Manchester City-Chelsea : Les contradictions du foot anglais
Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS, dresse une comparaison stimulante des évolutions du football anglais, qui épousent les cycles chaotiques de la vie politique et économique du Royaume-Uni.Un football qui se veut très british dans son organisation mais qui repose essentiellement sur des joueurs et des capitaux étrangers
De sa présente mainmise européenne à ses racines locales, le football britannique concentre en effet les plus saillants paradoxes d’un pays qui souhaite préserver son identité nationale d’un point de vue culturel, tout en s’ouvrant à tous les vents du point de vue économique.
Récent champion d’Angleterre, le club de Manchester City est dirigé par un entraîneur – Josep Guardiola – qui milite ouvertement pour l’indépendance politique de la Catalogne, soutenu par une grande partie de la classe ouvrière mancunienne (dont les frères Gallagher, du groupe Oasis), dans une ville qui a très majoritairement voté pour rester au sein de l’Union européenne (à 60,4 %), alors que les communes environnantes ont presque toutes voté « Leave » [« Quitter l’Union européenne »].
Manchester City dispose dans le même temps d’une puissance financière hors norme. Adossée au fonds souverain d’Abou Dhabi, elle lui a permis de bâtir une marque mondiale et d’attirer les meilleurs talents internationaux, à tel point que l’actionnaire émirati fut initialement sanctionné par l’Union des associations européennes de football (UEFA) pour une croissance financière jugée insuffisamment « organique » et contraire au fair-play financier.
Le club incarne en miniature les tensions du modèle britannique, et préfigure à sa manière la construction de l’identité britannique post-Brexit, entre Global Britain et Little England. Avant-poste et laboratoire de la mondialisation, le Royaume-Uni d’aujourd’hui est en effet le produit d’une opposition larvée entre la logique économiquement internationaliste qu’incarne la City de Londres d’une part, et les politiques migratoires très restrictives voulues aujourd’hui par Boris Johnson d’autre part, qui ne sont que la continuité des tirades de Theresa May [première ministre du Royaume-Uni de 2016 à 2019] jadis contre les « citoyens du monde », qui sont des « citoyens de nulle part ».