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Crise Nouvelle-Calédonie : Des enjeux politiques et socio-économiques

Nouvelle-Calédonie : Des enjeux politiques et socio-économiques

Pour la troisième nuit consécutive, la Nouvelle-Calédonie a été le théâtre de violentes émeutes. Quatre personnes, dont un gendarme, sont décédées lors d’« affrontements très graves ». Un deuxième agent a trouvé la mort lors d’un tir accidentel jeudi 16 mai. Des milices, parfois armées, patrouillent dans certains quartiers pour surveiller les habitations et les commerces. Le gouvernement a annoncé le déploiement de militaires afin de « sécuriser » les ports et l’aéroport de l’archipel ultramarin. L’état d’urgence a été décrété depuis mercredi soir et l’utilisation du réseau social TikTok est restreinte. Des manifestations pacifiques avaient eu lieu dans tout le pays ces dernières semaines, alors qu’approchait le vote de l’Assemblée nationale sur le projet de réforme constitutionnelle qui prévoit l’élargissement du corps électoral propre au scrutin provincial. Lundi soir, la crise s’est rapidement intensifiée, prenant les autorités locales par surprise. Pour comprendre comment cette situation a pu dégénérer aussi rapidement, il est important d’exposer les enjeux politique et socio-économique complexes qui ont cours dans cette région.

 

par 

Associate Professor in Peace and Conflict Studies, The University of Queensland dans The Conversation

Politique-Nouvelle-Calédonie : Des enjeux politiques et socio-économiques

Politique-Nouvelle-Calédonie : Des enjeux politiques et socio-économiques

L Nouvelle-Calédonie a été le théâtre de violentes émeutes. Plusieurs  personnes, dont un gendarme, sont décédées lors d’« affrontements très graves ». . Des milices, parfois armées, patrouillent dans certains quartiers pour surveiller les habitations et les commerces. Le gouvernement a annoncé le déploiement de militaires afin de « sécuriser » les ports et l’aéroport de l’archipel ultramarin. L’état d’urgence a été décrété depuis mercredi soir et l’utilisation du réseau social TikTok est restreinte. Des manifestations pacifiques avaient eu lieu dans tout le pays ces dernières semaines, alors qu’approchait le vote de l’Assemblée nationale sur le projet de réforme constitutionnelle qui prévoit l’élargissement du corps électoral propre au scrutin provincial. Lundi soir, la crise s’est rapidement intensifiée, prenant les autorités locales par surprise. Pour comprendre comment cette situation a pu dégénérer aussi rapidement, il est important d’exposer les enjeux politique et socio-économique complexes qui ont cours dans cette région.

 

par 

Associate Professor in Peace and Conflict Studies, The University of Queensland dans The Conversation

 

La crise politique trouve d’abord sa source dans un projet de loi du gouvernement prévoyant une modification constitutionnelle qui étend le droit de vote aux Français qui vivent sur l’île depuis dix ans.

Cette décision, prise à Paris, ferait qu’environ 25 000 nouveaux électeurs pourraient prendre part aux scrutins particuliers qui concernent directement la Nouvelle-Calédonie. Cette réforme met en évidence le pouvoir politique que la France continue d’exercer sur le territoire.

Les changements annoncés ont semé la discorde parce qu’ils annulent des dispositions de l’Accord de Nouméa de 1998, en particulier la restriction des droits de vote. Cet accord visait à « rééquilibrer » les inégalités politiques afin que les intérêts des autochtones kanaks et des descendants des colons français soient reconnus de manière égale. Il a permis de consolider la paix entre ces groupes après une longue période de conflit dans les années 1980, connue localement sous le nom d’« événements ».

Un groupe loyaliste (le terme est utilisé pour désigner les anti-indépendantistes néo-calédoniens, les « loyalistes aux institutions républicaines françaises ») d’élus au Parlement de Nouvelle-Calédonie rejette la signification contemporaine du « rééquilibrage » en ce qui concerne le statut électoral des Kanaks. Selon eux, après trois référendums sur la question de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, organisés entre 2018 et 2021, qui ont tous abouti à un vote majoritairement négatif, le temps de la réforme électorale est largement dépassé.

Cette position est clairement exprimée par le député Nicolas Metzdorf. Loyaliste de premier plan, il a défini la révision constitutionnelle adoptée par l’Assemblée nationale comme « un vote pour la démocratie et l’universalisme ».

Ce point de vue est rejeté par les leaders indépendantistes kanaks, qui estiment que ces amendements portent atteinte au statut politique des autochtones kanaks, qui constituent une minorité de la population votante. Ces dirigeants refusent également d’admettre que le programme de décolonisation a été mené à son terme, comme l’affirment les loyalistes.

Ils contestent au contraire le résultat du référendum final de 2021 qui, selon eux, a été imposé au territoire par les autorités françaises trop tôt après la pandémie du Covid. Selon eux, l’organisation de ce vote n’a pas tenu compte du fait que les communautés kanakes ont été très durement touchées par la pandémie et n’ont pas été en mesure de se mobiliser pleinement avant le vote. Les demandes de report du référendum ont été rejetées et de nombreux Kanaks se sont abstenus en conséquence.

Dans ce contexte, les réformes électorales décidées à Paris cette semaine sont considérées par les camps indépendantistes comme une nouvelle prescription politique imposée au peuple kanak. Une figure de proue d’une organisation de femmes autochtones kanakes m’a décrit le vote comme une solution qui pousse « les Kanaks dans le caniveau », une solution qui les ferait « vivre à genoux ».

De nombreux commentateurs politiques comparent la violence observée ces derniers jours à la violence politique des années 1980 qui a fait payer un lourd tribut au pays. Cette affirmation est cependant contestée par les femmes leaders locales avec lesquelles je discute et qui m’encouragent à analyser cette crise au-delà des seuls facteurs politiques.

Certaines dirigeantes rejettent l’idée que cette violence n’est que l’écho de griefs politiques passés. Elles soulignent les disparités de richesse très visibles dans le pays. Celles-ci alimentent le ressentiment et les profondes inégalités qui privent les jeunes kanaks d’opportunités et contribuent à leur colère.

Les femmes m’ont également fait part de leur inquiétude quant à l’imprévisibilité de la situation actuelle. Dans les années 1980, les campagnes violentes étaient coordonnées par les leaders kanaks, me disent-elles. Elles étaient organisées, contrôlées.

En revanche, aujourd’hui, il semblerait que les jeunes qui prennent les devants usent de la violence parce qu’ils estiment, frustrés, ne pas avoir « d’autres moyens » d’être reconnus.

Parmi certains exemples, celui d’une conférence de presse tenue mercredi 15 mai en fin de journée, par des leaders politiques indépendantistes kanaks. Ces derniers se sont faits l’écho de leurs adversaires politiques loyalistes en condamnant les violences et en lançant des appels au dialogue. Ils ont notamment appelé les « jeunes » impliqués dans les violences à respecter l’importance d’un processus politique et ont mis en garde contre une logique de vengeance.

Les femmes leaders de la société civile avec lesquelles je me suis entretenue ont émis de fortes réserves à l’égard de ce type de propos. Elles affirment que les dirigeants politiques de tous bords n’abordent pas les réalités auxquelles sont confrontés les jeunes Kanaks. Selon elles, si le dialogue reste centré sur les racines politiques du conflit et n’implique que les mêmes élites qui ont dominé le débat jusqu’à présent, peu de choses seront comprises et peu de choses seront résolues.

De même, ces critiques déplorent la réponse du gouvernement et de l’État français, principalement sécuritaire, fondée sur l’« ordre et le contrôle ». Elle contredit les appels au dialogue et laisse peu de place à une quelconque participation de la société civile.

Ces approches permettent d’étouffer les griefs, mais ne les résolvent pas. Les femmes leaders qui observent la situation actuelle sont angoissées et ont le cœur brisé pour leur pays et son peuple. Elles affirment que si la crise doit être résolue de manière durable, les solutions ne peuvent être imposées et les mots ne peuvent être vides.

Au contraire, leurs paroles demandent à être entendues et à contribuer à la résolution de la crise. En attendant, les habitants vivent dans l’anxiété et l’incertitude jusqu’à ce que les incendies se calment et que la fumée qui plane actuellement sur une Nouméa meurtrie se dissipe.

Nouvelle-Calédonie : Des enjeux politiques et socio-économiques

 

Pour la troisième nuit consécutive, la Nouvelle-Calédonie a été le théâtre de violentes émeutes. Quatre personnes, dont un gendarme, sont décédées lors d’« affrontements très graves ». Un deuxième agent a trouvé la mort lors d’un tir accidentel jeudi 16 mai. Des milices, parfois armées, patrouillent dans certains quartiers pour surveiller les habitations et les commerces. Le gouvernement a annoncé le déploiement de militaires afin de « sécuriser » les ports et l’aéroport de l’archipel ultramarin. L’état d’urgence a été décrété depuis mercredi soir et l’utilisation du réseau social TikTok est restreinte. Des manifestations pacifiques avaient eu lieu dans tout le pays ces dernières semaines, alors qu’approchait le vote de l’Assemblée nationale sur le projet de réforme constitutionnelle qui prévoit l’élargissement du corps électoral propre au scrutin provincial. Lundi soir, la crise s’est rapidement intensifiée, prenant les autorités locales par surprise. Pour comprendre comment cette situation a pu dégénérer aussi rapidement, il est important d’exposer les enjeux politique et socio-économique complexes qui ont cours dans cette région.

 

par 

Associate Professor in Peace and Conflict Studies, The University of Queensland dans The Conversation

 

La crise politique trouve d’abord sa source dans un projet de loi du gouvernement prévoyant une modification constitutionnelle qui étend le droit de vote aux Français qui vivent sur l’île depuis dix ans.

Cette décision, prise à Paris, ferait qu’environ 25 000 nouveaux électeurs pourraient prendre part aux scrutins particuliers qui concernent directement la Nouvelle-Calédonie. Cette réforme met en évidence le pouvoir politique que la France continue d’exercer sur le territoire.

Les changements annoncés ont semé la discorde parce qu’ils annulent des dispositions de l’Accord de Nouméa de 1998, en particulier la restriction des droits de vote. Cet accord visait à « rééquilibrer » les inégalités politiques afin que les intérêts des autochtones kanaks et des descendants des colons français soient reconnus de manière égale. Il a permis de consolider la paix entre ces groupes après une longue période de conflit dans les années 1980, connue localement sous le nom d’« événements ».

Un groupe loyaliste (le terme est utilisé pour désigner les anti-indépendantistes néo-calédoniens, les « loyalistes aux institutions républicaines françaises ») d’élus au Parlement de Nouvelle-Calédonie rejette la signification contemporaine du « rééquilibrage » en ce qui concerne le statut électoral des Kanaks. Selon eux, après trois référendums sur la question de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, organisés entre 2018 et 2021, qui ont tous abouti à un vote majoritairement négatif, le temps de la réforme électorale est largement dépassé.

Cette position est clairement exprimée par le député Nicolas Metzdorf. Loyaliste de premier plan, il a défini la révision constitutionnelle adoptée par l’Assemblée nationale comme « un vote pour la démocratie et l’universalisme ».

Ce point de vue est rejeté par les leaders indépendantistes kanaks, qui estiment que ces amendements portent atteinte au statut politique des autochtones kanaks, qui constituent une minorité de la population votante. Ces dirigeants refusent également d’admettre que le programme de décolonisation a été mené à son terme, comme l’affirment les loyalistes.

Ils contestent au contraire le résultat du référendum final de 2021 qui, selon eux, a été imposé au territoire par les autorités françaises trop tôt après la pandémie du Covid. Selon eux, l’organisation de ce vote n’a pas tenu compte du fait que les communautés kanakes ont été très durement touchées par la pandémie et n’ont pas été en mesure de se mobiliser pleinement avant le vote. Les demandes de report du référendum ont été rejetées et de nombreux Kanaks se sont abstenus en conséquence.

Dans ce contexte, les réformes électorales décidées à Paris cette semaine sont considérées par les camps indépendantistes comme une nouvelle prescription politique imposée au peuple kanak. Une figure de proue d’une organisation de femmes autochtones kanakes m’a décrit le vote comme une solution qui pousse « les Kanaks dans le caniveau », une solution qui les ferait « vivre à genoux ».

De nombreux commentateurs politiques comparent la violence observée ces derniers jours à la violence politique des années 1980 qui a fait payer un lourd tribut au pays. Cette affirmation est cependant contestée par les femmes leaders locales avec lesquelles je discute et qui m’encouragent à analyser cette crise au-delà des seuls facteurs politiques.

Certaines dirigeantes rejettent l’idée que cette violence n’est que l’écho de griefs politiques passés. Elles soulignent les disparités de richesse très visibles dans le pays. Celles-ci alimentent le ressentiment et les profondes inégalités qui privent les jeunes kanaks d’opportunités et contribuent à leur colère.

Les femmes m’ont également fait part de leur inquiétude quant à l’imprévisibilité de la situation actuelle. Dans les années 1980, les campagnes violentes étaient coordonnées par les leaders kanaks, me disent-elles. Elles étaient organisées, contrôlées.

En revanche, aujourd’hui, il semblerait que les jeunes qui prennent les devants usent de la violence parce qu’ils estiment, frustrés, ne pas avoir « d’autres moyens » d’être reconnus.

Parmi certains exemples, celui d’une conférence de presse tenue mercredi 15 mai en fin de journée, par des leaders politiques indépendantistes kanaks. Ces derniers se sont faits l’écho de leurs adversaires politiques loyalistes en condamnant les violences et en lançant des appels au dialogue. Ils ont notamment appelé les « jeunes » impliqués dans les violences à respecter l’importance d’un processus politique et ont mis en garde contre une logique de vengeance.

Les femmes leaders de la société civile avec lesquelles je me suis entretenue ont émis de fortes réserves à l’égard de ce type de propos. Elles affirment que les dirigeants politiques de tous bords n’abordent pas les réalités auxquelles sont confrontés les jeunes Kanaks. Selon elles, si le dialogue reste centré sur les racines politiques du conflit et n’implique que les mêmes élites qui ont dominé le débat jusqu’à présent, peu de choses seront comprises et peu de choses seront résolues.

De même, ces critiques déplorent la réponse du gouvernement et de l’État français, principalement sécuritaire, fondée sur l’« ordre et le contrôle ». Elle contredit les appels au dialogue et laisse peu de place à une quelconque participation de la société civile.

Ces approches permettent d’étouffer les griefs, mais ne les résolvent pas. Les femmes leaders qui observent la situation actuelle sont angoissées et ont le cœur brisé pour leur pays et son peuple. Elles affirment que si la crise doit être résolue de manière durable, les solutions ne peuvent être imposées et les mots ne peuvent être vides.

Au contraire, leurs paroles demandent à être entendues et à contribuer à la résolution de la crise. En attendant, les habitants vivent dans l’anxiété et l’incertitude jusqu’à ce que les incendies se calment et que la fumée qui plane actuellement sur une Nouméa meurtrie se dissipe.

Ménages surendettés : Enjeux socio-économiques

Ménages surendettés : Enjeux socio-économiques

La question posée par Jean-Paul Sartre dans Le Diable et le Bon Dieu en 1951 illustre bien la problématique qui anime chaque « homo consumericus » que nous sommes, contraints par notre pouvoir d’achat mais poussés aussi par notre vouloir d’achat et les tentations fortes de la société de consommation. L’offre de biens et services, et de crédits pour les financer coûte que coûte, est toujours plus abondante. L’endettement est utile pour financer un logement ou un équipement coûteux, tant que l’équilibre entre les intérêts (ou charges financières) et le « reste à vivre » est assuré et que l’information est précise pour l’emprunteur. Néanmoins, à chaque époque, les situations de surendettement ont constitué un enjeu socio-économique majeur. Au niveau individuel d’abord, la situation est souvent associée à un sentiment d’échec et de honte qui pousse certains à ne pas en parler autour de soi, voire à ne pas même solliciter l’aide des pouvoirs publics.

Ydriss Ziane
Maître de conférences de Finance, IAE Paris – Sorbonne Business School (dans The Conversation)

Au niveau collectif ensuite, le sort réservé aux surendettés au travers des âges est un indicateur utile pour comprendre le rapport des hommes au matériel et aux plus faibles. Dans l’antiquité, tout débiteur indélicat devenait l’esclave de son créancier qui détenait sur lui droit de vie ou de mort. Au Moyen-Âge, la dette devient synonyme de faute et de péché et conduit à l’emprisonnement et au déclassement social. L’ère contemporaine voit la distinction entre la faillite d’entreprise et la faillite personnelle s’établir clairement, et l’on s’étonnera certainement que, jusqu’en 1989 et la loi dite « Neiertz », il n’existait en France aucun mode organisé de traitement et de protection des personnes surendettées.

En 2023, dans un contexte inflationniste et alors que les séquelles de la crise sanitaire se font encore ressentir, la Banque de France a enregistré 8 % de dossiers de surendettement déposés en plus par rapport à 2022. Celle-ci multiplie d’ailleurs les initiatives pour informer et prévenir à ce propos. Après la mise en place d’un numéro de téléphone dédié (le 34 14), elle déploie actuellement le dispositif test « Aide-Budget » dans 11 départements avec les fournisseurs d’énergie et les bailleurs sociaux pour repérer les ménages fragiles dès les premiers impayés et les orienter vers un des 500 « Points Conseil Budget » en France. Ceux-ci délivrent des conseils confidentiels et personnalisés sur la gestion budgétaire du ménage.

La philosophie sous-jacente mais aussi les réalités de ce qu’est le surendettement ont néanmoins, même discrètement, radicalement évolué depuis 1989.

La procédure a beau être assez jeune, le législateur a fait preuve, en moins de 35 ans, d’une particulière nervosité juridique avec pas moins de sept réformes majeures (1995, 1998, 2003, 2005, 2010, 2014, 2018). Elles s’expliquent notamment par la forte progression du nombre de dépôts de dossiers de surendettement auprès de la Banque de France jusqu’en 2014 et par la proportion élevée de redépôts.

À partir de 2014, le nombre de dossiers déposés suivait une tendance baissière particulièrement remarquable avant que la crise sanitaire ne marque une première rupture. Elle a été confirmée récemment par une hausse de 6 % des dépôts sur les neufs premiers mois de 2023. Dans l’attente d’une accalmie sur le front de l’inflation pour 2024 et d’un retour de taux d’intérêt directeurs stables, le chiffre de 6 % a été qualifié de « modéré » par la banque de France, ce qui paraît logique quand on sait qu’en l’espace de deux années et demi, l’inflation alimentaire a atteint près de 21 %.

Au-delà de l’aspect conjoncturel, les évolutions juridiques en la matière marquent en réalité un profond changement de philosophie dans l’appréhension du phénomène de surendettement des particuliers, passé relativement inaperçu, en 2004, alors même qu’il a connu un certain succès.

Au moment de leur institution en 1989, les commissions de surendettement avaient pour principal objectif de faire en sorte que les personnes en grandes difficultés financières (et de bonne foi) puissent bénéficier d’un délai pour payer leurs dettes. Elles visaient ensuite, à permettre aux prêteurs de récupérer tout ou partie de leurs fonds. Les autorités privilégiaient donc la conciliation et les biens nommés « plans conventionnels de redressement » incluant recommandations, réaménagement des dettes et patience afin de trouver une solution devant nécessairement conduire à un remboursement des fonds prêtés sans distinction de créances.

Dans un contexte de fort développement du crédit à la consommation, et donc d’un surendettement plus actif (ou provoqué) que passif (ou subi), cette orientation privilégiant l’intérêt des prêteurs n’a pas permis de contenir l’explosion du nombre de surendettés entre 1995 et 2004. Cela s’explique principalement par la longueur des procédures, le manque de moyens alloués et surtout par un fort taux d’échec des plans de redressement conclus, en dépit des modifications positives mais trop timides apportées par les réformes de 1995 et 1998.

C’est alors que la « loi Borloo », votée en août 2003 et appliquée à partir de 2004, institue la procédure de rétablissement personnel (PRP) aussi qualifiée de « droit à la seconde chance » pour les plus fragiles. Le changement d’approche puise son inspiration dans le régime de « faillite civile » du droit local d’Alsace et de Moselle. Est ainsi introduite une solution alternative aux plans conventionnels de redressement pour les ménages dont la situation est jugée « irrémédiablement compromise », c’est-à-dire sans espoir d’amélioration.

C’est à Jean Louis Borloo, alors ministre de la Ville, que l’on doit une évolution légale majeure concernant les ménages surendettés. Jacques Witt/Wikimedia, CC BY-SA
Pour ces derniers, il est possible de bénéficier d’un rétablissement personnel sous la forme d’un effacement total des dettes. Cela vaut à condition d’être de bonne foi. Celle-ci est présumée mais peut être remise en cause, par exemple, en cas d’endettement volontaire, de recours à de nouveaux crédits pendant la procédure, de dépenses superflues, somptuaires ou de gestion irresponsable.

Ce virage législatif va prendre quelques années à se manifester dans les chiffres. Près de vingt années après sa mise en place, il apparaît néanmoins clairement que la PRP s’est imposée comme une solution majeure à la détresse des ménages les plus endettés, au détriment des plans de redressement. Il peut s’interpréter comme une inversion de priorité des autorités publiques puisque cette procédure implique l’impossibilité définitive pour les créanciers de récupérer leur mise de fonds. Leurs pertes s’élèvent, pour l’exercice 2022, à 1,3 milliard d’euros au total, soit moins de 0,05 % du PIB, pour un montant moyen effacé de 20 224 euros par ménage ayant bénéficié d’une PRP.

Les réformes suivantes (2010, 2014) vont renforcer et simplifier le dispositif pour lui donner plus de souplesse et de visibilité tout en limitant la publicité et les abus relatifs aux pratiques des sulfureux crédits renouvables.

Amorcée en 2014, la décrue du nombre de dossiers de surendettement s’explique par le renouveau du processus législatif qui pousse à une plus large prise en charge collective des situations les plus compromises, mais aussi par une modification substantielle de l’équilibre entre endettement actif et passif. En effet, au cours des quinze dernières années, on observe une progression de la part des ménages surendettés de façon passive, accumulant des dettes de la vie courante (loyers, énergie, communication, transport, assurance, santé, éducation, alimentation, fiscalité), souvent à la suite d’accidents de la vie (accident, décès d’un proche, séparation, pertes d’emplois).

Aussi, la plupart (56 %) des personnes déposant un dossier de surendettement sont des personnes vivant seules. 55 % sont des femmes âgées entre 18 à 54 ans. 25 % sont au chômage. Le niveau de vie médian des ménages ayant bénéficié d’une PRP est de 859 euros. À ce titre, il est à craindre que la crise sanitaire récente puisse encore se manifester dans les statistiques en 2024, notamment dans un contexte d’arrêt des aides publiques pour les ménages les plus modestes (bouclier tarifaire, chèque énergie, prime carburant), mais aussi en raison d’une inflation qui rogne l’épargne accumulée et d’un chômage qui repart à la hausse.

Les initiatives déployées par la Banque de France sont à encourager et à démocratiser auprès de tous et partout pour enrayer la spirale du surendettement des ménages. Le secteur associatif est aussi un relais important pour toucher tous les publics. En effet, l’éducation financière personnelle et la diffusion de l’information sur des procédures de plus en plus favorables aux débiteurs sont des vecteurs importants pour limiter les comportements dangereux, orienter efficacement les personnes concernées mais aussi mettre fin au sentiment de honte lié au phénomène de surendettement.




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