Recul des services publics et un «sentiment d’abandon», ( défenseur des droits)
Dans son dernier rapport annuel en tant que défenseur des droits, Jacques Toubon alerte de nouveau sur l’état des services publics et leur accessibilité. Publié ce lundi, le rapport d’activité du défenseur pour 2019 revient notamment sur le «difficile accès aux services publics», et souligne que l’importante hausse (+78,4% depuis 2014, avec 61.596 réclamations recensées en 2019) des réclamations liées aux services publics reçues par ses équipes prouve «l’ampleur des effets délétères de l’évanescence des services publics sur les droits des usagers». «La disparition progressive de services publics ouverts aux différents publics et accessibles provoque inquiétude et sentiment d’abandon. Nombre de nos concitoyennes et de nos concitoyens ont le sentiment d’être oubliés», regrette l’adjoint en charge de la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité, Patrick Gohet.
Si la progression du nombre de réclamations reçues dans ce domaine est moins spectaculaire que le bond de 178,8% en six ans pour les réclamations liées à la «déontologie de la sécurité», les demandes engendrées par les relations avec les services publics continuent de constituer la part du lion du travail du défenseur des droits, soit 57% du total des plaintes reçues en 2019. Regroupant près du quart des réclamations, les organismes de protection sociale comme la CAF (9,4% des réclamations), la Sécurité sociale (4,5%) ou Pôle emploi (2,6%) sont les plus mis en cause. Suivent ensuite les préfectures et sous-préfectures (11,7%) et les collectivités territoriales (8,5%). À l’inverse, les services des impôts (5,1%), de la justice (4,8%), l’éducation nationale ou les forces de sécurité (1,7% chacun) concentrent une part relativement faible des réclamations.
Le rapport dresse un bilan peu reluisant de l’année : précarité administrative, droits sociaux contestés, inégalités territoriales, effet négatif de la dématérialisation de l’administration… «Une personne sur cinq éprouve des difficultés à accomplir les démarches administratives courantes et plus de la moitié de la population a été confrontée à des difficultés pour résoudre un problème avec une administration ou un service public dans les cinq années précédant l’enquête» de 2020, constate le document. Parmi les causes expliquant ce recul de la qualité, le rapport cite notamment la fermeture de guichets, la dématérialisation ou encore «la diminution des moyens financiers».
Pour le défenseur, l’exigence d’égalité que doivent assurer les services publics est «de moins en moins satisfaite». Dans le détail, les régions Île-de-France (12,4 réclamations pour 10.000 habitants), PACA (12), Corse (11,5) et Occitanie (11,3) concentrent le plus de plaintes rapportées au nombre d’habitants. De même, les territoires d’Outre-mer rapportent de fortes discriminations dans l’accès aux services publics et des carences répétées. «De nombreux témoignages font état de problèmes d’horaires des guichets ou des plateformes téléphoniques, de délais d’attente, de délais de traitement de dossier ou d’erreurs commises par les services administratifs», souligne le rapport, qui pointe également la faible couverture du réseau internet dans ces territoires alors que la dématérialisation prend son essor.
Des difficultés à répondre «aux demandes les plus simples des usagères et usagers»
Résultat : les services éprouvent de plus en plus de difficultés à répondre aux demandes des usagers, même pour les «plus simples» d’entre elles. Dans le champ judiciaire, par exemple, «de nombreux usagers du service public de la justice rencontrent ainsi des difficultés pour obtenir une réponse à leur requête ou à leur demande d’information sur l’état d’avancement de leur procédure. Les parquets des tribunaux ne disposent pas de moyens suffisants en personnel pour informer les victimes dans un délai raisonnable de la décision prise à la suite de leurs plaintes», sanctionne le document. Autre exemple, les délais légaux de transmission du dossier médical à un patient ne sont pas toujours respectés et «le patient rencontre toujours des difficultés pour obtenir la communication de l’intégralité de son dossier médical».
Cette dégradation de la qualité des services publics met en péril les «droits fondamentaux des personnes vulnérables», alerte Jacques Toubon, qui cite l’exemple de la mauvaise prise en charge des addictions chez les personnes détenues ou «certains faits de maltraitance dans des structures médicosociales», comme le «non-respect de l’intimité, le manque d’hygiène, les entraves à la liberté d’aller et venir».
Le recul des services publics est pointé depuis de nombreuses années par le défenseur des droits : en mars 2019, l’institution écrivait que les services publics sont victimes d’une «évanescence croissante», à l’échelle nationale et locale. «Distants», «en retrait», «incapables de gérer les situations complexes» et mal implantés sur le territoire, ils ne répondent plus aux besoins des usagers, se murent trop souvent dans le silence et ferment progressivement, victimes d’une logique d’économie budgétaire. «Dans de nombreux cas, les difficultés que doivent surmonter» les usagers s’apparentent «moins à des défaillances qu’à des obstacles» mis en place «plus ou moins délibérément par les pouvoirs publics», s’étonnait le rapport, à tel point que ces gênes successives creusent la distance entre usagers et pouvoirs publics et compliquent considérablement la vie des citoyens. «L’usager doit désormais faire preuve d’une capacité à «se débrouiller» dans son parcours administratif», notait aussi le rapport.
Dans le même temps, un autre document revient sur les réclamations reçues durant la crise sanitaire de ces derniers mois. Durant cette période, le défenseur et ses délégués ont recensé 870 saisines «mettant en cause les droits et libertés dans les relations avec les services publics en lien avec la crise sanitaire». Durant cette période, la fermeture des bureaux de poste, notamment, a posé des problèmes «pour les personnes précaires et vulnérables demandant le versement des aides sociales auxquelles elles peuvent prétendre par mandat, pour les personnes majeures sous tutelle qui sont contraintes, faute de carte bancaire, de retirer les prestations qu’elles reçoivent au guichet et pour les personnes qui, en raison de leur handicap, ne peuvent pas y accéder», souligne l’étude.
Services publics : comment trouver un meilleur équilibre entre accessibilité, efficacité et coût
La question posée dans le cadre du grand débat voulu par le président de la république n’est pas forcément d’une grande clarté et paraît surtout avoir été dictée par le mécontentement d’une partie de la population représentée par les gilets jaunes. Des gilets jaunes qui contestent l’augmentation de la fiscalité qui finance des services publics plutôt en régression dans les zones périphériques. D’où la question officielle posée par le gouvernement : « Comment faire évoluer le lien entre impôts, dépenses et services publics pour mieux répondre aux besoins des Français ? »
De fait, dans certaines parties du territoire, ce lien paraît de plus en plus ténu voire inexistant, en tout cas très de plus en plus éloigné. Dans nombre de villages, il y a déjà longtemps qu’il n’existe pratiquement plus de services publics et le dernier qui semblait devoir résister, à savoir la poste, disparaît aussi. En cause évidemment, un aménagement du territoire qui privilégie l’hyper concentration autour de quelques centres et qui conduit le reste à la désertification. . La mode aujourd’hui est à la métropolisation, c’est à dire à la sururbanisation (qui constitue pourtant une aberration environnementale) tandis que certaines petites villes, des villages s’appauvrissent, des villes moyennes stagnent ou régressent. L’élément le plus significatif de cette désertification c’est la raréfaction de l’emploi. Du coup, les populations sont contraintes de rechercher des embauches de plus en plus loin de leur domicile (20, 30, 50 kms). Jusqu’au jour où elles décident de quitter leur zone d’habitat pour rejoindre des zones plus riches en emplois et en services. Pour preuve de cette désertification : la baisse dramatique de la valeur du patrimoine immobilier. Par manque de populations, les services rétrécissent comme peau de chagrin. Le cœur de la problématique de la désertification, c’est la disparition de l’emploi qui génère mécaniquement la fermeture des commerces et des services. La réactivation des villes moyennes, des zones rurales défavorisées passe d’abord par une analyse fine des réalités et de leur évolution sur longue période (emploi, PIB, population, services etc.) ; aussi par une prise en compte des typologies différenciées des zones dont l’approche globale masque les disparités. Au-delà, il convient d’agir sur les leviers susceptibles d’abord de fixer la population active existante et d’encourager la création d’emplois. Bien entendu une commune ne peut, à elle seule, inverser ces tendances lourdes même si elle peut intervenir utilement dans le champ actuel de sa responsabilité. Beaucoup de communes se préoccupent de leur développement pour autant l’environnement défavorable limite leur action (fiscalité, réglementation, transport, équipements et services). En fonction de certains scénarios économiques, sociaux et démographiques, en 2040-2050, certains villages se transformeront en zones pour retraités voire même disparaîtront (d’autant qu’à cette date un Français sur trois aura plus de 60 ans). L’activité économique interagit sur la qualité et le niveau des services et réciproquement. Si localement on se préoccupe légitimement des équipements et des services publics, par contre le soutien à l’emploi et à l’économie locale en particulier est plus déficient. Or en fonction du rythme de destruction des emplois locaux, ce devrait être aussi une priorité. Encore une fois compte tenu de la mode de la « métropolisation » ‘ pas spécifique à la France, il y a fort à parier qu’on pourra attendre encore longtemps des mesures significatives pour le développement rural des zones défavorisées. On ne saurait se limiter à quelques dispositions certes utiles mais très insuffisantes (couverture internet, bureau de poste, quelques services …peut-être. Parallèlement on doit aussi s’interroger sur le concept même de service public, son coût, son fonctionnement et son financement ; en effet, si le rythme de suppression des services s’accélère, c’est notamment pour des raisons socio-économiques évoquées précédemment mais aussi à cause d’un coût que la collectivité a du mal à assumer. Ce coût explique largement que le pays détienne le double record du monde de prélèvement obligatoire et de dépenses publiques par rapport au PIB. Un record qui porte atteinte à la compétitivité donc aussi à l’emploi. Dans son acception un peu générale, la tendance est forte d’assimiler service public, secteur public voire statut des personnels. Trois notions pourtant à distinguer. La première découle du champ régalien de l’État (ou plus généralement des collectivités) lequel mériterait sans doute d’être mieux défini, sans doute plus restreint et en même temps mieux assumé. Certaines tâches doivent être toujours être assumés par l’État directement mais sans nécessairement gérer directement la logistique. La deuxième confusion concernant le service public vise le statut des personnels. Si on peut comprendre par exemple que les infirmières ou ASH soient fonctionnaires, c’est plus discutable pour les jardiniers, les menuisiers, et autres comptables. Le problème c’est qu’on résume souvent la problématique des conditions de travail par exemple du personnel des hôpitaux à celle des infirmières. La troisième dimension du service public est liée à la structure juridique qui l’effectue. Or rien n’indique que l’intérêt général doive être exclusivement assumé par le secteur public. De nombreuses fonctions d’intérêt général sont en effet exercées notamment par voie de délégation à des organisations parapubliques ou privées (santé, transport, formation etc.) Du coup, l’amalgame des trois définitions conduit souvent en fait à masquer une défense corporatiste et coûteuse du service public qui au total porte atteint à la qualité, à l’accessibilité et à la compétitivité de ce service. Faute de cela non seulement tout service public disparaîtra des petites communes mais nombre de fonctions d’intérêt général vont aussi s’étioler dans les petites et moyennes villes (les hôpitaux par exemple). La problématique n’est pas simple, le service public pour certaines de ses activités constitue un atout indiscutable pour le progrès social mais aussi économique, il n’en demeure pas un boulet financier qui hypothèque son avenir. Avant d’envisager cette réforme du service public, il sera nécessaire au préalable de procéder à une évaluation qualitative et quantitative des contenus, du fonctionnement et du coût. L’évaluation qualitative est indispensable car ce n’est par la même chose par exemple en terme d’accessibilité d’avoir la possibilité d’obtenir un rendez vous au bout de 15 jours ou au bout de 5 mois chez un cardiologue ou un ophtalmologue. Autre exemple, Ce n’est pas non plu la même chose de disposer en permanence de la 4G en téléphonie mobile et de recevoir des SMS le lendemain de leur émission dans le zones blanches ou mal couvertes.