Retraites : une situation financière inquiétante (Touzé, OFCE)
« Le dernier rapport du COR sur les évolutions et les perspectives des retraites en France publié en décembre 2012 s’intitulait « Retraites : perspectives 2020, 2040 et 2060″. Ce rapport a joué un rôle majeur puisqu’il a servi de point de référence pour la commission Moreau (rapport publié en juin 2013) puis pour des mesures correctives adoptées par le parlement fin 2013 (réforme Touraine). La réforme Touraine a principalement abouti à une hausse des cotisations (impact négatif pour les salariés), à une hausse de la durée d’activité (impact négatif pour les salariés), à une fiscalisation des majorations de retraite (impact négatif pour les retraités) et à un report de l’indexation des pensions (perte de pouvoir d’achat pour les retraités). Le nouveau rapport est, donc, particulièrement attendu puisqu’il va enfin fournir une estimation (indépendante) des mesures prises par le gouvernement Ayrault. Le moins qu’on puisse attendre d’un tel rapport est une évaluation précise de l’évolution des soldes financiers des différents régimes de retraite selon plusieurs scénarios, en général trois du type pessimiste, intermédiaire et optimiste. Si le rapport ne fournit pas ces estimations, on n’est en droit d’être très inquiet car la question de la solvabilité est essentielle pour envisager l’avenir et comprendre nos choix passés. En aucun cas, elle ne peut être éludée. Au contraire, c’est un devoir démocratique d’information car les citoyens ont le droit d’être informé, surtout que le COR a tous les moyens (techniques et humains) pour réaliser une telle évaluation. Le COR avoue un secret de polichinelle : les réformes passées bien qu’elles aient eu des effets bénéfiques, ne sont pas suffisantes. Le problème est que les réformes sont trop souvent prises avec retard et surtout elles sont évaluées à partir d’hypothèses extrêmement favorables à savoir pour le scénario de base : un taux de croissance de la productivité de 1,5% et un taux de chômage de 4,5% à long terme. Ces hypothèses pour un compte central ne sont pas réalistes car elles ne reproduisent pas les tendances de long terme. Elles correspondent seulement à des objectifs, mais faudrait-il encore se donner les moyens d’y arriver avec des politiques structurelles effectives. A défaut de vraie réforme, on annonce aujourd’hui aux jeunes générations : « ne vous inquiétez pas car à long terme, il y aura de la croissance et peu de chômage ; tous les problèmes seront donc résolus ». De plus, les scénarios optimistes sur le taux de chômage sont très favorables à l’amélioration du solde financier de la CNAV car dès lors que l’UNEDIC fait des excédents, il y a un transfert vers l’assurance vieillesse. En dessous d’un certain seuil, un bas niveau de chômage provoque un double dividende. Au contraire, un pilotage prudent des systèmes de retraite par répartition devrait se construire à partir d’hypothèses pas vraiment optimistes afin d’éviter les fausses promesses en garantissant une adéquation durable entre recettes et dépenses. Les seules surprises seraient des bonnes surprises car dès lors qu’on fait mieux que le scénario, il est toujours possible d’être plus généreux. Les scénarios trop optimistes sont un leurre (les français sont mal informé) et contribuent à une désinformation économique nuisible à la prise de décision. Par le passé, une bonne gestion aurait nécessité de réaliser d’importants excédents accumulés dans un fonds de réserve dès les années 1980. Aux Etats-Unis, l’accumulation d’un tel fonds permet au régime de retraite par répartition de tenir sans réforme jusqu’en 2033. La Suède accumule un fonds de réserve depuis les années 70. En France, aujourd’hui, on finance globalement le système de retraite avec de la dette… Le « mauvais » pilotage du système de retraite provient de la nature « craintive » des décideurs politiques qui craignent de subir un lourd échec électoral si jamais ils s’engageaient dans une vraie réforme d’envergure. Pour sortir d’une insolvabilité permanente des retraites, il faudrait faire comme les Suédois avec une grande réforme qui garantirait une justice fiscale entre les générations en figeant le taux de cotisation, une plus grande transparence en créant des comptes notionnels et surtout une solvabilité en adoptant des mécanismes d’ajustements automatiques qui permettraient au système de retraite de réévaluer les pensions (à la hausse comme à la baisse) en fonction de l’évolution de la croissance économique. Un système de retraite par répartition ne peut pas promettre de façon permanente un rendement des cotisations versées supérieur au taux de croissance économique (masse salariale), car un tel objectif nécessiterait d’augmenter (à l’infini) les taux de cotisation, ce qui n’est pas possible.