« Une situation politique explosive »
(INTERVIEW JDD- Erwan Lecœur, sociologue et politologue)
D’une certaine façon oui. Ces groupuscules à l’œuvre ont toujours existé, mais ils étaient en sommeil depuis des années. Ils se sont reconstitués à l’écart du Front national de Marine Le Pen, estimant que ce FN-là ne leur suffisait plus. Avec la contestation du mariage pour tous, ils ont d’abord occupé le terrain, en « passagers clandestins » au départ, juste parce qu’ils étaient utiles pour encadrer les manifs. Puis les manifs s’essoufflant, ils ont pris le leadership en radicalisant le mouvement. La radicalisation est leur stratégie et leur but. Ces groupuscules vivent aussi dans la mythologie de Mai-68. On l’a oublié, mais ils étaient déjà là, avec Occident, au début du printemps 1968. Ils voulaient à l’époque, exactement comme aujourd’hui, radicaliser la droite, et ils ont eu le sentiment, dans leur mythologie erronée, de s’être fait « voler » leur Mai-68. La nouveauté actuelle est que, pour la première fois depuis des années, ces groupuscules, de quelques centaines, peut-être de milliers de gens à peine, ont le sentiment qu’ils ont une partie de l’opinion derrière eux. Avec le mariage pour tous, ils pensent que la droite au sens large, catholique, traditionnelle, est avec eux. Ce vent en poupe leur donne des ailes, réveille leur dangerosité. C’est ce qui rend la situation potentiellement explosive.
Comment ont-ils pris le « contrôle » de la radicalisation?
La situation actuelle leur est favorable à plus d’un titre. D’abord parce que, comme en 1981, ils sont face à une gauche qui est au pouvoir. Ensuite parce que la droite française actuelle, de l’UMP au FN, est en déshérence, sans véritable leadership. Il y a une place à prendre et les radicaux l’ont bien compris et entendent peser sur le prochain leader. Autre situation dont ils profitent aujourd’hui, ils arrangent tout le monde : à l’UMP comme au FN, nombreux sont ceux qui se satisfont de leur capacité à radicaliser l’opinion. À droite, certains se disent qu’à terme ils profiteront de cette radicalisation dans les urnes.
D’où sortent-ils? On croyait disparus les vichystes, l’Action française et ces mouvements quasi paramilitaires
Ils n’ont jamais totalement disparu. Pendant longtemps, ils ont trouvé refuge dans les rangs du DPS, la direction protection sécurité de Jean-Marie Le Pen, qui a toujours été composée d’anciens gendarmes, de policiers et de militaires, voire de gens des services. Le DPS a frôlé la dissolution, mais ces groupuscules ont toujours été là et se sont toujours rendus utiles. Jean-Marie Le Pen avait besoin qu’ils se tiennent tranquilles, pour les besoins de sa propre légitimité. Dans les années 1990, le chef du FN avait bien compris que ces groupuscules devaient être encadrés pour être contrôlés. Aujourd’hui, Jean-Marie Le Pen, celui qu’ils appellent « le vieux » n’étant plus là, ils volent désormais de leurs propres ailes, aux marges du FN de Marine. Mais ils ne veulent pas voir leur héritage échoir à elle seule. Alors, ils se rappellent à son bon souvenir, occupant la rue pour affirmer qu’ils sont les gardiens du logiciel de l’extrême droite française. D’une certaine façon, ils viennent réclamer leur dû.
Pourquoi le FN est-il curieusement en retrait des manifs
Marine Le Pen fait le pari de ne pas montrer son visage le plus dur, pour pouvoir attirer à elle ensuite ceux qui seraient gênés par cette extrême droite-là, et pensant que, de toute façon, la radicalisation lui profitera dans les urnes. Elle a donc intérêt à rester en retrait. À l’inverse, pour l’UMP, Jean-François Copé doit faire les preuves de son engagement s’il veut ensuite récupérer les mécontents. Ces deux-là sont à front renversés, mais concurrents pour le leadership à terme de cette « nouvelle droite » qui sortira de tout cela.
Comment qualifiez-vous la situation?
Tendue. Le problème de ces groupuscules est qu’ils sont prêts à aller loin. Ils ont toujours eu besoin d’un martyr, ils ont cette culture-là. Le martyr leur permettra ensuite de peser sur la suite. Cela plaide pour une escalade dans la radicalisation. Si personne ne siffle la fin de la récréation, notamment à droite, cela peut se terminer en drame. Les groupuscules savent qu’ils y ont intérêt. On est, dans les jours qui viennent, dans une sorte de jeu dangereux.