Ségolène Royal chez Hanouna ou chez Mélenchon
En se déclarant prête à mener une liste d’union de gauche aux prochaines élections européennes, l’ancienne ministre socialiste, que beaucoup dans son camp souhaitent oublier, s’est offert un coup de projecteur. A quelques jours de sa très commentée rentrée télévisuelle dans « TPMP ».
un excellent papier de BFM
Ségolène Royal n’a aucune envie de prendre sa retraite. A 69 ans, elle a prévu de faire sa rentrée à la télévision… et dans les sondages. L’ancienne candidate socialiste à la présidentielle a réussi un joli coup médiatique et politique en annonçant sa candidature surprise aux élections européennes. Pour « éviter que la gauche disparaisse », comme elle l’affirme, ou pour faire sa publicité ? « Ségo » fera sa première chronique jeudi 14 septembre, dans « Touche pas à mon poste » (« TPMP »), l’émission aussi populaire que controversée de Cyril Hanouna. Un retour fracassant, près de dix ans après la fin de son dernier mandat d’élue.
L’ancienne présidente de la région Poitou-Charentes a choisi l’université d’été de La France insoumise (LFI), où elle était invitée, pour se lancer dans la course aux européennes. Au cours d’un débat sur la sagesse et la gauche, le 25 août, au détour d’une question, elle dégaine, malicieuse : « Je vais prendre une initiative pour déclencher cette dynamique d’union » aux européennes. Dans l’amphithéâtre, les militants applaudissent. A la sortie, devant un bouquet de micros et caméras, Ségolène Royal confirme, toujours avec le sourire, qu’elle conduira une liste lors du scrutin de juin 2024, quitte à prendre de court les « insoumis », dont Eric Coquerel, qui croit dans un premier temps à « un poisson d’avril ».
Une annonce surprise savamment préparée
Oubliée, la polémique sur le rappeur Médine : médias et politiques ne commentent plus que cette candidature surprenante. Ceux qui la connaissent n’ont pas vraiment été étonnés par la séquence. « Elle a volé la vedette à l’événement », souffle, mi-amusée, mi-exaspérée, son ancienne conseillère Dominique Bouissou. Cinq jours plus tard, sur le plateau de France 2, l’intéressée confirme que sa proposition est tout à fait sérieuse.
Élections européennes : Ségolène Royal confirme qu’elle mènera une liste « soutenue par LFI »
FRANCE 2
En réalité, Ségolène Royal a bien préparé son affaire, en rencontrant des dirigeants du PS et de LFI ces dernières semaines. « Nous avons travaillé depuis plusieurs mois, avec tout un groupe », assure-t-elle sur France 2. Le maire d’Alfortville (Val-de-Marne), Luc Carvounas, fait partie de cette garde rapprochée. « Elle y pensait depuis un moment et me parlait régulièrement de son intérêt pour les élections européennes », raconte-t-il.
L’intéressée a d’ailleurs publié un essai en mars puis s’est lancée dans une tournée de dédicaces estivales. Hasard du calendrier ? Le site de son mouvement, Désirs d’avenir, a été rénové juste à temps pour sa grande annonce. Depuis sa déclaration, l’organisation lance des appels à recrutement auprès des sympathisants sur les réseaux sociaux et dit « travailler aux prochaines étapes ».
« Aucune cohérence entre LFI et Royal »
Même si elle a été anticipée, cette proposition n’en laisse pas moins perplexe une très grande partie de la gauche et des écologistes. « Je ne crois pas à la une liste unitaire, pour des raisons de fond. Et sa candidature ne séduit pas assez pour changer la donne en juin 2024″, estime la députée socialiste Christine Pirès-Beaune. Les écologistes et les communistes, qui ont choisi de se lancer seuls pour ce scrutin, n’ont en effet aucune intention de se rallier, et encore moins autour de la figure de Ségolène Royal. « C’est baroque parce qu’il n’y a aucune cohérence entre les positions de LFI sur l’Europe et celles de Ségolène Royal, qui a défendu les traités de la façon la plus outrancière qui soit », assène par exemple Ian Brossat, porte-parole du PCF.
Des militants ont rapidement exhumé en ligne des archives de celle qui a fait campagne pour le « oui » au traité constitutionnel européen lors du référendum de 2005. Du côté des Verts, la députée Eva Sas estime que Ségolène Royal « incarne trop de renoncements écologiques », comme la suspension de l’écotaxe en 2014, lorsqu’elle était ministre de l’Environnement. Elle dénonce également « des propos inacceptables et réactionnaires » lors de l’arrestation de 151 lycéens à Mantes-la-Jolie en 2018, une séquence à nouveau partagée par des militants de gauche ces derniers jours.
Ségolène Royal espérait-elle sincèrement faire changer d’avis le PCF et EELV ? « Je ne suis même pas sûre qu’elle y croie elle-même », raille un élu de gauche. « Elle se rend compte que l’extrême droite est aux portes du pouvoir et elle pense pouvoir apporter quelque chose à gauche. L’union est encore possible, on a dix mois pour en discuter », défend au contraire Luc Carvounas, l’un des rares socialistes à la soutenir publiquement.
« Elle ne doute de rien, surtout pas d’elle »
Car le dernier coup de « Ségo » inspire plutôt des railleries à ses anciens compagnons de route. « Je ne pense pas que l’on puisse fabriquer du neuf avec du vieux, même si l’économie circulaire est très en vogue », tacle Christine Pirès-Beaune. « J’ai décidé de ne plus parler de Ségolène Royal. Sa déchéance personnelle, idéologique et politique est trop profonde et cruelle », ose même un ancien ministre de François Hollande. « Il y a deux ans, elle se faisait éclater aux sénatoriales, mais elle ne doute de rien, surtout pas d’elle-même, alors qu’elle a perdu en crédibilité depuis quelques années », lâche encore Emmanuel Maurel, eurodéputé élu sur la liste LFI en 2019.
Depuis la défaite au second tour de la présidentielle en 2007 face à Nicolas Sarkozy, la carrière politique de Ségolène Royal alterne les hauts et les (très) bas. Humiliée aux législatives en 2012, l’ex-compagne de François Hollande a retrouvé les ors de la République comme ministre de l’Environnement entre 2014 et 2017. Nommée ensuite ambassadrice des pôles par Emmanuel Macron, elle a été démise de ses fonctions en 2020 pour avoir trop critiqué le macronisme, avant de sombrer avec un piètre 2% des suffrages en essayant en 2021 de se faire élire sénatrice des Français de l’étranger.
Depuis, l’ancienne socialiste se consacre à sa fondation et son entreprise de conseil, sans jamais décrocher totalement de la politique. Sur les plateaux télé et les réseaux sociaux, elle commente frénétiquement l’actualité, quitte à voir les critiques pleuvoir après avoir donné son avis sur les recherches du petit Emile et défendu l’hydroxychloroquine, ou à brouiller les cartes sur son engagement politique. Pourrait-elle être Première ministre d’Emmanuel Macron, dont elle a tant critiqué la gouvernance ? « Si la question m’était posée, je réfléchirais, ça ne se refuse pas », répond-elle sur BFMTV en avril 2022, après avoir soutenu Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle.
Toujours au centre du jeu
Ségolène Royal n’a pas été appelée par l’Elysée, mais celle dont les accents christiques ont si souvent été moqués opère une nouvelle résurrection. « Son talent, c’est de revenir dans le jeu à chaque fois. Elle rebondit, quitte à sortir des énormités. Ce qui compte, c’est d’être au centre du jeu. En cela, elle est très moderne, voire post-moderne : il n’y a pas de codes ni de règles, seule compte la publicité de soi », estime Emmanuel Maurel. « Je suis en admiration devant sa ténacité, et je pense que son expérience et ses intuitions pourraient être utiles à la gauche », lui reconnaît Christine Pirès-Beaune.
Utiles, mais à qui ? Pour les « insoumis », l’offre de candidature de Ségolène Royal tombe à pic pour maintenir la pression sur leurs alliés de la Nupes. Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs salué « une aide formidable » sur TF1, louant « l’audace et le courage » de la finaliste de la présidentielle de 2007. Le patron de LFI avait pourtant quitté avec fracas le PS en 2008 après la victoire de la motion de Ségolène Royal.
« Une fois de plus, elle met les pieds dans le plat en soulevant la question de l’union à gauche et celle du leadership au sein de la Nupes, en vue de 2027″, estime pour sa part le politologue Bruno Cautrès.
« Ségolène Royal est une habituée de ces coups d’éclat. Au PS, elle a longtemps été cataloguée comme quelqu’un ayant une grande intuition et un sens de l’anticipation. »
L’ancienne ministre surfe aussi sur « une demande d’unité très forte au sein de l’électorat de gauche, en particulier chez les jeunes », ajoute le chercheur. D’après un sondage Ifop pour Le Journal du dimanche paru en mai, 76% des sympathisants de gauche sont favorables à une liste unique de la Nupes aux européennes. En bonne mitterrandienne, « Ségolène Royal a sans doute capté ce souhait d’un rassemblement des sensibilités de gauche », analyse Bruno Cautrès. Elle se place d’ailleurs au-dessus des « appareils politiques » et de leurs « listes autonomes ». « Moi, je m’adresse à l’électorat, qui est profondément unitaire », a-t-elle ainsi lancé lundi sur franceinfo.
Il ne lui a probablement pas échappé non plus qu’elle jouit d’une popularité plutôt stable à gauche. Chez les sympathisants LFI, sa cote de confiance grimpe à 42%, 38% chez les socialistes et 22% chez les écologistes. Tous électorats confondus, elle oscille depuis un an autour des 20% de confiance, d’après le baromètre Harris interactive, soit au même niveau que… Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure dans la dernière enquête parue en août. Près de deux tiers des sympathisants de gauche pourraient soutenir sa liste d’union, selon un sondage BVA, quand l’Ifop estime qu’une liste PS-LFI menée par Ségolène Royal ferait mieux que les listes concurrentes à gauche, en récoltant 11% des voix.
Attendue au tournant dans « TPMP »
De quoi encourager ses espoirs ? Dans un communiqué, la France insoumise a finalement écarté mardi l’hypothèse d’une liste LFI menée par Ségolène Royal. « On n’arrivera jamais à la débrancher », prévient son ancienne conseillère Dominique Bouissou, pour qui cette détermination trouverait sa source dans un passé douloureux. « Elle n’a toujours pas digéré sa défaite de 2007, et elle en veut à beaucoup de gens, dont des socialistes ». Pour Bruno Cautrès, ce n’est donc pas étonnant que Ségolène Royal agisse à nouveau comme « un électron libre » vis-à-vis des partis de gauche, même si elle a repris sa carte au PS. « Elle est marquée par ce qu’elle a vécu, le sentiment d’avoir été maltraitée, voire trahie, par son parti, à deux reprises. En 2007, quand le PS ne l’a pas suffisamment soutenue à la présidentielle, puis en 2012 lorsqu’elle a perdu l’élection pour diriger le parti, face à Martine Aubry », poursuit le politologue.
« Elle est extrêmement meurtrie par ce qui s’est passé en 2019 : elle avait proposé à Yannick Jadot d’être numéro 2 sur sa liste pour les européennes, il n’a même pas pris la peine de lui répondre. »
Tous ces épisodes semblent alimenter la détermination de l’intéressée, alors que le « Ségo-bashing » redouble depuis l’annonce de son recrutement sur C8, chaîne de l’empire médiatique Bolloré. Cyril Hanouna, qui l’avait longtemps courtisée pour la recevoir dans « Touche pas à mon poste », a eu « un coup de cœur » pour l’ancienne ministre lors son passage dans l’émission en avril.
C’est elle qui a ensuite créé la surprise, en lui proposant d’animer « un module d’instruction civique » une fois par semaine, a-t-elle précisé lundi. « Les bras m’en tombent », lâche une socialiste. « C’est sûr qu’elle va sortir des énormités », prédit un ancien du PS. En septembre 2022, Ségolène Royal avait émis des doutes sur les exactions russes en Ukraine et dénoncé « la propagande » de Kiev, provoquant la fin de sa très brève carrière de chroniqueuse sur BFMTV. Un an plus tard, elle espère occuper l’écran plus longtemps. A moins que les règles sur le temps de parole à l’antenne ne l’obligent à choisir entre sa candidature européenne et son nouveau métier à la télévision.