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Santé financière : comment soigner la maladie de l’inflation

Santé financière : comment soigner la maladie de l’inflation

 

 

Un papier de l’Opinion explique comment s’accommoder de l’inflation qui a changé de visage; comme pour la pandémie, un nouveau « variant » qui affecte le contexte socio-économique.

Le taux d’inflation dans la zone euro a atteint 5 % sur un an en décembre, son plus haut niveau historique, a confirmé jeudi Eurostat. L’énergie représente la moitié de la hausse. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a déclaré que la hausse des prix devrait se stabiliser puis baisser courant 2022. En France, la prime inflation de 100 euros sera versée à 3,04 millions d’allocataires de la CAF à partir de ce jeudi.

Comment se réhabituer à vivre avec l’inflation ? Nous l’avions oubliée ces trente dernières années. En décembre, elle a atteint 5 % en glissement annuel dans la zone euro, avec 6,5 % en Espagne, 5,7 % en Allemagne et 2,8 % en France. Aux Etats-Unis, elle caracole à 7 %. Dans l’Hexagone, la hausse des prix de l’énergie et des matières premières se propage désormais aux produits industriels et alimentaires. « On ressort certains outils de la naphtaline, comme les équations qui permettent de passer des prix de production aux prix à la consommation, ou même les équations d’évolution des salaires, auxquelles plus personne ne s’intéressait vraiment », sourit Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee.

« C’est sûr qu’on ne reviendra pas rapidement au problème de l’inflation trop basse, à 1%, que l’on avait depuis dix ans », dit Philippe Martin, président du Conseil d’analyse économique (CAE). « Nous sommes sans doute en train de changer d’époque », indique Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes. Tout le monde est concerné : salariés, fonctionnaires, retraités, bénéficiaires de prestations sociales, gouvernements, finances publiques, épargnants et banques centrales… Que va-t-on se (re)mettre à faire ?

1. Négocier les salaires

Avec une inflation entre 0 et 1 %, même si votre salaire stagne, vous ne perdez pas beaucoup de pouvoir d’achat. Lorsque les prix à la consommation augmentent de près de 3 %, c’est une autre histoire. Selon la Banque de France, d’ici à 2023 « les hausses de prix se transmettraient de façon partielle aux salaires, et réciproquement ». Mais gare à ce que les salaires n’augmentent pas plus vite que chez nos voisins européens, sinon nous perdrions en compétitivité. Nous ne pouvons plus dévaluer notre monnaie comme dans les années 1970-1980.

« Un pays comme la France, avec un déficit commercial dans une zone monétaire unique, doit faire attention à ne pas avoir une inflation supérieure à celle de la zone euro – elle aurait même intérêt à une inflation plus basse, souligne la chef-économiste du Trésor, Agnès Benassy-Quéré. A la veille de la pandémie de Covid, le coût du travail dans l’industrie en France était repassé sous celui de l’Allemagne. Il faut faire attention à ne pas perdre cet acquis avec des salaires qui dérapent ». Or, comme la France a un taux de chômage élevé, « on peut s’attendre à moins de tensions sur les salaires que dans d’autres pays avec des pénuries de main-d’œuvre plus importantes comme l’Allemagne et les Pays-Bas », ajoute l’experte.

Le sujet se posera aussi pour les fonctionnaires. Le point d’indice de la fonction publique est gelé depuis plusieurs années, le gouvernement préférant des augmentations ciblées sur les plus bas salaires, les soignants… Or ces gestes risquent d’être vite effacés par l’inflation. « L’Etat se fait fort de dire aux entreprises d’augmenter les salaires, mais pourquoi ne le fait-il pas comme employeur ? interroge un membre de la haute administration. Avec 1 % d’inflation ou moins chaque année, les syndicats ne mobilisent pas les foules en disant “protégez-nous de l’inflation”, mais avec 3 % d’inflation, le sujet devrait devenir explosif ».

« L’Etat devra certainement rehausser certains salaires de fonctionnaires, mais ce serait une erreur de tout réindexer sur l’inflation de manière automatique, car il ne faut pas qu’une boucle prix-salaires s’enclenche et nous fasse perdre le contrôle de l’inflation », estime Philipe Martin. L’augmentation de 1 % du point d’indice pour tous les fonctionnaires coûterait 2 milliards d’euros, estimait le gouvernement l’année dernière.

2. Revaloriser ou désindexer les prestations sociales

D’autres dépenses publiques augmenteront de pair avec l’inflation. « Il faut s’attendre à ce que les minima sociaux, les pensions de retraite et les salaires augmentent en moyenne au même rythme que les prix à la consommation », prévient Agnès Benassy-Quéré. En janvier ont été revalorisés automatiquement le smic, le minimum vieillesse, les retraites de base, les retraites complémentaires, l’allocation pour congé de proches aidants. En février, le taux de rémunération du livret A doublera à 1%. En avril augmenteront les prestations familiales, le RSA, l’allocation adulte handicapé (AAH), la prime d’activité, les pensions d’invalidité. En juillet seront discutées les allocations-chômage, en octobre grimperont les aides au logement, puis en novembre les retraites Agirc-Arrco. Le chiffrage qui circule à Bercy est qu’un point d’inflation ajoute 1,5 milliard d’euros de prestations sociales (retraites, prestations familiales, arrêts maladie, hors minima sociaux et APL).

La majorité de ces revalorisations est définie dans la loi, mais le gouvernement peut, dans chaque budget annuel, décider d’exceptions. En 2019, il avait ainsi désindexé de l’inflation plusieurs prestations sociales pour privilégier des revalorisations exceptionnelles de la prime d’activité, de l’AAH et du minimum vieillesse. Il pourrait y avoir la tentation de faire de même ces prochaines années. « C’est une méthode classique, bête et méchante pour réaliser des économies, au détriment du pouvoir d’achat », explique un haut fonctionnaire. Mais la consolidation budgétaire n’est pas à l’ordre du jour : les taux sont bas, les règles européennes sont mises entre parenthèses.

Pour les finances publiques, l’inflation peut sembler un avantage à court terme, car au début, les recettes (comme à la TVA) augmentent plus vite que les dépenses, et on rembourse ses emprunts plus rapidement. Mais ensuite, dépenses et taux remontent. « La tension sur les prix montre que les effets d’aubaine sur les taux d’intérêt ne peuvent absolument pas dispenser la sphère publique du retour à une trajectoire soutenable pour maîtriser la dépense et l’endettement », avertit Pierre Moscovici.

3. Comparer les prix

Le chiffre d’une inflation à 1 %, 2 % ou 3 % regroupe des millions de produits et des centaines de secteurs où les prix varient tout le temps. « Quand il y a davantage d’inflation, il y a plus de variabilité entre les produits, donc il y a un retour sur investissement pour les consommateurs qui passent du temps à comparer les prix, à chercher des produits moins chers », remarque Xavier Jaravel, professeur d’économie à la London School of Economics (LSE). Mais pour le moment, le comparateur de prix Idealo ne voit pas d’augmentation de trafic. C’est l’année 2020 jalonnée de confinements qui a explosé les records de fréquentation de son site. Les entreprises aussi vont porter plus d’attention aux prix de leurs concurrents, pour s’ajuster en permanence.

4. Epargner différemment

« Comment vivre avec l’inflation ? En arrêtant de mettre de l’argent sur son livret A, pour le placer sur des produits protégés contre l’inflation, comme la Bourse ou l’immobilier » résume Xavier Jaravel. Avec près de 3 % d’inflation en France, l’argent qui dort sur un compte courant ou un livret A permet chaque jour d’acheter moins de choses.

5. Eviter une crise financière

« Les banques centrales sont l’acteur le plus embarrassé par le retour de l’inflation, souligne Philippe Martin. Il y a beaucoup d’incertitudes sur la dynamique d’inflation des deux années prochaines. On ne peut pas exclure des mécanismes où chacun anticipe que les prix augmentent, donc tout le monde demande des salaires plus élevés, et les entreprises augmentent leurs prix car elles anticipent que leurs concurrents vont le faire. Or si les banques centrales craignent de perdre le contrôle de l’inflation, elles vont appuyer sur le frein – la Réserve fédérale américaine (Fed) commence à le faire. Mais le problème est de ne pas le faire trop brusquement, car alors beaucoup d’entreprises, de ménages et d’Etats verront leurs coûts d’emprunt augmenter très rapidement, et c’est la recette d’une crise financière. Viendra-t-elle des pays émergents, dont la dette s’apprécie en dollars ? Ou de l’Europe, avec le problème de soutenabilité de la dette italienne ? Ou du fait qu’on verra d’un seul coup des entreprises, des start-up trop endettées ? » Pour Ricardo Reis, professeur d’économie à LSE, « si l’inflation persiste, nous devrions nous inquiéter car elle pourrait ébranler le succès de l’euro ».

Paradoxalement, le fait que nous nous étions déshabitués de l’inflation pourrait jouer en notre faveur. « A cause de leur expérience prolongée d’une inflation faible et stable, les individus ont peu de chances d’augmenter brusquement et radicalement leurs anticipations d’inflation à long terme, s’ils n’ont pas réellement traversé une longue période de forte inflation », observe Stefan Nagel, professeur de finance à l’école de management de l’Université de Chicago, auteur d’une étude sur le sujet. L’inflation, pour la minimiser, mieux vaut ne pas trop y penser.

Santé économique : comment soigner la maladie de l’inflation

Santé économique : comment soigner la maladie de l’inflation

 

 

Un papier de l’Opinion explique comment s’accommoder de l’inflation qui a changé de visage; comme pour la pandémie, un nouveau « variant » qui affecte le contexte socio-économique.

Le taux d’inflation dans la zone euro a atteint 5 % sur un an en décembre, son plus haut niveau historique, a confirmé jeudi Eurostat. L’énergie représente la moitié de la hausse. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a déclaré que la hausse des prix devrait se stabiliser puis baisser courant 2022. En France, la prime inflation de 100 euros sera versée à 3,04 millions d’allocataires de la CAF à partir de ce jeudi.

Comment se réhabituer à vivre avec l’inflation ? Nous l’avions oubliée ces trente dernières années. En décembre, elle a atteint 5 % en glissement annuel dans la zone euro, avec 6,5 % en Espagne, 5,7 % en Allemagne et 2,8 % en France. Aux Etats-Unis, elle caracole à 7 %. Dans l’Hexagone, la hausse des prix de l’énergie et des matières premières se propage désormais aux produits industriels et alimentaires. « On ressort certains outils de la naphtaline, comme les équations qui permettent de passer des prix de production aux prix à la consommation, ou même les équations d’évolution des salaires, auxquelles plus personne ne s’intéressait vraiment », sourit Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee.

« C’est sûr qu’on ne reviendra pas rapidement au problème de l’inflation trop basse, à 1%, que l’on avait depuis dix ans », dit Philippe Martin, président du Conseil d’analyse économique (CAE). « Nous sommes sans doute en train de changer d’époque », indique Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes. Tout le monde est concerné : salariés, fonctionnaires, retraités, bénéficiaires de prestations sociales, gouvernements, finances publiques, épargnants et banques centrales… Que va-t-on se (re)mettre à faire ?

1. Négocier les salaires

Avec une inflation entre 0 et 1 %, même si votre salaire stagne, vous ne perdez pas beaucoup de pouvoir d’achat. Lorsque les prix à la consommation augmentent de près de 3 %, c’est une autre histoire. Selon la Banque de France, d’ici à 2023 « les hausses de prix se transmettraient de façon partielle aux salaires, et réciproquement ». Mais gare à ce que les salaires n’augmentent pas plus vite que chez nos voisins européens, sinon nous perdrions en compétitivité. Nous ne pouvons plus dévaluer notre monnaie comme dans les années 1970-1980.

« Un pays comme la France, avec un déficit commercial dans une zone monétaire unique, doit faire attention à ne pas avoir une inflation supérieure à celle de la zone euro – elle aurait même intérêt à une inflation plus basse, souligne la chef-économiste du Trésor, Agnès Benassy-Quéré. A la veille de la pandémie de Covid, le coût du travail dans l’industrie en France était repassé sous celui de l’Allemagne. Il faut faire attention à ne pas perdre cet acquis avec des salaires qui dérapent ». Or, comme la France a un taux de chômage élevé, « on peut s’attendre à moins de tensions sur les salaires que dans d’autres pays avec des pénuries de main-d’œuvre plus importantes comme l’Allemagne et les Pays-Bas », ajoute l’experte.

Le sujet se posera aussi pour les fonctionnaires. Le point d’indice de la fonction publique est gelé depuis plusieurs années, le gouvernement préférant des augmentations ciblées sur les plus bas salaires, les soignants… Or ces gestes risquent d’être vite effacés par l’inflation. « L’Etat se fait fort de dire aux entreprises d’augmenter les salaires, mais pourquoi ne le fait-il pas comme employeur ? interroge un membre de la haute administration. Avec 1 % d’inflation ou moins chaque année, les syndicats ne mobilisent pas les foules en disant “protégez-nous de l’inflation”, mais avec 3 % d’inflation, le sujet devrait devenir explosif ».

« L’Etat devra certainement rehausser certains salaires de fonctionnaires, mais ce serait une erreur de tout réindexer sur l’inflation de manière automatique, car il ne faut pas qu’une boucle prix-salaires s’enclenche et nous fasse perdre le contrôle de l’inflation », estime Philipe Martin. L’augmentation de 1 % du point d’indice pour tous les fonctionnaires coûterait 2 milliards d’euros, estimait le gouvernement l’année dernière.

2. Revaloriser ou désindexer les prestations sociales

D’autres dépenses publiques augmenteront de pair avec l’inflation. « Il faut s’attendre à ce que les minima sociaux, les pensions de retraite et les salaires augmentent en moyenne au même rythme que les prix à la consommation », prévient Agnès Benassy-Quéré. En janvier ont été revalorisés automatiquement le smic, le minimum vieillesse, les retraites de base, les retraites complémentaires, l’allocation pour congé de proches aidants. En février, le taux de rémunération du livret A doublera à 1%. En avril augmenteront les prestations familiales, le RSA, l’allocation adulte handicapé (AAH), la prime d’activité, les pensions d’invalidité. En juillet seront discutées les allocations-chômage, en octobre grimperont les aides au logement, puis en novembre les retraites Agirc-Arrco. Le chiffrage qui circule à Bercy est qu’un point d’inflation ajoute 1,5 milliard d’euros de prestations sociales (retraites, prestations familiales, arrêts maladie, hors minima sociaux et APL).

 

La majorité de ces revalorisations est définie dans la loi, mais le gouvernement peut, dans chaque budget annuel, décider d’exceptions. En 2019, il avait ainsi désindexé de l’inflation plusieurs prestations sociales pour privilégier des revalorisations exceptionnelles de la prime d’activité, de l’AAH et du minimum vieillesse. Il pourrait y avoir la tentation de faire de même ces prochaines années. « C’est une méthode classique, bête et méchante pour réaliser des économies, au détriment du pouvoir d’achat », explique un haut fonctionnaire. Mais la consolidation budgétaire n’est pas à l’ordre du jour : les taux sont bas, les règles européennes sont mises entre parenthèses.

Pour les finances publiques, l’inflation peut sembler un avantage à court terme, car au début, les recettes (comme à la TVA) augmentent plus vite que les dépenses, et on rembourse ses emprunts plus rapidement. Mais ensuite, dépenses et taux remontent. « La tension sur les prix montre que les effets d’aubaine sur les taux d’intérêt ne peuvent absolument pas dispenser la sphère publique du retour à une trajectoire soutenable pour maîtriser la dépense et l’endettement », avertit Pierre Moscovici.

3. Comparer les prix

Le chiffre d’une inflation à 1 %, 2 % ou 3 % regroupe des millions de produits et des centaines de secteurs où les prix varient tout le temps. « Quand il y a davantage d’inflation, il y a plus de variabilité entre les produits, donc il y a un retour sur investissement pour les consommateurs qui passent du temps à comparer les prix, à chercher des produits moins chers », remarque Xavier Jaravel, professeur d’économie à la London School of Economics (LSE). Mais pour le moment, le comparateur de prix Idealo ne voit pas d’augmentation de trafic. C’est l’année 2020 jalonnée de confinements qui a explosé les records de fréquentation de son site. Les entreprises aussi vont porter plus d’attention aux prix de leurs concurrents, pour s’ajuster en permanence.

4. Epargner différemment

« Comment vivre avec l’inflation ? En arrêtant de mettre de l’argent sur son livret A, pour le placer sur des produits protégés contre l’inflation, comme la Bourse ou l’immobilier » résume Xavier Jaravel. Avec près de 3 % d’inflation en France, l’argent qui dort sur un compte courant ou un livret A permet chaque jour d’acheter moins de choses.

5. Eviter une crise financière

« Les banques centrales sont l’acteur le plus embarrassé par le retour de l’inflation, souligne Philippe Martin. Il y a beaucoup d’incertitudes sur la dynamique d’inflation des deux années prochaines. On ne peut pas exclure des mécanismes où chacun anticipe que les prix augmentent, donc tout le monde demande des salaires plus élevés, et les entreprises augmentent leurs prix car elles anticipent que leurs concurrents vont le faire. Or si les banques centrales craignent de perdre le contrôle de l’inflation, elles vont appuyer sur le frein – la Réserve fédérale américaine (Fed) commence à le faire. Mais le problème est de ne pas le faire trop brusquement, car alors beaucoup d’entreprises, de ménages et d’Etats verront leurs coûts d’emprunt augmenter très rapidement, et c’est la recette d’une crise financière. Viendra-t-elle des pays émergents, dont la dette s’apprécie en dollars ? Ou de l’Europe, avec le problème de soutenabilité de la dette italienne ? Ou du fait qu’on verra d’un seul coup des entreprises, des start-up trop endettées ? » Pour Ricardo Reis, professeur d’économie à LSE, « si l’inflation persiste, nous devrions nous inquiéter car elle pourrait ébranler le succès de l’euro ».

Paradoxalement, le fait que nous nous étions déshabitués de l’inflation pourrait jouer en notre faveur. « A cause de leur expérience prolongée d’une inflation faible et stable, les individus ont peu de chances d’augmenter brusquement et radicalement leurs anticipations d’inflation à long terme, s’ils n’ont pas réellement traversé une longue période de forte inflation », observe Stefan Nagel, professeur de finance à l’école de management de l’Université de Chicago, auteur d’une étude sur le sujet. L’inflation, pour la minimiser, mieux vaut ne pas trop y penser.

Industrie pharmaceutique :Soigner la population ou le profit

Industrie pharmaceutique :Soigner la population ou le profit

 Par Loréa Baïada-Hirèche, Institut Mines-Télécom Business School ; Anne Sachet-Milliat, ISC Paris Business School et Bénédicte Bourcier-Béquaert, ISC Paris Business School (*)  (extrait)

 

De nombreux scandales frappent régulièrement l’industrie pharmaceutique. L’Oxycodon, par exemple, a été massivement distribué aux États-Unis bien qu’étant un antalgique opiacé au fort pouvoir d’addiction. Quelque 200 000 morts par overdose peuvent lui être imputés outre-Atlantique depuis 1999.

Plus proche de nous, le Mediator des laboratoires Servier a mis plus de 15 ans à se voir retirer de la commercialisation alors que sa prescription comme coupe-faim, en dehors de son indication thérapeutique initiale, a causé de nombreuses victimes dont 2 000 morts répertoriées. Le dénouement du procès en mars 2021, tout comme pour celui du Lévothyrox de Merck, pointe, au-delà de la responsabilité des médecins, celle des laboratoires produisant ces médicaments.

Ces différents scandales ne sont que la manifestation visible d’une tension permanente inhérente à ce secteur entre la recherche de profit et la mission santé qui le caractérise. Les professionnels du marketing qui ont la charge de promouvoir les médicaments auprès des patients et des médecins semblent particulièrement concernés par ce conflit éthique qui parfois apparaît : soigner ou vendre ?

Au cours de nos recherches nous nous sommes demandé comment les marketeurs du secteur pharmaceutique ressentent cette tension et comment ils y font face.

Intérêt économique, mission santé

Les conflits éthiques rencontrés peuvent conduire les marketeurs à des situations dites de « dissonance morale ». Cela renvoie à des moments durant lesquels les comportements ou décisions d’un individu entrent en conflit avec ses valeurs morales. La dissonance morale, parce qu’elle met en jeu des éléments centraux dans l’identité de l’individu comme ses valeurs, peut générer un important inconfort psychologique, donner naissance à de la culpabilité et atteindre l’estime de soi.

L’individu va alors s’engager dans des stratégies visant à réduire cet état de dissonance qui reposent principalement sur le recours à des mécanismes d’autojustification mais peuvent aussi consister à changer de comportement ou rechercher du soutien social.

Pour comprendre les attitudes des professionnels du marketing dans le secteur pharmaceutique, nous avons mené des entretiens approfondis avec 18 d’entre eux.

Ils traduisent, chez ces individus, des conflits éthiques plus ou moins graves. Ceux-ci ont trait, en majorité, à des décisions qui présentent un intérêt économique alors qu’elles induisent un manquement par rapport à la mission santé. Il peut s’agir d’un préjudice potentiel aux patients, d’une infraction à la réglementation ou encore d’un manquement à un principe de déontologie professionnelle. Les conflits semblent vécus avec d’autant plus d’intensité que le choix a des conséquences importantes sur la santé des patients.

Le tournant de l’affaire Servier

Pour résoudre ce conflit, trois stratégies ressortent de notre série d’entretiens. La première d’entre elles consiste à minimiser le caractère sensible au regard de l’éthique. C’est adopter une politique de l’autruche, ignorer le conflit ou l’évacuer le plus vite possible.

Un enquêté nous explique par exemple :

« Je ne dirais pas non plus que l’industrie pharmaceutique est blanche comme neige. Il y a eu des cas comme Servier, de gens qui ont été malhonnêtes. Mais ce n’est pas le cas de la plupart des gens qui travaillent dans le secteur. Ils sont contents de travailler dans une industrie qui a apporté du bien à la société ».

Selon ces professionnels, les missions santé et économique ne rentrent pas en compétition : faire du profit est un moyen de financer la recherche médicale. Les laboratoires pharmaceutiques apparaissent ainsi comme « les principaux investisseurs dans la santé ».

En outre, ils soulignent que leurs pratiques sont extrêmement encadrées par la loi. Plusieurs répondants rappellent que le Mediator a fait date :

« Il n’y a plus de problème car tout a été réglementé. Les problèmes de conflit d’intérêt type Servier, c’est fini, ça ne peut plus se produire. Il y a eu vraiment un avant et un après Mediator, ça a vraiment changé ».

Ne pouvant pas ignorer les attaques portées par la presse à l’encontre de l’industrie pharmaceutique, ils s’en défendent en dénonçant en retour le rôle des médias qui les attisent, des titres qui recherchent à « faire du buzz » et des « journalistes qui n’ont que ça à se mettre sous la dent ».

Comme des héros

D’autres répondants, au contraire, ont bien conscience des risques que présente le produit commercialisé pour les patients. Toutefois, ils affirment précisément prendre ces risques au nom du bien du patient. Voici par exemple comment se justifie la décision de doubler les doses recommandées par la réglementation pour des enfants atteints de pathologies graves :

« Même si c’est un produit qui est dangereux, potentiellement dangereux, et sur lequel tu n’as pas trop de recul, tu te dis que tu peux décider avec le responsable scientifique de soutenir les médecins doublant les doses parce qu’il y avait un intérêt thérapeutique. »

La mise en avant du bien du patient est troublante car elle conduit les marketeurs à occulter la dimension économique de leur activité et à la présenter comme secondaire. Pourtant un doublement des doses permet bel et bien de développer les ventes du produit.

Se référer au bien-être du patient peut ainsi paradoxalement servir à cautionner des actes non éthiques.

Le tout en se présentant même parfois comme des héros qui accomplissent de véritables miracles pour leurs patients. L’un d’entre eux se justifie :

« Notre produit était très bénéfique aux patients, tout le monde nous en était reconnaissant… On avait à la fois des professionnels de santé qui nous disaient « nos patients sont ravis, les taux de cholestérol sont super bas, c’est génial » et des patients qui témoignaient « mon médecin me force à prendre des hypocholestémiants depuis trois ans et j’avais toujours mal partout… ça fait deux mois que je prends vos produits et non seulement mon taux de cholestérol est bas mais surtout je n’ai plus mal nulle part » ».

Leur façon de présenter leur métier finit même parfois par se confondre avec celle des soignants.

Dernière stratégie, certains répondants constatent que la logique de rentabilité prime sur la mission santé, et développent une défiance face aux discours développés par les autres commerciaux :

« De nos jours, l’argent prend une ampleur tellement importante et j’ai l’impression qu’il y a très peu d’éthique dans les organismes et chez les personnes qui commercialisent les produits. »

La désillusion de ces marketeurs est telle que, contrairement aux cas évoqués précédemment, ils n’arrivent plus à trouver d’arguments pour justifier leurs actions marketing et réduire leur mal-être.

« Je n’étais pas très tranquille car j’avais l’impression de vendre quelque chose qui pouvait peut-être faire du mal aux gens ou même être fatal pour certaines personnes. Je culpabilisais un peu en fait… Je me disais que j’aurais bien aimé commercialiser des vêtements, en tout cas des produits clairs. »

La seule issue à leur dissonance semble ainsi d’éviter les pratiques posant problème en changeant de fonction, d’entreprise, voire même en quittant définitivement le secteur pharmaceutique.

 

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

« Pour mieux soigner en Europe changer de contrat social».

« Pour mieux soigner en Europe changer  de contrat social».

 

La tribune dans l’Opinion de dirigeants de biotechs notamment  André Choulika, John Crowley, Daniel de Boer, Paul Hastings, Rachel King, Jeremy Levin, Ted Love, John Maraganore, Hans Schikan, Onno Van De Stolpe

 

Tribune

Alors que la France fait face depuis le début de l’année à la Covid-19, elle concentre à juste titre son attention sur les implications à long terme de cette crise. Une ligne directrice s’est imposée : il faut renforcer l’autonomie stratégique et la souveraineté technologique dans les secteurs industriels clefs, tels que l’industrie biopharmaceutique. Le plan de relance, le PLF 2021, mais aussi le PLFSS 2021, en cours d’examen au Parlement, en témoignent.

L’épidémie a mis à nu les faiblesses structurelles de notre société. A la suite de Mary Robinson, ancienne Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, de nombreuses voix ont ainsi appelé à un nouveau contrat social. La santé ne doit pas se soustraire à cet appel. A l’ère de la Covid-19, alors que des sociétés de biotechnologie d’un type nouveau émergent, il est sans doute temps de repenser les rapports entre les différents acteurs de la santé.

Dirigeants de sociétés de biotechnologie en France, en Europe et aux Etats-Unis, nous voulons être une force de proposition et nous faire acteurs de cette réflexion, avec les pouvoirs publics, les patients et les professionnels de santé.

Jusqu’alors, le contrat social entre les entreprises de biotechnologie et la société reposait sur un système qui garantissait un investissement continu dans le progrès scientifique et, in fine, le développement de thérapies abordables et efficaces pour les générations futures. Le cadre juridique actuel illustre parfaitement ce contrat social : incitations et protection de l’innovation pendant un certain temps, puis entrée des médicaments dans le domaine public.

Nous continuons à croire en ce cycle. Il a démontré sa pertinence : le monde connaît aujourd’hui une véritable révolution biotechnologique, marquée par l’arrivée imminente d’une nouvelle vague de traitements de rupture, notamment pour les patients atteints de maladies rares. Nombre de ces nouvelles technologies font partie du pipeline de potentiels traitements contre la Covid-19.

La mission de notre industrie est de développer des traitements qui améliorent la santé des patients ; nous sommes insatisfaits du fait que des percées médicales ne soient pas rapidement mises à leur disposition

Mais peut-être ce contrat social ne tient-il plus toutes ses promesses ? Nous ne sommes pas sourds aux critiques dénonçant prix abusifs, abus de propriété intellectuelle et stratégies de négociation agressives des laboratoires. Il serait tout aussi juste de préciser que le développement de nouvelles technologies ne va pas sans prise de risque et disruption. La mission de notre industrie est de développer des traitements qui améliorent la santé des patients ; nous sommes donc tous insatisfaits du fait que des percées médicales majeures ne soient pas rapidement mises à leur disposition.

Aussi, le temps nous paraît venu pour un nouveau pacte, en vertu duquel les pouvoirs publics s’engageraient à valoriser et récompenser les innovations que nous apportons, et l’industrie biotechnologique à redoubler d’efforts pour garantir l’accès à l’innovation et à agir avec responsabilité et intégrité avec les patients en France et en Europe.

Sans tabou. Pour remplir nos obligations envers les patients, les médecins et les pouvoir publics et renouveler la confiance dans notre capacité à accomplir notre mission, nous appelons à un nouveau contrat social européen en matière de biotechnologie, impliquant une série d’engagements sur la recherche clinique, la propriété intellectuelle et les incitations réglementaires, des solutions innovantes en matière de prix, de remboursement et d’accès, et bien d’autres choses encore. C’est l’objet de la démarche engagée par 69 d’entre nous. Nous espérons qu’à l’avenir beaucoup d’autres nous rejoindrons.

Pour que de tels engagements puissent être pris, il nous faudra échanger sans tabou sur le développement de mécanismes de tarification, de financement et d’accès plus innovants, de nature à accélérer la disponibilité des traitements de rupture en France et en Europe. Nous savons que cela prendra du temps, mais nous croyons en notre capacité à nous respecter les uns les autres, à trouver des intérêts communs et, fondamentalement, à la volonté de chacun d’améliorer les soins d’aujourd’hui et de demain.

André Choulika (Ph.D.) est Président-directeur général de Cellectis, Paris (France), New-York et Raleigh (Etats-Unis). John Crowley est Président et Directeur Général d’Amicus Therapeutics, Cranbury, New Jersey (Etats-Unis). Daniel A. de Boer est Directeur Général, ProQR Therapeutics, Leyde (Pays-Bas), Cambridge, (Massachusetts, Etats-Unis). Paul Hastings est Directeur Général de Nkarta Therapeutics, South San Francisco (Californie, Etats-Unis). Rachel King est Directrice Générale de GlycoMimetics, Inc., Rockville, MD. Jeremy Levin, D.Phil., M.B. B.Chir., est Président et Directeur Général d’Ovid Therapeutics, New York. Ted Love est Docteur en médecine et Directeur Général, Global Blood Therapeutics, South San Francisco, CA. John Maraganore est Docteur et Directeur Général d’Alnylam Pharmaceuticals, Cambridge, MA. Hans Schikan est Membre du Conseil d’Administration et ancien Président a.i. de Health-Holland, La Haye (Pays-Bas). Onno Van De Stolpe est Directeur Général, Galapagos, Mechelen (Belgique).

 

Biden : soigner aussi l’économie

Biden : soigner aussi l’économie

 

Jon Hilsenrath du Wall Street Journal estime que Biden devra aussi soigner une économie en convalescence et qui aura du mal à retrouver son niveau de fin 99

 

Joe Biden risque fort de passer les quatre prochaines années à essayer de reconquérir le terrain économique perdu.

Même si l’économie américaine a effacé une grande partie des dégâts provoqués au printemps par la pandémie et le confinement, il reste du chemin à parcourir. Et pour beaucoup d’économistes, les prochaines étapes s’annoncent difficiles. Après un rebond au moment du déconfinement, l’économie semble marquer le pas et, si l’on se fie à l’histoire récente, les reprises ont souvent été plus poussives que fulgurantes.

Par ailleurs, la pandémie entraîne des évolutions structurelles qui risquent de bouleverser à tout jamais la manière dont les Américains dépensent leur argent et les entreprises fonctionnent, avec à la clé des ajustements pour l’économie et des bouleversements pour les salariés.

« Nous avons fait la moitié du chemin, estime Nicholas Bloom, professeur d’économie à Stanford. Il faudra probablement au moins deux années de plus pour faire le reste. »

C’est le défi qui attend la présidence Biden. Le nouveau Président américain entend lancer de colossaux programmes d’investissement dans l’énergie propre et les infrastructures, ambitionne d’augmenter la fiscalité des ménages aisés et souhaite renforcer la réglementation de l’énergie et d’autres secteurs. Mais les débats avec les républicains sur la politique budgétaire la plus efficace pour une économie convalescente s’annoncent houleux.

Depuis 1982, période pendant laquelle les Etats-Unis ont été dirigés à la fois par des démocrates et des républicains, il a fallu en moyenne plus de 46 mois pour recréer les emplois perdus pendant les récessions. Avant cette date, il fallait en moyenne moitié moins longtemps. Après le ralentissement de 2007-2009, l’emploi a mis plus de six ans à retrouver son meilleur niveau. Le deuxième mandat de Barack Obama était alors bien entamé.

Le cycle actuel est différent en ce qu’il a été provoqué par un choc externe qui a brutalement mis l’économie à l’arrêt, avant que l’activité ne reparte presque aussi vite avec le déconfinement. La promesse d’un vaccin contre le coronavirus pourrait accélérer la reprise, mais des signes indiquent que les forces traditionnellement à l’œuvre lors des récessions (la montée du chômage de longue durée, par exemple) se mettent en place.

En septembre, le chômage était certes retombé à 6,9 %, contre 14,7 % en avril, mais restait loin de son point bas historique de février, à 3,5 %. Dans les premiers mois de la pandémie, ce ne sont pas moins de 22 millions d’emplois qui ont été supprimés, et seulement 12 millions ont été recréés.

Selon un sondage de The Wall Street Journal réalisé en octobre, plus de la moitié des économistes du secteur privé interrogés estimaient que le marché du travail ne retrouverait pas son niveau d’avant-crise avant 2023, au plus tôt.

Joe Biden a déclaré que la maîtrise du Covid-19 était la première étape vers la reprise économique et annoncé lundi la mise en place d’une cellule qui planchera sur une stratégie fédérale. « L’hiver sera très difficile, a déclaré le nouveau Président. Le défi qui nous attend reste colossal et grandissant. »

Le prochain locataire de la Maison Blanche est favorable au versement de nouvelles aides aux petites entreprises, ainsi qu’aux Etats et aux collectivités locales.

Il prévoit d’investir 2 000 milliards de dollars sur les quatre prochaines années dans le climat, les infrastructures, la santé et d’autres projets.

Le Président-élu veut aussi faire passer l’impôt sur les sociétés de 21 % à 28 % et augmenter la fiscalité des ménages qui gagnent plus de 400 000 dollars par an. Son projet fiscal, censé rapporter plus de 2 000 milliards sur une décennie, doit compenser l’accroissement des dépenses fédérales.

Joe Biden « va avoir du mal à concrétiser sa liste au Père Noël avec un Sénat républicain », prédit Brian Riedl, membre du Manhattan Institute for Policy Research, un institut de recherche classé à droite, et ancien assistant d’un sénateur républicain.

Il faudra attendre le mois de janvier et le second tour du vote en Géorgie, pour savoir qui, des démocrates ou des républicains, aura la majorité au Sénat.

Les dépenses se sont envolées pendant la présidence Trump, mais les parlementaires ont peiné à débloquer de nouvelles aides en faveur des entreprises, des ménages, des Etats et des collectivités locales avant la présidentielle. Sur l’exercice clos au 30 septembre, le déficit fédéral atteignait 3 100 milliards de dollars et les républicains étaient de plus en plus réticents à le creuser davantage.

Dans les premières années de la reprise qui a suivi la récession de 2007-2009, après une avalanche de dépenses et d’allègements fiscaux pendant la première année de mandat de Barack Obama, la politique budgétaire a entravé l’économie. Les accords (négociés pour l’essentiel par Joe Biden, alors vice-président, et Mitch McConnell, président républicain du Sénat, poste qu’il occupe encore aujourd’hui) ont limité les dépenses discrétionnaires à partir de 2010. En proportion du produit intérieur brut (PIB), le déficit budgétaire a reculé entre 2009 et 2015, ce qui, selon certains économistes, a freiné la croissance.

Pourtant, le gouvernement fédéral ne doit pas s’inquiéter de l’accroissement de la dette qui découle du creusement du déficit, affirment certains économistes, car le service de la dette ne coûte presque rien tant que les taux d’intérêt sont bas. Cela étant, alerte Brian Riedl, « les conditions sont réunies pour un refus clair et net des dépenses » au sein du Parti républicain.

Après le choc de la récession de 2007-2009, les Etats et les collectivités locales avaient également opté pour une réduction des dépenses et un relèvement des taxes afin d’assainir leurs finances, ce qui a entravé la reprise.

Cette année, c’est avec des poches déjà vides que les Etats ont dû affronter la pandémie de coronavirus, qui a parfois provoqué un choc plus brutal que la crise financière. C’est donc un coup de frein budgétaire qui s’annonce dans les Etats et peut-être au niveau local en 2021. Parce qu’il provoquera des réductions de coûts, des suppressions des postes et une hausse des taxes, il risque de pénaliser l’économie.

« Les Etats et les collectivités locales s’en sortent mieux que l’on pensait, mais ce n’est pas terminé », commente Emily Raines, vice-présidente de Moody’s en charge des notes de crédit des Etats. Depuis le mois de mars, les Etats et les collectivités locales ont réduit leur masse salariale de 1,4 million de dollars, et la baisse se poursuit alors que le secteur privé a amorcé un rebond.

L’avenir de l’économie dépend des mois qui viennent : évolution de la Covid-19, réouverture complète des entreprises et des écoles ou encore retour à la vie d’avant (sorties au restaurant ou au cinéma, voyages en avion…).

Les Etats n’ont pas encore imposé de reconfinement malgré la nouvelle flambée du nombre de cas de coronavirus, mais les Américains ne sont pas très enclins à sortir. Les données mobiles d’Apple ont ainsi révélé que les trajets en voiture avaient reculé de 9 % aux Etats-Unis depuis début octobre et la deuxième vague de Covid, contre une baisse de 9 % pour les transports en commun et de 7 % pour les déplacements à pied.

Celles de Google montrent que les trajets vers les magasins et les restaurants s’effondrent dans les Etats particulièrement touchés depuis octobre, notamment le Wisconsin, l’Iowa, le Dakota du Nord, le Dakota du Sud et le Montana.

« Si nous n’arrivons pas à maîtriser le virus, il est très peu probable que l’économie réussisse à se redresser d’elle-même », affirme Austan Goolsbee, professeur d’économie à la Chicago Booth et ancien conseiller de Barack Obama. Il dit s’inquiéter d’une nouvelle vague incontrôlable qui provoquerait un regain de tension sur les marchés financiers et des difficultés supplémentaires pour les entreprises, donc des dégâts durables sur l’économie.

En revanche, si le virus est maîtrisé, il pense qu’il est possible que l’économie connaisse un rebond fulgurant, bien loin des reprises poussives qui ont marqué les précédents cycles.

Les économistes évoquent le concept de « demande latente », c’est-à-dire de l’argent que les ménages veulent dépenser s’ils en ont l’occasion. De fait, ils économisent depuis des mois (en moyenne 20 % de leur salaire après impôt depuis le mois d’avril) et sont donc fin prêts à consommer.

L’annonce des progrès réalisés sur le plan des vaccins pourrait inciter les particuliers et les entreprises à prévoir des déplacements, des vacances et des investissements, estime Torsten Slok, économiste en chef chez Apollo Global Management, dans une note aux clients.

Mais d’autres facteurs indiquent que la pandémie et la récession pourraient avoir des effets durables.

Entre avril et octobre, le nombre d’Américains se déclarant sans emploi depuis au moins 27 semaines est passé de 939 000 à 3,6 millions, son plus haut niveau depuis 2014. Cinémas, commerces, restaurants, compagnies aériennes : des pans entiers de l’économie se demandent comment fonctionner dans un monde post-pandémie et de combien de salariés ils auront besoin, une réflexion qui pourrait déboucher sur une refonte durable du marché du travail semblable à celle d’autres reprises économiques de l’ère moderne.

Avant les années 1980, les récessions étaient brèves. En règle générale, la Réserve fédérale américaine relevait ses taux directeurs pour enrayer l’inflation puis les abaissait rapidement : les cycles des secteurs sensibles aux taux, notamment le logement et l’immobilier, étaient donc plutôt courts. Les usines fermaient temporairement, le temps d’écouler leurs stocks, puis rouvraient et réembauchaient les salariés qu’elles avaient licenciés. En moyenne, des années 1950 aux années 1970, seuls 10 % des chômeurs mettaient plus de six mois à retrouver du travail, les autres reprenant rapidement le chemin du bureau ou de l’usine.

A partir des années 1980, le pourcentage de chômeurs de longue durée a grimpé à 20 %, et même à 45 % lors de la reprise qui a suivi la dernière récession.

Après la crise de 2001, le secteur technologique et beaucoup de grands groupes ont été ébranlés par l’effondrement de leurs bénéfices, tout comme les secteurs de la finance et du bâtiment l’ont été après la récession de 2007-2009. Après les restructurations, les salariés ont subi d’interminables périodes d’inactivité. Les vagues d’importations chinoises ont également entraîné la fermeture définitive de nombreuses usines.

Même si la reprise est plus rapide que prévu, Studio Movie Grill, une chaîne présente dans 10 Etats, dont le Texas, la Californie, la Géorgie et la Floride, ne sortira pas de la crise actuelle dans la même situation qu’elle y est entrée, déplore son président Brian Schultz. Dans ses 36 cinémas de luxe, les clients des salles peuvent dîner tout en regardant les films à l’affiche.

En mars, Brian Schultz a décidé de passer à la vitesse supérieure : il a lancé une application mobile qui permet aux clients d’acheter leurs tickets, réserver leurs places et choisir leur repas, puis de régler le tout en ligne. En réduisant les interactions avec les salariés, cette innovation technologique sert un objectif qui ne date pas d’hier : doper la productivité et limiter le nombre de serveurs, contrôleurs de tickets et autres salariés. Une bonne nouvelle pour l’efficacité et les affaires, une moins bonne pour certains travailleurs.

« Je pense qu’à l’avenir, les clients préféreront faire les choses eux-mêmes », estime-t-il, évoquant les questions de praticité et de sécurité.

Voilà pour le côté positif. Mais aujourd’hui, c’est toujours pour sa survie que l’entreprise se bat. Avant la crise, Studio Movie Grill employait 7 200 personnes, contre 350 à 400 aujourd’hui. Les clients n’ont plus envie de se retrouver autour d’une table et Hollywood renâcle à sortir des films qui seront diffusés dans des salles vides. Le mois dernier, Studio Movie Grill s’est déclarée en faillite. Pour Brian Schultz, le secteur a besoin d’une aide publique immédiate pour survivre.

« Le chiffre d’affaires de la plupart des cinémas est tombé à 5 % à 10 % de celui de 2019, raconte-t-il. Dans un secteur où les frais sont très élevés, personne ne peut survivre très longtemps comme ça. Pour que le secteur ne disparaisse pas, il nous faudra de l’aide. »

RMR Group, une société immobilière installée à Newton, dans le Massachusetts, possède un portefeuille évalué à 32 milliards de dollars, dont plus de 250 stations-service. Emblèmes des routes américaines, les restaurants routiers n’étaient pas une activité très rentable avant la crise, explique Adam Portnoy, son directeur général.

Depuis la pandémie, l’entreprise envisage des changements permanents. Certains restaurants RMR ne rouvriront peut-être pas leurs portes et les ressources seront réallouées aux fast-foods, pompes à essence et supérettes que comprennent aussi ces « truck stops ».

« Faut-il rouvrir tous ces restaurants ? Sans la pandémie, nous n’aurions jamais eu ce genre d’interrogation, raconte-t-il. Cela ne nous était jamais arrivé de fermer tous les restaurants. »

Nicholas Bloom, le professeur de Stanford, explique que le télétravail a aussi un impact profond sur l’économie. Pendant la pandémie, il a interrogé des salariés et des entreprises. Selon les statistiques du département du Travail, avant la crise sanitaire, les salariés passaient en moyenne une dizaine de jours par an en télétravail. Après la pandémie, selon lui, ce chiffre devrait passer à 65 jours.

Les répercussions sur l’économie sont colossales et inégales, ajoute-t-il. Pour les salariés très qualifiés du tertiaire, déchargés du poids des trajets quotidiens, le télétravail sera une bénédiction. Mais pour les chauffeurs de bus ou les salariés des cafés et des restaurants, il sera synonyme de moins de travail.

La reprise pourrait donc avoir une forme en K : les personnes diplômées et aisées et certaines entreprises auront le vent en poupe, tandis que les salariés peu qualifiés et moins bien payés et d’autres entreprises, notamment celles qui sont liées au tourisme et à la vie sociale, supporteront les dégâts à long terme de la crise.

La dernière expansion en date a démontré que les travailleurs peu qualifiés ne profitaient de la reprise que lorsque le chômage tombait à des niveaux extrêmement bas et que les entreprises devaient se battre pour recruter, donc augmenter les salaires et faire appel à des travailleurs souvent délaissés. Une période durable de chômage élevé serait particulièrement difficile pour ces personnes.




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