ? Comment organiser, sur le modèle de MBDA, une dépendance mutuelle « Share it or lose it » qui garantit l’indépendance de chacun des pays partenaires ? Comment les programmes en coopération peuvent-ils contribuer à la convergence des besoins capacitaires des armées européennes ?
Enfin, pense-t-on sérieusement que l’impératif de préférence européenne pourra être mis en œuvre si les grands programmes structurants européens ne sont pas confiés par les États à des « Best teams » compétentes, volontaristes et ayant appris les leçons du passé ?