Archive pour le Tag 'sens ?'

Politiques publiques : une perte de sens

Politiques publiques : une perte de sens


Six responsables économiques, politiques et sociaux, parmi lesquels Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, s’inquiètent, dans une tribune au « Monde », d’un malaise français lié à une segmentation des tâches. Ils appellent les gouvernants à reconstruire une vision commune de l’intérêt général. De 2009 à 2019, la France a été l’un des rares pays européens à augmenter ses dépenses de protection sociale en faveur de la grande exclusion (de 0,9 % à 1,2 % du PIB). En proportion, notre pays dépense environ le double de la moyenne de ses voisins dans ce domaine. Pour quel résultat ? Le taux de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian a augmenté sur la même période, de 13,5 % à 14,6 %, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques.
(Dans le Monde)

Ainsi, alors que le nombre de places en hébergement n’a jamais été aussi élevé (200 000), que les initiatives en faveur de l’insertion professionnelle des plus précaires se multiplient, que la crise ukrainienne a montré un élan formidable de solidarité en faveur des familles fuyant la guerre (plus de 110 000 Ukrainiens ont été accueillis), il flotte un sentiment de malaise.

Ce malaise, ce sont d’abord les difficultés vécues par les personnes précaires au quotidien, renforcées par le retour de l’inflation. Ce sont les femmes et les hommes qui, chaque soir, n’obtiennent aucune réponse du 115 et restent de plus en plus nombreux à la rue, en dépit des places d’hébergement créées. C’est l’allongement des files d’attente aux distributions alimentaires, en particulier des étudiants. C’est l’extension des campements en marge des métropoles, la multiplication des cas de prostitution de mineures, la persistance de « scènes de consommation » de drogue au cœur des villes, avec leur lot de violences…

Ce malaise, c’est encore l’augmentation de phénomènes de rejet, parfois violents, des plus précaires ou de ceux qui les accompagnent. Qu’ils soient migrants, sans-abri marginalisés, chômeurs de longue durée ou encore jeunes désocialisés, ils sont considérés comme des « autres », qu’il faut soit cacher, soit éloigner, soit contraindre à intégrer de force un « programme ». Bien sûr, un consommateur de drogue appelle des soins ; faut-il pour autant n’y voir qu’un usager irresponsable, là où l’addiction vient souvent mettre un couvercle sur l’insupportable quotidien de la grande précarité, fait de violences, de vexations et de problèmes de santé ? Bien sûr, l’immigration doit être régulée ; faut-il pour autant laisser attendre de nombreuses personnes sans aucune perspective d’intégration, sans permis de travailler, au risque de voir leur santé mentale se dégrader (si les réfugiés ukrainiens se sont intégrés, c’est aussi parce qu’ils avaient, eux, le droit de travailler…) ?

Panne d’essence ou de sens en France ?

Panne d’essence ou de sens en France ?

Il est clair que les perturbations dans la distribution de carburant affecte la vie des Français en particulier pour se rendre au travail. À juste titre des salariés des groupes pétroliers réclament leur part de gâteau. Pas étonnant quand on sait qu’une société comme Total a réalisé plus de 10 milliards de bénéfices pour le seul premier semestre essentiellement en raison de la spéculation pétrolière.

Le problème, c’est que le mouvement de raréfaction carburant touchent surtout ceux qui sont contraints d’utiliser la voiture dont la grande masse est constituée de salariés. Ceux-là ne peuvent pas se permettre le luxe d’avoir une heure ou deux de retard à l’embauche pour avoir utilisé d’autres modes de transport. Il y a donc une sorte de contradiction entre les revendications mêmes légitimes des salariés de sociétés pétrolières et les besoins de la population.

Notons cependant que cette rareté du carburant combinée en plus à l’envol des prix va dans le sens des écologistes radicaux qui réclament d’ailleurs en plus une taxe carbone au motif de l’effet prix. Ils sont rejoints en cela par certains économistes qui introduisent dans la logique de marché la problématique environnementale. En réalité, l’élasticité entre prix et demande est très faible dans la mesure où les moyens de transport ( même chose pour le chauffage) ne sont pas performants voire n’existe pas.

La cohérence passerait donc par une réduction de la demande y compris une baisse de la croissance voire même comme le demandent les ultras écolos la condamnation du travail !

Bref, il ne s’agit pas simplement d’une panne d’essence mais d’une panne de sens que souligne la crise actuelle du carburant.

Les mêmes contradictions se retrouvent sur les autres énergies. Ainsi la France comme d’autres pays européens , a délaissé ses approvisionnements en gaz avec le moyen-orient pour se ligoter avec les Russes.Parallèlement Engie ( résultat de la privatisation de GDF) n’a pas su diversifier ses approvisionnements et investir suffisamment dans des énergies alternatives.

Concernant l’électricité les contradictions sont encore plus criantes puisque la France a bien voulu se soumettre aux exigences des écologistes allemands en fermant d’une part Fessenheim et en prévoyant la fermeture de 14 réacteurs. La filière nucléaire a été complètement délaissée ; mais devant la crise Macon a complètement changé de position en décidant de revoir en hausse la part du nucléaire dans le mix énergétique avec notamment la construction de six EPR puis de six autres ultérieurement. Et toujours pour faire plaisir aux écolos, en même temps de construire les anecdotiques éoliennes et autres équipements solaires qui viennent toutes ou presque de Chine.

On pourrait multiplier les exemples de contradictions entre la politique économique, la politique énergétique et les préoccupations environnementales. La vérité c’est que le gouvernement depuis déjà des années navigue à vue sur des sujets qui au contraire nécessitent une vision de long terme et une cohérence. La guerre en Ukraine n’a fait que révéler les contradictions du pouvoir.

Pénurie d’essence ou de sens en France ?

Pénurie d’essence ou de sens en France ?

Il est clair que les perturbations dans la distribution de carburant affecte la vie des Français en particulier pour se rendre au travail. À juste titre des salariés des groupes pétroliers réclament leur part de gâteau. Pas étonnant quand on sait qu’une société comme Total a réalisé plus de 10 milliards de bénéfices pour le seul premier semestre essentiellement en raison de la spéculation pétrolière.

Le problème, c’est que le mouvement de raréfaction carburant touchent surtout ceux qui sont contraints d’utiliser la voiture dont la grande masse est constituée de salariés. Ceux-là ne peuvent pas se permettre le luxe d’avoir une heure ou deux de retard à l’embauche pour avoir utilisé d’autres modes de transport. Il y a donc une sorte de contradiction entre les revendications mêmes légitimes des salariés de sociétés pétrolières et les besoins de la population.

Notons cependant que cette rareté du carburant combinée en plus à l’envol des prix va dans le sens des écologistes radicaux qui réclament d’ailleurs en plus une taxe carbone au motif de l’effet prix. Ils sont rejoints en cela par certains économistes qui introduisent dans la logique de marché la problématique environnementale. En réalité, l’élasticité entre prix et demande est très faible dans la mesure où les moyens de transport ( même chose pour le chauffage) ne sont pas performants voire n’existe pas.

La cohérence passerait donc par une réduction de la demande y compris une baisse de la croissance voire même comme le demandent les ultras écolos la condamnation du travail !

Bref, il ne s’agit pas simplement d’une panne d’essence mais d’une panne de sens que souligne la crise actuelle du carburant.

Les mêmes contradictions se retrouvent sur les autres énergies. Ainsi la France comme d’autres pays européens , a délaissé ses approvisionnements en gaz avec le moyen-orient pour se ligoter avec les Russes.Parallèlement Engie ( résultat de la privatisation de GDF) n’a pas su diversifier ses approvisionnements et investir suffisamment dans des énergies alternatives.

Concernant l’électricité les contradictions sont encore plus criantes puisque la France a bien voulu se soumettre aux exigences des écologistes allemands en fermant d’une part Fessenheim et en prévoyant la fermeture de 14 réacteurs. La filière nucléaire a été complètement délaissée ; mais devant la crise Macon a complètement changé de position en décidant de revoir en hausse la part du nucléaire dans le mix énergétique avec notamment la construction de six EPR puis de six autres ultérieurement. Et toujours pour faire plaisir aux écolos, en même temps de construire les anecdotiques éoliennes et autres équipements solaires qui viennent toutes ou presque de Chine.

On pourrait multiplier les exemples de contradictions entre la politique économique, la politique énergétique et les préoccupations environnementales. La vérité c’est que le gouvernement depuis déjà des années navigue à vue sur des sujets qui au contraire nécessitent une vision de long terme et une cohérence. La guerre en Ukraine n’a fait que révéler les contradictions du pouvoir.

Grande démission : Surtout une quête de sens

Grande démission : Surtout une quête de sens

 

Le brown-out désigne une forme d’épuisement professionnel résultant d’une perte de sens : pourquoi faire ce que je fais ? En quoi et à qui est-ce utile ?… Un syndrome plus insidieux que le burn-out, parce que plus difficile à déceler, et pour lequel la crise sanitaire a joué un rôle certain d’amplificateur. Par Jérôme Crest, CEO cofondateur de Holivia et Nathan Guichard-Marsal, psychologue.( La Tribune)

 

Certains signes ne trompent pas : la hausse spectaculaire de la demande pour les bilans de compétences, le nombre croissant de reconversions professionnelles, les démissions en cascade dans certains secteurs… Ces signes du temps témoignent de la volonté des travailleurs de trouver du sens à ce qu’ils font. Cette volonté n’est certes pas nouvelle, mais la crise sanitaire lui a donné de la largeur d’épaules. Le climat d’incertitude des deux dernières années, les confinements successifs, ainsi que l’expérience soudaine et massive du télétravail ont conduit chacun et chacune à une forme d’introspection professionnelle, à « faire le point ».

Parce que la quête de sens est partout, la perte de sens a fait son coming out. On met des mots sur des maux et l’on s’autorise à parler émotions, doutes, désarroi : comprendre le « brown-out », dans un monde du travail où le sens n’est plus secondaire, c’est-à-dire subordonné au salaire ou au statut, est essentiel pour les organisations qui ont à cœur de favoriser le bien-être de leurs collaborateurs. L’expression « brown-out » renvoie à une baisse de courant dans un circuit électrique : baisse de tension qui se manifeste par une démission mentale chez le salarié qui ne comprend plus son rôle dans l’entreprise, l’utilité de sa fonction, voire de son métier. Il continue à effectuer sa tâche, mais sans entrain, sans motivation, mécaniquement, et jusqu’à la rupture, si rien n’est fait.

 

Seulement voilà : le « brown-out » est insidieux et difficile à identifier, tant pour ceux et celles qui en souffrent que pour les organisations. C’est pourquoi il faut s’interroger à la fois sur les mécanismes qui y conduisent et sur les moyens d’accompagner les salariés en perte de sens. Là encore, il y a des signes qui doivent alerter (repli sur soi, humeur morose, cynisme, désinvolture, désengagement…) et des outils à mettre en place pour prendre au quotidien le pouls de ses équipes et favoriser une parole libérée de la crainte du jugement. La communication et la réflexion autour du bon interlocuteur (manager, personnel RH, membre d’un CSE, psychologue) sont capitales : on ne sort pas de la spirale du « brown-out » sans une main tendue et une oreille attentive.

De fait, la question du sens est en elle-même bien difficile à appréhender. Un salarié qui ne perçoit plus sa valeur, ou celle de son travail, soit parce qu’il n’en tire aucune reconnaissance, soit parce que la tâche elle-même lui paraît dénuée d’intérêt ou d’utilité pour l’entreprise, a besoin de temps et de recul. Soit il parvient à réduire la dissonance entre le sentiment de sa propre valeur et la valeur qu’il donne à son travail, et se réengage, soit la dissonance est trop grande et il vaut mieux partir.

Bien sûr, quitter son emploi est plus facile à dire qu’à faire : mais quand on le peut, ce grand saut dans le vide est salutaire en ce qu’il oblige à reconsidérer son parcours et sa place, ses besoins, ses envies. C’est le temps propice au changement, le temps d’un second souffle professionnel où s’épanouir est le premier critère, dans un autre métier, une autre entreprise, ou même en créant la sienne. Il s’agit d’aller vers soi et ce qu’on veut vraiment, d’interroger sa raison d’être. Comme disait Mark Twain :

« Les deux jours les plus importants de votre vie sont le jour où vous êtes né et le jour où vous comprendrez pourquoi. »

 

Enfin, la perte de sens résulte parfois de l’incapacité, pour le salarié, à comprendre le dessein général auquel il participe. Sa fonction ne fait pas sens parce qu’on ne s’est pas donné la peine de lui expliquer comment elle bâtit de la valeur et pourquoi elle est importante.

Beaucoup de collaborateurs sont trop dans l’opérationnel et pas assez dans la stratégie : on leur parachute une ambition sans préciser en quoi ils constituent un maillon essentiel de la chaîne qui permet de la toucher du doigt. Or dans ce monde post-covid (espérons-le !), où chacun a revu ses priorités et où il n’est plus question de « perdre sa vie à la gagner », les entreprises ne peuvent plus faire l’économie d’une vision et d’une raison d’être claires, irriguant chacune de leurs strates et ne laissant personne sur le bord de la route, sans direction. On n’a jamais le bon vent quand on ignore vers quel port tendre.

Jérôme Crest et Nathan Guichard-Marsal

Retour au 90 km/h… et au bon sens local !

Retour au 90 km/h… et au bon sens local  !

 

La question de la fin de la limitation des vitesses à 80 km/h sur les routes départementales refait surface en France : pour quel résultat ? Par Fabrice Hamelin, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

 

Il est clair qu’une vision centralise imposant la même vitesse sur des infrastructures très différentes n’a guère de sens aussi bien pour le réseau départemental que pour les autres routes. Une régulation fine des vitesses adaptées au caractère des infrastructures reste encore à imaginer(.NDLR)

 

Avec les grands chassés-croisés de l’été, la sécurité routière retrouve une actualité médiatique. Après la discussion rouverte en juillet sur la sanction des petits excès de vitesse inférieurs à 5 km/h, le mois d’août réintroduit la question de la fin de la limitation des vitesses à 80 km/h sur les routes départementales.

De nouveaux départements rétablissent en effet une limite de vitesse à 90 km/h sur leurs routes, à l’exemple du Puy-de-Dôme, de l’Ardèche ou bientôt de l’Yonne.

L’assouplissement de la règle s’opère dans le cadre de la Loi d’Orientation des Mobilités du 26 décembre 2019, qui permet de déroger à l’abaissement à 80 km/h décidé il y a quatre ans. L’autorité détentrice du pouvoir de police de la circulation peut fixer, pour les sections de routes hors agglomération relevant de sa compétence, une vitesse maximale autorisée supérieure de 10 km/h à celle prévue par le Code de la route. Le Président du conseil départemental, le maire ou le Président de l’établissement public de coopération intercommunale peuvent le faire sur la base d’une étude d’accidentalité et après avis de la commission départementale de la sécurité routière.

En juin 2019, au lendemain du renoncement du Premier ministre, Edouard Philippe, quarante-huit Présidents de département se disent favorables au retour à 90 km/h. Mais, début 2020, 17 départements ont effectivement rétabli le 90 km/h sur certaines de leurs routes. Moins de 15.000 km de routes sur 400.000 sont alors repassées à 90 km/h. Parmi ceux qui renoncent, figurent quelques hérauts du combat mené contre l’abaissement des vitesses autorisés. Le Tarn, qui avait voté le retour à 90 km/h sur 600 km de voies dès juin 2019, recule. Dans la Nièvre, le cahier des charges et les règles de sécurisation routière sont jugées trop coûteuses. D’autres présidents invoquent explicitement des motifs de sécurité routière, à l’exemple de la Loire-Atlantique.

Bien entendu, la crise Covid et le confinement ont créé une nouvelle conjoncture. Des départements, qui s’apprêtaient à relever les limitations de vitesse, diffèrent la mise en œuvre. Fin juin 2021, la possibilité de relèvement a été utilisée dans 37 départements et, mi-2022, dans quarante-cinq. Il s’agit de la moitié des départements métropolitains pour 50.000 km de voiries.

D’un département à l’autre, les situations sont contrastées. Plusieurs de ceux qui ont saisi l’opportunité offerte l’on fait sur l’ensemble du réseau départemental (Corrèze, Cantal, Ardèche bientôt), d’autres sur les axes les plus structurants (Charente et Haute-Marne). Mais, globalement, le kilométrage de voies repassées à 90 km/h reste faible. Il se situe le plus souvent entre 5 et 20 % de l’ensemble du réseau départemental.

Ce sont néanmoins les voies qui accueillent le plus de trafic et qui relient les communes les plus importantes des départements. En Haute-Marne, 476 kms repassés à 90 km/h accueillent plus de 85 % du trafic.

Les « stratégies » et le calendrier diffèrent, mais n’était-ce pas ce que les élus des territoires demandaient dès le début de la controverse ? Dans la presse quotidienne, ces logiques du « cas par cas » sont justifiée par le « bon sens », « la responsabilité » des élus, les « demandes des usagers » etc.

Pendant plusieurs mois, la « responsabilité » juridique du décideur semble freiner le retour au 90 km/h. Sa responsabilité pénale pourrait être engagée, en cas d’accident sur une route passée de 80 à 90 km/h.

Mais ce sont surtout les « conditions techniques », établies dans les recommandations des experts du CNSR, dès juillet 2019, qui rendent la dérogation compliquée. Les tronçons de relèvement de la vitesse doivent faire au moins dix kilomètres de long, être dépourvus d’arrêts de transport en commun, de croisements ou de fréquentation par les engins agricoles…

Dans les justifications du retour à 90 km/h, l’objectif de sécurité routière semble secondaire. Les élus départementaux et leurs représentants au Parlement ont fini par imposer l’idée du « parisianisme » de la mesure, vu dans l’allongement des temps de trajet, la perte de compétitivité économique et d’attractivité de leurs territoires. Ils ont rappelé l’absence de solutions de substitution à la voiture et dénoncé les promesses non tenues de l’État, auquel ils attribuent la dégradation des infrastructures routières.

Ils insistent sur les spécificités de leurs territoires et particulièrement en zones rurales. Enfin, leurs messages au gouvernement ont peu changé depuis le début de la contestation : « les départements ne sont pas que des poseurs de goudron », « nous connaissons nos routes », « ce n’est pas un combat politique mais un combat pour la ruralité » !

La dimension politique du combat mené est explicite. Les grands élus des territoires demandent au gouvernement de respecter les prérogatives des exécutifs départementaux. La décentralisation fait que 98 % du linéaire routier relève des collectivités territoriales et que ce réseau accueille plus de 75 % des kilomètres parcourus. Pour certains, le combat est devenu plus personnel. Ils y ont investi leur crédibilité politique et leur légitimité de porte-parole des habitants. C’est le cas en Côte d’Or, en Haute-Marne ou en Seine-et-Marne. Le retour à 90 km/h reste un choix politique « conservateur ». Début 2021, 29 des 32 départements qui ont choisi le retour à 90 km/h ont une majorité de droite et de centre droit. En août 2022, 33 départements disposent d’une majorité de droite. Le choix n’est-il pas aussi partisan ?

La prise de parole des élus n’a pas fait disparaître l’expertise, dont le rôle a été central dans la décision gouvernementale d’abaisser les vitesses. Dès juillet 2019, à la demande du gouvernement, le comité des experts du CNSR a donné des recommandations techniques pour aider les exécutifs départementaux à prendre leur décision. Sans surprise, les élus les plus engagés les dénoncent comme trop contraignantes et inadaptées aux réalités locales. Les recommandations des experts leur offrent une occasion supplémentaire de dénoncer la « duplicité » du gouvernement d’Édouard Philippe.

L’expertise intervient aussi directement dans les départements, du fait du rôle dévolu à la commission départementale de sécurité routière. Son avis est requis, mais il reste consultatif et les départements n’ont pas l’obligation de s’y conformer. En Haute-Marne, par exemple, la commission s’est déclarée opposée au retour au 90 km/h sur 14 des 15 routes proposées par l’exécutif départemental. Cela n’a en rien empêché le changement des panneaux.

Si l’intention gouvernementale est de faire émerger une décision fondée sur des données accidentologiques fiables, des élus y voient aussi une opportunité pour mettre tous les acteurs du département autour de la table. Cette étape sert à la consultation des partenaires de la sécurité routière tant réclamée au gouvernement. Elle permet même à des départements d’envisager de se doter de leurs propres outils de suivi de l’accidentalité, comme en témoignent des propositions de création d’observatoires départementaux de sécurité routière.

Bref, la démarche offre l’opportunité de remettre en cause le monopole d’expertise que détient l’appareil d’État et de mieux associer les collectivités territoriales et les acteurs privés à la formulation de la politique de sécurité routière.

Enfin, en juillet 2020, le CEREMA a rendu publique l’évaluation commandée en 2018 par le Edouard Philippe, alors Premier ministre. Dans son rapport, l’organisme d’État rappelle que la méthode d’évaluation a été décidée en concertation avec les « experts indépendants du CNSR » et soumise à l’avis d’« experts indépendants de divers pays ». L’évaluation s’avère d’ailleurs plutôt complète. Elle porte sur les vitesses pratiquées, l’accidentalité, l’acceptabilité et les effets économiques de la mesure. Cette évaluation « multi-angles » entend documenter scientifiquement la « clause de revoyure » octroyée par le gouvernement. Au regard de ce travail, tous les indicateurs semblent au vert pour le 80 km/h.

Les angles d’analyse choisis rendent cependant ces résultats politiquement peu utiles : la mobilisation contre le 80 km/h est ignorée, les résultats accidentologiques paraissent frustrants et le gain économique pour la société peu compréhensible pour les usagers et les élus. Psychologues, économètres et ingénieurs ne tiennent pas compte de l’action collective. La présentation des résultats intervient dans un contexte défavorable et à une période où les jeux sont faits. La question du 80 km/h intéresse moins et pas selon les angles choisis par les évaluateurs et le commanditaire.

Le temps a apaisé les controverses et séparé les combattants. Les arènes publiques se resserrent autour de l’espace médiatique et le système d’acteurs se réduit aux seuls groupes de pressions concernés et aux autorités publiques. La coalition des opposants au 80 km/h ne mobilise plus guère au-delà des lobbies pro-vitesse, des sites et des journalistes spécialisés. Dans l’autre camp, la coalition s’est fracturée.

 

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Par Fabrice Hamelin, Enseignant-Chercheur en science politique, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Démocratie: Retrouver le sens de la délibération et du compromis

Démocratie: Retrouver le sens de la délibération et du compromis

 

Dans une tribune au « Monde », le spécialiste d’histoire politique invite à renouer avec la société de la délibération. C’est grâce à elle que, dans le passé, ont été conçues « les grandes lois constituant encore aujourd’hui le socle de notre vie démocratique ».

 

Il y a urgence de dépasser les affrontements stériles et caricaturaux. Témoin les débats actuels à l’Assemblée  plus proches du cirque que d’une réunion de responsables nationaux NDLR

 

« Je rêve d’un pays où l’on se parle à nouveau », disait Michel Rocard dans sa déclaration de politique générale, le 29 juin 1988. L’apôtre de la deuxième gauche, nommé à Matignon par François Mitterrand pour mener une politique d’ouverture, était à l’époque motivé par trois considérations. Primo, ses propres convictions, héritées de Pierre Mendès France, de la « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas et des travaux d’intellectuels comme Pierre Rosanvallon, prônant une démocratie rénovée par la délibération permanente entre les pouvoirs publics, les agents de l’Etat, les élus des territoires, les corps intermédiaires et les citoyens.

Secundo, la prolongation de la campagne menée par François Mitterrand pour sa réélection, une campagne de rassemblement et de pacification face à la brutalité des « clans » chiraquiens et du FN. Tertio, et c’était l’urgence de l’heure, la nécessité de gérer une situation de majorité relative à l’Assemblée nationale, qui obligeait le premier ministre à négocier texte par texte des majorités d’idées, dans la discussion, la concession et le compromis, soit auprès du groupe communiste, soit auprès des centristes, ce que le juriste Guy Carcassonne, grand négociateur de ces accords alternatifs, appelait non sans humour « la majorité stéréo ».

 

Des similitudes s’imposent entre ce « moment Rocard » et la situation actuelle. La demande sociale de délibération n’a cessé de se manifester depuis quelques années, que soit par le succès de la « démocratie participative » mise en avant par Ségolène Royal dans sa campagne de 2007, au moment des Nuits debout en 2016 ou des « gilets jaunes » en 2018-2019. Dans les meetings de l’ancienne candidate à la présidentielle, sous les tentes parisiennes ou sur les ronds-points de la France oubliée, c’était à chaque fois la même frénésie de discussion, de débats, une volonté affirmée de retrouver les grands moments délibératifs de notre histoire, des clubs de la Révolution française, de 1848 ou de la Commune de Paris.

Politique-Quel sens pour les concepts de gauche et de droite en France

Politique-Quel sens pour les concepts de gauche et de  droite en France

 

A la veille d’une nouvelle élection présidentielle, les Français ont-ils toujours des valeurs politiques très clivées ? Par Pierre Bréchon, Auteurs historiques The Conversation France; Bruno Cautrès, Sciences Po et Gilles Ivaldi.

Au cœur de cette campagne présidentielle, complexifiée par l’invasion de l’Ukraine et ses conséquences géopolitiques, de très nombreux articles et commentaires évoquent le brouillage des courants idéologiques au sein des forces politiques françaises. Ils n’en utilisent pas moins des vocables traditionnels tels que centre gauche, centre droit, gauche modérée ou radicale, « droite » des socialistes ou encore la « gauche » des Républicains. Que comprendre dans cette confusion à la fois sémantique mais aussi, parfois, idéologique ?

L’emploi généralisé – et pratique – des vocables de gauche et de droite remonte à un siècle ou deux, comme expliqué dans deux articles pour The Conversation, le premier juste avant l’élection présidentielle de 2017 pour rappeler cette histoire depuis la Révolution française, le second pour montrer que le vocabulaire fonctionnait toujours après l’élection, même si le nouveau président se voulait « ni gauche, ni droite » ou parfois « en même temps » de gauche et de droite.

D’après les enquêtes, les Français pouvaient toujours identifier le positionnement des hommes politiques en utilisant les critères de la gauche et de la droite, et qu’on observait toujours dans l’opinion de forts liens entre les valeurs des citoyens et leur positionnement sur une échelle gauche droite. Par ailleurs, les préférences en termes de politiques publiques sont, elles aussi, fortement marquées par la dimension gauche-droite : les citoyens qui veulent plus de dépenses publiques pour la santé et l’éducation ou qui ne souhaitent pas la réduction du nombre de fonctionnaires sont généralement plus à gauche, et ceux qui veulent plus de dépenses publiques et de moyens pour les politiques de sécurité ou plus de liberté pour les entreprises sont davantage à droite, comme l’ont montré plusieurs vagues l’enquête électorale 2017 du CEVIPOF, notamment les vagues 1 et 12.

Or, dans le même temps, depuis plusieurs décennies, un certain nombre d’observateurs critiquent ce vocabulaire qui, à leurs yeux, ne voudrait plus rien dire. Le sentiment d’une disparition du clivage gauche-droite est renforcé par le fait qu’une partie des électeurs est elle aussi dubitative à l’égard de notions dont elle ne perçoit plus véritablement le sens. Ce paradoxe s’explique assez bien : beaucoup de citoyennes et de citoyens ont l’impression que les gouvernants de droite et de gauche font à peu près les mêmes politiques, alors qu’eux même ont des valeurs assez marquées, soit à droite, soit à gauche.

Qu’en est-il en 2022, à la veille d’une nouvelle élection présidentielle complexifiée par la guerre en Ukraine ? Emmmanuel Macron vient juste d’officialiser sa candidature. Sa lettre aux Français dresse les grandes orientations de sa campagne, sans référence directe à la gauche et à la droite mais en utilisant discrètement des thématiques issues des deux camps, par exemple la lutte contre les inégalités ou l’invitation à la participation citoyenne pour la gauche, travailler plus et continuer la baisse des impôts pour la droite.

Les Français ont-ils toujours des valeurs politiques très clivées ? Quel impact peut avoir le fait que certains candidats, pour attirer davantage d’électeurs, peuvent parfois « brouiller les cartes » en retenant dans leur programme des positions nuancées, les unes renvoyant à des valeurs de droite, les autres à des valeurs de gauche ? L’importance du clivage de valeurs parmi les électeurs peut être analysée grâce aux résultats de deux enquêtes très récentes du Cevipof, le Baromètre de la confiance politique et l’Enquête électorale française.

Tout d’abord, l’enquête électorale mesure le positionnement de chacun sur l’échelle d’orientation politique, qu’on peut comparer aux résultats obtenus en décembre 2016. Dans les deux cas, seule une très faible minorité refuse de se positionner sur l’échelle gauche droite : 7% en 2022 contre 4% cinq ans avant. Les référentiels de la gauche et de la droite continuent donc de faire sens pour la très grande majorité des Françaises et des Français.

Le questionnaire du Baromètre de la Confiance politique récent énonce pour sa part des affirmations politiques renvoyant à des valeurs habituellement clivées entre gauche et droite dans trois domaines privilégiés : l’économie, l’immigration et l’islam, les questions de société. Qu’observe-t-on lorsqu’on considère les réponses de chaque groupe d’identité politique dans chacun de ces domaines ?

Pour l’économie tout d’abord  on voit que certaines affirmations, habituellement considérées comme de gauche – évoquant avec des termes nouveaux des opinions qui rappellent les discours de lutte des classes -, sont largement majoritaires dans l’opinion : pour 73% des répondants, l’économie fonctionne au bénéfice des patrons qui « exploitent » les travailleurs ; pour plus de la moitié (57%) des interviewés, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres pour établir la justice sociale.

Mais on trouve aussi des majorités conséquentes pour soutenir des idées économiques libérales, traditionnellement considérées comme de droite : les chômeurs sont suspectés de ne pas véritablement beaucoup chercher du travail par 61% des enquêtés ; il faudrait également réduire le nombre de fonctionnaires pour la moitié des répondants ; il faudrait aussi donner davantage de libertés aux entreprises (58%). La nécessité de se protéger dans un monde incertain et très concurrentiel est, elle, plus disputée -43% pensent que la France devrait se protéger davantage -, de même que le jugement sur l’appartenance de la France à l’Union européenne, qui est jugée positive par 43% des interviewés.

On peut en conclure qu’un certain nombre de Français, tout en étant très critique sur le fonctionnement d’une économie capitaliste, n’en accepte pas moins certains de ses fondements, manifestant non pas des incohérences mais des positions nuancées. On peut vouloir davantage de redistribution sociale tout en acceptant un système libéral.

Cela dit, pour chaque affirmation, on trouve de très fortes différences d’appréciation selon qu’on s’identifie à la gauche ou à la droite de l’échiquier politique, les opinions publiques montrant une certaine proximité avec les idées des candidats. La nécessité de se protéger avec des mesures de préférence nationale et de protectionnisme économique est au cœur des propositions des candidats d’extrême droite, Marine Le Pen et Éric Zemmour ; le discours de type anticapitaliste fait écho aux positions défendues par la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon ou Fabien Roussel ; le discours assez disqualifiant sur les chômeurs renvoie à certains propos polémiques d’Emmanuel Macron, dont le quinquennat a été marqué par la droitisation et par la mise en œuvre de politiques sociales incitatives de teneur libérale.

Ces tendances en fonction de l’échelle gauche droite ne sont cependant pas toujours linéaires. On voit notamment que la droite radicale a des idées parfois plus sociales que la droite modérée, traduisant l’ancrage populaire de son électorat, en particulier celui de Marine Le Pen, par exemple sur le retour à la retraite à 60 ans.

Les affirmations sur l’immigration et l’islam aboutissent à des conclusions semblables. Près de deux tiers des Français jugent qu’il y a trop d’immigrés en France et ont peur de l’islam qui mettrait en danger les valeurs de la République. Dans le même temps, la moitié de la population juge que les immigrés sont une source d’enrichissement culturel, ce qui montre là encore des nuances dans le discours majoritaire.

Ici, le clivage gauche-droite est particulièrement saillant : pour chaque affirmation, les écarts entre gauche et droite sont très importants, montrant que ces questions polarisent fortement les opinions publiques, probablement plus fortement qu’autrefois.

Enfin, sur les questions concernant les problèmes de société, le sentiment général de ne plus se reconnaître dans les valeurs de la société française est majoritaire dans les cinq groupes de positionnement politique, mais cependant beaucoup plus marqué chez les Français s’identifiant à la droite et à l’extrême droite, adeptes des valeurs traditionnelles. Le recours à la procréation médicalement assistée pour les femmes seules et homosexuelles est, on le voit, largement accepté, mais beaucoup plus à gauche qu’à droite. Les réponses sur le rétablissement de la peine de mort sont très partagées mais fortement dépendantes de l’orientation politique des individus (de 26% dans la gauche radicale à 77% à l’autre extrémité de l’axe politique).

 

Au final, les données montrent que le clivage gauche-droite, s’il s’est affaibli au fil du temps et a perdu de sa signification aux yeux d’un nombre important de citoyens, continue de structurer de manière significative les attitudes et les valeurs des Françaises et des Français, dans le domaine économique comme sur les questions culturelles ou les grands enjeux de société.

Pour autant, les marqueurs de gauche et de droite ont évolué et ne recoupent plus nécessairement aujourd’hui les contours de groupes sociaux homogènes, de classe ou de pratique religieuse. Ces évolutions reflètent les changements qui se sont opérés dans les grandes valeurs des Françaises et des Français depuis le début des années 1980 l’individualisation de ces valeurs.

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Par Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble ; Bruno Cautrès, Chercheur en sciences politiques, Sciences Po et Gilles Ivaldi, Chercheur en science politique, Sciences Po.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Quel sens pour les concepts de gauche et de droite en France

Quel sens pour les concepts de gauche et de  droite en France

 

A la veille d’une nouvelle élection présidentielle, les Français ont-ils toujours des valeurs politiques très clivées ? Par Pierre Bréchon, Auteurs historiques The Conversation France; Bruno Cautrès, Sciences Po et Gilles Ivaldi.

Au cœur de cette campagne présidentielle, complexifiée par l’invasion de l’Ukraine et ses conséquences géopolitiques, de très nombreux articles et commentaires évoquent le brouillage des courants idéologiques au sein des forces politiques françaises. Ils n’en utilisent pas moins des vocables traditionnels tels que centre gauche, centre droit, gauche modérée ou radicale, « droite » des socialistes ou encore la « gauche » des Républicains. Que comprendre dans cette confusion à la fois sémantique mais aussi, parfois, idéologique ?

L’emploi généralisé – et pratique – des vocables de gauche et de droite remonte à un siècle ou deux, comme expliqué dans deux articles pour The Conversation, le premier juste avant l’élection présidentielle de 2017 pour rappeler cette histoire depuis la Révolution française, le second pour montrer que le vocabulaire fonctionnait toujours après l’élection, même si le nouveau président se voulait « ni gauche, ni droite » ou parfois « en même temps » de gauche et de droite.

D’après les enquêtes, les Français pouvaient toujours identifier le positionnement des hommes politiques en utilisant les critères de la gauche et de la droite, et qu’on observait toujours dans l’opinion de forts liens entre les valeurs des citoyens et leur positionnement sur une échelle gauche droite. Par ailleurs, les préférences en termes de politiques publiques sont, elles aussi, fortement marquées par la dimension gauche-droite : les citoyens qui veulent plus de dépenses publiques pour la santé et l’éducation ou qui ne souhaitent pas la réduction du nombre de fonctionnaires sont généralement plus à gauche, et ceux qui veulent plus de dépenses publiques et de moyens pour les politiques de sécurité ou plus de liberté pour les entreprises sont davantage à droite, comme l’ont montré plusieurs vagues l’enquête électorale 2017 du CEVIPOF, notamment les vagues 1 et 12.

Or, dans le même temps, depuis plusieurs décennies, un certain nombre d’observateurs critiquent ce vocabulaire qui, à leurs yeux, ne voudrait plus rien dire. Le sentiment d’une disparition du clivage gauche-droite est renforcé par le fait qu’une partie des électeurs est elle aussi dubitative à l’égard de notions dont elle ne perçoit plus véritablement le sens. Ce paradoxe s’explique assez bien : beaucoup de citoyennes et de citoyens ont l’impression que les gouvernants de droite et de gauche font à peu près les mêmes politiques, alors qu’eux même ont des valeurs assez marquées, soit à droite, soit à gauche.

Qu’en est-il en 2022, à la veille d’une nouvelle élection présidentielle complexifiée par la guerre en Ukraine ? Emmmanuel Macron vient juste d’officialiser sa candidature. Sa lettre aux Français dresse les grandes orientations de sa campagne, sans référence directe à la gauche et à la droite mais en utilisant discrètement des thématiques issues des deux camps, par exemple la lutte contre les inégalités ou l’invitation à la participation citoyenne pour la gauche, travailler plus et continuer la baisse des impôts pour la droite.

Les Français ont-ils toujours des valeurs politiques très clivées ? Quel impact peut avoir le fait que certains candidats, pour attirer davantage d’électeurs, peuvent parfois « brouiller les cartes » en retenant dans leur programme des positions nuancées, les unes renvoyant à des valeurs de droite, les autres à des valeurs de gauche ? L’importance du clivage de valeurs parmi les électeurs peut être analysée grâce aux résultats de deux enquêtes très récentes du Cevipof, le Baromètre de la confiance politique et l’Enquête électorale française.

Tout d’abord, l’enquête électorale mesure le positionnement de chacun sur l’échelle d’orientation politique, qu’on peut comparer aux résultats obtenus en décembre 2016. Dans les deux cas, seule une très faible minorité refuse de se positionner sur l’échelle gauche droite : 7% en 2022 contre 4% cinq ans avant. Les référentiels de la gauche et de la droite continuent donc de faire sens pour la très grande majorité des Françaises et des Français.

Le questionnaire du Baromètre de la Confiance politique récent énonce pour sa part des affirmations politiques renvoyant à des valeurs habituellement clivées entre gauche et droite dans trois domaines privilégiés : l’économie, l’immigration et l’islam, les questions de société. Qu’observe-t-on lorsqu’on considère les réponses de chaque groupe d’identité politique dans chacun de ces domaines ?

Pour l’économie tout d’abord  on voit que certaines affirmations, habituellement considérées comme de gauche – évoquant avec des termes nouveaux des opinions qui rappellent les discours de lutte des classes -, sont largement majoritaires dans l’opinion : pour 73% des répondants, l’économie fonctionne au bénéfice des patrons qui « exploitent » les travailleurs ; pour plus de la moitié (57%) des interviewés, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres pour établir la justice sociale.

Mais on trouve aussi des majorités conséquentes pour soutenir des idées économiques libérales, traditionnellement considérées comme de droite : les chômeurs sont suspectés de ne pas véritablement beaucoup chercher du travail par 61% des enquêtés ; il faudrait également réduire le nombre de fonctionnaires pour la moitié des répondants ; il faudrait aussi donner davantage de libertés aux entreprises (58%). La nécessité de se protéger dans un monde incertain et très concurrentiel est, elle, plus disputée -43% pensent que la France devrait se protéger davantage -, de même que le jugement sur l’appartenance de la France à l’Union européenne, qui est jugée positive par 43% des interviewés.

On peut en conclure qu’un certain nombre de Français, tout en étant très critique sur le fonctionnement d’une économie capitaliste, n’en accepte pas moins certains de ses fondements, manifestant non pas des incohérences mais des positions nuancées. On peut vouloir davantage de redistribution sociale tout en acceptant un système libéral.

Cela dit, pour chaque affirmation, on trouve de très fortes différences d’appréciation selon qu’on s’identifie à la gauche ou à la droite de l’échiquier politique, les opinions publiques montrant une certaine proximité avec les idées des candidats. La nécessité de se protéger avec des mesures de préférence nationale et de protectionnisme économique est au cœur des propositions des candidats d’extrême droite, Marine Le Pen et Éric Zemmour ; le discours de type anticapitaliste fait écho aux positions défendues par la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon ou Fabien Roussel ; le discours assez disqualifiant sur les chômeurs renvoie à certains propos polémiques d’Emmanuel Macron, dont le quinquennat a été marqué par la droitisation et par la mise en œuvre de politiques sociales incitatives de teneur libérale.

Ces tendances en fonction de l’échelle gauche droite ne sont cependant pas toujours linéaires. On voit notamment que la droite radicale a des idées parfois plus sociales que la droite modérée, traduisant l’ancrage populaire de son électorat, en particulier celui de Marine Le Pen, par exemple sur le retour à la retraite à 60 ans.

Les affirmations sur l’immigration et l’islam aboutissent à des conclusions semblables. Près de deux tiers des Français jugent qu’il y a trop d’immigrés en France et ont peur de l’islam qui mettrait en danger les valeurs de la République. Dans le même temps, la moitié de la population juge que les immigrés sont une source d’enrichissement culturel, ce qui montre là encore des nuances dans le discours majoritaire.

Ici, le clivage gauche-droite est particulièrement saillant : pour chaque affirmation, les écarts entre gauche et droite sont très importants, montrant que ces questions polarisent fortement les opinions publiques, probablement plus fortement qu’autrefois.

Enfin, sur les questions concernant les problèmes de société, le sentiment général de ne plus se reconnaître dans les valeurs de la société française est majoritaire dans les cinq groupes de positionnement politique, mais cependant beaucoup plus marqué chez les Français s’identifiant à la droite et à l’extrême droite, adeptes des valeurs traditionnelles. Le recours à la procréation médicalement assistée pour les femmes seules et homosexuelles est, on le voit, largement accepté, mais beaucoup plus à gauche qu’à droite. Les réponses sur le rétablissement de la peine de mort sont très partagées mais fortement dépendantes de l’orientation politique des individus (de 26% dans la gauche radicale à 77% à l’autre extrémité de l’axe politique).

 

Au final, les données montrent que le clivage gauche-droite, s’il s’est affaibli au fil du temps et a perdu de sa signification aux yeux d’un nombre important de citoyens, continue de structurer de manière significative les attitudes et les valeurs des Françaises et des Français, dans le domaine économique comme sur les questions culturelles ou les grands enjeux de société.

Pour autant, les marqueurs de gauche et de droite ont évolué et ne recoupent plus nécessairement aujourd’hui les contours de groupes sociaux homogènes, de classe ou de pratique religieuse. Ces évolutions reflètent les changements qui se sont opérés dans les grandes valeurs des Françaises et des Français depuis le début des années 1980 l’individualisation de ces valeurs.

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Par Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble ; Bruno Cautrès, Chercheur en sciences politiques, Sciences Po et Gilles Ivaldi, Chercheur en science politique, Sciences Po.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

 

Pierre Bréchon, Bruno Cautrès et Gilles Ivaldi 

Entreprise : quelle recherche de sens ?

Entreprise : quelle recherche  de sens ?  

 

 

Dans la Tribune, Denis Lafay évoque la recherche de sens dans l’entreprise notamment de la part de la jeunesse. Un article très intéressant mais qui insiste aussi sur le fait que cette quête de sens ne saurait être satisfaite uniquement dans l’enceinte du travail.

 

« La grande démission » : c’est ainsi qu’est baptisé le tsunami des démissions outre-Atlantique. Ils sont en effet 38 millions d’Américains à avoir quitté leur emploi en 2021. La pandémie a constitué un facteur démultiplicateur, mais la vague avait commencé à prendre forme auparavant. Une vague composée majoritairement de jeunes, certains n’hésitant pas à scander leur décision émancipatrice voire libératrice sur les réseaux sociaux. Et ce qui est symptomatique du désarroi et/ou de la détermination de ces démissionnaires, à l’égard en premier lieu de l’entreprise et des employeurs, c’est que 40% d’entre eux ont « claqué la porte » sans nouveau point de chute ; au pays des couvertures sociales, chômage et santé anémiques, ce chiffre énoncé par le cabinet Mc Kinsey revêt une dimension encore plus spectaculaire.

En tête des raisons culminent le sentiment d’être insuffisamment valorisé par l’organisation et par les managers, et celui, déliquescent, d’appartenance au travail. Des motifs spécifiques que la propagation du télétravail exacerbe : nonobstant d’indéniables atouts, le télétravail est synonyme d’éloignement physique et « affectif », d’éclatement des cellules de travail et d’intelligence collective, de pression productiviste, de dilution conjuguée des sphères privée et professionnelle, de défi (ou plutôt de péril) managérial… bref, toutes « bonnes raisons » d’éprouver ces sentiments de non-reconnaissance et de distanciation.

« Notre génération doit écrire une nouvelle page de l’histoire du salariat. On doit forcer les entreprises à être meilleures, à nous traiter en êtres humains, à tenir leur parole ». Ainsi, rapporte Le Monde, s’exprime Gabby Ianniello, jeune New-Yorkaise qui « croyait être heureuse » en ayant « remboursé [ma] sa dette étudiante, perçu un salaire annuel de 100 000 dollars, obtenu un beau logement », ceci au service marketing d’une entreprise pour laquelle elle a « sacrifié santé physique et mentale ». Tout un symbole.

« A quoi ça (me) sert ? »

Face à cette déflagration, qui déstabilise le marché du travail et consacre le retournement du rapport de force historiquement dévolu aux employeurs, ces derniers rivalisent de louables intentions. Ils clament être désormais « pleinement déterminés » d’assurer à leurs collaborateurs équilibre des vies privée et professionnelle, rémunération revalorisée, bien-être psychique et physique. Une condition pour séduire les meilleurs candidats, une condition pour espérer les conserver. Mais une condition bien insuffisante, tant elle dissone des particularismes moraux, des réelles aspirations, des véritables exigences de cette jeunesse. Nombre d’entreprises sont désarmées, et les pansements qu’elles proposent sont loin de soulager durablement les doléances, encore moins de cautériser les plaies – en premier celles que ces générations Y et Z ont vu endolorir l’existence de leurs (grands-)parents lorsqu’ils étaient victimes d’indicibles pratiques managériales et sociales. Il est compréhensible que la population « baby-boom » regrette le désinvestissement quantitatif des jeunes générations ; mais outre qu’elle l’a conditionné par ses errements, ne doit-elle pas souligner avant tout l’investissement qualitatif qui les caractérise… lorsque les conditions sont réunies ? Et réveiller le goût du travail ?

Exemple savoureux, celui d’une Française expatriée au Canada. Recrutée par un « big four » (l’un des quatre grands cabinets mondiaux d’audit), elle s’est vue offrir une surenchère d’avantages : doublement du nombre de semaines de congés, multiples services « santé » (soutien psychologique, accès aux salles de sport, cours de yoga, etc.), promesse d’horaires de travail décents. Et avant même d’avoir débuté son contrat, de percevoir à sa grande surprise une substantielle augmentation de salaire – pour « s’aligner » sur ceux de la concurrence. Est-elle pour autant comblée ? Non. Trop de questions la tourmentent, qu’aucune réponse matérielle ne peut apaiser. En tête de ces interrogations : « Ce que j’accomplis chaque jour, à quoi ça me sert » ?  « A quoi ça me sert, et à quoi ça sert ? », s’inquiète, en écho à sa propre situation, l’une de ses amies qui imbrique avec clairvoyance l’intérêt intime et l’intérêt exogène – général et altruiste – de son métier.

 

« Sens » : cette quête, cette obsession est devenue un fourre-tout, un lieu commun, et pourtant un objet cardinal, capital, sur toutes les lèvres d’une jeunesse qui a engagé avec le travail et avec l’entreprise une relation d’une grande tension. Selon une étude du cabinet Yougov réalisée en septembre 2021, 78% des 18-24 ans interrogés « n’accepteraient pas un emploi qui n’a pas de sens pour eux ». Aligner le choix de leur travail sur leur corpus de valeurs n’est pas négociable. Il faut s’en réjouir. Il faut aussi en examiner les ressorts et les limites. Il faut, surtout, comprendre.

Jeunesse. Sens. Et valeurs – terme à manier avec précaution, tant il est désormais galvaudé voire instrumentalisé. Les mots sont lâchés. En préambule, il est déterminant de rappeler que la jeunesse est extraordinairement hétérogène ; elle est un kaléidoscope d’origines ou de marqueurs (sociaux, ethniques, culturels, territoriaux, scolaires), un archipel de trajectoires, et au final elle compose une « mosaïque de jeunesses ». Qu’ont de commun le fils de professeur d’université ou de chef d’entreprise « préparé » aux grandes écoles, le fils d’aide-soignante cloîtré dans sa cité d’Aubervilliers, le fils d’artisan élevé dans la campagne aveyronnaise ?

Ensuite, il faut distinguer l’origine ou l’objet du « sens » que traque cette jeunesse. Or domine souvent la confusion : le sens de l’activité de l’entreprise est indépendant du sens du métier exercé, du sens de la fonction occupée, du sens de la responsabilité accomplie. « Ces » sens peuvent s’agglomérer dans une dynamique vertueuse, ils peuvent aussi s’annihiler, ils peuvent enfin combiner une redoutable descente aux enfers. Quel sens affecte-t-on à son travail dans une ONG riche de sens et dont l’organisation ou le management dessèchent le sens des emplois ? Ne peut-on pas revendiquer, grâce à un climat social, une politique managériale, une culture entrepreneuriale, une authentique considération humaine vertueuse, un travail plein de sens au sein d’une entreprise dont l’activité est dépourvue de sens ? D’ailleurs, s’il est aisé de maquiller l’absence de sens de l’entreprise d’un vernis respectable – l’habile communication des fondations et des actions philanthropiques l’atteste -, il est impossible de camoufler et de travestir durablement les manquements managériaux et sociaux qui dissolvent le sens que l’exercice de l’emploi est censé fournir.

 

Enfin, il faut décortiquer la racine et la nature des motivations de cette jeunesse, il faut déchiffrer la substantifique moelle d’une dissidence qui peut effrayer, qui doit surtout questionner le cœur des entreprises : leur ADN, leur gouvernance, leur stratégie, leur fameuse « raison d’être ». Car s’il est un dénominateur commun à « toutes les jeunesses », c’est leur lucidité quant à la cohérence des discours et des actes, des promesses et des réalités diffusés par l’entreprise. Ces jeunesses observent l’entreprise d’un même œil exigeant : celui du consommateur et celui du salarié. Et si parfois elles poursuivent un cheminement duplice au gré des circonstances, elles ne sont dupes de rien et s’échappent sans scrupule lorsque l’opportunité survient. Les générations Y et Z ont appris de leurs aînés, ou plus précisément des précipices sociaux et environnementaux que ces derniers ont méthodiquement creusés, une disposition particulière : le cynisme.

Il existe pléthore d’études, d’enquêtes, de livres disséquant les propriétés intimes de cette jeunesse, qui font si peur aux entreprises encore sourdes ou dans l’incapacité, volontaire ou subie, d’accomplir la transformation nécessaire. Car là aussi le rapport de force s’est inversé, à leur détriment.

De ces travaux, que ressort-il ? Cette jeunesse est avide de liberté et d’exercer ses choix, elle est aussi particulièrement sensible à certaines scories de la société contemporaine : inégalités, discriminations, hyper-matérialisme, et rupture du « pacte générationnel de progrès social » que leur ascendance avait promise et devait cimenter. Des scories auxquelles l’entreprise, par essence, participe.

D’autre part, phagocytée par les nouvelles technologies de communication, d’information, de relations sociales et de travail, cette jeunesse cultive un rapport inédit au temps, au futur et au réel : son temps est immédiat, erratique, urgent, son futur a pour horizon le… présent, et son réel est, en partie, virtuel. Ce triple focus hypothèque un investissement durable et fidèle dans l’entreprise – investissement auquel elle n’est de toute façon plus disposée à associer de sacrifice ni de renoncement personnel et familial.

Cette tendance à la désaffiliation vis-à-vis de l’entreprise n’annonce en revanche aucun désengagement dans l’exercice du métier. Au contraire même, dès lors que la mission s’effectue dans un cadre culturel, social, managérial qui nourrit le sens espéré. « Les jeunes ne font plus du travail une obligation morale, confie au Monde le sociologue Olivier Galland. En cela, ils se démarquent des autres générations. Ils sont plus qu’avant motivés par l’intérêt du poste lui-même, par leur mission ». Et, faut-il ajouter, par le comportement de l’entreprise en matière environnementale.

 

C’est là le point central et universel de leurs revendications : la cause climatique et écologique. Dans son essai La Révolte (Seuil, 2021), la journaliste Marine Miller met en exergue et avec grande acuité le défi que se livrent la jeunesse hautement diplômée et les mondes de la formation et de l’entreprise. Où apparaît une vive contestation de cette jeunesse : à l’égard des modèles économiques enseignés (traditionnels, conservateurs et insuffisamment perturbés ou enrichis par les disciplines des sciences sociales), à l’égard d’une culture de la critique atrophiée, à l’égard d’une place ridicule réservée aux enjeux environnementaux et climatiques. Or cette jeunesse a soif de politiser son itinéraire professionnel, et exige que l’entreprise qui l’emploiera ne malmène pas ses valeurs écologiques. C’est, chez nombre de jeunes et cela quel que soit leur niveau d’études, un critère déterminant, même capital de leur orientation professionnelle.

Et cette vérité devenue évidence, Frédéric Dabi, directeur général Opinion de l’IFOP, et Stewart Chau en font la démonstration dans La fracture (Les Arènes, 2022). De cette étude Nouvelle vague conduite en février 2021 et mise en perspective de celles réalisées par l’institut de sondages à chaque décade depuis les années soixante et jusqu’en 1999, il ressort en effet que « l’environnement constitue assurément le sujet majeur qui alimente l’engagement des plus jeunes générations et devient un de ses marqueurs forts. Leur conscience écologique s’est nourrie de la crise sanitaire pour consacrer l’idée de vulnérabilité. Une sorte de « génération Paul Valéry » se fait jour, clamant d’une même voix : « Nous autres, civilisations, savons que nous sommes mortelles » ».

Au-delà, quelles aspérités cette jeunesse révèle-t-elle ? Un déficit abyssal d’idéal (42% déclarent nécessaire d’avoir un idéal pour vivre, ils étaient 82% à l’aube du XXIe siècle), un doute omniprésent et tentaculaire – y compris à l’endroit de la France, de l’Etat et de la démocratie -, une vive défiance à l’égard de la chose politique (élus comme élections), un désenchantement criant ; un séparatisme sur les enjeux de société - ces « indignés permanents », « profondément insatisfaits du fonctionnement de la société », expriment une très vive sensibilité aux thèmes de l’inégalité et des discriminations, terreau favorable aux postures wokistes, et « font bande à part ». Enfin, une éco-anxiété d’une soudaineté et d’une violence inédites : en septembre 2021, dans une enquête réalisée auprès de 10 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans de dix pays du Nord et du Sud, The Lancet énonçait que 75% d’entre eux jugent le futur « effrayant », 56% estiment l’humanité « condamnée », et 39% « hésitent à avoir des enfants ».

 

Mais cette jeunesse aussi – et surtout ? – « a toujours foi en elle, en sa force et en sa capacité d’intégration dans l’univers professionnel » ; elle demeure « optimiste, et bien davantage que dans le reste de la population » ; la crise pandémique n’a pas découragé son « goût du risque » ; elle confère à son avenir de grandes ambitions et un potentiel d’épanouissement très élevé – selon des niveaux d’adhésion nettement supérieurs à ceux observés en 2013 - ; et au final, elle démontre une « remarquable résilience ». « Ces jeunes croient en eux-mêmes, bien davantage que leurs aînés », soulignent les auteurs. Et ils croient en l’entreprise.

Effectivement, et ce n’est pas là le moindre des paradoxes, 80% des jeunes interrogés la plébiscitent, quelles que soient leur trajectoire personnelle et leurs convictions politiques. La « décrispation idéologique » s’est imposée, le goût d’entreprendre domine, et il faut s’en réjouir. Cette jeunesse a foi en l’entreprise. Mais pas n’importe laquelle. La « condition sine qua none » est son « comportement exemplaire sur le terrain environnemental et sociétal ». Il n’est pas inutile d’insister sur ce point… et de se féliciter que cette génération soit tout à la fois « lanceuse d’alerte et soldat au front, déterminée à inscrire dans la durée ses valeurs, son rapport au travail, sa vision de la politique, ses usages en matière d’information, ses aspirations pour les enjeux écologiques et ses nouvelles façons de commencer ». Reste une question fondamentale : est-il du devoir de l’entreprise de fournir du sens ? N’est-il pas audacieux voire périlleux de lui confier cette responsabilité ? N’est-ce pas en dehors de l’entreprise, dans sa vie familiale, amicale, culturelle, sportive, associative, qu’il faut approfondir sa quête sens ? Et d’ailleurs, est-ce en dehors de soi que l’on cultive le sens de son existence ? Dans le magnifique film d’animation Le Sommet des Dieux (Patrick Imbert, 2021) un alpiniste en marche vers son destin regarde la civilisation avec ironie. Il moque cette « quête de sens » collective à laquelle il se confronte : sa propre existence est sens.

Denis Lafay

Le vrai sens de l’union européenne

Le vrai sens de l’union européenne

 

Le tribunal constitutionnel polonais a récemment remis en cause la primauté du droit européen. Face à cette décision, Thierry Chopin, politiste et conseiller spécial à l’Institut Jacques-Delors, rappelle, dans une tribune au « Monde », que l’Union européenne est davantage qu’une entité interétatique.

 

 

Tribune. 
Dans une décision rendue le 7 octobre, le tribunal constitutionnel polonais a remis en cause l’un des principes cardinaux sur lequel repose l’Union européenne (UE) : la primauté du droit européen. La remise en question de ce principe fait l’objet depuis plusieurs années d’une tendance de la part d’autres cours constitutionnelles nationales. Néanmoins, la portée de la décision des juges polonais, qui répond à une question posée par le gouvernement eurosceptique en place à Varsovie, est d’une tout autre envergure et a déjà eu pour effet de doper le souverainisme juridique dans plusieurs Etats membres, et notamment en France. Dans un tel contexte, il est nécessaire de rappeler un certain nombre d’éléments conduisant à montrer pourquoi l’UE n’est pas une simple alliance entre des Etats souverains qui se considéreraient comme étant libres de se soustraire aux engagements souscrits auprès de leurs partenaires. 

 

Sur le plan du droit d’abord. Les Etats membres de l’UE sont réunis au sein d’une « union de droit » et sont tenus de respecter les engagements juridiques auxquels ils ont souscrit, que ce soit dans le cadre des traités ou lors de la production ou de la mise en œuvre du droit dérivé, l’application effective de ces engagements étant garantie par des mécanismes juridictionnels. Cette communauté s’appuie sur un ordre juridique propre dont l’autonomie, au regard du droit national, a été solidement établie. Après la tragédie du second conflit mondial, l’accent a été mis sur les droits fondamentaux comme le montrent les jurisprudences de la Cour de justice de l’UE et de la Cour européenne des droits de l’homme à partir de la fin des années 1960 et du début des années 1970.

Sur un plan plus directement politique, la possibilité pour « tout Etat européen [de] demander à devenir membre de la Communauté » (article 237 du traité de Rome) ne pouvait concerner, jusqu’à la chute du mur de Berlin, que les pays situés à l’ouest du rideau de fer, puis les pays du Sud (Espagne, Grèce et Portugal) après la fin des dictatures et des régimes autoritaires. Ce n’est qu’avec l’effondrement de l’Union soviétique que les pays d’Europe centrale, orientale et baltique ont pu rejoindre l’UE.

En 1991, le traité instituant l’UE dispose que « l’Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’Etat de droit, principes qui sont communs aux Etats membres » (art. 6) et que « Tout Etat européen qui respecte [ces] principes peut demander à devenir membre de l’Union » (art. 49). En 1993, le Conseil européen, lors du sommet de Copenhague, définit des « critères » économiques mais aussi politiques à respecter. Aujourd’hui, le respect de l’article 2 du traité sur l’UE et de la Charte des droits fondamentaux est une condition sine qua non de l’adhésion, mais également de la participation à l’UE.

Croissance– décroissance: Mais le PIB toujours au sens de la problématique !

Croissance– décroissance: Mais le PIB toujours au sens de la problématique !

 

L’enjeu n’est plus le développement matériel de nos sociétés, mais la transition écologique et sociale, rappelle l’économiste Aurore Lalucq dans une tribune au « Monde »(Extrait).

 

Tribune.

Le débat sur la croissance arrive à la fois au pire et au meilleur moment. Au meilleur, car il est plus que temps de nous interroger sur les finalités de notre modèle économique. Au pire, car notre débat public est incapable de supporter la moindre nuance. Or c’est bien de nuance qu’il va falloir nous armer si nous voulons éviter l’impasse à laquelle nous conduit l’opposition entre croissance verte et décroissance.

D’un côté, les tenants de la décroissance nous expliquent qu’il est urgent de « décroître » du fait de la corrélation entre croissance et émissions de gaz à effet de serre (GES). S’ils ont raison sur le diagnostic, ils négligent trop la manière dont ce discours peut être perçu.

En effet, pour bon nombre de personnes, la référence à la décroissance agit comme un repoussoir, véhiculant un imaginaire de privation. Ses détracteurs ne manquent d’ailleurs pas de la caricaturer comme un retour forcé à la bougie. Un discours particulièrement efficace, car nous avons été collectivement conditionnés par l’importance de la croissance et par la peur de sa disparition.

Difficile par ailleurs de parler de réduction de la consommation à des personnes qui n’ont jamais pu totalement y goûter. Et si cela est vrai en France, ne parlons même pas des pays qui n’ont pas eu accès aux mêmes possibilités de développement, car nous les avons privés de leur « droit à polluer ».

De l’autre côté, les hérauts de la croissance verte nous expliquent qu’il serait possible de découpler émissions de GES et croissance, autrement dit de produire plus en polluant moins, et ce, grâce au progrès technique. Malgré des innovations certaines, la promesse du découplage permis par une rupture technologique reste à l’état de chimère.

L’Agence européenne de l’environnement estime que le découplage semble « peu probable », rappelle qu’« aucun consensus scientifique n’a jamais émergé au fil des années » et que, pour atteindre nos objectifs climatiques, nous allons être obligés de mettre la croissance de côté.

 

Parier sur le découplage serait donc irresponsable, alors que toute la communauté scientifique s’accorde sur l’urgence d’agir pour limiter l’impact du dérèglement climatique. Mais on ne peut pour autant disqualifier en bloc la logique qui sous-tend ce discours, à savoir la peur de renoncer à la prospérité. Mais croissance et prospérité vont-elles encore de pair ? Rien n’est moins sûr tant on observe, dans nos économies développées, un décrochage entre l’évolution du produit intérieur brut (PIB) et celle du bien-être depuis plus de quarante ans.

L’e-commerce: le sens de l’histoire….. tragique

L’e-commerce: le sens de l’histoire….. tragique

 

Thierry Petit, PDG de Showroomprivé, dans une interview au Figaro se livre à un plaidoyer en faveur du commerce numérique considérant que c’est le sens de l’histoire. Il oublie sans doute de préciser que l’histoire pourrait bien être tragique dans la mesure où l’extrême domination des géants du numérique en particulier d’Amazon impose des produits sans concurrence possible compte tenu des distorsions dans le domaine fiscal et social. Les réseaux de distribution dominants imposent en plus leur propre marc et seront directement responsables non seulement de la mort de nombre de producteurs mais aussi des circuits de distribution classiques.

 

Showroomprive.com est un site de vente événementielle en ligne. C’est la principale filiale de SRP Group, société cotée à la bourse de Paris. Le site propose chaque jour à ses membres en France et dans six autres pays européens des ventes événementielles exclusives avec des réductions

 

Le cofondateur et codirigeant, avec David Dayan, de Showroomprivé se réjouit évidemment du développement du commerce numérique.

 

Qu’avez-vous retenu de la crise sanitaire?

 

Thierry PETIT. - L’incroyable résilience de tout l’écosystème du commerce! Les marques, les clients, les logisticiens, La Poste… tout le monde a su s’adapter. Chez Showroomprivé, nous sortions à peine de deux années de restructuration quand la pandémie a commencé l’an dernier. Nous avons basculé en mode urgence et nos salariés ont su trouver les solutions, même quand il fallait faire des shootings photo en plein confinement. Résultat: 2020 a été une année de croissance pour nous, dans un contexte qui a dopé le commerce en ligne.

L’e-commerce ne va-t-il pas refluer avec la réouverture des magasins?

La pénétration du digital a pris deux ou trois années d’avance par rapport à ce qui était escompté avant la pandémie. En mode, de nouveaux consommateurs se sont convertis aux achats en ligne.

Les Français et l’argent : un nouveau sens ?

Les Français et l’argent : un nouveau sens ? 

D’après une étude menée par le Crédit Coopératif et ViaVoice dont rencontre Figaro, plus qu’un marqueur social, l’argent serait aujourd’hui un marqueur de valeurs. En effet, sur les 1030 personnes interrogées, seules 5% perçoivent désormais l’argent comme une illustration de la réussite et de l’atteinte d’un statut social. Une donnée « frappante » pour Claudia Senik, professeur d’économie à la Sorbonne et co-auteur avec Daniel Cohen de Les Français et l’argent (Albin Michel, 2021)

Pour la chercheuse, ce résultat montre en creux « l’importance des dimensions symboliques, politiques et culturelles dans la manière dont les Français se voient » et cette perception peut s’expliquer par une tradition culturelle spécifiquement française « attachée à des valeurs aristocratiques et moins matérialistes ».Ces évolutions trouvent notamment leurs racines dans une nouvelle conviction : 69% des Français estiment que responsabilité et performance de l’économie sont conciliables. Toutefois, même si les Français aspirent à changer leurs comportements pour faire advenir cette économie responsable, 40% d’entre eux ne savent pas comment s’y prendre ou vers qui se tourner. La moitié des personnes interrogées pointent également la nécessité d’un engagement collectif.

Daniel Cohen, professeur à la Paris school of economics (PSE), reste toutefois prudent sur ces affirmations, «il y a une énorme disjonction entre ce que disent les gens et ce qu’on sait de leurs comportements, surtout en France» nuance l’économiste qui veut toutefois croire que ces bonnes intentions seront suivies d’actions .

La crise: près de 70 % des cadres en quête de sens

La crise: près de 70 % des cadres en quête de sens

 

 

 

 

68% des cadres souhaitent « changer de poste, de métier, d’entreprise, quitter le statut de salarié et/ou réaliser une mobilité géographique dans les deux ans à venir », révèle une enquête IFOP-freelance.com.

 

40% d’entre eux déclarent avoir déjà « eu envie de démissionner ces derniers mois », selon une enquête IFOP avec la plateforme freelance.com publiée ce mardi.

 

Les préoccupations des cadres sont surtout centrées sur des problèmes de quête de sens et de localisation géographique. Le développement du télétravail a de ce point de vue agit comme une sorte de révélateur des aspirations profondes.

 

78% d’entre eux souhaitent pouvoir travailler à distance « au moins un jour par semaine », note l’étude IFOP-freelance.com.

 

Face à leur quête de « sens », de nombreux experts, comme l’anthropologue David Graeber, affirment que la crise du Covid-19 a mis en lumière les « bullshit jobs », en particulier dans ces professions. « Beaucoup de personnes, notamment chez les cols blancs c’est-à-dire les managers et les cadres du secteur privé comme public, prétendent travailler énormément tout en suspectant leur travail d’être dénué d’une réelle utilité », déclarait-il fin avril 2020 dans une interview à GoodPlanet’Mag.

 

Taxe GAFA : Berlin brosse dans le sens du poil les États-Unis

Taxe GAFA : Berlin brosse dans le sens du poil les États-Unis

 

L’Allemagne est très dubitative pour ne pas dire opposée à une taxe GAFA sur les grands du numérique américain. L’Allemagne craint en effet des mesures de représailles américaines qui viendraient peser sur ses exportations.

Du coup, c’est avec un zèle surprenant que le ministre des finances allemand a adressé des félicitations aux États-Unis pour la nomination de Janet Yellen comme première femme au poste de secrétaire au Trésor, disant espérer qu’elle pourra contribuer à avancer vers un accord international sur la taxation des géants du numérique.

L’Allemagne se contenterait bien d’un accord au rabais si cela peut empêcher une hausse significative des tarifs douaniers sur l’exportation de ces machines et de ses automobiles notamment. Cette déclaration d’amour de l’Allemagne vise aussi sans doute à rééquilibrer la position de l’Europe qui jusque-là militait  pour une taxe gafa sous la pression notamment de la France. Une manière de rappeler que le moteur de l’Union européenne est en Allemagne et non pas en France

“Félicitations aux Etats-Unis pour avoir fait ce choix exceptionnel ! Janet Yellen est une personne très impressionnante”, a réagi Olaf Scholz, ajoutant être très impatient de collaborer avec l’ancienne présidente de la Réserve fédérale américaine, confirmée lundi au poste de secrétaire au Trésor à Washington.

Olaf Scholz a déclaré à Reuters que l’Europe et les Etats-Unis étaient des partenaires naturels et s’est dit “convaincu” que les deux blocs pouvaient ensemble “accomplir davantage” pour leurs citoyens.

Aux yeux de Berlin, l’une des questions clé à régler dans les prochains mois avec Washington est la taxe sur les grandes entreprises du numérique – les “Gafa”, pour Google, Amazon, Facebook et Apple.

“J’entends effectuer des avancées décisives et conclure un accord à l’OCDE cet été”, a fait savoir Olaf Scholz. “La pandémie de coronavirus nous montre une nouvelle fois combien il est important que toutes les entreprises paient leur tribut”.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a prévenu en octobre qu’un échec des discussions internationales sur le sujet pourrait générer jusqu’à 100 milliards de dollars de manque à gagner et déclencher une guerre commerciale.

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