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Aider les plus pauvres du monde à s’adapter au changement climatique

Aider les plus pauvres du monde à s’adapter au changement climatique 

Les douze derniers mois ont été les plus chauds jamais enregistrés sur la planète. Cette réalité fait du changement climatique, non pas seulement une menace pour l’avenir, mais une part de plus en plus importante de notre présent. Mais il ne s’agit pas d’un présent, ni d’un futur, partagé de manière équitable.

par

Esther Duflo, Prix Nobel d’économie dans « Le Monde »

Les pays pauvres sont souvent dans des climats déjà chauds. A mesure que la planète se réchauffe, ils subissent donc davantage un plus grand nombre de jours où les températures sont difficilement compatibles avec la vie humaine (au-delà de 35 degrés). De plus, la pauvreté est un obstacle de taille à l’adaptation : quand il fait 35 degrés au Texas, un employé de bureau peut passer de l’air frais de sa maison à l’air frais de son bureau en voyageant dans sa voiture fraîche ; quand il fait 35 degrés au Pakistan, les habitants des régions rurales ont chaud chez eux, où il n’y a pas l’air conditionné, et doivent souvent réaliser des travaux physiques à l’extérieur.

Le résultat de la combinaison de ces deux forces ne pourrait pas être plus dangereux : les chercheurs du Global Impact Lab prédisent que, d’ici à 2100, si la trajectoire d’émission n’est pas modifiée, l’élévation des températures causera six millions de morts en plus par an, ce qui représente davantage que toutes les morts dues aux maladies infectieuses combinées aujourd’hui. Or cette augmentation de la mortalité aura lieu exclusivement dans les pays les plus pauvres.

La responsabilité de cet état de choses est tout aussi inéquitable. Plus une personne est riche, plus elle consomme, et plus elle consomme, plus elle contribue aux émissions de CO2. Le carbone peut avoir été émis dans une usine en Chine ou sur une autoroute en France, mais le résultat est le même. D’après les calculs de Lucas Chancel, économiste français enseignant à Sciences Po, si nous considérons l’empreinte carbone totale de chaque personne, les 10 % des émetteurs les plus gros sont responsables de 50 % des émissions.

L’empreinte carbone d’un habitant relativement riche des Etats-Unis est 120 fois plus importante que celle d’un habitant pauvre de l’Afrique.

Pour cette raison, à l’invitation du Brésil, je présente, mercredi 17 avril, à la réunion des ministres des finances du G20, une proposition pour mobiliser, de manière pérenne, des fonds afin de dédommager les citoyens les plus pauvres du monde et les aider à s’adapter au changement climatique.

S’adapter ou limiter le réchauffement climatique ?

S’adapter ou limiter le réchauffement climatique ?

Les politiques d’atténuation et d’adaptation visent un même objectif : réduire les pertes humaines et matérielles du changement climatique. Mais elles apparaissent également en opposition. Par François Lévêque, Mines Paris dans « la Tribune »

Jacques le Fataliste apercevant de sa fenêtre qu’il faisait un temps détestable se recouche pour dormir tant qu’il lui plaît. Le héros de Denis Diderot, météorologue à ses heures, aurait sans doute choisi de s’adapter au dérèglement du climat plutôt que de le combattre.

L’adaptation au réchauffement de la planète et son cortège d’événements extrêmes est souvent perçue comme un renoncement, sinon une lâcheté. Il est vrai, comme nous le verrons, que plus d’efforts d’adaptation impliquent moins d’efforts nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Il convient néanmoins d’accélérer les politiques d’adaptation, comme le défend l’Organisation des Nations unies (ONU) et de pourvoir à leur financement international comme il en sera vivement débattu lors de la toute proche conférence de Dubaï.

Tâchons donc de voir clair dans cette tension entre les politiques d’acclimatation et les politiques de réduction des émissions, entre l’adaptation et l’atténuation dans le vocable des experts. Et ce pour mieux éclairer les débats à venir à la COP28.

À première vue tout sépare ces deux formes de lutte contre le changement climatique. L’atténuation vise à le freiner, tandis que l’adaptation vise à s’y acclimater. D’un côté agir sur les causes, de l’autre agir sur les effets. Les pas de temps aussi sont différents : l’atténuation porte ses fruits à long terme, les générations futures en seront les principales bénéficiaires, tandis que l’adaptation profite aux populations d’aujourd’hui en sauvant des vies et épargnant des infrastructures dès maintenant.

Enfin, les mesures de réduction des émissions de CO2 et gaz équivalents bénéficient à l’ensemble de la planète, alors que les mesures d’adaptation bénéficient à la population de territoires ciblés et circonscrits. D’un côté un bien public mondial – personne ne peut être exclu de son bienfait, pas même ceux qui n’auraient rien fait pour l’obtenir -, d’un autre un bien privé local.

Ces oppositions tranchées appellent toutefois des nuances. L’adaptation et l’atténuation visent le même but ultime : réduire les pertes humaines, matérielles et naturelles, la première atteignant son but directement, la seconde indirectement. De plus, les échelles de temps ne sont pas sans recouvrement. Le déplacement d’une ville pour fuir la montée inexorable des eaux est à l’échelle d’une vie d’homme, sinon plus.

Par ailleurs, les actions d’adaptation ne relèvent pas toutes de l’ordre privé : l’équipement en air conditionné relève d’une décision individuelle et ne bénéficie qu’à son acheteur mais la construction d’une digue contre le risque de submersion passe par une décision collective. Elle profite aussi à ceux qui n’auraient pas contribué à son financement à l’instar de nouveaux résidents.

En outre, à trop les séparer on risque de perdre de vue que l’atténuation et l’adaptation s’influencent l’une l’autre. Elles peuvent d’abord interagir de façon complémentaire. La lutte contre les feux de forêt et la plantation d’arbres en ville contribuent positivement à l’atténuation : l’une en préservant des puits de carbone, l’autre en en créant de nouveaux. Ces mesures font d’une pierre deux coups.

Elles peuvent aussi agir l’une contre l’autre. Par exemple, la climatisation permet de s’adapter aux canicules et diminue la mortalité mais elle contribue au réchauffement de l’atmosphère, local en rejetant de la chaleur à l’extérieur et global quand l’électricité consommée est d’origine carbonée.

Les deux orientations peuvent enfin et surtout se substituer partiellement l’une à l’autre et faire ainsi que, plus les efforts d’atténuation sont grands, moins ceux d’adaptation peuvent l’être et, inversement, plus les efforts d’adaptation sont grands, moins ceux d’atténuation peuvent l’être. Il y a à cela une raison théorique et une raison pratique.

Soit un planificateur mondial en charge du bien-être des habitants de la planète. Il va mener une analyse coût-bénéfice des deux options interdépendantes. Il va notamment considérer qu’une dépense d’adaptation en réduisant les dommages du réchauffement climatique diminue le bénéfice d’abaisser le niveau des émissions, ce qui aboutit à un moindre effort d’atténuation nécessaire, et par conséquent à plus d’émissions. Techniquement, il va égaliser les coûts et bénéfices marginaux des deux stratégies dont il dispose pour minimiser la facture totale des dépenses pour le climat.

Le premier modèle de cet équilibre partiel date de 2000. Il ne tient pas compte d’une entrave possible au financement des dépenses requises. Le planificateur de la théorie agit à sa guise ; il n’est pas soumis à une contrainte budgétaire et d’endettement. Or celle-ci peut se traduire par un plafonnement des dépenses ou de l’augmentation des dépenses affectées au budget climat. Plus de ressources consacrées à l’adaptation entraînent alors moins de ressources disponibles pour l’atténuation – et donc plus d’émissions – et vice versa.

Cette contrainte budgétaire est particulièrement forte pour les pays à faible revenus. La Banque mondiale qui s’est penchée sur l’équilibre des dépenses entre atténuation et adaptation dans les pays en développement l’a notamment retenu dans son modèle.

Malgré son effet régressif sur l’atténuation, l’adaptation reste indispensable. Les événements extrêmes se multiplient et il faut se préparer à une élévation de la température moyenne mondiale en 2100 plus proche de 3 °C que de 1,5 °C par rapport au niveau préindustriel. Et donc à des dommages beaucoup, beaucoup, plus sévères. L’adaptation constitue un moyen essentiel pour les réduire, en particulier pour sauver des vies humaines aujourd’hui et demain.

L’augmentation observée s’établit déjà aujourd’hui à 1,2 °C. Il est vrai que, sur le papier, il reste possible de la contenir à moins de 2 °C : Selon les travaux d’une équipe internationale de chercheurs les promesses nationales d’atténuation et de dates d’atteinte zéro-carbone net devraient aboutir sur le siècle à 1,7 °C. Mais faut-il encore qu’elles soient respectées ! En tenant compte de leur faible crédibilité, la même équipe montre que l’élévation de température devrait au moins augmenter de moitié.

Leurs résultats se fondent par ailleurs sur une conversion entre la quantité de CO2 atmosphérique et l’élévation de température relativement conservatrice. Plus précisément 3 °C de plus pour un doublement du gaz carbonique dans l’atmosphère. Mais il s’agit là d’une valeur médiane.

Comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) le mentionne, s’il y a bien deux chances sur trois pour que l’élévation de la température consécutive au doublement soit comprise entre 2 °C et 4 °C, il y aussi une chance sur dix qu’elle puisse dépasser 5 °C. Selon un article paru ce mois-ci, il faudrait d’ailleurs compter sur une élévation médiane de 4,8 °C et non plus de 3 °C pour un doublement.

En termes de dommages, cela change tout. Appréhendés en perte de PIB et d’après plus d’une centaine d’économistes interrogés, les dommages tripleraient en passant de 2 °C à 3 °C et décupleraient en passant de 2 °C à 5 °C. Les travaux de modélisation économie-climat aboutissent à des variations moins spectaculaires mais les dommages calculés croissent toujours plus vite que la température.

Appréhendés en termes de mortalité humaine, le gouffre est également impressionnant. Pour une élévation de température de près de 3 °C à en 2100 la surmortalité associée à la chaleur est estimée à 40 décès pour 100 000 habitants mais elle quintuple avec une l’élévation de température de 5 °C.

Il faut donc à la fois faire face à un réchauffement d’ampleur et le combattre.

Mais faut-il mettre plus d’argent dans l’adaptation et moins dans l’atténuation, ou vice versa ? Quatre facteurs jouent sur la position du curseur.

En premier lieu, il est toujours préférable de mener conjointement atténuation et adaptation. Marcher sur une seule jambe entraînerait une perte de richesse. Il y a en effet de part et d’autre des actions dont le ratio bénéfice-coût est extrêmement favorable et donc à mener dans tous les cas de figure.

Pensons par exemple aux mesures de protection des infrastructures et des populations grâce aux systèmes de prévision et d’alertes qui permettent d’annoncer à l’avance une tempête ou une canicule prochaines. Pensons également aux mesures d’efficacité énergétique qu’il s’agisse de remplacer des ampoules incandescentes par des ampoules LED ou bien de remplacer les foyers de cuisson traditionnels au bois par des fourneaux améliorés. Répétons que cela revient à dire que les efforts d’atténuation doivent toujours s’accompagner d’au moins un peu d’effort d’adaptation et ce alors même qu’il en résultera un niveau d’émissions de gaz à effet de serre plus élevé qu’en cas d’une politique unique d’atténuation.

En second lieu, le curseur se place selon le taux d’actualisation choisi par les gouvernements. Comme les bénéfices de l’atténuation en termes de dommages évités se font sentir à plus long terme que ceux de l’adaptation, un taux d’actualisation élevé favorise cette dernière. Inversement, un taux faible déplace l’équilibre relatif vers un peu plus d’atténuation.

À titre d’exemple, un trio d’économistes italiens a calculé qu’avec un taux de 0,1 %, marquant donc une préoccupation très élevée pour les générations futures, la stratégie optimale implique une réduction des dommages de 72 % en 2100, dont les deux tiers accomplis par l’atténuation. Avec un taux plus favorable aux générations présentes de 3 %, la réduction des dommages passe à 59 % dont un sixième seulement accomplis cette fois par l’atténuation.

En troisième lieu, le mix dépend de l’ampleur des dommages. L’adaptation réduit les dommages présents et futurs tandis que l’atténuation ne réduit que les seconds. Du coup, plus les dommages précoces sont grands, plus le bon mix se déporte vers l’adaptation. Cette tendance doit toutefois être tempérée en tenant compte de la survenue possible de dommages gigantesques, potentiellement irréversibles et auxquels il est difficile de s’adapter. Plus la probabilité de catastrophes de grande ampleur s’élève plus la balance doit pencher en faveur de l’atténuation. Répétons cette différence triviale entre l’atténuation et l’adaptation : l’une réduit les émissions, l’autre non.

Ajoutons enfin que le mix, en particulier au niveau national, dépend du niveau de coopération entre les États pour lutter contre le réchauffement climatique. Face aux coûts de l’atténuation et sans coopération les gouvernements ne tiendraient compte que de ses bénéfices pour leurs propres citoyens. Or à l’exception des grandes nations peuplées comme la Chine (17,6 % de la population mondiale), voire dans une moindre mesure les États-Unis, ils sont très minces.

Avec un centième des habitants de la planète, la France ne perçoit qu’un centième des fruits de ses actions d’atténuation. Par contraste, comme nous l’avons déjà mentionné les bénéfices de l’adaptation sont locaux. L’absence de coopération pousse ainsi sur le plan national vers plus d’adaptation et moins d’atténuation.

La justice climatique offre un argument d’un autre ordre en faveur des efforts et des politiques d’adaptation. Les populations les plus exposées aux risques du réchauffement climatique sont généralement aussi les plus démunies en termes économiques et de possibilités d’adaptation. Cela est vrai au sein d’un même pays et entre les pays de différents niveaux de richesses.

Seule cette dernière dimension nous intéresse ici car les populations des pays en développement, en particulier des pays pauvres, en plus d’être les plus exposées et démunies sont aussi celles qui ont le moins contribué à emplir l’atmosphère de gaz à effet de serre et, contrairement aux pays développés, à tirer parti de l’énergie carbonée pour leur croissance. Cette situation justifie un flux d’aides financières consacrées à l’adaptation, des pays riches vers les autres.

Au cours des dernières années, ces aides se sont élevées à un peu plus de 20 milliards de dollars par an. Il est nécessaire de comparer ce montant aux aides internationales en faveur de l’atténuation ainsi qu’aux besoins. L’ONU s’est livrée à cet éclairant exercice dans son rapport 2023 sur le déficit d’adaptation au changement climatique. Entre 2017 et 2021, le financement spécifique pour l’adaptation représente en moyenne un peu moins de deux tiers du financement spécifique accordé à l’atténuation.

Dit autrement, les pays développés financent plus la réduction des émissions dans les pays en développement qu’ils ne les aident à s’adapter au changement climatique. Ils privilégient leur intérêt. En outre, les flux pour l’atténuation ont récemment augmenté alors qu’ils ont diminué pour l’adaptation.

Cette répartition et son évolution posent question. En effet, les retombées du financement sont moins favorables pour le pays aidé dans le cas de l’atténuation ; celle-ci bénéficie d’abord et avant tout au reste du monde. Elles peuvent même être défavorables puisqu’elles vont accroître la dette du pays aidé : près des deux tiers des fonds sont en effet attribués sous forme de prêts.

Cet endettement supplémentaire est particulièrement problématique pour les pays à bas revenus. Pour ces derniers – et contrairement aux autres pays en développement -, le financement international pour l’adaptation dépasse bien celui pour l’atténuation (une moyenne annuelle de 6 milliards de dollars d’aides pour l’adaptation contre 2,3 pour l’atténuation). Mais au vu de leur économie, de leurs très faibles émissions passées et présentes ainsi que du dénuement et de la vulnérabilité de leur population, ne serait-il pas plus juste d’y financer exclusivement des projets et mesures d’adaptation ?

Par ailleurs, les quelque 20 milliards de dollars annuels sont extrêmement éloignés des aides qui seraient théoriquement nécessaires. Selon le rapport de l’ONU, il en faudrait 10 à 20 fois plus ! Les travaux de modélisation économique des impacts sectoriels et des coûts d’adaptation repris de la littérature, puis retravaillés et agrégés par les auteurs du rapport, aboutissent à un besoin de financement de 215 milliards de dollars par an. À elle seule, l’adaptation aux inondations marines et fluviales en représente la moitié.

Une autre méthode utilisée par les auteurs, basée cette fois sur une approche comptable et financière par regroupement des projets et mesures d’adaptation, aboutit à 387 milliards de dollars par an. À elle seule, la région de l’Asie de l’Est et du Pacifique compte pour un peu moins de la moitié.

L’accord de Paris date de presqu’une décennie. Déjà. Fameux pour son engagement de maintenir l’élévation de température à « bien moins de 2 °C », il est aussi presque incognito celui qui reconnaît que l’adaptation est un défi mondial et établi un Objectif global d’adaptation (Global Goal on Adaptation). Sans lui donner toutefois, contrairement à l’objectif d’atténuation, une traduction chiffrée.

Depuis, plusieurs dizaines de formulations ont été proposées. « Augmenter les actions d’adaptation pour réduire les impacts de 30 % à l’horizon 2030 », par exemple. Ou encore pour le même horizon « Le financement international du climat pour l’adaptation doit atteindre un équilibre en matière d’atténuation, et augmenter, en ligne avec les engagements pris et le nouvel objectif collectif quantifié de financement climatique ».

Le Sultan Ahmed Al-Jaber, qui préside la COP 28 qui se tiendra bientôt à Dubaï, prône la recherche d’un équilibre entre la réduction des émissions et l’adaptation au réchauffement. Il a exprimé un soutien sans faille aux initiatives et actions en faveur de l’adaptation. Parviendra-t-il à obtenir des pays développés à multiplier leur aide financière aux pays en développement ? Et ce malgré une fracture politique grandissante entre les pays occidentaux et ceux dits du Sud global.

Pourquoi pas ? Attendons la fin de la vingt-huitième Conférence des Parties. Il ne faut pas céder à la fatalité, ni en matière d’adaptation ni en matière d’atténuation.

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Par François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris

 Subir les canicules ou s’adapter

 Subir les canicules ou s’adapter


L’adaptation des pièges à chaleur que sont devenues nos villes impose une volonté d’action forte afin de dépasser les blocages de règles et de manières de faire désuètes, assure la conseillère de Paris Maud Lelièvre dans une tribune au « Monde ».

46,4 °C dans le village de Gythio, en Grèce, 45 °C à Chypre, et le record européen de 48,2 °C à Jerzu, en Sardaigne… L’été 2023 a été des plus brûlants en Europe, et il continue de l’être.

La France est touchée elle aussi par un épisode caniculaire tardif et intense, qui impacte une grande partie du pays avec, dans plusieurs départements, des températures qui avoisinent ou dépassent les 40 °C.

Depuis l’hécatombe de 2003, en plus de concentrer des enjeux environnementaux importants, les canicules revêtent, pour les pouvoirs publics mais aussi pour les citoyens, des enjeux sanitaires et de santé publique cruciaux.

Pour autant, malgré la montée en puissance de la prise en considération de l’enjeu sanitaire relatif aux canicules, chaque année les vagues de chaleur sont de plus en plus fortes et fréquentes. Avec des scénarios de réchauffement du climat planétaire de + 2,2 °C à + 4,8 °C, d’ici à 2050 le nombre de vagues de chaleur doublera dans le monde, et leur fréquence sera même multipliée par neuf d’ici à 2100.

Les causes de ces augmentations sont connues et tous les experts mondiaux du climat nous le disent : le changement climatique amplifie et amplifiera les risques d’épisodes de chaleur extrême, augmentant par là même le nombre de personnes qui y sont exposées. Les chiffres étant plus probants que des mots, on estime que la vague de chaleur qui a frappé la France du 15 au 19 juin 2022 aurait eu une probabilité de survenir dix fois moindre dans un climat non réchauffé par les activités humaines.

Tout de même, il ne convient pas ici de pointer du doigt l’inaction mondiale face à l’urgence climatique. Il convient plutôt de montrer que subir les effets des canicules n’est pas une fatalité, mais bien un choix.

Ne nous méprenons pas. Ce n’est pas un choix délibéré des populations de mourir de chaud dans leurs appartements transformés en véritables bouilloires, mais c’est, au contraire, un choix politique de ne pas faire tout ce qui est en notre pouvoir pour adapter nos territoires.

Syndicalisme « S’adapter ou mourir » (CFDT)

Syndicalisme « S’adapter ou mourir » (CFDT)

Le secrétaire général de la CFDT ne le nie pas : le syndicalisme est en danger de mort, pris en tenailles des profondes transformations (télétravail, digitalisation, plateformisation, externalisations, désaffection de la jeunesse) qui fragilisent son terreau : les collectifs « physiques » de travail, là où se tissent les liens humains et sociaux. Un paradoxe, car le syndicalisme n’a peut-être jamais été aussi essentiel, afin de riposter à la déshumanisation, lente et sournoise, dont ces mutations menacent le travail. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune – N°9 « Travailler, est-ce bien raisonnable? », actuellement en kiosque)

 

Depuis mars 2020 et l’irruption de la pandémie de Covid-19, le travail connaît des mutations importantes, brutales et inédites. S’en porte-t-il forcément moins bien ?

LAURENT BERGER - Tout dépend des déterminants que nous affectons au travail. Si l’on se réfère aux actes de production, qu’il s’agisse de biens ou de services, les travailleurs ont répondu présent. Et cela quelle que soit leur situation, en présentiel ou en télétravail – rappelons que 70 % des salariés exercent une activité non éligible à ce dernier. Les entreprises n’ont aucune raison de se plaindre de l’implication et du soin que les salariés ont apportés à tenir leur emploi. En revanche, un autre volet du travail jette l’ombre sur votre question : la manière dont l’exercice du travail a été appréhendé, expérimenté et vécu à l’épreuve de la vie personnelle. Et dans ce domaine, nous sommes loin de pouvoir en tirer tous les enseignements.

D’abord, il y a le télétravail, objet d’immenses paradoxes auxquels la CFDT elle-même est nécessairement confrontée, comme toute entreprise. Des collaborateurs ou adhérents y ont goûté avec plaisir, d’autres en sont écœurés. Tout dépend bien sûr du contexte – logement, distance, situation familiale, etc. Sur les manières de coopérer, l’efficacité des réunions, la dimension affective, la compétence collective, nous n’avons pas fini de mesurer les effets vertueux et ceux délétères. Toutefois, je ne peux m’empêcher de considérer que le sens du travail, par nature lié aux interactions humaines et sociales, pâtit globalement de ce phénomène. Ce qui fait qu’un emploi « humanise » : dialoguer, rencontrer, rire, parfois ferrailler, se constituer des amitiés (et même des amours), bref partager, se délite dans cette digitalisation accélérée du travail. Bien sûr aussi, le télétravail met en péril l’étanchéité des temps professionnel et personnel. Chez beaucoup, ces temps se sont entremêlés, la ligne de frontière est de plus en plus indétectable, ouvrant les vannes d’une intensification et d’une pression supplémentaires.

Enfin, que dire de tous ces travailleurs auparavant invisibilisés et dont on a « découvert » l’immense utilité… et l’immense injustice à laquelle le manque de reconnaissance et des rémunérations indigentes les confrontent ? Travailleurs du commerce, de la logistique, de l’agroalimentaire, du nettoyage, de la sécurité privée, ils sont enfin un peu mieux considérés. Et que dire des professionnels du soin ? Voilà plus de dix ans qu’à la CFDT nous alertons sur la situation dramatique de l’hôpital, et il a fallu une crise pandémique pour que politiques, médias et opinion publique s’en saisissent !

Le télétravail accélère la fragmentation des espaces et des moments « physiques » du travail collectif, il dissémine et isole les salariés, il met au défi les liens humains et sociaux, l’esprit de coopération, le sentiment d’appartenance, l’intelligence partagée, le « management humain » : pour ces raisons, il est un poison pour les organisations syndicales…

Les deux années extrêmement difficiles que nous avons tous passées l’ont été aussi pour les organisations syndicales – songez par exemple dans nombre d’entreprises que nous n’avions pas accès aux boîtes mail professionnelles des salariés, ce qui nous aurait permis d’entrer en contact avec eux. Le lien interpersonnel se tisse dans la confiance, et cette dernière dans l’action collective. Laquelle est contestée dans un contexte de modification durable des organisations du travail où entretenir le lien avec les travailleurs sera plus compliqué. Nous ne savons pas si cela traduit un reflux du collectif au bénéfice de la singularité de chacun ; or le télétravail précise cette dernière selon les conditions dans lesquelles on l’exerce et la manière dont on veut (ou non) l’inscrire dans une perspective collective. Comment reconstruire du collectif en prise avec le télétravail : voilà un immense défi pour les entreprises, mais aussi pour les organisations syndicales exhortées à se réinventer.

Faut-il craindre que les entreprises se saisissent de ce phénomène – spontané ou contraint – d’individualisation pour externaliser toujours plus, pour atomiser davantage les collectifs du travail – notamment en se déchargeant des contrats au profit de l’auto-entrepreneuriat ?

Le risque est à plusieurs niveaux. Faire télétravailler à 95 % condamne toute opportunité de rencontres « physiques » et d’interaction sociale. Et en effet, poussée à son paroxysme, la logique d’autonomisation des fonctions peut amener à externaliser les postes, et à substituer au salariat le statut d’entrepreneur individuel. À propos de ce statut qui a connu en 2021 un vif succès, on a tendance à se focaliser sur la face émergée de l’iceberg (indépendance, gestion de son temps et de son lieu de travail, etc.) mais sous la ligne de flottaison les dangers sont nombreux. Être salarié ou prestataire ne donne pas accès aux mêmes droits. Et ne confère pas au travail un même « sens ».

Justement, la quête de sens fait résonance avec une lame de fond, que la pandémie a exacerbée : la digitalisation (et, sous-jacentes, la dématérialisation et la délocalisation) du travail, qui concerne tout particulièrement une jeunesse par nature très peu sensible au syndicalisme. Comment vous adaptez-vous à ce qui ressemble à un péril pour les organisations syndicales ?

Le défi de réhumaniser les relations doit composer avec cette réalité du digital. Laquelle va bien davantage bouleverser le travail que l’emploi. Continuer de créer du lien, continuer de nourrir un sentiment commun d’appartenance à la condition de travailleur, continuer de traiter tout ce qui altère l’épanouissement au travail : risques d’aliénation, d’intensification, de précarisation, d’isolement, de statut dégradé, etc. Le défi est de continuer d’avoir un regard sur l’évolution du travail et de faire la démonstration de notre utilité – notamment en donnant une existence, une reconnaissance à tous ces emplois « invisibles ».

Le syndicalisme doit choisir : s’adapter ou mourir. Et au profit des droits à construire, il doit solliciter un levier capital : celui de la régulation, axé sur le partage de la valeur et de la gouvernance. Il faut absolument rééquilibrer les pouvoirs dans l’entreprise.

Le salut peut-il venir de l’Europe ? En tant que président de la Confédération européenne des syndicats (CES), qu’attendez-vous de manière concrète et réaliste de la présidence française de l’Union européenne qui s’étire jusqu’en juin ?

Un salaire minimum dans toute l’Europe n’est plus une utopie. Cette convergence sociale est indispensable. Ce sera compliqué, mais on peut y parvenir. Autres sujets : lutter contre l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes, un véritable scandale dont les entreprises se rendent coupables en dépit des lois. Accroître la protection et la couverture sociale des travailleurs indépendants, très vulnérables – une directive sur la présomption de salariat est en projet, qui mettrait fin à l’exploitation elle aussi scandaleuse de l’auto-entrepreneuriat « subi » ; que l’on cesse de nous prendre pour des abrutis en affirmant que l’on est pleinement heureux de traverser Paris sous la pluie et livrer une pizza pour quelques dizaines de centimes ! Enfin, au niveau européen, nous pouvons peser sur le comportement social et environnemental des entreprises – en leur sein mais surtout chez leurs sous-traitants hors Europe, dans les pays dépourvus de normes exigeantes. C’est l’objectif du combat que la CES mène en faveur d’une directive sur le devoir de vigilance au niveau européen.

Sur le thème du travail, que restera-t-il du quinquennat d’Emmanuel Macron ?

Une approche minimum. La priorité a été donnée à l’emploi (meilleur accès, moins de règles et de contraintes) avec un certain succès sur des points en particulier comme l’apprentissage, et donc le travail a été traité comme un « sous-produit ». Rien des attributs du travail que nous venons d’évoquer n’a été abordé. Pendant la pandémie, de bonnes mesures en faveur des travailleurs et de l’activité ont été mises en œuvre. Du futur président, j’attends qu’il décrète l’organisation de grandes Assises du travail, dédiées à cerner ce qu’est et ce que doit devenir le travail : qu’est-il désormais, à quoi et qui sert-il, comment inoculer du sens, par quels moyens faire lien, comment répartir la valeur, quelles organisations, etc. Une approche globale – sociologique, philosophique, économique, managériale, organisationnelle – pour positionner le travail au cœur de notre épanouissement, et au cœur de la société.

À quelles conditions le travail peut-il « faire réconciliation » entre l’employé et l’employeur ?

Juste avant d’entrer dans l’usine, de s’attabler à son bureau, d’ouvrir son commerce, ou d’enclencher le moteur de son camion, le travailleur ne sort pas son cerveau du crâne pour le laisser à la porte ! Tout travailleur peut être contributeur de son propre travail, de l’amélioration de son travail, d’une meilleure performance au travail, et donc il participe substantiellement à la réussite économique et sociale de l’entreprise… si on lui en donne la possibilité. Cela requiert quelques conditions : être écouté, considéré, respecté, configurer le travail pour qu’il soit source d’émancipation et de réalisation de soi, cultiver les opportunités de coopération et de partage – à tous points de vue, y compris dans la gouvernance. Il y a une place pour l’humanisme au travail.

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Article issu de T La Revue n°9 « Travailler, est-ce bien raisonnable? » – Actuellement en kiosque et disponible sur kiosque.latribune.fr/t-la-revue

Taxes américaines sur Aluminium: L’UE veut s’adapter

Taxes américaines sur Aluminium: L’UE veut s’adapter

Après l’augmentation de 10% des droits de douane, l’Union européenne va s’adapter a déclaré lundi l’organisation professionnelle European Aluminium. “Nous pensons que l’UE procèdera à l’examen de mesures de sauvegarde dès que possible, dans le cadre des règles de l’OMC”, dit European Aluminium. “La réorientation (des importations – NDLR) peut se faire à partir de plusieurs marchés, Russie, Proche-Orient, Chine et autres; prendre des précautions empêchera toute réorientation susceptible de causer un préjudice à l’UE”. L’UE a ouvert fin mars une “enquête de sauvegarde” pour déterminer si les droits de douane américains entraînaient une hausse des importations d’acier en Europe. European Aluminium, qui compte plus de 80 adhérents, s’est abstenu de tout commentaire sur les répercussions des sanctions annoncées vendredi par les Etats-Unis sur Rusal, l’un des leaders mondiaux de l’aluminium.




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