StopCovid: échapper à la domination d’ Apple et Google», Aymeril Hoang (Conseil scientifique)
Aymeril Hoang, qui fut directeur du cabinet de l’ancien secrétaire d’Etat au Numérique Mounir Mahjoubi, siège au sein du Conseil scientifique. Il explique la stratégie de stop Covid dans une interview de l’Opinion
Quelles principales caractéristiques ont été retenues pour l’application StopCovid ?
Cette application fait appel au système Bluetooth afin de savoir à quelle distance et combien de temps des personnes ont été en présence. A partir de ces données anonymisées, elle permet d’alerter les contacts d’une personne contaminée. Seules les données des personnes à alerter circulent jusqu’au serveur. Elles sont conservées trois semaines avant d’être supprimées. Le téléchargement de l’application StopCovid est facultatif. A l’issue de l’état d’urgence sanitaire, le serveur est désactivé.
Comment justifier StopCovid, application intrusive malgré des garanties sur l’anonymat et le volontariat, qui restera d’une efficacité limitée dans la lutte contre la pandémie ?
Le Conseil scientifique répond à cette question : « L’outil numérique peut se révéler extrêmement précieux pour renforcer l’efficacité du dispositif » à partir du 11 mai. Cette stratégie de sortie du confinement repose sur l’identification la plus précoce possible des contacts des personnes contaminées. Le traçage des contacts, associé à l’humain via des équipes sanitaires mobiles et des plateformes téléphoniques assurant la prise en charge des personnes diagnostiquées, est un élément essentiel du contrôle sanitaire post-confinement. Mais ce traçage ne se suffit pas à lui-même, il n’a pas d’effet magique.
Cet objectif ne risque-t-il pas de buter sur la faible proportion d’utilisateurs ? Combien de Français sont-ils prêts à télécharger cette application ?
Les épidémiologistes sont clairs : l’intérêt sanitaire d’un tel dispositif est prouvé quel que soit le niveau d’installation. Mais évidemment, plus l’application est téléchargée, plus l’efficacité est grande. La seule communication gouvernementale ne suffira pas à susciter l’adhésion. La dimension « communautaire » – au sein d’un village, d’un groupe d’amis, de collègues de travail – sera une incitation forte à utiliser ce « tracing », dans le respect du consentement social bien sûr. A Singapour, trois semaines après sa mise en place, environ 20 % de la population a installé l’application TraceTogether, dont StopCovid s’est inspiré. Les autorités singapouriennes sont sans doute un peu déçues par ce chiffre mais le système fonctionne. Exemple de cette diffusion par « communautés » : les expatriés français utiliseraient très largement TraceTogether.
«Sans équipes d’enquêteurs sanitaires, la stratégie de contrôle de l’épidémie risque d’être mise à mal. StopCovid n’est ni un vaccin, ni un médicament. Elle s’inscrit dans un parcours global d’accompagnement sanitaire»
Outre ce tracing, la constitution d’équipes sanitaires est essentielle, selon le Conseil scientifique. Quel rôle vont-elles jouer ?
Il est double. D’une part continuer d’assurer la remontée des personnes côtoyées par une personne contaminée en reconstituant avec elle la chaîne de ses contacts, en faisant appel à sa mémoire. D’autre part, informer, orienter, voire tester les personnes qui auront été averties de leur possible contamination. De plus, avant que ne soit déclenchée l’alerte auprès des contacts d’une personne positive au Covid-19, il faut une vérification par un médecin ou un infirmier. Si on ne constitue pas ces équipes d’enquêteurs sanitaires, la stratégie de contrôle de l’épidémie après le déconfinement risque d’être mise à mal. C’est un défi pour les autorités de santé publique qui doivent monter en puissance sur ce point. L’application StopCovid n’est ni un vaccin, ni un médicament. Elle s’inscrit dans un parcours global d’accompagnement sanitaire.
Une série d’obstacles technologiques doit être surmontée. La coopération d’Apple et Google est loin d’être acquise. Dimanche, les Allemands ont annoncé qu’ils quittaient le consortium européen qui travaille sur StopCovid. Ce revirement, après le départ des Suisses, met en péril la future solution européenne…
C’est un coup de théâtre ! Il serait lié à une pétition de chercheurs en numérique qui louaient la solution proposée par Google et Apple. Cela doit nous interroger sur la véritable nature des enjeux. Le Conseil scientifique a prévenu : attention à ne pas laisser des intérêts privés commerciaux se saisir de la crise pour pénétrer et percuter durablement le système de santé publique et ses valeurs de solidarité et d’universalité. Le consortium européen – réunissant désormais Français, Italiens et Espagnols – qui travaille sur StopCovid élabore un protocole sans se soucier de celui d’Apple et Google. C’est un choix politique : des Etats souverains veulent pouvoir développer leur propre solution sanitaire et technologique sous contrôle démocratique. Sur un plan technique, cela suppose en effet de lever un premier obstacle qui concerne le Bluetooth car, à la différence du système d’exploitation Android de Google, Apple n’autorise pas à le laisser fonctionner en arrière-plan. Conséquence : lorsque votre téléphone sera en veille, StopCovid ne fonctionnera pas. Cela réduirait considérablement l’efficacité du système.
Comment convaincre Apple ? 20 % des Français sont équipés d’iPhone…
Les équipes techniques discutent. Le commissaire européen Thierry Breton a récemment parlé au PDG d’Apple, Tim Cook, afin que StopCovid puisse fonctionner. C’est à la fois une question de souveraineté et de liberté du propriétaire d’un smartphone. Ce dernier est-il en mesure d’utiliser son appareil comme il le veut alors que sa santé est en jeu ? Je n’envisage pas qu’Apple réponde non. Il est quand même surprenant qu’on en soit arrivé à un débat où des Etats, des autorités de santé publique doivent légitimer leur souveraineté face à Google ou Apple… !
La Cnil a rendu dimanche un avis positif, sous réserve de garanties, sur StopCovid. Le débat reste vif. Les opposants, qui pointent les atteintes aux libertés individuelles, le risque de Big Brother, ne manquent pas d’arguments. Que leur répondez-vous ?
Ce débat s’est malheureusement polarisé entre ceux qui, jugeant tout système inefficace et dangereux, ne veulent rien faire, et ceux qui, au nom de l’urgence sanitaire, sont prêts à franchir la ligne rouge et à rejoindre le Meilleur des mondes de Huxley et le bonheur sous surveillance. Entre les deux, il y a la place pour une solution minimaliste, proportionnée et respectueuse des droits individuels et de la souveraineté du système de santé publique. La machine gouvernementale reste vigilante et prudente. Les feux sont au vert sous réserve que tout soit parfaitement bordé et à condition que le débat à l’Assemblée soit favorable. In fine, ce sera à chaque Français de choisir : utiliser StopCovid ou pas, porter un masque, adopter les gestes barrières.