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Macron : Le stoïcisme ou la gloriole ?

Macron : Le stoïcisme ou la gloriole ?

Charles Hadji, Professeur honoraire de l’Université Grenoble Alpes dans la Tribune


Nous sommes ainsi invités à appréhender son action politique à travers une grille de lecture stoïcienne. Faisons-le, pour voir dans quelle mesure cette référence est adéquate ou non. Ce qui nous instruira tout autant sur la pensée stoïcienne, que sur l’action du Président. Celle-ci, pendant la crise des retraites, a-t-elle été un peu, beaucoup, ou pas du tout, conforme à ce qu’on aurait été en droit d’attendre d’un véritable stoïcien ?

Sur ce point, le Président est pleinement stoïcien. On sait que la distinction entre les choses qui dépendent de nous, et celles qui n’en dépendent pas, sont fondamentales dans la pensée stoïcienne. C’est par cette affirmation que débute le Manuel d’Epictète. Dépendent de nous « nos opinions, nos mouvements, nos désirs… en un mot, toutes nos actions ».

Ne dépendent pas de nous « le corps, les biens, la réputation, les dignités ; en un mot, toutes les choses qui ne sont pas du nombre de nos actions ».
Cette distinction entre ce qui dépend, et ne dépend pas, de nous, est de nature à permettre de comprendre ce qui distingue un objectif d’une promesse, et à innocenter à cet égard les hommes politiques que l’on accuse bien (trop) souvent de ne pas tenir leurs promesses. Un objectif est un résultat que l’on espère pouvoir atteindre, certes en raison de son action, mais à condition aussi que les événements extérieurs, et les circonstances, soient favorables. Une promesse est un résultat dont on présente l’atteinte comme certaine.

C’est pourquoi on pourra seulement reprocher à l’homme politique de ne pas avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour atteindre son objectif. Mais non pas de ne pas l’avoir atteint, si les circonstances en ont décidé autrement. C’est en ce sens que les promesses n’engagent que ceux qui y croient ! (Jacques Chirac).
Changer ses désirs, plutôt que l’ordre du monde

Il faut donc, pour ce qui dépend de nous, concentrer tous ses efforts sur « les œuvres qui nous appartiennent ». Et, pour ce qui ne dépend pas de nous, accepter, sans joie excessive ni plaintes inutiles, tout ce qui arrive, et quoiqu’il arrive ! Car les stoïciens affirment, par ailleurs, que pour ce qui ne dépend pas de nous, les choses sont bien comme elles sont. Les événements surviennent comme ils doivent survenir. « Tout ce qui arrive, arrive justement ». Ou encore, est « prescrit par sa destinée ».

Il n’y a donc pas lieu de « s’irriter » contre les choses et les événements. Il faut, selon l’empereur, chef de guerre, Marc-Aurèle, « s’accommoder sans violence à sa destinée ». Epictète parle d’un devoir d’ « acquiescement volontaire ». On doit « accepter », mieux encore « aimer », ce qui nous arrive. C’est ainsi que l’on sera libre : « la liberté consiste à vouloir que les choses arrivent, non comme il te plaît, mais comme elles arrivent » (Epictète, Entretiens). Ce qui exigera des changements dans ses façons de faire, et de désirer.
C’est sans doute Descartes qui a le mieux exprimé cette grande « règle de la morale » découlant de la vision stoïcienne des choses, pour en faire la « troisième maxime » de sa « morale par provision » : « tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde ». En réduisant encore le champ de ce qui dépend de nous, puisqu’« il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées ».
Si bien « qu’après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible ».

Faire de nécessité vertu est précisément pour Descartes « le secret de ces philosophes, qui ont pu autrefois se soustraire à l’empire de la fortune, et, malgré les douleurs et la pauvreté, disputer de la félicité avec leurs dieux ».
S’accommoder, non se résigner
Toutefois, s’ « accommoder comme il faut à la nécessité » (Epictète), ou « s’accommoder sans violence à sa destinée » (Marc-Aurèle), ne conduit nullement à la résignation, qui serait acceptation passive, et sans combat. L’homme politique (comme tout homme) est tenu de produire tous ses efforts dans une action ferme et résolue. « Acquiescer volontairement » à la nécessité est un devoir, mais après que l’on ait respecté le devoir premier de donner le meilleur de soi-même dans l’action!

Le stoïcien fait face aux crises, et combat autant qu’il le faut, avec tout son courage. En respectant un principe universel : « Ne faire de mal à personne », mais autant que possible, « faire du bien aux hommes » (Marc-Aurèle). D’où la liste des vertus, telle que déclinée par Diogène Laërce : réflexion, justice, courage, sagesse. Et la liste des « biens en tant que fins » (et non pas simplement : que moyens) : assurance, générosité, liberté, plénitude, joie.

Mais cela n’est pas contradictoire, bien au contraire, avec l’acceptation de la réalité des choses et des événements. C’est pour mieux agir que le stoïcien prend acte. Un Président doit savoir le faire, quand les événements sont contraires. Et ne pas s’obstiner dans une attitude frisant le déni du réel ! Il lui faut tenir compte des événements, tels qu’ils se sont produits, pour orienter et ajuster son action. En se méfiant de l’orgueil qui pourrait le conduire à se croire plus fort que les événements.

En privilégiant la voie de l’article 49.3, le Président a-t-il refusé d’accomplir le devoir d’ «acquiescement volontaire » à la réalité du monde et des événements (opposition massive de la population), refus qui serait proche du déni, voire du mépris? N’aurait-il pas dû faire preuve de magnanimité (vertu éminemment stoïcienne), en accordant plus d’égards aux opposants de bonne volonté ? Ou bien s’est-il simplement montré déterminé à atteindre un objectif qu’il jugeait opportun, en utilisant toutes les voies offertes par la Constitution, dans le strict respect de la légalité ?

Car, après tout, pour les stoïciens, l’important est de savoir « faire un bon usage » de ce qui arrive (Epictète). Dans la mesure où l’objectif pouvait être jugé légitime, et où le texte a été voté, on pourrait conclure au bon usage. Mais il reste alors une dernière, et très importante, difficulté. La population (le Peuple) a pu, dans cette crise, se sentir méprisée. Et le Président pourrait avoir agi principalement par orgueil.

Or, pour les stoïciens, s’il faut mépriser quelque chose (mais jamais quelqu’un !), c’est « la vaine gloire ». Le sage doit agir « sans orgueil ». Bienheureux celui à qui on a « enlevé tout orgueil » (Marc-Aurèle). « Le sage est sans orgueil, car il voit d’un même œil la gloire et l’absence de gloire ». Il faut rejeter « tout ce qui sent la vanité » (Epictète), et savoir vivre avec modestie. Car tout passe. Tous disparaissent. Et rien ne restera de la très éphémère gloire des mortels, que le tourbillon de l’histoire changera en « gloriole » aussi inconsistante qu’évanescente !

Vouloir laisser son nom dans l’histoire ? Vanité des vanités. La renommée s’éteint très vite. « Rien, pas même votre nom, ne restera » (Marc-Aurèle). La modestie et l’humilité sont toujours de mise :
« il est parfaitement possible, en effet, d’être un homme divin, et de n’être remarqué par personne » (Marc-Aurèle).
Alors : en voulant absolument laisser sa trace dans l’histoire, le Président Macron s’est-il condamné à pécher par orgueil ? Lui seul peut le savoir. Il lui appartient de mettre en œuvre une dernière maxime stoïcienne :

« rentre au plus tôt en toi-même », et « creuse au-dedans de toi », pour retrouver, dans sa pureté, ton « génie intérieur » (Marc-Aurèle).
Se rendre digne de la « concupiscence » de la « charité »
Il pourra alors (peut-être !) comprendre que Pascal lui offre une porte de sortie par le haut, en distinguant l’orgueil mal placé de ceux qui se complaisent dans l’ordre de la chair, synonyme de vanité, orgueil qui est l’une des « deux sources de tous les vices ». Et le véritable orgueil, alors bien placé, de ceux qui accèdent à ce qu’il désigne comme l’ordre de la charité :
« Ce n’est pas qu’on ne puisse être glorieux pour les biens [ordre de la chair] ou pour les connaissances [ordre de l'esprit], mais ce n’est pas le lieu de l’orgueil… Le lieu propre à la superbe est la sagesse [ordre de la « charité »] ».
Peut-être alors le Président verrait-il mieux ce à quoi l’appelle l’histoire : être à la hauteur de la divinité qui est en lui, en accédant à l’ordre de la charité, celui des sages et des saints, où l’on voit « avec les yeux du cœur ».

N’est-ce pas, au fond, ce que lui disent les stoïciens, par la voix d’Epictète :
« Nous voulons réformer le monde. Eh ! mon ami, réforme-toi auparavant toi-même »

Le stoïcisme, ; une réponse pour mieux discerner les enjeux

Le stoïcisme, ; une réponse pour mieux discerner les enjeux

(*)  Flora Bernard est co-fondatrice de l’agence de philosophie Thaé, , elle propose de recourir au scepticisme pout perdre le temps de mesurer les enjeux du changement. ( chronique la Tribune)

 

« 

Mi-mars 2020, le choc fut brutal : en quelques jours, le gouvernement français avait annoncé la fermeture de toutes les écoles, puis de tous les restaurants et lieux de rassemblement sociaux et culturels, ainsi que le confinement strict de la population française. La plupart des entreprises ont mis en place le télétravail dans l’urgence, d’autres ont eu recours au chômage partiel, des pans entiers de notre économie ont été mis à l’arrêt. Les vécus personnels ont oscillé entre débordement et désœuvrement total, entre épuisement, crise de sens et renaissance. Le confinement nous a questionné (entre autres) sur l’utilité de notre travail, notre rôle de parent, notre liberté, l’assouvissement de nos désirs dans une société qui les prône sans limites. Si la philosophie doit servir à quelque chose, c’est bien d’éclairer la vie et, par temps de crise, nous permettre de prendre de la distance pour mieux vivre nos épreuves.

L’école de philosophie stoïcienne, elle-même née d’une crise, mérite d’être redécouverte. Le riche marchand Zénon de Kition venait de faire naufrage, aux alentours de 300 av. J.-C et se réfugia à Athènes. Ayant tout perdu, il se tourna vers la philosophie et prit conscience que ce ne sont pas tant les circonstances elles-mêmes qui nous rendent malheureux, mais la manière dont nous nous les représentons et, donc, dont nous les vivons. Tout notre malheur vient de cette confusion entre les choses (les situations…) elles-mêmes, qui sont neutres, et le jugement que nous portons sur ces choses. Zénon créa sa propre école, sous un Portique à Athènes (d’où le nom de Stoïcisme, Stoa signifiant Portique en grec). Dans ces cinq chroniques, ce sont trois illustres représentants de l’école stoïcienne qui nous serviront de guides : l’empereur Marc Aurèle, le riche homme politique Sénèque, conseiller de Néron, et l’esclave et maître à penser Epictète.

Ce qui dépend de nous

Epictète commence ainsi son Manuel : « Il n’y a dans l’univers que deux sortes de choses : les unes dépendent de nous, les autres non. Dépendent de nous nos opinions, les élans de notre volonté, désirs ou aversions, en un mot tout ce qui est de l’âme. Ne dépendent pas de nous, notre corps, la richesse, la célébrité, le pouvoir, en un mot, tout ce qui n’est pas notre œuvre.»[1] Attardons-nous ici à ce qui dépend de nous en premier chef : nos opinions, nos représentations. Epictète avait développé une théorie élaborée de l’activité intellectuelle, sur la manière dont se forment nos jugements. Lorsque nous faisons l’expérience d’une situation, lorsque nous recevons les propos de quelqu’un, nous confondons les faits avec les émotions qui y sont associées d’une part, et avec le jugement spontané d’autre part. Ce jugement spontané, c’est le monologue intérieur qui accompagne notre perception. Si nous n’y prenons garde, il prend rapidement la place du jugement définitif que nous allons donner à ce que nous vivons.

Que s’agit-il donc de faire ? Un exercice en apparence simple, en réalité plus complexe tant il demande une véritable conversion du regard : suspendre nos jugements spontanés pour les questionner et se demander si nous allons leur donner le statut de jugements définitifs. Il s’agit d’exercer son discernement et de distinguer les faits des émotions et des pensées qu’ils provoquent. Ce que nous prenons pour des obstacles, par exemple une tempête, sont neutres en soi ; c’est nous qui leur apposons un jugement positif ou négatif (la tempête est terrifiante).

Confinement, déconfinement, des événements neutres

Nous pourrions concevoir le confinement et le déconfinement comme des événements neutres, ni bons ni mauvais, puisqu’ils ne dépendent pas de nous, pris individuellement. C’est nous qui évaluons le confinement comme un problème (valorisant une certaine liberté physique qui nous est retirée) et le déconfinement comme un soulagement (valorisant la possibilité de se mouvoir et de se regrouper physiquement).

La puissance de l’enseignement d’Epictète vient du fait qu’il préconise une modification d’attitude intérieure : si nous ne pouvons pas changer ce qui est extérieur à nous, changeons notre manière de voir et donc de réagir aux événements. Les stoïciens prônent-ils  pour autant la passivité ? Non, bien au contraire, même si c’est ce qu’on leur a souvent reproché. Les stoïciens étaient engagés dans la cité et dans l’action, mais pas n’importe comment. Car l’action, ou « les élans de notre volonté », dépendent bien de nous. Encore faut-il ne pas confondre intention, impulsion à agir et résultat..

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[1] Epictète, Manuel, ed. Payot Petite Bibliothèque.

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(*)  Flora Bernard est co-fondatrice de l’agence de philosophie Thaé, qui accompagne les organisations à redonner du sens à qui elles sont et ce qu’elles font. Elle est l’auteure de « Manager avec les Philosophes », (éd. Dunod, 2016). Avec son associée Marion Genaivre, elles ont publié en 2020, « Un Mois, Un Mot », recueil de textes philosophiques sur douze concepts du monde du travail, disponible sur www.thae.fr




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