Dette: proposition d’annulation simpliste
le Monde répond par un édito à la proposition simpliste des 150 économistes qui demandent l’annulation de la dette.
Les crises sont toujours propices pour faire émerger des réponses simples à des questions compliquées. Le débat sur la dette accumulée par les membres de l’Union européenne (UE) auprès de la Banque centrale européenne (BCE) pour faire face aux conséquences de la pandémie n’échappe pas à cette tentation.
Qui va payer ? Une tribune publiée dans Le Monde, vendredi 5 février, par 150 économistes prône une solution radicale : l’annulation de 2 500 milliards d’euros de créances. C’est à se demander pourquoi personne n’y avait pensé avant. Mais, comme toutes les évidences, l’idée risque de se heurter à la réalité. Sa mise en œuvre pourrait créer plus de désordre qu’elle ne résoudrait de problèmes, à commencer par la remise en cause de l’intégrité de l’UE.
La BCE, par un mécanisme de rachat des titres émis par les Etats sur les marchés financiers, se retrouve détentrice d’une dette colossale. Pour ces économistes, il suffirait de l’effacer, avec pour seule contrepartie, pour les membres de l’UE, d’investir les mêmes montants dans la reconstruction écologique et sociale. « Inenvisageable ! », a répondu Christine Lagarde, la présidente de la BCE, dans une interview au Journal du dimanche.
Le premier argument invoqué est celui du droit : le traité de Lisbonne prévoit que la BCE est juridiquement indépendante des Etats et qu’il lui est interdit de financer ces derniers. L’annulation de la dette ferait voler en éclats ce principe et déboucherait sur une crise de l’euro aux conséquences potentiellement explosives. La crédibilité de la monnaie unique serait ruinée. Ce précédent compromettrait pendant des décennies notre capacité à emprunter pour nos dépenses courantes.
« L’Europe ne peut plus se permettre d’être systématiquement bloquée par ses propres règles », rétorquent les économistes. Certes, mais à condition que les Etats membres acceptent de modifier les traités européens, décision qui nécessite une unanimité, qui est aujourd’hui introuvable.
L’Allemagne et les Pays-Bas, qui ont déjà consenti avec difficulté à une mutualisation des dettes pour mettre sur pied un plan de relance européen de 750 milliards d’euros, opposeraient le refus sans appel d’une annulation globale. Celle-ci serait vécue comme un encouragement à l’impéritie des Etats les moins vertueux aux dépens des plus rigoureux.
Le débat sur l’annulation de la dette est d’autant plus théorique qu’un Etat ne la rembourse jamais intégralement. Il émet de nouveaux emprunts pour couvrir ceux arrivés à échéance. La vigilance doit porter sur la capacité du pays à assurer le paiement des intérêts de la dette. Or, avec la faiblesse des taux, cette charge n’a jamais été aussi basse en proportion du PIB. Pourquoi déclencher un séisme avec l’annulation de la dette, alors que la situation est pour l’instant soutenable ? La réponse n’est pas tant économique que politique.
Avant de savoir comment rembourser la dette, il faudrait que les Etats membres se mettent d’accord sur la façon de dépenser les sommes empruntées. Six mois après la signature du plan de relance européen, les discussions sur son allocation tardent à déboucher. Il est impératif d’accélérer. Autre priorité : la révision des règles du pacte de stabilité, qui limitent de façon stricte les écarts budgétaires. Avec la crise, elles ont été suspendues jusqu’à fin 2021. Le débat sur leur assouplissement paraît plus urgent et plus utile que celui d’une annulation de la dette, dont l’efficience dans le contexte actuel est loin de sauter aux yeux, sauf à vouloir dynamiter l’UE.