Dégradation du solde commercial: la faute aux multinationales
Les multinationales françaises, groupes possédant au moins une filiale à l’étranger et contrôlées par une tête de groupe française, ont largement contribué au creusement du déficit commercial de la France depuis 2000. C’est ce que nous montrions dans une étude récente : bien qu’affichant un excédent commercial, qui rappelle le rôle central de ces multinationales dans l’économie française, c’est bien la dégradation de leur solde entre 2000 et 2008 qui explique le creusement du déficit français.
par Par Vincent Vicard, CEPII et Pierre Cotterlaz, CEPII dans « La Tribune »
Les multinationales étrangères, contrôlées par une tête de groupe étrangère, et les entreprises franco-françaises, qui assemblent les entreprises indépendantes et celles appartenant à des groupes n’ayant aucune filiale étrangère, affichent certes des déficits, mais qui ne se sont pas détériorés de manière aussi importante sur la même période. Entre 2008 et 2019, la relative stabilisation du déficit commercial de la France résulte d’une légère amélioration de l’excédent des multinationales françaises, néanmoins plus que compensée par la détérioration du déficit des multinationales étrangères.
Qu’en est-il depuis 2019 ? Les multinationales françaises ont-elles mieux résisté à la crise sanitaire et à ses suites ? Alors que l’excédent des multinationales françaises s’était légèrement accru au cours des années 2010, avec même une accélération en 2019, il a connu une chute de 0,8 point de PIB en 2020, avant de se stabiliser en 2021, à un niveau inférieur à sa moyenne sur la décennie 2010.
Pour les deux autres catégories d’entreprises, les soldes se dégradent entre 2019 et 2021, malgré une modeste réduction du déficit commercial des multinationales étrangères en 2020. Au total sur cette période, le solde commercial des multinationales françaises se dégrade de 0,8 point de PIB, celui des multinationales étrangères de 0,2 point de PIB, et celui des entreprises franco-françaises de 0,5 point de PIB.
Le recul de l’excédent commercial des multinationales françaises est principalement lié à une baisse de leurs exportations, qui passent de 9,4 à 7,7% du PIB entre 2019 et 2021, quand dans le même temps les exportations des multinationales étrangères augmentent, de 5,3 à 5,8% du PIB.
L’atonie des exportations des multinationales françaises est partiellement compensée par un recul de leurs importations, de 6,8 à 5,9% du PIB, qui contraste avec la reprise rapide des importations des multinationales étrangères, de 8,5 à 9,3% du PIB entre 2019 et 2021.
Cette mauvaise performance commerciale des multinationales françaises prises dans leur ensemble cache cependant des dynamiques sectorielles spécifiques, en particulier dans le secteur des matériels de transports. Deux secteurs se détachent : l’aéronautique et les autres matériels de transport (dont la construction navale), et l’automobile.
Si l’on décompose les flux commerciaux de chaque catégorie d’entreprise par secteur (le secteur se réfère ici à la nature des biens échangés, et non à l’activité de l’entreprise), l’évolution la plus spectaculaire pour les multinationales françaises se produit dans le secteur des autres matériels de transport (dont l’aéronautique), où leur excédent dégringole de près de 0,7 point de PIB, passant de 1,5 à 0,8% du PIB entre 2019 et 2020. Ce brusque mouvement tient à l’extinction brutale de la demande mondiale dans ce secteur lors de la crise sanitaire.
Il est cependant plus difficile d’expliquer pourquoi, malgré la reprise des commandes, les exportations n’ont en 2021 pas retrouvé leur niveau d’avant-crise, situation qui ne se rétablit que très progressivement jusqu’à aujourd’hui.
La brusque dégradation du solde du secteur aéronautique contraste avec un tassement plus progressif, mais régulier, observé dans le secteur automobile depuis 2017. Si l’on prolonge la tendance, les multinationales françaises sont importatrices nettes en 2023. Cette dégradation récente fait suite à la baisse de plus d’un demi-point de PIB de l’excédent automobile dans les années 2000.
La relative stabilisation au cours des années 2010 n’aura donc été que temporaire. Cette baisse du solde fait écho à celle de la part des véhicules construits en France dans les immatriculations et à la baisse globale de la production sur le territoire. Elle précède par ailleurs l’émergence rapide des importations en provenance de Chine dans les véhicules électriques, particulièrement marquée à partir de 2022.
Entre 2019 et 2021, la contre-performance des multinationales françaises en matière de contribution au solde commercial s’explique donc en bonne partie par un décrochage conjoncturel dans l’aéronautique.
Une tendance plus structurelle semble cependant se dégager dans le secteur automobile.