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Développement du tourisme spatial: à quels coûts ?

 

 

Un article dans l’OPINION de Roland Lehoucq, chercheur en astrophysique au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Emmanuelle Rio, enseignante-chercheuse en physique à l’université Paris-Saclay et François Graner, biophysicien et directeur de recherche CNRS à l’université de Paris.(extrait)


Alors que Richard Branson et Jeff Bezos ont réalisé cette année un aller-retour pour toucher l’espace du doigt, SpaceX et ses quatre touristes vient tout juste de rentrer sur Terre, allongeant encore la liste des touristes de l’espace.

En septembre 2018, le milliardaire japonais Yusaku Maezawa a acheté à Elon Musk les services du système Starship de son entreprise SpaceX pour un voyage autour de la Lune, à partir de 2023. On ignore le montant de l’addition, mais il est probablement colossal.

Entre 2001 et 2009, huit billets pour embarquer en compagnie d’astronautes à bord du vaisseau russe Soyouz ont été vendus. Direction la Station spatiale internationale, la fameuse « ISS ». Un aller-retour entre 20 et 35 millions de dollars par personne – ce qui représente le budget quotidien d’une quinzaine de millions d’humains vivant au seuil de pauvreté international.

Au-delà de l’obscénité d’une opération visant à satisfaire le rêve d’un seul individu, ces excursions ancrent l’idée que l’espace est une marchandise. Elles consomment aussi matière et énergie et ont des conséquences environnementales qui augmenteraient considérablement si ce tourisme spatial devait faire l’objet d’un commerce plus large.

Tentons donc d’en chiffrer les conséquences en distinguant les vols un peu polluants, mais très nombreux, les vols moyennement polluants et assez nombreux, et les vols extrêmement polluants, mais peu nombreux.

La propulsion hybride du SpaceShip Two ne produit pas que du CO2. Le vaisseau crache aussi des suies, résultant de la combustion incomplète d’un mélange de protoxyde d’azote (N2O) liquide et d’un dérivé solide du polybutadiène hydroxytéléchélique. Un article scientifique de 2010 a estimé que 1 000 vols suborbitaux par an produiraient de l’ordre de 600 tonnes de suies, qui, en restant à peu près dix ans en suspension dans la stratosphère, entre 30 et 50 kilomètres d’altitude, contribueraient à modifier le climat à l’échelle de la planète entière – même si tous les tirs partaient d’un même endroit. Par comparaison, l’aviation civile paraîtrait presque propre : elle émet plus de suies au total, 7 200 tonnes par an, mais à des altitudes de l’ordre de 10 kilomètres, ce qui réduit leur durée de suspension et permet leur lessivage par les pluies.

Continuons en passant à l’échelle supérieure. Depuis 2009 et la mise en service des modules scientifiques européen et japonais, l’équipage des expéditions vers l’ISS est passé à six astronautes des pays l’ayant financé. Cette obligation ne laissa plus aucune place pour un passager privé et l’agence spatiale russe a interrompu les vols touristiques.

Mais les vols vers l’ISS pour ultrariches vont reprendre à l’initiative de la société Space Adventures (qui vend aussi des vols en apesanteur). Après des années d’absence, les États-Unis ont en effet retrouvé leur capacité à envoyer des humains dans l’espace suite au succès du vol de qualification de la capsule Crew Dragon lancée par SpaceX en mai dernier. Space Adventures en a profité pour récupérer deux places libres dans les vols Soyouz russes, tout en annonçant un partenariat avec la société SpaceX.

Le prix d’un tel vol sera autour de 100 millions de dollars. À un tel tarif, pour réaliser le rêve d’Icare (attention, il se termine mal), il faut sans doute faire partie des 11 000 personnes possédant plus de 250 millions de dollars ou peut-être gagner un lot de la télé-réalité. Il reste ensuite à passer les tests d’aptitude physique au vol spatial, notamment pour s’assurer que l’organisme du passager pourra supporter l’accélération du décollage.

Les 119 tonnes de kérosène raffiné utilisées par le premier étage de la fusée Falcon 9 produisent, lors de leur combustion contrôlée, une énergie comparable à celle dégagée par la récente explosion qui a ravagé le port de Beyrouth et ses environs : l’équivalent de 1 220 tonnes de TNT.

D’après le rapport d’évaluation environnementale de la Falcon 9, le vol complet, avec récupération de la capsule habitée grâce à des navires spécialisés et un hélicoptère, émettra 1 150 tonnes de CO2, l’équivalent de 638 ans d’émission d’une voiture moyenne parcourant 15 000 km par an. Bien plus qu’un chassé-croisé de vacanciers sur l’autoroute ! À raison de quatre passagers par vol, cela fait près de 290 tonnes de CO2 par passager. Autrement dit, un touriste en orbite vaut 65 touristes suborbitaux et presque 160 années d’émission d’une automobile…

Un vol autour de la Lune comme celui que projette Maezawa est bien sûr encore réservé à des milliardaires, qui sont déjà plus de 2 000 et dont le nombre croît constamment. Le vaisseau Starship, à bord duquel s’effectuera le voyage, est le second étage de la fusée Super Heavy, le lanceur orbital super-lourd et réutilisable développé par SpaceX. Le dernier rapport environnemental de ce lanceur indique que l’ensemble Starship/Super Heavy produit la bagatelle de 3 750 tonnes de CO2 à chaque vol. Le projet DearMoon prévoyant d’embarquer de 6 à 8 personnes, cela conduit à des émissions individuelles comprises entre 470 et 625 tonnes de CO2. Chacun grille ainsi en un voyage de quelques jours le « budget CO2 » annuel de plusieurs centaines de personnes. Mais cela reste inférieur aux 1 630 tonnes de CO2 émises annuellement par Bill Gates pour ses déplacements en jet privé…

Nous vous épargnons, sans doute à tort, le coût en CO2 de la construction des pas de tir. C’est du béton, et aussi beaucoup d’emprise en termes de surface occupée. Si à Roissy, l’aéroport occupe environ le tiers de la superficie de Paris intra-muros (32 km2), il le fait pour plus de 470 000 mouvements d’avions par an et près de 70 millions de passagers. Par comparaison, les vols suborbitaux prévus par Virgin Galactic doivent partir du Spaceport America au Nouveau-Mexique, dont la superficie de 73 km2 ne servira tout au plus qu’à 1 000 vols par an.

Nous vous épargnons aussi les conséquences environnementales de l’extraction, du transport et de la transformation des matériaux de haute qualité, l’acier ou l’aluminium par exemple, nécessaires pour fabriquer la masse totale des fusées, et dont l’ensemble ne sera pas totalement récupéré.

Les 1% les plus riches sont responsables de deux fois plus d’émissions que la moitié la plus pauvre de l’humanité. Après leurs yachts privés et leurs avions d’affaires, les lubies spatiales de ces (ultra)riches entretiennent l’illusion de toute-puissance à l’origine des graves dérèglements de la biosphère terrestre. Si des économies d’échelle dues aux améliorations techniques rendaient le tourisme spatial accessible ne serait-ce qu’aux classes supérieures, ces inégalités seraient encore amplifiées, ajoutant aux dégradations provoquées par nos sociétés en général et par le tourisme de masse en particulier.


Auteurs : Roland Lehoucq, chercheur en astrophysique au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Emmanuelle Rio, enseignante-chercheuse en physique à l’université Paris-Saclay et François Graner, biophysicien et directeur de recherche CNRS à l’université de Paris.

Cet article avait été initialement par The Conversation sous licence Creative Commons le 24 septembre 2020. Il a été mis à jour après le vol spatial de Richard Branson et avant celui de Jeff Bezos

La France doit rester un acteur majeur du spatial européen » (Frédérique Vidal)

La France doit  rester un acteur majeur du spatial européen » (Frédérique Vidal)

 

La ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, descend la place de la France en matière de développement spatial (interview dans la tribune)

 

2019 est une année chargée pour les questions spatiales avec en point d’orgue la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne (ESA), dont l’objectif est de définir les priorités stratégiques et les financements qui vont avec. Quelles vont être les priorités de la France au conseil des ministres de l’ESA ?

FRÉDÉRIQUE VIDAL - Ce qu’il faut déjà rappeler, c’est à quel point l’Agence spatiale européenne est importante pour l’Europe et la France, leur permettant d’être des leaders du secteur spatial, dans le domaine des lanceurs comme dans celui des satellites : les lanceurs Ariane, les constellations Galileo et Copernicus, la sonde Rosetta… Lors de cette conférence ministérielle, le sujet central porté par la France sera celui de l’innovation. Comment l’Europe sur ces sujets d’innovation doit-elle faire pour rester un leader mondial ? Nous devons aussi penser davantage à l’utilisation des données générées par les satellites conçus et lancés par l’Europe et stimuler le développement de projets fondés sur leur exploitation. Penser à tout ce qu’on appelle le secteur aval, et qui va connaître un développement massif dans les prochaines années.

Pouvez-vous donner des exemples précis ?
Pour soutenir l’innovation, nous avons créé ArianeWorks, qui est une plateforme d’innovation de rupture d’un genre nouveau. Mon objectif est d’aider tout l’écosystème de startups New Space à se développer, en lien avec l’industrie et le Cnes. Que ce soit sur des sujets d’agriculture, avec l’utilisation des données satellitaires pour mieux gérer les sols et mieux prévoir la façon d’organiser les cultures ; que ce soit sur les questions de climat, avec l’observatoire que le Cnes est en train de monter au niveau mondial avec de nombreuses autres agences ; que ce soit sur les véhicules autonomes, avec le soutien d’exploitation des données de Galileo. Sur tous ces sujets, il faut maintenant qu’on tire profit des investissements faits au niveau des États membres, de l’ESA et de la Commission européenne.

Comment jugez-vous l’écosystème spatial français dans le domaine de l’innovation, notamment dans les data ? Est-ce qu’il vous paraît complet et voyez-vous des améliorations à apporter ?

Il y a toujours des améliorations à apporter, mais cet écosystème est vraiment dynamique. On a la chance d’avoir de nombreuses start-up dans le milieu des données, des calculs, dans l’algorithmique. On bénéficie d’un fonds très important de connaissances et d’expertise dans ces domaines-là, et cela permet d’alimenter la création de start-up, y compris d’ailleurs par des étudiants, des jeunes docteurs ou des chercheurs qui s’impliquent dans la création de start-up à partir de données du spatial.

En dépit de notre proximité avec l’Allemagne, il existe une réelle compétition entre Paris et Berlin dans le spatial. La France doit-elle réaffirmer son leadership spatial sur l’Europe à l’occasion de la ministérielle ?

La France est l’un des pays pionniers sur les questions spatiales, avec le premier programme de lanceur engagé en 1965. Nous avons une agence spatiale en France, le CNES, qui est un support très important à la recherche et aux industriels tant sur les lanceurs que sur les satellites. C’est normal que la France souhaite avoir un rôle de leader. Maintenant, il y a plusieurs grandes nations spatiales en Europe, notamment la France, l’Allemagne et l’Italie qui, à elles trois, contribuent à 85 % du budget d’Ariane 6. Il est crucial pour la France de rester un acteur majeur du spatial européen, et c’est tout aussi important que nos partenaires, Commission européenne comme États membres, restent fortement impliqués dans le spatial. Cela ne fait aucun doute dans l’esprit de qui que ce soit. C’est ce qui fait les succès européens.

Ariane 6 est-il le bon lanceur au bon moment ?

Ariane 6, qui sera porté par l’expertise d’Ariane­Group et de l’industrie européenne, sera un lanceur fiable et adapté aux besoins du marché des lancements. Il est donc primordial de terminer son développement puisque celui-ci induira une diminution du prix des lancements. Il sera environ deux fois moins cher par rapport à Ariane 5.

Vega E n’est-il pas un futur concurrent d’Ariane 6 ?

Une concurrence entre acteurs européens dans ce domaine serait stérile. Les programmes Ariane 6 et Vega sont extrêmement liés, leur vocation est d’être complémentaires. Notre R&D et l’innovation sont mises en commun entre la France et l’Italie. La France a financé Vega C et l’Italie de son côté Ariane 6. Notre objectif est de disposer au niveau européen d’une gamme de lanceurs qui couvrira tous les marchés de lancement.

La réutilisation d’un lanceur, considérée comme une innovation de rupture, n’est pas donc pas à l’ordre du jour…

Nous ne devons pas nous interdire de penser à la suite. Nous proposerons d’accélérer le développement des nouvelles technologies pour préparer la suite d’Ariane 6, via le moteur réutilisable à bas coût Prometheus et les démonstrateurs d’étage récupérable Callisto et Themis. Ce sont des solutions de rupture. Notre objectif est d’être capable, à partir d’Ariane 6, d’améliorer en permanence l’offre de lancement d’Arianespace. L’Europe est en train d’achever le développement d’Ariane 6, qui sera prochainement opérationnelle, et en parallèle prépare l’avenir. Ariane 6 sera enfin un pilier très important de l’autonomie et de la souveraineté de l’Europe et de la France. L’Allemagne et la France sont d’accord sur cette stratégie. Nous nous parlons souvent avec mon homologue allemand.

Justement, la France joue le jeu de la préférence européenne. Ce qui n’est pas le cas des autres pays, dont l’Allemagne. Faut-il être plus contraignant ?

Nous devons jouer avec les mêmes règles que nos concurrents. Croyez-moi, ce sujet est une priorité et de grands progrès ont été accomplis depuis deux ans. La Commission européenne et l’ESA se sont engagées à utiliser les lanceurs européens pour leurs programmes spatiaux. Par ailleurs, des représentants de cinq États européens (France, Allemagne, Italie, Espagne et Suisse) se sont engagés lors du Conseil ministériel de l’ESA du 25 octobre 2018 à utiliser en priorité les lanceurs européens pour leurs satellites institutionnels.

La France va-t-elle également soutenir son industrie dans les satellites, qui estime être le parent pauvre de la politique spatiale française ?

Commençons par regarder qui est en tête des dernières compétitions les plus importantes dans les satellites. Ce sont des entreprises françaises. Cette industrie est essentielle et c’est pourquoi l’État l’a toujours accompagnée et a contribué à la porter au meilleur niveau mondial. Cela n’a pas de sens d’opposer les satellites aux lanceurs et vice-versa. Je le leur ai dit. Nous avons la chance d’avoir en France deux grands « satellitiers ». C’est une force. Mais de temps en temps, le fait d’en avoir deux pose des problèmes face à une compétition mondiale féroce. Ils sont conscients que, sur certains programmes, ils doivent mieux travailler et réfléchir ensemble. Ils se rendent compte eux-mêmes, au regard du marché international des satellites, que parfois le fait de rentrer dans une compétition à outrance l’un contre l’autre n’est pas le meilleur moyen pour être efficace.

Poussez-vous à un rapprochement ?

Je ne définis pas la politique industrielle et commerciale de ces entreprises à leur place. L’essentiel pour moi est que notre filière de satellites reste, dans la durée, un fleuron au meilleur niveau mondial, capable d’innover et d’exporter. Nous sommes prêts à envisager toutes les options.

Avez-vous déjà un schéma de rapprochement ?

Ce n’est pas à moi de leur dire ce qu’ils ont à faire, mais ils sont conscients, et moi aussi, qu’il y a des choses à améliorer. Toutes les options sont sur la table, à eux de faire des propositions.

Est-ce un projet à court terme ?

Il faut laisser du temps au temps. C’est à eux de réfléchir et de faire des propositions qui feront en sorte qu’en termes de compétitivité, d’innovations et d’emplois les bonnes décisions soient prises.

Et si rien n’avait avancé avant la fin de l’année ?

Je crois qu’ils sont parfaitement conscients du sujet et ils s’en parlent. Sur la question du spatial, on porte tous la même ligne.

Estimez-vous que la France doit adapter sa doctrine spatiale militaire ?

C’est une question qu’il faut poser à la ministre des Armées, Florence Parly. Mais l’espace tend à devenir un champ de confrontations. Quand on vous attaque, il ne me paraît pas illogique d’être en capacité de répliquer.

D’une façon générale, faut-il faire évoluer le principe de juste retour géographique ?

La France porte cette volonté de faire évoluer le juste retour géographique sur investissement. Principalement nous devons repenser l’industrialisation des lanceurs Ariane pour une raison simple : ce marché est désormais le cadre d’une véritable compétition internationale. Il est très important d’améliorer la compétitivité des futurs lanceurs face notamment à la concurrence américaine. Une réflexion est en cours avec l’ESA pour définir des modalités privilégiant l’optimisation du coût. La compétitivité des programmes spatiaux européens doit devenir la règle à travers une approche beaucoup plus économique.

La France a soutenu le renforcement de l’agence spatiale de l’Union européenne à Prague. Pourquoi l’ESA, soutenue par l’Allemagne, a-t-elle freiné des quatre fers ?

Peut-on vraiment penser que l’Union européenne n’est pas un acteur à part entière du spatial alors qu’elle va investir 16 milliards d’euros dans l’espace entre 2021 et 2027 ? L’UE va tirer bénéfice de la gestion et de l’exploitation des données spatiales issues des programmes européennes qu’elle a financé. Mais l’Agence spatiale européenne demeure unique par son expertise technique sur la gestion des programmes.




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