Réforme Retraites : la stratégie de la CFDT
Si la CFDT a, dans le passé, accompagné les réformes des retraites du gouvernement, le syndicat réformiste se montre aujourd’hui très hostile à la réforme des retraites proposée par Emmanuel Macron. Son chef de file Laurent Berger promet qu’il n’hésitera pas à se mobilier contre cette reforme qu’il juge extrêmement dure pour les travailleurs et extrêmement injuste. Pour autant, il saura garder ses distances si les mobilisations devaient se radicaliser. Décryptage de la stratégie du premier syndicat de France dans un article de la Tribune
Un papier intéressant mais qui fait l’impasse sur le passif enregistré au cours des années entre la CFDT et Macron. La CFDT de tout temps a toujours été un syndicat réformiste recherchant le compromis et des résultats de l’action syndicale. Le seul problème, c’est que Macron a écrasé les syndicats de son mépris comme il a écrasé les institutions représentatives y compris le Parlement. Aujourd’hui, la réforme des retraites offre l’occasion d’un règlement de compte dont les conséquences politiques pourraient être graves pour Macron. Le risque est en effet d’entraîner le pays dans un naufrage économique, social bien sûr, mais aussi politique. NDLR
« Non, la CFDT n’a pas changé de position, s’agace Laurent Berger, le numéro 1 du syndicat réformiste. Nous avons toujours dit que nous étions opposés au recul de l’âge légal de départ à la retraite, que ce soit 64 ou 65 ans ».
De fait, même si le secrétaire général de la CFDT affirme avoir le sentiment que le gouvernement va décider de reporter l’âge de départ à 64 ans, – avec une accélération de la réforme Touraine qui augmente la durée de cotisation-, il entend bien se battre contre cette réforme. Et pour cause, le recul de l’âge est depuis toujours, considéré par la CFDT, comme la plus mauvaise des solutions, car la plus injuste. Elle pénalise surtout ceux qui ont démarré tôt leur vie professionnelle, les obligeant à travailler jusqu’à la borne d’âge fixée par la loi.
La CFDT sera dans l’opposition comme les autres syndicats.
Aussi, Laurent Berger ne mâche-t-il pas ses mots après son entretien avec la Première ministre, mardi 3 janvier. Il dénonce une réforme extrêmement dure pour les travailleurs, la plus dure depuis des décennies.
Sans nier la nécessité de rééquilibrer financièrement le système des retraites, il assure que « l’on pouvait faire autrement » et que le gouvernement choisit la méthode la plus violente pour les travailleurs. Par ailleurs, selon la CFDT, dans la mesure où le gouvernement entend engranger des recettes pour payer l’école, l’hôpital, la transition écologique…. Il rompt avec une forme de contrat démocratique. Cette réforme vise à faire peser sur les seuls actifs les besoins financiers de la Nation.
Et si dans le passé, la CFDT a accompagné les réformes des retraites du gouvernement, comme en 2003, ce qui lui a valu des déchirures internes, cette fois, pas de doute, le syndicat réformiste sera du côté de la contestation. En juin dernier, lors de son Congrès à Lyon, la centrale est apparue très unie derrière ce positionnement. « Contrairement à la CGT très divisée, la CFDT est homogène », rappelle Rémi Bourguignon, chercheur et spécialiste des relations sociales.
Laurent Berger a déjà prévu de participer à une intersyndicale qui se tiendra mardi prochain. En effet, toutes les centrales ont d’ores et déjà décidé de se réunir le soir même de la présentation de la réforme par le gouvernement, le 10 janvier. Une telle unité regroupant une dizaine de syndicats et d’associations n’a pas vu le jour depuis 2010. A l’issue de cette rencontre, une journée d’action unitaire et de grèves sera fixée. Le jeudi 19 janvier et mardi 24 sont déjà inscrits sur les tablettes. Les syndicats trancheront.
Ce mois de janvier, Laurent Berger devrait donc défiler aux côtés de Philippe Martinez de la CGT. Mais alors que depuis 2016, et la loi Travail, toutes les mobilisations sont parasitées par des mouvements de violence des Black Block, la CFDT cherchera au maximum à rester dans des manifestations pacifistes. Elle jouera la carte de la responsabilités . Autrement dit, si le mouvement se radicalisait, notamment à la CGT, avec des débordements, elle pourrait vite en sortir.
Par ailleurs, dans cette intersyndicale, elle entend toutefois ne pas se renier. « Pas question de changer, pour être avec les autres », assure un cadre du syndicat de Belleville. Pour l’instant, le seul motif de mobilisation qui met tout le monde d’accord est le report de l’âge ….
Malgré tout, la CFDT ne cache pas son intention de continuer à discuter avec l’exécutif… Même si à ses yeux, les avancées possibles sont minces, le syndicat entend bien peser pour les obtenir. Evidemment, en haut de la pile, se trouve la reconnaissance de la pénibilité, chère à la CFDT. Le gouvernement travaille sur un dispositif en fin de carrière avec une visite médicale… « C’est un peu l’usine à gaz, et ça risque de créer du ressentiment, car en fait on a pas assez de médecins du travail …. Il faut donc pousser l’exécutif à dégager des moyens », plaide par exemple l’entourage de Laurent Berger.
Autre sujet que la CFDT surveille comme le lait sur le feu : les carrières longues. C’est le prédécesseur de Laurent Berger, François Chérèque qui avait obtenu cette mesure pour ceux qui ont commencé à travailler tôt. Pas question de la brader aujourd’hui. Mais il y a aussi la question du minimum de retraites à 85 % du SMIC etc …
Pour faire entendre sa voix, la CFDT multiplie déjà son lobbying auprès des parlementaires.
Reste qu’à la centrale de Belleville, le pessimisme est de mise. Car même si la CFDT réussit à peser dans la réforme, à se faire entendre, il ne fait aucun doute que le gouvernement appliquera ses mesures et ira jusqu’au bout. « Car l’intention est surtout dogmatique, politique », juge encore Laurent Berger. Et le syndicalisme pourrait s’en trouver encore affaibli.
Surtout, dans un contexte d’inflation, de fatigue démocratique intense, personne ne sait comment le corps social réagira. Le risque de voir des mouvements alternatifs, spontanés, type Gilets Jaunes, est important. Il n’est pas exclu non plus, que face à cette réforme, il y ait beaucoup de résignation et de ressentiment …. Ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle. Car ce qui ne s’exprime pas, risque toujours de ressurgir de façon bien plus violente.