Ukraine : « La Crimée sera libérée »
L’explosion d’un camion a fortement endommagé ce samedi le pont de Kertch qui relie la Crimée à la Russie, ligne de ravitaillement capitale des forces russes pour tenir les territoires occupés du sud de l’Ukraine. La perspective d’une libération de la Crimée se dessinerait-elle ? Dans ce cas, quid des citoyens russes installés sur le territoire ? Entretien avec Tamila Tasheva, représentante du président ukrainien auprès de la République Autonome de Crimée. ( Les Echos)
Les autorités ukrainiennes ont exhorté les habitants de la Crimée à se préparer en cas d’actions militaires sur le territoire de la péninsule. Peut-on en déduire qu’en cas de libération de Kherson, une contre-offensive en Crimée aura lieu ?
« Cela fait huit ans que nous disons qu’il y a une guerre en Crimée. Pendant les huit années d’occupation, nous avons répété que le territoire de la Crimée avait été militarisé par la Russie, avec l’établissement de nouvelles bases militaires, notamment à Sébastopol.
Toute cette infrastructure militaire fonctionne désormais comme un tremplin pour une attaque, comme un flanc sud pour la Russie. Le droit international permet à l’Ukraine d’utiliser tout moyen à sa disposition pour libérer son territoire. Il est cependant important pour nous que le retour de la péninsule à l’Ukraine n’entraîne pas de victimes civiles. Le président ukrainien a répété à plusieurs reprises que la meilleure façon de récupérer la Crimée était par la voie diplomatique. Par conséquent, lors des négociations avec la Russie, y compris à Istanbul, il était important pour nous que la partie ukrainienne soulève toujours la question de la Crimée. »
Peut-on dire que les récents événements dans la péninsule ont été un catalyseur pour la résistance pro-ukrainienne en Crimée ?
« Oui, sans aucun doute. Il y a beaucoup de gens en Crimée qui sont enthousiasmés par ce qui se passe. Ce sont ceux qui ont toujours été pro-ukrainiens. Pendant 8 ans, ils ne savaient pas comment résister. Beaucoup de gens m’écrivent désormais, certains me demandent : ‘Dois-je partir déjà ou pas encore ?’.
Nous ne savons pas quand la libération aura lieu, mais nous savons qu’elle aura lieu. Tout se décide sur le champ de bataille. Une autre partie de la population est désemparée. Pendant 8 ans, la Russie leur a dit que tout allait bien, qu’il n’y avait de guerre, que le pont de Kertch est sécurisé. Les citoyens russes ont bénéficié de programmes pour s’installer en Crimée. Nombre d’entre eux quittent désormais la péninsule. »
Quel est le sort qui attend les personnes ayant collaboré avec la Russie depuis 2014 ?
« La propagande russe dit que toute la Crimée soutient la Russie, et c’est faux. En 2014, il y avait un certain pourcentage de personnes pro-russes en Crimée, mais ce n’était pas la majorité. Les Tatars de Crimée, qui ont été déportés par les autorités soviétiques, comprennent que l’Empire russe, puis l’URSS, puis la Russie moderne ont essayé de détruire leur culture et leur héritage.
Il y a des collaborateurs tatars de Crimée, mais ce sont tous des pro-russes qui étaient connus avant même 2014. Ces personnes ne sont pas soutenues par la majorité de la population tatare, et elles seront tenues pour responsables en vertu du droit ukrainien et international, pour avoir soutenu les revendications du régime d’occupation sur le territoire de la péninsule. Ce point a déjà fait l’objet d’une évaluation juridique en vertu du droit ukrainien. »
Dans quelle mesure la composition ethnique de la Crimée a-t-elle changé depuis 2014 ?
« Elle a beaucoup changé. On assiste à une colonisation moderne de la Crimée, avec l’installation de beaucoup de citoyens russes depuis 2014. Selon le droit ukrainien et international, ils sont arrivés illégalement sur le territoire de l’Ukraine.
Si vous venez sur le territoire d’un autre Etat, en franchissant illégalement la frontière, vous vous exposez à une expulsion. C’est tout. C’est une autre histoire pour ceux qui sont mariés et ont eu un enfant en Crimée. Ils pourront demander à résider sur la péninsule en toute légalité, et l’Etat ukrainien décidera s’il leur pardonne d’avoir enfreint la législation ukrainienne en matière de migration. Si oui, ils recevront un permis de séjour.
Nous sommes en train de créer ce cadre juridique en Ukraine, qui n’existe pas encore en ce qui concerne les nouveaux territoires occupés. Nous travaillons sur les questions d’amnistie, de citoyenneté, de propriété sur le territoire de la péninsule. Elles sont prioritaires, et sont toutes des questions compliquées à résoudre. Nous devrons d’abord reprendre le contrôle de ce territoire, puis les questions de réintégration seront résolues. »
Une personne ayant pris la nationalité russe après 2014 alors qu’elle se trouvait en Crimée et a vécu en Crimée mais a conservé un passeport ukrainien est-elle citoyenne de l’Ukraine ?
« Tout citoyen ukrainien qui a résidé en Crimée avant 2014 ou après 2014, qui est né d’un mariage ou d’un partenariat civil entre citoyens ukrainiens, est un citoyen ukrainien.
Nous avons un cadre juridique clair à ce sujet, adopté en 2014 : tous les documents délivrés par les administrations d’occupation, y compris les passeports d’occupation, sont illégaux et nuls. Nous ne les reconnaissons pas. Cette citoyenneté forcée est illégale au regard du droit international. »