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« Rassemblement » contre « Front » : une sémantique symbolique

« Rassemblement » contre « Front » : une sémantique symbolique

À l’issue des élections européennes, qui ont vues la nette victoire du Rassemblement national, et la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République, les partis de gauche ont acté la mise en place d’un « front populaire » pour les législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet. Aujourd’hui, il semble y avoir une inversion des termes qui orientent l’interprétation de l’offre politique : à travers la manière dont ils se désignent, le RN pourrait être vu comme un parti de propositions alors que les formations qui avaient constituées la Nupes seraient perçues comme un ensemble d’opposition. préciser cela, interrogeons-nous sur ce que nous apprend cette dénomination de « front populaire » dans le contexte de ces élections ? En quoi diffère-t-il du « front républicain » que l’on a pu connaître en 2022 particulièrement actif dans les années 1990 à 2010. Dans le discours politique, le terme « république » a un usage ritualisé qui donne au concept une valeur «  quasi religieuse  ».

 

par 

Professeur des universités en sciences du langage, AGORA/IDHN, CY Cergy Paris Université dans The Conversation

On remarquera aussi qu’à l’inverse de ce mouvement relatif aux fronts (républicain puis populaire), le Front national a préalablement choisi de changer de nom, pour devenir un Rassemblement.

Certes, les raisons de ce changement sont en partie historiques (en lien avec l’héritage de Jean-Marie Le Pen), mais il s’agit aussi d’une stratégie d’ouverture, en plus de celle de dédiabolisation.

Finalement, avec ce renversement des dénominations, ne serait-on pas face à un enjeu plus important : du FN au RN, on passe du FN contestataire au RN rassembleur. En effet, tant qu’il se nommait « Front », le FN véhiculait une image d’opposition, et de positionnement face à quelque chose de préalable : en devenant le « Rassemblement », il cherche à prendre une dimension pro-active, qui ne se définit pas au regard d’un tiers.

Si le Front populaire fait évidemment référence au Front populaire de 1936, il ancre contextuellement l’orientation à gauche, et vise à fédérer les partis concernés (PS, PCF, EELV et LFI).

En fédérant ainsi, il ne rassemble plus toutes les forces dites « républicaines », alors que le Rassemblement national apparaît comme fédérateur des « patriotes », terme largement revenu dans les éléments de langage du RN lors de la soirée électorale.

 

Selon le Trésor de la langue française informatisée (TLFI), un front, dans le contexte politique, est une « Coalition de partis politiques en vue d’une action commune », en particulier la « coalition des partis de gauche au pouvoir en France, en 1936 ». Cette coalition crée aussi une représentation des forces en présence, comme le communiqué de presse publié le 10 juin en atteste :

« Nous appelons à la constitution d’un nouveau front populaire rassemblant dans une forme inédite toutes les forces de gauche humanistes, syndicales, associatives et citoyennes. Nous souhaitons porter un programme de ruptures sociales et écologiques pour construire une alternative à Emmanuel Macron et combattre le projet raciste de l’extrême droite. »

Si ce front populaire est qualifié de « nouveau » c’est peut-être qu’au lieu d’un adversaire, il vise à en repousser deux (Emmanuel Macron et l’extrême droite). Le « front » peut aussi faire référence à une « ligne de démarcation », une barrière – qui rejoint aussi le « barrage » invoqué face à la montée de l’extrême droite.

Le rassemblement, dans le cadre du « Rassemblement national », mobilise de son côté « l’action de rassembler ou de se rassembler », ou l’« action de mettre ensemble ». Ici, « rassemblement » est suivi d’un adjectif désignant ce qui est rassemblé : dans son étymologie, en 1426 le rassemblement est l’action de « rassembler des choses dispersées ».

Les deux stratégies s’opposent donc, et créent aussi une sorte de renversement historique, puisque traditionnellement le Front national était vu comme un parti protestataire et d’opposition, et qu’il apparaît maintenant comme le parti qui rassemble, et vis-à-vis duquel les autres partis protestent et s’opposent.

Si comme nous l’avons mentionné le Front populaire active une mémoire discursive du fait de la dimension historique de l’expression, renvoyant au premier Front populaire de 1936 mené par Maurice Thorez, Léon Blum, la charge linguistique due au contexte actuel ajoute aussi une dimension plus « littérale » de l’expression.

Faisons un très rapide détour grammatical sur le fonctionnement des adjectifs, en particulier leurs fonctions de qualification et de catégorisation.

Si j’analyse l’adjectif « vert » dans « voiture verte » et classe verte », je peux dire que vert est qualifiant pour voiture, mais qu’il est catégorisant pour classe. Des tests linguistiques attestent des propriétés différentes de ces deux types d’adjectifs. Ainsi la nominalisation « le vert de la voiture » est possible, mais pas « le vert de la classe » ; de même on peut dire « la voiture qui est verte » mais pas « la classe qui est verte.

Dans notre contexte politique, nous observons différents usages de l’adjectif « populaire », dont l’usage qualifiant ou catégorisant varie notamment en fonction de l’ajout de « nouveau ». Par exemple lorsque le PS diffuse ce message

Par contre, on voit apparaître un autre usage par François Ruffin. L’expression « Une bannière : front populaire ! » s’ancre davantage dans l’usage qualificatif de populaire pour illustrer le fait que l’opposition est celle du peuple, et qu’elle s’ancre dans un programme de gauche.

Certes, on pourra objecter que ce sont des broutilles qui n’intéressent que des linguistes… Pourtant, cette distinction, se trouvent deux visions : d’un côté la réactivation d’un symbole du passé, une icône, qui est vue comme un argument d’autorité, et de l’autre un message de la gauche pour le peuple et les électeurs de gauche, qui qualifie la coalition de populaire.

Avec l’expression « Faire front populaire », qui fonctionne presque comme un mot-valise, en groupant « Faire front » et « Front populaire », et en mettant en valeur l’adjectif « populaire » dans l’action à entreprendre. Ce titre fonctionne aussi comme un défigement des expressions « faire front » et « front populaire ». Elle procède à ce que l’on peut appeler une « remotivation » de la signification des termes, dans la mesure où « faire » et « populaire » s’interprètent pleinement : l’action, et le peuple, deviennent constitutifs du front. Aussi, nous n’avons pas seulement le terme collectif, « coalition », mais l’idée que la lutte ou l’opposition est intrinsèque à ce regroupement.

Cette dualité de sens est nouvelle en pareilles circonstances, puisque lors de précédentes élections, l’invocation d’un « Front républicain » n’avait pas la charge mémorielle du « Front populaire ». Par ailleurs, l’adjectif républicain est utilisé de manière performative, pour donner de l’efficacité à l’expression sans que son sens littéral ne soit activé.

Aujourd’hui, « populaire » a certes les attraits du peuple, mais l’adjectif est aussi ambigu, pouvant avoir des connotations péjoratives (voir les expressions « quartier populaire », « musique populaire » etc.). Il y a donc des enjeux linguistiques et communicationnels très forts dans les stratégies de dénomination des protagonistes du débat.

En face, le RN, d’un point de vue terminologique, a fait le choix du terme « rassemblement », qui ne présuppose pas l’opposition, et a précisé la nature de la mise en commun des éléments avec le qualificatif « national » : il tente d’afficher une unité même si ses entités sont différentes, alors que le front populaire vise à créer une démarcation entre plusieurs ensembles.

Les prochains jours nous dirons comment la charge sémantique des mots et expressions utilisées pour se désigner, et désigner ses adversaires, impactera le débat : fédérer et rassembler, lutter et s’opposer, agir ou réagir, un grand nombre de termes, liés aux champs lexicaux du front et du rassemblement, pourront être mobilisés.

« Réarmement  » de Macron : une révolution sémantique de salon

« Réarmement « : une révolution sémantique de salon

Partout désormais c’est le mot d’ordre de réarmement qui domine la plupart des sujets politiques dans le domaine civique, dans le domaine de la santé, celui de la formation, de l’industrialisation de la démographie et de la simplification.

Une sémantique de type marketing bien mal adapté au sujet qu’elle prétend traiter. Le véritable armement en tout cas le premier est celui de la sécurité et de la défense. Or Attal a tout simplement oublié d’évoquer la situation géopolitique très tendue qui se manifeste aujourd’hui par une guerre proche des frontières de l’Europe. Or si la France dispose d’une armée complète c’est une armée cependant miniature qui ne résisterait pas un mois face aux russes. Certes il y a la programmation de la loi militaire. Des promesses déjà faites mais rarement tenues. Et ce service national qui ne ressemble strictement à rien de deux ou trois semaines qui n’a rien de militaire et qui ressemble à une colonie de vacances. Par l’expérience des récents conflits au Proche-Orient comme en Ukraine montre qu’en dernier ressort ce sont les troupes au sol qui compte et qui se font massacrer faute de matériel certes mais surtout aussi de formation.

Pour le reste le réarmement constitue un terme bien inadéquate pour parler de santé, d’économie, d’éducation et pire, de démographie.

Comment croire à ce concept de réarmement évoqué en président en permanence par un président qui n’a pas jugé bon de faire son service militaire. Ce discours guerrier n’a d’écho que dans les salons. En outre il fait l’impasse sur nombre de champs régaliens où là il faudrait effectivement durcir comme le trafic de drogue, la sécurité ou l’islamisme. Face au vide, on tente de combler par des mots inadaptés et creux « Nous sommes prêts à affronter pour avancer. La France n’a jamais été et ne sera jamais une nation qui subit. Ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. »

« Notre agriculture est une force. Pas simplement parce qu’elle nous alimente au sens propre du terme, mais parce qu’elle constitue l’un des fondements de notre identité, de nos traditions »

Mais où est l’analyse, la vision, la prospective ?

Un seul exemple des contradictions en matière de simplification. Le premier ministre promet de supprimer tous les organismes plus ou moins paritaires et-ou administratifs qui ne se seraient pas réunis pendant un an. Et ce qui au contraire se réunissent trop souvent et qui ne cesse de produire procédures , contrôles et sanctions inutiles ?

Ce ne sont pas les institutions qui roupillent qu’il convient de supprimer en premier mais les institutions qui débordent de hauts fonctionnaires qui justifient leur salaire en en complexifiant la vie économique et sociale et la société.

Concept de « Réarmement « : surtout une révolution purement sémantique

Concept de « Réarmement « : surtout une révolution purement sémantique de salon

Partout désormais c’est le mot d’ordre de réarmement qui domine la plupart des sujets politiques dans le domaine civique, dans le domaine de la santé, celui de la formation, de l’industrialisation de la démographie et de la simplification.

Une sémantique de type marketing bien mal adapté au sujet qu’elle prétend traiter. Le véritable armement en tout cas le premier est celui de la sécurité et de la défense. Or Attal a tout simplement oublié d’évoquer la situation géopolitique très tendue qui se manifeste aujourd’hui par une guerre proche des frontières de l’Europe. Or si la France dispose d’une armée complète c’est une armée cependant miniature qui ne résisterait pas un mois face aux russes. Certes il y a la programmation de la loi militaire. Des promesses déjà faites mais rarement tenues. Et ce service national qui ne ressemble strictement à rien de deux ou trois semaines qui n’a rien de militaire et qui ressemble à une colonie de vacances. Par l’expérience des récents conflits au Proche-Orient comme en Ukraine montre qu’en dernier ressort ce sont les troupes au sol qui compte et qui se font massacrer faute de matériel certes mais surtout aussi de formation.

Pour le reste le réarmement constitue un terme bien inadéquate pour parler de santé, d’économie, d’éducation et pire, de démographie.

Comment croire à ce concept de réarmement évoqué en président en permanence par un président qui n’a pas jugé bon de faire son service militaire. Ce discours guerrier n’a d’écho que dans les salons. En outre il fait l’impasse sur nombre de champs régaliens où là il faudrait effectivement durcir comme le trafic de drogue, la sécurité ou l’islamisme. Face au vide, on tente de combler par des mots inadaptés et creux « Nous sommes prêts à affronter pour avancer. La France n’a jamais été et ne sera jamais une nation qui subit. Ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. »

« Notre agriculture est une force. Pas simplement parce qu’elle nous alimente au sens propre du terme, mais parce qu’elle constitue l’un des fondements de notre identité, de nos traditions »

Mais où est l’analyse, la vision, la prospective ?

Un seul exemple des contradictions en matière de simplification. Le premier ministre promet de supprimer tous les organismes plus ou moins paritaires et-ou administratifs qui ne se seraient pas réunis pendant un an. Et ce qui au contraire se réunissent trop souvent et qui ne cesse de produire procédures , contrôles et sanctions inutiles ?

Ce ne sont pas les institutions qui roupillent qu’il convient de supprimer en premier mais les institutions qui débordent de hauts fonctionnaires qui justifient leur salaire en en complexifiant la vie économique et sociale et la société.

Concept de « Réarmement « : surtout une révolution purement sémantique de salon

Concept de « Réarmement « : surtout une révolution purement sémantique de salon

Partout désormais c’est le mot d’ordre de réarmement qui domine la plupart des sujets politiques dans le domaine civique, dans le domaine de la santé, celui de la formation, de l’industrialisation de la démographie et de la simplification.

Une sémantique de type marketing bien mal adapté au sujet qu’elle prétend traiter. Le véritable armement en tout cas le premier est celui de la sécurité et de la défense. Or Attal a tout simplement oublié d’évoquer la situation géopolitique très tendue qui se manifeste aujourd’hui par une guerre proche des frontières de l’Europe. Or si la France dispose d’une armée complète c’est une armée cependant miniature qui ne résisterait pas un mois face aux russes. Certes il y a la programmation de la loi militaire. Des promesses déjà faites mais rarement tenues. Et ce service national qui ne ressemble strictement à rien de deux ou trois semaines qui n’a rien de militaire et qui ressemble à une colonie de vacances. Par l’expérience des récents conflits au Proche-Orient comme en Ukraine montre qu’en dernier ressort ce sont les troupes au sol qui compte et qui se font massacrer faute de matériel certes mais surtout aussi de formation.

Pour le reste le réarmement constitue un terme bien inadéquate pour parler de santé, d’économie, d’éducation et pire, de démographie.

Comment croire à ce concept de réarmement évoqué en président en permanence par un président qui n’a pas jugé bon de faire son service militaire. Ce discours guerrier n’a d’écho que dans les salons. En outre il fait l’impasse sur nombre de champs régaliens où là il faudrait effectivement durcir comme le trafic de drogue, la sécurité ou l’islamisme. Face au vide, on tente de combler par des mots inadaptés et creux « Nous sommes prêts à affronter pour avancer. La France n’a jamais été et ne sera jamais une nation qui subit. Ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. »

« Notre agriculture est une force. Pas simplement parce qu’elle nous alimente au sens propre du terme, mais parce qu’elle constitue l’un des fondements de notre identité, de nos traditions »

Mais où est l’analyse, la vision, la prospective ?

Un seul exemple des contradictions en matière de simplification. Le premier ministre promet de supprimer tous les organismes plus ou moins paritaires et-ou administratifs qui ne se seraient pas réunis pendant un an. Et ce qui au contraire se réunissent trop souvent et qui ne cesse de produire procédures , contrôles et sanctions inutiles ?

Ce ne sont pas les institutions qui roupillent qu’il convient de supprimer en premier mais les institutions qui débordent de hauts fonctionnaires qui justifient leur salaire en en complexifiant la vie économique et sociale et la société.

« Réarmement « : surtout une révolution purement sémantique

« Réarmement « : surtout une révolution purement sémantique

Partout désormais c’est le mot d’ordre de réarmement qui domine la plupart des sujets politiques dans le domaine civique, dans le domaine de la santé, celui de la formation, de l’industrialisation de la démographie et de la simplification.

Une sémantique de type marketing bien mal adapté au sujet qu’elle prétend traiter. Le véritable armement en tout cas le premier est celui de la sécurité et de la défense. Or Attal a tout simplement oublié d’évoquer la situation géopolitique très tendue qui se manifeste aujourd’hui par une guerre proche des frontières de l’Europe. Or si la France dispose d’une armée complète c’est une armée cependant miniature qui ne résisterait pas un mois face aux russes. Certes il y a la programmation de la loi militaire. Des promesses déjà faites mais rarement tenues. Et ce service national qui ne ressemble strictement à rien de deux ou trois semaines qui n’a rien de militaire et qui ressemble à une colonie de vacances. Par l’expérience des récents conflits au Proche-Orient comme en Ukraine montre qu’en dernier ressort ce sont les troupes au sol qui compte et qui se font massacrer faute de matériel certes mais surtout aussi de formation.

Pour le reste le réarmement constitue un terme bien inadéquate pour parler de santé, d’économie, d’éducation et pire, de démographie.

Comment croire à ce concept de réarmement évoqué en président en permanence par un président qui n’a pas jugé bon de faire son service militaire. Ce discours guerrier n’a d’écho que dans les salons. En outre il fait l’impasse sur nombre de champs régaliens où là il faudrait effectivement durcir comme le trafic de drogue, la sécurité ou l’islamisme. Face au vide, on tente de combler par des mots inadaptés et creux « Nous sommes prêts à affronter pour avancer. La France n’a jamais été et ne sera jamais une nation qui subit. Ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. »

« Notre agriculture est une force. Pas simplement parce qu’elle nous alimente au sens propre du terme, mais parce qu’elle constitue l’un des fondements de notre identité, de nos traditions »

Mais où est l’analyse, la vision, la prospective ?

Un seul exemple des contradictions en matière de simplification. Le premier ministre promet de supprimer tous les organismes plus ou moins paritaires et-ou administratifs qui ne se seraient pas réunis pendant un an. Et ce qui au contraire se réunissent trop souvent et qui ne cesse de produire procédures , contrôles et sanctions inutiles ?

Ce ne sont pas les institutions qui roupillent qu’il convient de supprimer en premier mais les institutions qui débordent de hauts fonctionnaires qui justifient leur salaire en en complexifiant la vie économique et sociale et la société.

Réarmement démographique : Une sémantique guerrière douteuse

Réarmement démographique : Une sémantique guerrière douteuse

L’expression employée par le président Emmanuel Macron pour décrire son plan de relance de la natalité et de lutte contre l’infertilité a suscité de vives réactions. Il ne s’agit pas ici de juger la pertinence de ce plan annoncé lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024. Notre objectif est d’analyser ce que cette formule révèle de la difficulté de décideurs, gouvernementaux notamment, à comprendre la psychologie des comportements (et changements comportementaux). Sans cette compréhension, ils s’avèrent incapables de déterminer quelles conditions et caractéristiques doivent être respectées pour qu’une communication à visée persuasive soit efficace.

par Marie-Laure Gavard-Perret
Professeure des universités en gestion, Grenoble IAE, laboratoire CERAG, spécialiste du marketing social et de la communication persuasive et préventive. Co-responsable de la chaire de recherche Marketing au Service de la Société (M2S) de Grenoble IAE., Grenoble IAE Graduate School of Management

Marie-Claire Wilhelm
Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, Grenoble INP, CERAG, co-responsable de la Chaire Marketing au Service de la Société (M2S) de Grenoble IAE, Grenoble IAE Graduate School of Management dans
The Conversation

La phrase d’Emmanuel Macron au sujet du « réarmement démographique » pour permettre « une France plus forte » « par la relance de la natalité » a pu être perçue comme réactionnaire. Elle a provoqué la colère de nombreuses personnalités politiques, notamment à la gauche de l’échiquier politique, mais aussi plus largement de diverses associations féministes ou concernées par les droits des femmes et des familles. Ce parti pris de formulation a occulté certaines mesures qui auraient pu être accueillies plus favorablement (par exemple, le plan de lutte contre l’infertilité attendu par certains spécialistes de la reproduction) et a amoindri l’effet d’une perspective qui aurait pu avoir une connotation positive (la vie au travers de naissances à venir).
Indépendamment d’un jugement sur le fond, la terminologie adoptée explique en partie ces réactions et marques de résistance. Tout d’abord, du fait de la rhétorique guerrière. L’historienne Marine Rouch a ainsi repéré « une sémantique ‘viriliste et guerrière’ qui n’a rien d’anodin ».

Le caractère guerrier de la métaphore a suscité de nombreuses réactions

Déjà mobilisé lors du Covid, ce lexique guerrier, par ses références en France à la première et à la Seconde Guerre mondiale, avait alors frappé les esprits (« Nous sommes en guerre » avait martelé Emmanuel Macron). Implicitement et symboliquement également, l’idée de réarmement fait référence à la guerre et peut se révéler anxiogène, a fortiori dans le contexte actuel où guerres et conflits armés réactivent, partout dans le monde, et en particulier sur le continent européen, des angoisses qu’on croyait oubliées.

Ce choix est dommageable, car une rhétorique guerrière entraîne un imaginaire anxiogène. Or, lorsque les individus ont peur, leur réponse inconsciente est souvent un mécanisme de défense psychologique d’évitement ou de déni. Autrement dit, une réaction défensive destinée à diminuer l’inconfort psychologique ressenti, mais qui est à l’opposé de celle recherchée. En effet, faire face à une situation stressante nécessite de développer des efforts, cognitifs en particulier, et une stratégie dite d’adaptation. L’individu stressé peut préférer ne pas voir la réalité, la déformer ou encore discréditer la source de l’information pour se protéger psychologiquement. Ces réactions compromettent bien sûr l’efficacité persuasive.

Un discours infantilisant et moralisateur

Le message a aussi été perçu comme infantilisant. En filigrane, certaines et certains y ont entendu que les femmes ne seraient pas suffisamment matures pour décider par elles-mêmes de décisions relatives à la natalité. Cela a pu être vu comme une « tentative de contrôler le corps des femmes », une volonté de « mettre les ventres des femmes au service de l’État ». « Laissez nos utérus en paix ! » a lancé de son côté la présidente de la Fondation des femmes Anne-Cécile Mailfert.

Ce message était instillé par ailleurs dans une communication descendante, dont le caractère directif, voire autoritaire, apparait dans la qualification « d’injonctions natalistes » utilisée de nombreuses fois à son propos. De ce fait, le message, a priori incitatif, avait tout pour engendrer de la réactance (mécanisme de défense psychologique) en raison d’une liberté qui pouvait sembler menacée. Ainsi, la députée écologiste Sandrine Rousseau a réagi :

« Chaque femme est libre de choisir de faire des enfants ou de ne pas en faire » et

« Les femmes font absolument ce qu’elles veulent de leur corps ».

De plus, le discours émanait d’un représentant des pouvoirs publics envers lesquels la méfiance des Français est grandissante. Cette absence de confiance envers l’émetteur ne pouvait que renforcer la résistance par une diminution de la crédibilité perçue de la source du message.

Le délicat recours aux normes sociales

De même, une composante morale transparaît de ce discours incitatif. Délibérément ou involontairement convoquée, la responsabilité individuelle est ainsi associée à un devoir de reproduction de chaque Français(e). Ce « bon » comportement apparaît de façon plus ou moins explicite comme la clé pour revendiquer un statut de « bon » ou « bonne » citoyen(ne). Or, la stimulation d’un devoir de conformité à des normes sociales est indissociable de la responsabilité morale individuelle. Une communication incitative en faveur de la natalité cherche donc à amener les récepteurs et réceptrices à se conformer à ce qui est présenté comme la norme du groupe, de la communauté. Les cibles ressentent de ce fait une pression sociale. L’individu exposé à cette forme d’influence sociale cherchera donc à se soumettre pour obtenir l’approbation sociale ou éviter la désapprobation sociale.

Toutefois, le recours explicite ou implicite aux normes sociales exige d’être utilisé avec précaution. D’une part, certaines cibles ayant déjà internalisé une norme morale conforme à leurs valeurs, comme celle de faire des enfants, risquent finalement d’être rebutées par la volonté de persuasion – notamment si cette dernière est perçue comme manipulatrice. Elles peuvent aussi ressentir une menace sur leur liberté individuelle et développer de la réactance situationnelle.

De surcroît, en appeler à la responsabilité individuelle peut entrer en conflit avec la perception d’une nature infantilisante du message délivré. Il est en effet paradoxal de demander aux cibles de se conduire en adultes responsables et « en même temps » de leur délivrer un message perçu comme infantilisant. « nouveau, la contradiction dans les intentions perçues réduit la persuasion recherchée.

En outre, il existe deux types de normes. D’une part, les normes injonctives – fondées sur la perspective de récompenses ou sanctions sociales. D’autre part, les normes descriptives – qui résultent de ce que font les membres de la communauté et de ce qui est considéré comme le comportement « normal ». Ce second type de norme se base fortement sur l’exemple. Or sur ce point, Emmanuel Macron est dans l’impossibilité de se présenter comme l’exemple à suivre. Cela affaiblit l’effet de norme descriptive et peut sembler paradoxal, comme n’a pas manqué de le noter le collectif féministe Nous Toutes :

« Un homme cisgenre de 46 ans sans enfants qui vient nous donner des leçons sur la façon dont on doit utiliser nos utérus… »

De plus, la mobilisation de normes sociales ou morales risque d’activer des émotions négatives chez celles et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas les suivre : culpabilité et honte notamment. Il est alors question de réponses affectives de valence négative, susceptibles de déclencher elles aussi des comportements de défense, d’évitement, de déni, voire le fameux effet « boomerang » consistant à prendre le contre-pied exact de ce qui est préconisé.

La confiance, pierre angulaire de la persuasion ?

En conséquence, et comme le précise la philosophe Cristina Bicchieri, pour espérer convaincre en recourant à toutes ces mécaniques d’influence sociale, il ne faut rien négliger. En particulier, Bicchieri pointe la nécessité de :

« prévoir comment les gens vont interpréter un contexte donné, quels indices ressortiront comme saillants et comment des indices particuliers sont liés à certaines normes ».

Comme le souligne le chercheur en philosophie de la santé, David Simard, les Français ont un rapport complexe et ambigu à l’autorité et à l’État. De tendance facilement contestataire, ils valorisent la liberté individuelle mais en oublient parfois son corollaire, la responsabilité individuelle. De même, ils ne supportent pas les injonctions mais reprochent facilement à l’État de ne pas définir et/ou de ne pas faire respecter des règles. Cela rend l’exercice de la communication incitative encore plus compliqué, surtout à une époque où la confiance dans les élites, dans les médias, dans la Science, dans les politiques semble sérieusement altérée.

Or, en matière de communication liée à la santé (natalité et infertilité s’y rattachent), les chercheurs en psychologie sociale Gabriele Prati, Luca Pietrantoni et Bruna Zani ont montré que cette confiance représente une clé essentielle de l’efficacité persuasive.

Pour espérer persuader les Français de faire plus d’enfants, il faudrait donc avant toute chose faire (re)naître la confiance… Cela semble passer tout d’abord par une meilleure maîtrise de la psychologie comportementale.

Mélenchon: le choix de sa sémantique n’est pas innocent

Mélenchon: le choix de sa sémantique n’est pas innocent

L’historien Pierre Birnbaum rappelle, dans une tribune au « Monde », que le terme « camper » − utilisé par le chef de file de La France insoumise (LFI) pour critiquer le déplacement de présidente de l’Assemblée nationale à Tel-Aviv, dans le cadre du conflit israélo-palestinien − s’inscrit dans une longue tradition antisémite française.

Donc M. Jean-Luc Mélenchon a écrit, à propos de la manifestation propalestinienne du 22 octobre à Paris, place de la République : « Voici la France. Pendant ce temps Madame Braun-Pivet campe à Tel-Aviv pour encourager le massacre. Pas au nom du peuple français ! » Donc, d’un côté le peuple français, de l’autre Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, deuxième personnage de l’Etat, élue démocratiquement par ses collègues députés. Aucun observateur n’a relevé cette opposition qui donne tout son sel au fameux « campe » en instaurant explicitement un fossé entre la France et Mme Yaël Braun-Pivet.

Car si Mme la présidente de l’Assemblée nationale « campe » à Tel-Aviv, c’est explicitement qu’elle a quitté le territoire national pour soutenir le massacre et non pour faire du « camping », comme l’avancent certains internautes mais aussi plusieurs de ses collègues non dépourvus d’humour, tel le député de Haute-Garonne, Hadrien Clouet [LFI], qui s’exclame : « Il va falloir fermer tous les Decathlon de France ! »

Diable, pour quelles autres raisons la présidente de l’Assemblée nationale, personnage crucial de la vie politique française, respectée par l’immense majorité de ses collègues, déciderait soudain d’aller « camper » à Tel Aviv ? Est-ce pour choisir son « camp » ? Mais dans cette hypothèse, on dirait les choses clairement sans en rester à ce « campe » mystérieux. Va-t-elle abandonner sa fonction éminente, préférer les affres d’un camping sauvage ? On ne peut l’imaginer de la part d’une juive d’Etat viscéralement attachée, comme tant d’autres depuis l’émancipation de septembre 1791 [date d’obtention de la citoyenneté des juifs en France], aux valeurs de la République.

Alors, que signifie cette étrange apostrophe, ce « campe » qui sidère les esprits ? Ne cherchons pas midi à 14 heures. N’est-ce pas parce que ses liens avec l’histoire juive la poussent à fuir la France, la vraie, celle qui lance ses slogans propalestiniens (sans l’ombre d’une critique de l’action délibérée, bestiale et mise en scène du Hamas à l’égard des civils israéliens ou autres) pour se réfugier à Tel-Aviv où elle a dressé provisoirement sa tente ?

Certes, rien de tel n’est dit : on se garde bien de pousser le bouchon trop loin, d’avancer une hypothèse qui, peut-on espérer, demeure inaudible dans la France heureusement encore républicaine, attachée aux principes d’égalité de tous les citoyens quelles que soient leurs valeurs et leurs cultures.

Sémantique politique – « Décivilisation »: nouveau concept de l’impuissance de Macron

Sémantique politique – « Décivilisation »: nouveau concept de l’impuissance de Macron

À défaut de faire preuve d’efficacité démocratique et sociétale, Macron se transforme en fabricant de concept avec ce nouveau mot de « décivilisation ». L’objectif est évidemment de cacher l’inefficacité de l’action des pouvoirs publics vis-à-vis des différentes violences par une création sémantique pseudo intellectuelle.

Emmanuel Macron alerte contre le risque d’une « décivilisation ». Lors du Conseil des ministres qui s’est tenu ce mercredi matin à l’Élysée, le président de la République a mis en garde face à un délitement de la société dans le contexte des actes de violences de ces dernières semaines, notamment marquées par des menaces contre des élus.

Le problème cependant est la conséquence directe de l’affaiblissement considérable de l’État et des services publics et la perte de confiance totale dans le discours politique. Et le président lui-même participe à l’affrontement à la destruction de l’unité du pays avec ses petites phrases irresponsables et méprisantes.

Parmi le phénomène de violence, il faut toutefois signaler l’importance de la conséquence de la véritable vague de drogue qui envahit le pays et qui se traduit aussi par des règlements de compte quotidien entraînant la mort.

« Décivilisation », c’est tout d’abord le titre d’un livre de Renaud Camus, théoricien du concept de « grand remplacement » cher à une partie de l’extrême droite. « Ce livre est une attaque en règle contre une forme de démocratisation de la culture. Dans son livre Renaud Camus attaquait notamment le fait que la culture ne soit plus héréditaire. Il s’attaque aussi au système éducatif, qui selon lui, a partir du moment où l’éducation est « nationale, » n’instruit plus mais nivelle pas le bas », nous éclaire Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite.

Il y a une autre définition du terme, celle du sociologue allemand Norbert Elias et d’autres sociologues qui ont prolongé ses travaux, qui peut davantage correspondre à l’utilisation qu’en a eu Emmanuel Macron, et au contexte auquel le chef de l’État fait référence.

Sémantique- « Décivilisation »: nouveau concept de l’impuissance de Macron

Sémantique- « Décivilisation »: nouveau concept de l’impuissance de Macron

À défaut de faire preuve d’efficacité démocratique et sociétale, Macron se transforme en fabricant de concept avec ce nouveau mot de « décivilisation ». L’objectif est évidemment de cacher l’inefficacité de l’action des pouvoirs publics vis-à-vis des différentes violences par une création sémantique pseudo intellectuelle.

Emmanuel Macron alerte contre le risque d’une « décivilisation ». Lors du Conseil des ministres qui s’est tenu ce mercredi matin à l’Élysée, le président de la République a mis en garde face à un délitement de la société dans le contexte des actes de violences de ces dernières semaines, notamment marquées par des menaces contre des élus.

Le problème cependant est la conséquence directe de l’affaiblissement considérable de l’État et des services publics et la perte de confiance totale dans le discours politique. Et le président lui-même participe à l’affrontement à la destruction de l’unité du pays avec ses petites phrases irresponsables et méprisantes.

Parmi le phénomène de violence, il faut toutefois signaler l’importance de la conséquence de la véritable vague de drogue qui envahit le pays et qui se traduit aussi par des règlements de compte quotidien entraînant la mort.

« Décivilisation », c’est tout d’abord le titre d’un livre de Renaud Camus, théoricien du concept de « grand remplacement » cher à une partie de l’extrême droite. « Ce livre est une attaque en règle contre une forme de démocratisation de la culture. Dans son livre Renaud Camus attaquait notamment le fait que la culture ne soit plus héréditaire. Il s’attaque aussi au système éducatif, qui selon lui, a partir du moment où l’éducation est « nationale, » n’instruit plus mais nivelle pas le bas », nous éclaire Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite.

Il y a une autre définition du terme, celle du sociologue allemand Norbert Elias et d’autres sociologues qui ont prolongé ses travaux, qui peut davantage correspondre à l’utilisation qu’en a eu Emmanuel Macron, et au contexte auquel le chef de l’État fait référence.

ChatGPT: Limite sémantique

ChatGPT: Limite sémantique

par Frederic Alexandre, Directeur de recherche en neurosciences computationnelles, Université de Bordeaux, Inria dans The conversation

Un des problèmes que l’IA n’a toujours pas résolu aujourd’hui est d’associer des symboles – des mots par exemple – à leur signification, ancrée dans le monde réel – un problème appelé l’« ancrage du symbole ». Par exemple, si je dis : « le chat dort sur son coussin car il est fatigué », la plupart des êtres humains comprendra sans effort que « il » renvoie à « chat » et pas à « coussin ». C’est ce qu’on appelle un raisonnement de bon sens. En revanche, comment faire faire cette analyse à une IA ? La technique dite de « plongement lexical », si elle ne résout pas tout le problème, propose cependant une solution d’une redoutable efficacité. Il est important de connaître les principes de cette technique, car c’est celle qui est utilisée dans la plupart des modèles d’IA récents, dont ChatGPT… et elle est similaire aux techniques utilisées par Cambridge Analytica par exemple.

Le plongement lexical, ou comment les systèmes d’intelligence artificielle associent des mots proches
Cette technique consiste à remplacer un mot (qui peut être vu comme un symbole abstrait, impossible à relier directement à sa signification) par un vecteur numérique (une liste de nombres). Notons que ce passage au numérique fait que cette représentation peut être directement utilisée par des réseaux de neurones et bénéficier de leurs capacités d’apprentissage.

Plus spécifiquement, ces réseaux de neurones vont, à partir de très grands corpus de textes, apprendre à plonger un mot dans un espace numérique de grande dimension (typiquement 300) où chaque dimension calcule la probabilité d’occurrence de ce mot dans certains contextes. En simplifiant, on remplace par exemple la représentation symbolique du mot « chat » par 300 nombres représentant la probabilité de trouver ce mot dans 300 types de contextes différents (texte historique, texte animalier, texte technologique, etc.) ou de co-occurrence avec d’autres mots (oreilles, moustache ou avion).

Plonger dans un océan de mots et repérer ceux qui sont utilisés conjointement, voilà une des phases de l’apprentissage pour ChatGPT. Amy Lister/Unsplash, CC BY
Même si cette approche peut sembler très pauvre, elle a pourtant un intérêt majeur en grande dimension : elle code des mots dont le sens est proche avec des valeurs numériques proches. Ceci permet de définir des notions de proximité et de distance pour comparer le sens de symboles, ce qui est un premier pas vers leur compréhension.

Pour donner une intuition de la puissance de telles techniques (en fait, de la puissance des statistiques en grande dimension), prenons un exemple dont on a beaucoup entendu parler.

Relier les traits psychologiques des internautes à leurs « likes » grâce aux statistiques en grande dimension

C’est en effet avec une approche similaire que des sociétés comme Cambridge Analytica ont pu agir sur le déroulement d’élections en apprenant à associer des préférences électorales (représentations symboliques) à différents contextes d’usages numériques (statistiques obtenues à partir de pages Facebook d’usagers).

Leurs méthodes reposent sur une publication scientifique parue en 2014 dans la revue PNAS, qui comparait des jugements humains et des jugements issus de statistiques sur des profils Facebook.

L’expérimentation reportée dans cette publication demandait à des participants de définir certains de leurs traits psychologiques (sont-ils consciencieux, extravertis, etc.), leur donnant ainsi des étiquettes symboliques. On pouvait également les représenter par des étiquettes numériques comptant les « likes » qu’ils avaient mis sur Facebook sur différents thèmes (sports, loisirs, cinéma, cuisine, etc.). On pouvait alors, par des statistiques dans cet espace numérique de grande dimension, apprendre à associer certains endroits de cet espace à certains traits psychologiques.

Ensuite, pour un nouveau sujet, uniquement en regardant son profil Facebook, on pouvait voir dans quelle partie de cet espace il se trouvait et donc de quels types de traits psychologiques il est le plus proche. On pouvait également comparer cette prédiction à ce que ses proches connaissent de ce sujet.

Le résultat principal de cette publication est que, si on s’en donne les moyens (dans un espace d’assez grande dimension, avec assez de « likes » à récolter, et avec assez d’exemples, ici plus de 70000 sujets), le jugement statistique peut être plus précis que le jugement humain. Avec 10 « likes », on en sait plus sur vous que votre collègue de bureau ; 70 « likes » que vos amis ; 275 « likes » que votre conjoint.

Cette publication nous alerte sur le fait que, quand on recoupe différents indicateurs en grand nombre, nous sommes très prévisibles et qu’il faut donc faire attention quand on laisse des traces sur les réseaux sociaux, car ils peuvent nous faire des recommandations ou des publicités ciblées avec une très grande efficacité. L’exploitation de telles techniques est d’ailleurs la principale source de revenus de nombreux acteurs sur Internet.

Nos likes et autres réaction sur les réseaux sociaux en disent beaucoup sur nous, et ces informations peuvent être exploitées à des fins publicitaires ou pour des campagnes d’influence. George Pagan III/Unsplash, CC BY
Cambridge Analytica est allée un cran plus loin en subtilisant les profils Facebook de millions d’Américains et en apprenant à associer leurs « likes » avec leurs préférences électorales, afin de mieux cibler des campagnes électorales américaines. De telles techniques ont également été utilisées lors du vote sur le Brexit, ce qui a confirmé leur efficacité.

Notons que c’est uniquement l’aspiration illégale des profils Facebook qui a été reprochée par la justice, ce qui doit continuer à nous rendre méfiants quant aux traces qu’on laisse sur Internet.

Calculer avec des mots en prenant en compte leur signification

En exploitant ce même pouvoir des statistiques en grande dimension, les techniques de plongement lexical utilisent de grands corpus de textes disponibles sur Internet (Wikipédia, livres numérisés, réseaux sociaux) pour associer des mots avec leur probabilité d’occurrence dans différents contextes, c’est-à-dire dans différents types de textes. Comme on l’a vu plus haut, ceci permet de considérer une proximité dans cet espace de grande dimension comme une similarité sémantique et donc de calculer avec des mots en prenant en compte leur signification.

Un exemple classique qui est rapporté est de prendre un vecteur numérique représentant le mot roi, de lui soustraire le vecteur (de même taille car reportant les probabilités d’occurrence sur les mêmes critères) représentant le mot homme, de lui ajouter le vecteur représentant le mot femme, pour obtenir un vecteur très proche de celui représentant le mot reine. Autrement dit, on a bien réussi à apprendre une relation sémantique de type « A est à B ce que C est à D ».

Le principe retenu ici pour définir une sémantique est que deux mots proches sont utilisés dans de mêmes contextes : on parle de « sémantique distributionnelle ». C’est ce principe de codage des mots qu’utilise ChatGPT, auquel il ajoute d’autres techniques.

Ce codage lui permet souvent d’utiliser des mots de façon pertinente ; il l’entraîne aussi parfois vers des erreurs grossières qu’on appelle hallucinations, où il semble inventer des nouveaux faits. C’est le cas par exemple quand on l’interroge sur la manière de différencier des œufs de poule des œufs de vache et qu’il répond que ces derniers sont plus gros. Mais est-ce vraiment surprenant quand on sait comment il code le sens des symboles qu’il manipule ?

Sous cet angle, il répond bien à la question qu’on lui pose, tout comme il pourra nous dire, si on lui demande, que les vaches sont des mammifères et ne pondent pas d’œuf. Le seul problème est que, bluffés par la qualité de ses conversations, nous pensons qu’il a un raisonnement de bon sens similaire au nôtre : qu’il « comprend » comme nous, alors que ce qu’il comprend est juste issu de ces statistiques en grande dimension.

Sobriété énergétique : le hold-up sémantique de Macron

Sobriété énergétique : le hold-up sémantique de Macron

Clément Viktorovitch revient sur l’objectif de « sobriété énergétique » martelé par l’exécutif depuis la rentrée ( sur Franceinfo) .

C’est l’expression que tous les ministres ont à la bouche depuis la rentrée : sobriété énergétique. Les mots ne sont jamais anodins. Ils portent toujours, en eux, une histoire, des connotations, des présupposés qui influencent notre manière de penser. Et quand un mot nouveau s’impose, ce n’est jamais de manière évidente. Il le fait toujours en éclipsant d’autres concepts qui, souvent, étaient le support de propositions concurrentes. Gagner la bataille des mots, c’est déjà prendre l’ascendant dans la guerre des idées.

En l’occurrence, on aurait pu trouver d’autres mots que « sobriété » : on aurait pu parler « d’efforts » ou de « responsabilité », tout simplement. Ou alors de « modération », de « pondération », de « parcimonie », « d’économies »… Mais non : c’est le mot « sobriété » qui s’est imposé, et il ne vient pas de nulle part.
La sobriété, c’est un idéal qui émerge dans la sphère altermondialiste au début du XXIe siècle. L’idée, c’est qu’on pourrait vivre en prélevant moins de ressources dans l’environnement. Et pas seulement en matière d’énergie : il s’agit aussi d’utiliser moins de plastique, consommer moins de vêtements, artificialiser moins de sols, se déplacer moins loin, etc. Au fond : vivre avec moins, mais en étant plus heureux.

La sobriété pour limiter les demandes en énergie
La sobriété est, par exemple, l’un des leviers mis en avant par les scientifiques du Giec pour répondre à la crise climatique. Et leur définition est directement liée à l’origine du mot : pour eux, la sobriété, c’est un ensemble de pratiques permettant d’éviter des demandes en énergie. C’est-à-dire, concrètement, se passer de certaines choses. Remplacer des lignes d’avion par des lignes de train, abandonner les voitures individuelles en ville, éventuellement faire une croix sur certaines innovations technologiques énergivores : la 5G, le streaming vidéo en ultra HD, les cryptomonnaies, etc.

Est-ce que c’est ce qu’a en tête le gouvernement quand il propose un grand plan de sobriété ? On peut en douter, à écouter le président de la République, début octobre, lors du Salon des entrepreneurs organisé par la BPI : « Cela ne veut pas dire produire moins, je n’ai pas changé d’opinion là-dessus ! Tout ce qu’on peut faire pour produire de la meilleure qualité, encore davantage mais en dépensant moins, c’est cela la bonne sobriété. Il faut accélérer les efforts sur l’énergie. La sobriété, cela veut juste dire gagner en efficacité. »

Il ne s’agit donc pas du tout de réduire les demandes, mais juste d’utiliser moins d’énergie pour satisfaire aux mêmes usages. Pour le Giec, cela porte un nom : l’efficacité énergétique. Et d’ailleurs, Emmanuel Macron le dit lui-même, dans une phrase merveilleuse de confusion : « La sobriété, cela veut juste dire gagner en efficacité ». Eh non : gagner en efficacité, c’est faire de l’efficacité, mais pas du tout de la sobriété !

Le président s’est-il trompé de mot ?
Je ne crois pas : je crois qu’il sait exactement ce qu’il fait. Parce que, dans cette guerre des mots, les concepts ne se contentent pas de perdre ou de gagner. Ils peuvent aussi être capturés, réinvestis, redéfinis. Emmanuel Macron est en train, en ce moment, de réaliser un hold-up sur le mot sobriété : il l’a trouvé chez ses adversaires, l’a vidé de son contenu, en a changé le sens et, au bout du compte, lui a fait perdre toute sa force de subversion. Et d’ailleurs, c’est loin d’être la première fois : revenu universel, planification écologique, révolution… Il a passé son temps à priver ses adversaires de leurs armes rhétoriques.

C’est une stratégie risquée : le sens originel du mot ne disparaît jamais totalement derrière la redéfinition, et il y a toujours le risque qu’il ressurgisse par la suite. La stratégie d’Emmanuel Macron participera-t-elle, in fine, à populariser l’objectif de sobriété défendu par le Giec ? C’est possible. En attendant, le chef de l’Etat a remporté une victoire sur le plan du lexique : ce n’est pas le moindre des atouts politiques.

Politique-«Ensemble citoyens !» La pauvreté sémantique de la maison commune de Macron !

Politique-«Ensemble citoyens !» La pauvreté sémantique de la maison commune de Macron !

 

Chacun aura sans doute noté que le débat politique actuellement n’est guère à la hauteur des enjeux y compris vis-à-vis de l’échéance présidentielle. Ce serait plutôt en ce moment un concours de promesses notamment concernant l’augmentation du SMIC. Du côté de la majorité , on a mis des semaines pour trouver le nom de la maison commune qui rassemblera les organisations très balkanisées qui soutiennent Macron. La pauvreté sémantique du nom de cette maison « ensemble citoyens » est à la mesure de la pauvreté du contenu politique.

Le nom du parti en marche ( la république en marche) n’était déjà pas très signifiant mais cette fois le nom de la maison commune n’est porteur d’aucun véritable sens. Il faut espérer que les boîtes de communication spécialisées n’ont pas phosphoré pendant des mois pour aboutir à une telle nullité.

En réalité Macron compte surtout sur lui-même pour se faire élire et cette maison commune « ensemble citoyens  » aura surtout pour mission de délivrer les investitures pour les législatives où le pouvoir n’est pas du tout certain d’obtenir la majorité.  Moins ambitieux qu’initialement espéré par certains, le dispositif prévu vaut surtout pour les élections législatives de juin 2022. Il vise à coordonner les investitures afin que la majorité s’accorde sur le nom d’un candidat dans chaque circonscription, même si chaque parti conservera sa propre commission d’investiture.

Preuve du peu d’ambition de cette maison commune elle sera dirigée par quatre oligarques déjà usés jusqu’à la corde. Richard Ferrand, François Bayrou, Édouard Philippe et Jean Castex. Curiosité enfin : cette maison commune ne permettra pas une adhésion directe. Bref la maison commune sera une sorte de club de chapeau à plumes.

«Ensemble citoyens !» La pauvreté sémantique de la maison commune de Macron !

«Ensemble citoyens !» La pauvreté sémantique de la maison commune de Macron !

 

Chacun aura sans doute noté que le débat politique actuellement n’est guère à la hauteur des enjeux y compris vis-à-vis de l’échéance présidentielle. Ce serait plutôt en ce moment un concours de promesses notamment concernant l’augmentation du SMIC. Du côté de la majorité ;on a mis des semaines pour trouver le nom de la maison commune qui rassemblera les organisations très balkanisées qui soutiennent Macron. La pauvreté sémantique du nom de cette maison « ensemble citoyens » est à la mesure de la pauvreté du contenu politique.

Le nom du parti en marche ( la république en marche) n’était déjà pas très signifiant mais cette fois le nom de la maison commune n’est porteur d’aucun véritable sens. Il faut espérer que les boîtes de communication spécialisées n’ont pas phosphorét pendant des mois pour aboutir à une telle nullité.

 «Ensemble citoyens !», l’association des partis de la majorité, sera lancée le 29 novembre lors d’un meeting à la Maison de la Mutualité, à Paris. La nouvelle a été annoncée mardi par le chef de file de La République en marche (LREM), Stanislas Guerini, lors d’une réunion de la direction du mouvement.

 

En réalité Macron compte surtout sur lui-même pour se faire élire et cette maison commune « ensemble citoyens  » aura surtout pour mission de délivrer les investitures pour les législatives où le pouvoir n’est pas du tout certain d’obtenir la majorité.  Moins ambitieux qu’initialement espéré par certains, le dispositif prévu vaut surtout pour les élections législatives de juin 2022. Il vise à coordonner les investitures afin que la majorité s’accorde sur le nom d’un candidat dans chaque circonscription, même si chaque parti conservera sa propre commission d’investiture.

Preuve du peu d’ambition de cette maison commune elle sera dirigée par quatre oligarques déjà usés jusqu’à la corde. Richard Ferrand, François Bayrou, Édouard Philippe et Jean Castex. Curiosité enfin : cette maison commune ne permettra pas une adhésion directe. Bref la maison commune sera une sorte de club de chapeau à plumes.

« Apartheid sanitaire »: Une impudence sémantique

  »Apartheid sanitaire »: Une impudence sémantique

 

« Les bruyants contempteurs de l’apartheid sanitaire prendront-ils jamais conscience de l’impudence de leur comparaison avec un système humiliant de domination et de répression à l’origine de tant de drames individuels et familiaux pour des générations de Noirs sud-africains ? », s’interroge Yannick Lageat dans le Monde (extrait).

 

A-t-on suffisamment dénoncé le port ignominieux de l’étoile jaune par les infortunées victimes de lois « liberticides » ? La Shoah étant confirmée par certains des défenseurs de nos libertés comme un « détail » de l’Histoire, on ne s’étonnera pas que, pour d’autres, sinon les mêmes, le mot apartheid ne soit pas plus évocateur d’inacceptables atteintes aux droits de l’homme.

Le passe sanitaire n’empêche personne de le présenter comme une privation de droit, une source de discrimination, voire un outil de répression. Dans cette nouvelle « dictature », la liberté d’expression est garantie pour ceux qui, de Michèle Rivasi à Florian Philippot, dénoncent l’instauration d’un « apartheid ». Pousseraient-ils le cynisme jusqu’à s’identifier avec ses victimes ?

Rappelons que l’Afrique du Sud est le seul pays au monde où la couleur de la peau déterminait, entièrement et définitivement, la place des quatre cinquièmes de la population dans la hiérarchie sociale. Que ce pays avait institutionnalisé des pass laws, dont nos tristes vociférateurs ne mesurent probablement pas qu’elles assignaient à résidence des millions d’êtres humains, conformément à la politique de « développement séparé de chaque race dans la zone géographique qui lui a été affectée ».

En « vertu » du Natives (Abolition of Passes and Coordination of Documents) Act de 1952, tout Africain âgé de plus de 16 ans avait l’obligation de porter sur lui un livret vert ou marron intitulé Reference book donnant tout renseignement sur la situation personnelle du détenteur. En effet, cet indispensable viatique, fort d’une centaine de pages, rassemblait les informations suivantes : une carte d’identité portant mention de l’ethnie ; les enregistrements des bureaux de travail ; les noms, adresses et signatures mensuelles des employeurs ; les récépissés de l’impôt gouvernemental ; les récépissés des impôts payés aux autorités africaines ; les mesures particulières, comme l’exemption du couvre-feu interdisant aux Noirs de se trouver en ville entre 22 heures et 4 heures sans un permis les y autorisant.

Sous couvert d’abolir un héritage lointain, d’où son libellé, cette loi de 1952 uniformisait un système de contrôle apparu au début du 19e siècle et l’étendait pour la première fois aux femmes. Le port du pass, véritable « étoile noire », a été la plus vexatoire des mesures imposées aux Africains, tout défaut de présentation les conduisant devant la justice et les exposant à l’expulsion hors des white areas. L’ONU a fait du 21 mars la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale en souvenir de la répression sanglante, en 1960, dans le township de Sharpeville, d’une protestation pacifique contre les lois sur le passeport intérieur.

La mise en vigueur de la loi sur l’habitat séparé (Group Areas Act) en 1950 avait entraîné une législation en cascade dont le but était de rendre précaire le droit de résidence des Africains hors des réserves, devenues bantoustans, puis homelands, qui ne couvraient que 13,8 % du territoire national. Le Bantu (Urban Areas) Consolidation Act, promulgué antérieurement à la victoire électorale des Nationalistes, en 1948, stipulait ainsi que les Noirs ne pouvaient séjourner au-delà de 72 heures dans les white areas que dans les limites étroites d’un contrôle permanent.

Ce principe fondateur fut complété, au fil des décennies, par des mesures concernant l’emploi, les revenus, le logement, la situation familiale… Ces dispositions complémentaires, adoptées en fonction de l’évolution de la situation intérieure, fragilisaient encore la situation des travailleurs et de leurs familles ; elles permettaient aux autorités d’opérer une sélection et de refouler, en toute légalité, les travailleurs africains dont la présence sur le territoire blanc ne se justifiait pas sur le plan économique.

Ces « rapatriements » d’Africains établis en zones blanches constituaient la pièce maîtresse de l’Influx and Efflux Control qui permit officiellement que la proportion de Noirs vivant dans les homelands passât de 46,5 % en 1970 à 51,3 % en 1991 et augmentât leur population de 8,3 millions d’habitants. Qu’il ait résidé dans un township ou en milieu rural, tout Sud-Africain noir vivait en permanence sous la menace d’un arrêté de déplacement autoritaire, et, au moment de l’abolition du Pass Laws Act, en 1986, plus d’un million de personnes étaient encore appelées à rejoindre les rangs du surplus people, du « peuple en trop ».

Les bruyants contempteurs de l’apartheid sanitaire prendront-ils jamais conscience de l’impudence de leur comparaison avec un système humiliant de domination et de répression à l’origine de tant de drames individuels et familiaux pour des générations de Noirs sud-africains ? Mais, après tout, ceux d’entre eux qui avaient été déportés vers les réserves avaient, du moins, échappé à la solution finale…

Yannick Lageat, Plouzané (Finistère)

«Quartiers sans relous» de Marlène Schiappa : une sémantique et une politique démodées (Éric Naulleau)

«Quartiers sans relous» de Marlène Schiappa : une sémantique et une politique démodées (Éric Naulleau)

Le chroniqueur et essayiste Éric Naulleau estime que le gouvernement et Marlène Schiappa à travers une sémantique démodée montre l’inefficacité de leur politique voire sa contre productivité (interview du Figaro)

Marlène Schiappa a déclaré vouloir créer des « QSR », des « quartiers sans relous ». Que vous inspire la sémantique usitée par la ministre déléguée à la Citoyenneté ?

Éric NAULLEAU. - Chaque fois qu’un politique s’essaye au style « djeuns », par le langage ou par l’attitude, me vient l’image de ces retraités en Floride qui se promènent toute la journée en jogging et sneakers. En plus de la fausse note produite se vérifie alors qu’on ne paraît jamais plus vieux que lorsqu’on prétend faire jeune. Marlène Schiappa confirme la règle, de même que, dans un passé récent, Jean-Luc Mélenchon dont les performances sur Tik Tok laissent un souvenir embarrassant ou Gabriel Attal, à peine trentenaire pourtant, qui ne parvint pas à se débarrasser des trois balais qu’on lui avait semble-t-il glissés dans le dos lors de son dialogue avec des influenceurs sur Twich.

Le terme « relou » ne convient pas pour un harceleur de rue dont on sait hélas que le comportement peut dégénérer en agression sexuelle, voire en viol.

Sur le fond à présent, il est tout de même très étonnant d’user d’un mot aussi faiblard que « relous » pour qualifier les auteurs de faits potentiellement aussi graves. Votre oncle Marcel qui ne peut s’empêcher de raconter des blagues salaces en fin de repas trop arrosé est certes un relou, mais le terme ne convient pas pour un harceleur de rue dont on sait hélas que le comportement peut dégénérer en agression sexuelle, voire en viol. À force de se réclamer du « cool » dans la communication, on finit au mieux par manquer l’effet recherché, au pire par délivrer un message contre-productif.

Et il faudrait en terminer avec cet affaissement continu de la parole publique, avec cette démagogie qui consiste à s’abaisser au niveau de langage supposé des personnes auxquelles on s’adresse, ce qui témoigne d’ailleurs d’une forme de mépris, plutôt que de sauvegarder une certaine verticalité — que suppose par définition la fonction de ministre. Bécassine, c’est ma copine, mais pas Marlène !

Le gouvernement veut cartographier la France pour identifier des « zones rouges » du harcèlement de rue. Pensez-vous que viser spécifiquement certains quartiers soit une mesure efficace ?

Les lois de la République s’appliquent sur tout le territoire, drôle de conception que celle d’un pays à la découpe, à la carte au sens propre, où les femmes seraient plus ou moins protégées, plus ou moins en sécurité selon la couleur du trottoir, rouge ou vert, sur lequel elles marchent. Plutôt que de parier sur la présence d’un policier au moment exact où un harcèlement se produira, sans parler de la difficulté à établir l’outrage dans certains cas, mieux vaudrait travailler à ce que les plaintes de femmes, partout en France, soient mieux reçues dans les commissariats. Autrement dit, mieux vaudrait privilégier les mesures efficaces au détriment des coups de com’.

Il peut paraître étonnant de déployer des policiers uniquement pour répondre au harcèlement et agressions à caractère sexiste, en mettant de côté les autres formes de violence…

Oui, en plus de la découpe du pays en appartements, telle qu’évoquée dans la question précédente, l’habitude a été prise de s’adresser non pas à l’ensemble de ses citoyens, mais à telle ou telle catégorie de sa population ou, pour user d’un langage emprunté à la publicité et sans doute plus pertinent, à tel ou tel segment de la population. Ce qui contribue à renforcer l’idée que l’intérêt général s’efface devant les intérêts particuliers — au risque d’aggraver encore le phénomène d’éparpillement de l’archipel français.

L’habitude a été prise de s’adresser non pas à l’ensemble de ses citoyens, mais à telle ou telle catégorie de sa population ou, pour user d’un langage emprunté à la publicité et sans doute plus pertinent, à tel ou tel segment de la population.

Que les femmes doivent être protégées, tout le monde en sera d’accord, mais pourquoi la mission des 2000 policiers dédiés à cette tâche, selon les annonces de Marlène Schiappa, ne s’étendrait-elle pas aux hommes qui ne peuvent sans risque arpenter nos rues s’ils arborent une kippa ? Pourquoi ne pas se donner les moyens de démanteler les réseaux de prostitution dont sont victimes d’autres femmes jour et nuit dans la rue ? Dans un registre moins crucial, la même question se pose à propos des multiples trafics à ciel ouvert dans les parages de certaines stations de métro parisiennes (et ailleurs). La fermeté proclamée comme le souci d’améliorer la sécurité de nos concitoyennes apparaîtraient plus convaincants s’ils ne semblaient à ce point dépourvus d’une vision d’ensemble, s’ils ne semblaient tant inspirés par un féminisme d’affichage et soufflés par l’air du temps.

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