Routes nationales : » La privatisation , une régression «
Pour Bernard Lamizet, ancien professeur de sciences de l’information, dans une tribune au « Monde », la privatisation de routes nationales constitue une confiscation de l’espace public.
Tribune. Ça s’est passé au creux de l’été. Le 14 août, a été publié au Journal officiel, un décret du premier ministre, « relatif au classement de certaines sections de routes dans la catégorie des autoroutes », comme nous l’apprend Le Monde du 19 septembre dans l’article « La loi autorise la privatisation de kilomètres de nationales ».
De quoi s’agit-il ? Tout simplement, de privatiser des parties de routes nationales. Il s’agit, somme toute, d’étendre à des routes nationales le régime de concession des autoroutes au secteur privé, à des entreprises, ce qui contribue à réduire encore un peu l’emprise de l’Etat sur la circulation dans notre pays. Sans doute importe-t-il de s’interroger sur la signification de cette mesure nouvelle concernant la circulation dans notre pays.
D’abord, ne nous trompons pas : il s’agit d’une forme nouvelle de régression sociale. Tout se passe ainsi comme si nous revenions, une fois de plus, aux institutions de l’Ancien Régime, aux logiques d’aménagement de l’espace qui dominaient notre pays avant la Révolution de 1789. En privatisant certaines sections de routes nationales, l’exécutif fait revenir notre pays au régime de circulation qui prévalait avant l’émergence des idées et des projets révolutionnaires du XVIIIe siècle, en quelque sorte, finalement avant l’apparition de ce que l’on a appelé la philosophie des Lumières.
Ce projet d’inscription de certaines routes nationales dans le secteur de l’économie privée constitue un engagement de plus dans la libéralisation, dans la privatisation de l’économie. Mais surtout, il manifeste ce fait que la signification politique du libéralisme, ce que l’on pourrait appeler sa connotation, est bien une régression sociale parce qu’il implique une forme de transfert de la liberté de circulation des usagers, c’est-à-dire des citoyens, vers les entreprises, c’est-à-dire vers le marché.
L’espace politique de notre pays se trouve ainsi un peu plus placé sous l’emprise des pouvoirs des acteurs du marché et un peu moins placé sous l’autorité du démos, c’est-à-dire du peuple, fondement de la démocratie. C‘est que la régression sociale est aussi une régression politique, qui se manifeste dans l’abandon d’une partie de plus de l’espace public. L’espace public est une figure qui a deux significations.
La première, celle que l’on connaît bien depuis que Jürgen Habermas a publié L’Espace public en 1962, où le philosophe désigne ainsi l’espace du débat public, l’espace dans lequel les idées et les engagements sont librement formulés, débattus, confrontés les uns aux autres, dans l’éveil d’une vie politique réelle.