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Le rôle de l’argent dans la campagne électorale américaine

Le rôle de l’argent dans la campagne électorale américaine

 

Depuis 2004, à l’exception notable de Donald Trump en 2016, le candidat élu à la Maison Blanche a toujours été celui qui bénéficiait du budget de campagne le plus important. Or ces budgets n’ont cessé d’augmenter au cours des dernières années. Cette débauche de moyens, rendue possible par l’octroi de financements privés illimités à certains comités d’action politique (PAC), aboutit à une inquiétante privatisation de la vie politique américaine. La course effrénée aux généreux donateurs finit en effet par influencer le contenu des programmes des candidats.

par ,Professeur des Universités en économie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et Professeur de Sciences Economiques, directrice adjointe de la Maison de la Recherche en Sciences Humaines, Université de Caen Normandie dans « The Conversation » 

 

L’évolution de la législation américaine sur le financement des campagnes électorales a conduit au fil du temps à une véritable privatisation de la vie politique. Comment ? En permettant, au nom de la liberté d’expression garantie par le 1er amendement de la Constitution, un financement massif des campagnes présidentielles par des fonds privés.

La campagne la plus chère reste pour l’heure celle de 2020, où près de 2 milliards $ au total ont été dépensés par Joe Biden et Donald Trump. Selon la Federal Election Commission (FEC), Kamala Harris et Donald Trump avaient respectivement collecté pour leurs dépenses 901 et 376 millions de dollars au 30 septembre 2024. Ces montants ne retracent cependant que les dépenses des principaux comités de campagne et excluent les dépenses en publicité effectuées par les nombreux comités non liés aux partis politiques, mais très politiquement orientés.

En théorie, les candidats peuvent bénéficier d’une dotation publique individuelle de l’État fédéral, dont le montant s’élève en 2024 pour les partis « majeurs » à 123,5 millions de dollars, sous réserve de ne pas accepter de contributions privées complémentaires. Les « petits » candidats peuvent recevoir une fraction variable de cette somme s’ils obtiennent au moins 5 % des suffrages, seuil très rarement atteint.

En pratique, Barack Obama en 2008 a été le premier candidat d’un parti majeur à refuser d’emblée cette dotation. D’autres avant lui l’avaient acceptée puis rendue, afin de s’affranchir des contraintes associées. Depuis lors, tous les candidats démocrates et républicains n’ont fait appel qu’aux fonds privés, provenant de donateurs individuels, d’entreprises et de syndicats. Les dons peuvent être versés directement au comité associé au candidat, aux comités associés aux partis politiques mais aussi à différents comités d’action politique (PAC).

Les PAC traditionnels, autorisés à effectuer des transferts aux comités des candidats et des partis, reçoivent des dons d’individus, d’entreprises ou bien d’autres PAC pour un montant plafonné à 5 000 dollars par contributeur et par an. Ce plafond s’applique également aux PAC spéciaux (separate segregated fundSSF) administrés par des entreprises ou des syndicats.

À l’inverse, les Super-PAC, qui agissent sans coordination avec les partis politiques, peuvent recevoir des dons illimités. Leurs dépenses, qualifiées d’indépendantes, portent sur la publicité (favorable ou défavorable) à un ou plusieurs candidats ou partis. Certains PAC dits hybrid (ou « Carey ») disposent de deux budgets séparés pour les dépenses indépendantes d’une part et celles en lien avec les partis politiques d’autre part.

Les Super-PAC sont à l’origine de dépenses de plus en plus massives. Le site AdImpact recense ainsi 9 milliards de dollars dépensés en publicité politique sur le cycle électoral de 2020, toutes sources de financement et toutes élections confondues (incluant gouverneurs, Congrès, etc.), et projette que plus de 10 milliards auront été dépensés pour le cycle de 2024, dont 2,7 milliards de dollars spécifiquement associés à la présidentielle. Les trois quarts de ces 2,7 milliards seraient ciblés sur sept États seulement, les fameux swing states, au point que les électeurs qui y résident sont littéralement inondés de publicités électorales.

Mais les dépenses sont parfois difficiles à attribuer à un candidat spécifique. Certains PAC non traditionnels se déclarent ouvertement favorables à un candidat ou un parti – c’est le cas du PAC démocrate Future Forward ou du PAC républicain MAGA Inc. D’autres peuvent se déclarer favorables à un parti mais opposés au candidat investi, comme c’est le cas du Lincoln Project, républicain mais hostile au candidat Trump. Certains se déclarent politiquement neutres et défendent une cause spécifique. C’est le cas du PAC America qui prône simplement la « liberté », mais dont le fondateur, Elon Musk, affiche son soutien à Donald Trump, ou bien de Fairshake et du PAC associé à la NRA, qui défendent respectivement les cryptoactifs et la détention d’armes.

Cette course de « fonds » a pris une tournure particulière à l’été 2024 lorsque Joe Biden, sous la pression de son propre camp, s’est retiré de la course à la Maison Blanche pour céder sa place à sa vice-présidente et colistière Kamala Harris, laissant 96 millions de dollars non dépensés sur son compte de campagne.

Les Démocrates réallouent alors les fonds à Kamala Harris. Le PAC « Biden for President » informe officiellement la FEC de son changement de nom en « Harris for President » fin juillet 2024.

Immédiatement, les Républicains tentent d’empêcher le reversement des fonds de campagne du camp démocrate en déposant une plainte auprès de la FEC. Ils dénoncent une tromperie en arguant que les donateurs de Joe Biden auraient pu ne pas souhaiter donner à Kamala Harris. La manœuvre est purement politique, puisque les juristes s’accordent pour dire qu’aucune hypothétique action en justice ne pourrait être entamée avant l’élection.

Cette course aux financements confère une influence majeure aux riches et généreux donateurs, qu’il s’agisse de lobbies ou d’individus qualifiés d’« anges gardiens ».

En 2020, les hommes d’affaires Thomas Steyer et Michael Bloomberg, tous deux candidats à la primaire démocrate, faisaient campagne en grande partie sur leurs propres fonds. S’étant ralliés au candidat investi, ils ont contribué à accroître les fonds de campagne de Joe Biden de près de 220 millions de dollars.

Chez les Républicains, le principal donateur de la campagne de Donald Trump en 2020 était le magnat de l’immobilier et des jeux d’argent Sheldon Adelson, pour un montant estimé à près de 90 millions de dollars. Sa veuve Miriam avait annoncé fin mai 2024 son intention de faire don de près de 100 millions de dollars en faveur de Trump pour la campagne 2024 à travers le PAC Preserve America. A deux mois de la présidentielle, les fonds récoltés par ce PAC atteignaient les 100 millions de dollars, dont 80 millions de Miriam Adelson.

À cette échéance, le principal donateur de Donald Trump pour la campagne 2024 était le milliardaire Timothy Mellon, à hauteur de 115 millions de dollars versés au principal Super-PAC MAGA Inc. S’y ajoutent quelques autres très grands donateurs comme la femme d’affaires Linda McMahon (10 millions de dollars via MAGA inc, le fondateur et gérant du hedge fund Citadel Kenneth Griffin (5 million via American Patriots) ou Laura et Isaac Perlmutter (10 million via Right for America). Chez les Démocrates, le plus gros donateur individuel demeurait Michael Bloomberg avec 19 millions versés au PAC Hybride Future Forward en mai.

Le site OpenSecrets qui évalue le coût des campagnes électorales aux États-Unis, indique d’ailleurs qu’à la mi-septembre la campagne de Donald Trump repose davantage sur les très grands donateurs que celle de son adversaire, puisque 67 % de ses fonds proviennent de contributions individuelles supérieures à 200 000 dollars, contre 58 % pour Kamala Harris.

Selon OpenSecrets, l’industrie pétrogazière aurait déjà contribué, à la mi-septembre, à hauteur de 20,8 millions de dollars dans la campagne présidentielle sur le cycle électoral, dont 93 % en faveur de Donald Trump. De même pour l’industrie du tabac, dont 99 % des 8,7 millions ont été attribués aux Républicains. D’autres secteurs sont davantage favorables aux Démocrates, qui bénéficient par exemple de 86,5 % des 13,3 millions de dollars injectés dans la campagne présidentielle par l’industrie télévisuelle, cinématographique et la musique.

Une industrie en expansion s’investit particulièrement dans la campagne de 2024 : celle des cryptoactifs, notamment à travers le Super-PAC Fairshake, déjà évoqué. Début septembre, ce comité avait récolté près de 203 millions de dollars pour défendre ses intérêts dans le cadre des élections de cette année. Parmi les donateurs, on retrouve des grands noms des cryptos comme Ripple (25 millions) et Coinbase (25 millions).

Lorsque l’on compare les fonds récoltés par les candidats et les fonds mensuellement dépensés, on comprend mieux la multiplication des annonces du candidat Trump à l’attention de certaines industries, dont celles des cryptos, voire de personnalités comme Elon Musk. En effet, selon la FEC et le site OpenSecrets, les comptes de beaucoup des principaux PAC républicains (MAGA IncSave AmericaMAGA PACAmerica PAC) étaient à la mi-septembre proches de l’équilibre ou dans le rouge (ils avaient plus dépensé que récolté), alors que les principaux PAC démocrates (essentiellement Future Forward États-Unis et American Bridge) dégageaient de forts excédents leur permettant de poursuivre leurs dépenses en publicité.

Plus généralement, ce mode de financement interroge sur le lien entre certaines des positions défendues par les candidats et les intérêts de leurs donateurs. Donald Trump est clairement soutenu par l’industrie du tabac pour avoir défendu le vapotage pendant son mandat et annoncé sa volonté de ne pas interdire les cigarettes mentholées dénoncées dans les programmes de santé publique promus par les Démocrates. De même, le candidat républicain s’affiche en faveur des cryptoactifs, avec la promesse d’interdire à la Réserve fédérale le développement d’un e-dollar qui pourrait leur nuire.

Le camp démocrate n’est pas en reste. Kamala Harris a donné un certain nombre de gages, comme la promesse de ne pas interdire les cryptoactifs, et a révélé détenir une arme à son domicile dans le but de rassurer sur le fait qu’elle n’envisageait pas d’interdiction dans ce domaine si elle était élue…

Quel rôle de la France en Afrique ?

Quel rôle de la France en Afrique ?

 

Face aux soubresauts mortifères récurrents dans la corne de l’Afrique élargie (Éthiopie, Erythrée, Somalie, Djibouti et Soudan), la France, pourtant membre permanent du Conseil de sécurité, est complètement absente sur le plan diplomatique à la résolution de ces conflits. Et pourtant elle pourrait renouer avec son passé en revisitant de fond en comble la vieille amitié entre Paris et Addis Abeba, qui date du général de Gaulle et du Négus. Par le groupe de réflexions Mars*.( dans la Tribune)

« On observera que la religion ne joue aucun rôle dans ces conflits, que ce soit au Soudan, où tous les protagonistes sont musulmans sunnites, ou en Éthiopie, où les ethnies amhara et tigréennes sont censées partager la même foi chrétienne orthodoxe »
Au commencement était le Nil. Le Nil était auprès des dieux, et le Nil était dieu. Si le grand fleuve africain est pour ainsi dire absent de la mythologie et de la cosmogonie de l’ancienne Égypte, c’est qu’il est en réalité, dans l’histoire des peuples qui le bordent, la divinité suprême, celle qui les nourrit généreusement et dont les terribles colères, qu’il sorte de son lit ou retourne à l’étiage, font leur effroi. Ces caractéristiques valent autant de nos jours que pour l’Antiquité la plus haute. C’est le propre d’une divinité éternelle. Cela fait près de soixante siècles que l’histoire des peuples que le Nil unit, de gré ou de force, dépendent de ses humeurs. Et quand les hommes s’aventurent à prétendre les contrôler, le Nil se venge et, tel Jupiter, rend fous ceux qu’il veut perdre.

C’est bien ce qui est en train de se passer sous nos yeux, aveuglés par la guerre en Ukraine et au Proche-Orient, et les bruits de bottes autour de Taïwan.

Difficile à vrai dire de résumer en quelques lignes les événements tragiques de ces dernières années dans le bassin du Nil. L’année 2011 n’est pas seulement celle des révolutions arabes et de la période de troubles qui a suivi, notamment en Égypte, qui a su en sortir au prix d’un coup de force militaire, et surtout au Yémen, qui ne parvient pas à sortir du temps des troubles. Certes, géographiquement, « l’Arabie heureuse » n’appartient pas au bassin du Nil. Mais historiquement, elle lui est liée depuis les temps antiques de la reine de Saba.

Et c’est aussi en 2011 que l’Éthiopie lance le GERD (Grand Ethiopian Renaissance Dam), projet de développement proprement « pharaonique » de barrage sur le Nil bleu, censé alimenter en électricité la moitié des quelque 120 millions d’Éthiopiens. Or le Nil bleu, qui prend sa source au cœur de l’Abyssinie, au lac Tana, lui-même alimenté par les multiples sources des hauts plateaux éthiopien, est le principal affluent du grand Nil qui sort de Khartoum, la capitale du Soudan édifiée au confluent du Nil bleu et du Nil blanc, fleuve déjà immense qui paresse depuis les grands lacs d’Afrique centrale où nul n’a jamais trouvé sa source, même Livingstone. Les divinités n’ont pas de nombril.

Aujourd’hui, fin 2024, le projet suscite une alliance de fait entre les voisins de l’Éthiopie (hormis le Kenya) parrainée par le régime égyptien, qui reproche à Addis Abeba une gestion trop peu inclusive de la richesse suprême qu’est l’eau du Nil. Et cette alliance n’entretient pas que des velléités pacifiques à l’encontre de l’Éthiopie. Comment en est-on arrivé là, au bord d’une nouvelle guerre interétatique, la première du siècle née d’un conflit lié à l’accès à la ressource en eau ?

En lançant le GERD (anagramme du DERG, la sinistre junte communiste qui succéda à l’empire du Négus de 1974 à 1991), les intentions du gouvernement d’Addis Abeba n’étaient pas purement orientées vers la prospérité de ses peuples. Usé par vingt années d’un pouvoir sans partage, le parti du Premier ministre Meles Zenawi, puis Haile Mariam Dessalegn, (le président fédéral n’a en Éthiopie qu’un rôle protocolaire), dominé par l’ethnie tigréenne, minoritaire, cherchait avant tout à se relégitimer face aux tendances centrifuges encouragées par un fédéralisme ethnique voulant rompre avec l’unitarisme de l’empire des Negus, historiquement dominé par l’ethnie amhara qui lui a donné notamment sa langue véhiculaire.

Arrivé en 2018 à l’issue d’une révolution de palais au sein du parti au pouvoir, le nouveau Premier ministre Abiy Ahmed, ancien officier de renseignement issu par son père de l’ethnie oromo (numériquement majoritaire mais historiquement dominée par les Amharas, l’ethnie de sa mère), a voulu marquer les esprits en mettant un terme au conflit territorial avec l’Érythrée qui durait depuis trop longtemps, recevant ainsi le prix Nobel de la Paix 2019. Fort de cette reconnaissance internationale, Abiy Ahmed a relancé son pays dans une politique impériale, en interne en réprimant les tendances centrifuges, et vers l’extérieur en poursuivant le projet GERD au mépris du droit international relatif au partage de la ressource en eau.

Il en est résulté en interne une guerre civile implacable contre l’ex-ethnie dominante tigréenne, et en politique étrangère la coalition de tous ses voisins inquiets du remplissage unilatéral de l’immense lac de barrage situé en amont de la frontière soudanaise. Et il n’est pas exclu que la rébellion tigréenne, réprimée avec une férocité incongrue de la part d’un lauréat du Nobel, ait été suscitée, encouragée, voire armée par les services de renseignement égyptiens, dont on connaît les capacités.

Cette coalition, en germe depuis trois ans, s’est cristallisée dans un sommet tripartite inédit qui s’est tenu le 11 octobre dernier à Asmara, capitale de l’Érythrée, pays théoriquement en paix avec l’Éthiopie depuis 2019 mais qui pourrait se joindre à une intervention des deux autres participants au sommet : l’Égypte et la Somalie, qui ont signé en août un accord militaire dont on voit sans peine contre qui il peut être dirigé.

Il est vrai que l’Éthiopie, immense pays enclavé à la recherche d’un accès à la mer, a pour le moins manqué de tact à l’égard de son voisin somalien en passant un accord commercial avec la province sécessionniste du Somaliland ayant pour objet les facilités portuaires de Berbera, le port de Djibouti étant engorgé et celui d’Assab toujours inaccessible. Et voici comment le bassin du Nil communique avec la mer Rouge et la péninsule arabique. Notons en passant que les facilités portuaires de Berbera sont contrôlées depuis 2016 par la société émirienne Dubai Ports (qui y a évincé le groupe français Bolloré). Or les EAU sont un acteur à part entière de la tragédie en cours.

Il est en effet notoire que les services émiriens parrainent la rébellion des paramilitaires du général Dogolo « Hemeti » qui déchire le Soudan depuis plus d’un an. Alliés à la junte militaire (parrainée par l’Égypte) qui a renversé en 2019 le régime d’Omar el-Béchir, longtemps allié de l’Iran puis des Frères musulmans (et donc du Qatar), les paramilitaires soudanais sont les héritiers des milices arabes (Janjawid et autres), que les massacres des populations non arabes du Darfour et du Sud-Soudan ont rendues tristement célèbres dans la décennie 2000.

Pour les éloigner autant que pour sceller dans le sang son renversement d’alliance au profit de l’Arabie saoudite de MBS, le régime Béchir les a ensuite envoyés combattre au Yémen contre la rébellion des Houthis, soutenus par ses anciens alliés iraniens, aux côtés des Émiriens et des Saoudiens dont ils constituaient l’essentiel de l’infanterie. Les paramilitaires en sont revenus considérablement aguerris et enrichis. Manipulés dans un premier temps par l’armée régulière contre un régime Béchir à bout de souffle, puis contre le pouvoir civil issu d’une révolution (relativement) pacifique, ils ont fini (avec l’aide des mercenaires russes de Wagner) par se retourner contre la junte (dont les chefs ont tous été formés dans les académies militaires égyptiennes) dans une guerre civile dont on ne voit ni le sens ni l’issue.

Il n’est donc pas exclu que les services égyptiens finissent par s’entendre avec les services émiriens (qui partagent une commune détestation des Frères musulmans) pour mettre fin à la guerre inter-soudanaise et réorienter contre le voisin éthiopien l’ardeur belliqueuse des paramilitaires soudanais (qui font la guerre depuis plus de 20 ans). Il reste en effet toujours quelques querelles territoriales à régler dans la zone frontalière que traverse le Nil bleu.

Affaiblie par la rébellion tigréenne qui a révélé les piètres capacités de son armée, pâle héritière de la puissante armée rouge du DERG, l’Éthiopie ne tiendrait sans doute pas longtemps contre ses ennemis coalisés. Or le temps n’est plus où le régime Zenawi était l’un des principaux points d’appuis américains en Afrique et il est peu probable que les Etats-Unis volent au secours d’un allié aussi controversé, quel que soit le locataire de la Maison Blanche. Il en va de même des Israéliens, traditionnellement proches des Éthiopiens (d’aucuns diraient depuis le roi Salomon) mais dont les services et les forces armées sont aujourd’hui orientés contre l’Iran et ses proxies. Or l’Iran, qui ne semble pas jouer de rôle majeur dans la guerre civile soudanaise, ne parraine aucun des acteurs de la tragédie en cours.

Il n’en va pas de même des autres puissances régionales que sont non seulement l’Égypte et les EAU, mais aussi l’Arabie saoudite et même la Turquie. Du côté saoudien, dans un geste de haute politique qui n’est pas sans rappeler le modèle gaullien, le prince héritier MBS a voulu sortir de la guerre au Yémen pour se consacrer à ses projets de développement du littoral de la mer Rouge. Et la guerre civile soudanaise, tout comme la domination houthie du littoral yéménite, n’y est en rien favorable. Quant aux Turcs, ils cherchent à renouer avec l’héritage ottoman, qui a contrôlé le Hedjaz jusqu’au Yémen jusqu’à l’avènement, précisément, des Saoud. Cela se traduit entre autres par l’intervention de mercenaires turcs aux côtés du gouvernement légal somalien, et par un rapprochement inattendu avec le régime égyptien tirant un trait sur la période Morsi.

On observera que la religion ne joue aucun rôle dans ces conflits, que ce soit au Soudan, où tous les protagonistes sont musulmans sunnites, ou en Éthiopie, où les ethnies amhara et tigréenne sont censées partager la même foi chrétienne orthodoxe. Cela prouve-t-il, aujourd’hui comme dans l’Antiquité la plus lointaine, que la divinité au-dessus des religions demeure le Nil ?

Mais, direz-vous, en quoi est-ce que ces histoires lointaines intéressent la France ? Le drapeau tricolore ne s’est plus trempé dans les eaux du Nil depuis Fachoda. Pourtant, notre pays garde encore des intérêts limitrophes de la région en cause : au Tchad, résigné à subir les soubresauts des massacres récurrents dans le Darfour voisin ; à Djibouti, morceau d’Éthiopie arraché sous notre Second empire à l’empire abyssin à l’occasion d’une de ses périodes d’anarchie tout aussi récurrentes.
La France, membre permanent du Conseil de sécurité, pourrait pourtant jouer dans la région un rôle diplomatique de tout premier plan du fait des bonnes relations qu’elle entretient, aujourd’hui comme historiquement, avec les principaux acteurs de la tragédie en cours. En suscitant une médiation permettant de parvenir à une solution négociée au problème du remplissage du GRED, notre pays préserverait l’Éthiopie d’une nouvelle déconfiture militaire tout en lui évitant de perdre la face.

La France renouerait ainsi avec la vieille amitié entre de Gaulle et le Négus, nouée dans les combats de la Libération. Elle se ferait pour longtemps une amie influente en Afrique (l’UA siège à Addis) sans pour autant se fâcher avec les autres parties au conflit, qui restent des partenaires voire des alliés. Ce serait pour notre pays un retour en Afrique par la grande porte après les échecs que l’on sait. Cela serait en outre cohérent avec notre stratégie pour l’indopacifique, que les soubresauts en Nouvelle-Calédonie n’aident pas à crédibiliser.

Quelle place de la France en Afrique et dans le monde
L’action diplomatique, non la diplomatie des poignées de main devant les caméras, mais celle, beaucoup plus efficace, qui emprunte des canaux discrets, voire secrets, ne nécessite pas de grands moyens budgétaires. Encore faudrait-il que notre pays renoue avec un destin, une vocation, ou plus simplement une stratégie. Toutes les puissances régionales en ont une, qu’elles mettent en œuvre avec application. Quelle est la grande stratégie de notre pays, au-delà des échéances électorales qui se succèdent à un rythme accéléré? Avons-nous décidé de sortir de l’Histoire ?

Il nous manque depuis trop longtemps une volonté, de la persévérance, et par-dessus tout, une vision et une compréhension de notre juste place dans le monde. Le beau projet du « Louvre Abu Dhabi » aurait-il vu le jour sans Champollion ? De Gaulle disait que derrière les victoires d’Alexandre se tenait Aristote. Il aurait pu ajouter que derrière les découvertes de Champollion se trouvait Bonaparte.

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* Le groupe Mars, constitué d’une trentaine de personnalités françaises issues d’horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l’industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.
Le groupe de réflexions Mars*

Le rôle des économistes dans la société

 

Le rôle des économistes dans la société
 

Les économistes Virgile Chassagnon et Jean Tirole, qui a reçu le prix Nobel 2014, reviennent, dans une tribune au « Monde », sur le rôle des économistes dans la société, qui est souvent incompris par les citoyens, alors que les choix économiques sont au cœur des élections européennes du 9 juin.

Comme à chaque élection, l’expertise des économistes est invoquée par les candidats aux mandats pour donner une épaisseur, voire un cautionnement académique à leurs idées. Très souvent l’on entend des renvois, parfois hasardeux, aux « économistes » plutôt que des références précises à des économistes nommément distincts et/ou à leurs travaux particuliers. Pourtant, une partie de l’opinion publique fustige l’influence des économistes sur la prise de décision politique, leur côté « donneur de leçons » et leur incapacité à anticiper des crises économiques majeures.

Est-ce parce que leur discipline, bien que très familière par les sujets qu’elle traite, est en fait complexe et propice aux biais cognitifs ? Ou parce que l’économie est porteuse de mauvaises nouvelles, ébranlant la vision que nous aimerions avoir de la société, celle de citoyens recherchant le bien commun par motivation strictement intrinsèque et non pas mus aussi par des incitations ? Ou encore parce que les économistes auraient perdu la boussole du bien commun ? Cette relation ambiguë entre l’économiste et le citoyen n’est en réalité pas nouvelle ; elle a jalonné l’histoire de notre pays.

Pour comprendre le rôle de l’économiste dans la société, il faut sans doute revenir aux origines du mot « économie » dans le grec ancien oïkonomia, que l’on peut apprécier comme « gestion de la cité ». Dès son origine, l’économie fut donc politique ; elle s’inscrivit dans une perspective sociétale. A ce titre, la science économique se doit d’être une science morale et philosophique.

La tâche des économistes se veut pour autant logiquement neutre : neutre vis-à-vis des objectifs collectifs – l’économie est une science du « comment » : elle étudie comment allouer et produire des ressources rares pour atteindre les objectifs sociétaux – et neutre vis-à-vis des motivations des individus qui la composent – motivations matérielles, sentiments moraux, besoins d’image et d’identité…

L’intérêt général se fonde sur la volonté de préservation des principes moraux de la République en transcendant les aspirations individuelles, les lobbys des groupes socioprofessionnels et les partisanismes politiques, et en protégeant les droits fondamentaux

Climat : Le président de la COP 28 conteste le rôle du pétrole

Climat : Le président de la COP 28 conteste le rôle du pétrole

« aucune étude scientifique, aucun scénario, ne dit que la sortie des énergies fossiles nous permettra d’atteindre 1,5°C » déclaré le président de la cape 28. Ce qui n’a pas manqué d’agacer Sultan al-Jaber. La question d’une réduction ou d’une sortie des fossiles est un des sujets les plus tendus de la 28e conférence de l’ONU pour le climat, qui se tient jusqu’au 12 décembre à Dubaï.

Le quotidien britannique The Guardian, a rapporté des propos tenus par l’Emirati lors d’un échange en ligne le 21 novembre, avec Mary Robinson, présidente du « groupe des Sages » (de hauts responsables, militants pour la paix et défenseurs des droits humains).

« Aucune étude scientifique, aucun scénario, ne dit que la sortie des énergies fossiles nous permettra d’atteindre 1,5°C. 1,5°C est mon étoile du Nord. Et une réduction et une sortie des énergies fossiles sont, selon moi, inévitables. C’est essentiel. Mais il faut être sérieux et pragmatique », avait-il déclaré.

« Nous sommes ici parce que nous croyons et nous respectons la science », a-t-il martelé lors d’une conférence de presse, à laquelle il avait convié Jim Skea, le président du Giec, le groupe d’experts climatiques mandatés par l’ONU. Et d’ajouter : « Tout le travail de la présidence est focalisé et centré sur la science ».

« La science dit qu’il faut atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et qu’il faut réduire les émissions de 43% d’ici 2030 » pour limiter le réchauffement à +1,5°C, but fixé par l’accord de Paris, a encore rappelé celui qui est également patron de la compagnie pétrolière émiratie Adnoc. « J’ai dit et redit que la réduction et la sortie des énergies fossiles étaient inévitables ».Le seul problème c’est quand

Les jeux positions tourne autour des mots réductions ou suppression. Il est clair que les producteurs de pétrole sont surtout favorables au concept de réduction progressive pour continuer d’engranger la manne financière des énergies fossiles. À l’inverse des pays plus écolos qui souhaitent qu’une date soit fixée pour la fin notamment du pétrole.
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D’un côté, les nations insulaires et plusieurs pays d’Amérique latine (Colombie, Pérou, Chili,…) défendent avec force de viser l’objectif de 1,5°C plutôt que 2°C. Et pour cela de sortir au plus vite des énergies fossiles, suivis par l’Union européenne. De l’autre, des pays développés, producteurs d’hydrocarbures (États-Unis, Canada, Australie, Norvège), sont aussi favorables à cette sortie, mais avec moins d’ambition dès la décennie en cours. Quand la plupart des pays africains sont, eux aussi, en faveur d’une sortie des énergies fossiles, mais à condition de bénéficier d’un délai bien plus long que les pays déjà développés.

Ln autre observateur. Avec en mémoire, l’exemple de la COP26 de Glasgow, en 2021. En effet, si le texte final faisait bien mention de l’énergie fossile la plus polluante de toutes, le charbon, cet ajout avait subi des modifications sémantiques de dernière minute pour amoindrir largement la portée des ambitions.

Santé: Le rôle néfaste des influenceurs

Transition écologique : Le rôle de la biomasse

Transition écologique : Le rôle de la biomasse

par
Jérôme Mousset
Directeur bioéconomie et énergies renouvelables, Ademe (Agence de la transition écologique) dans The conversation

Depuis plusieurs années, les épisodes de sécheresse se multiplient et s’intensifient en Europe, charriant leurs conséquences dramatiques sur la production agricole, comme actuellement en Espagne. L’impact du changement climatique sur les forêts dans le monde est également renforcé par la mortalité accrue des arbres, une dégradation de leur état sanitaire et une réduction de leur vitesse de croissance notamment en lien avec les parasites et les incendies. Dans ce contexte, la place à octroyer à la biomasse dans la transition écologique et énergétique est au cœur d’un dilemme : on attend beaucoup d’elle pour lutter contre le changement climatique et en particulier pour contribuer à l’objectif de neutralité carbone, mais elle est aussi dès à présent impactée par l’accélération de ce même changement climatique.

Rappelons en premier lieu que la biomasse, souvent évoquée en matière d’énergie, couvre en fait l’ensemble de la matière organique d’origine végétale ou animale présente dans un espace donné : elle comprend donc à la fois les ressources venues du monde agricole et agroalimentaire (sa production, ses résidus, ses effluents d’élevage, ses biodéchets industriels…), des haies, des forêts et leurs filières de transformation (grumes, bûches, plaquettes forestières…), des productions issues de l’eau (algues) et des divers biodéchets collectés.

En partie valorisée dans les filières, la biomasse reste pour une autre partie dans les écosystèmes, notamment pour le maintien de la biodiversité.

En France, elle constitue une ressource importante très diverse dans ses gisements et ses caractéristiques. 45 % de la surface du pays est dédiée à l’agriculture et 31 % à la forêt – la France détient le 3e plus grand massif d’Europe. Plus méconnue, la biomasse issue du monde de l’eau est une voie émergente mais dynamique en recherche et innovation.

L’ensemble de ces ressources constitue un atout pour la transition écologique du pays et une richesse majeure pour la bioéconomie – ensemble des activités, des produits et services issus du monde du vivant.

On distingue trois grands types d’usages de la biomasse. Le volume le plus important de la biomasse agricole est dédié à la production alimentaire. Les produits biosourcés, fabriqués entièrement ou partiellement à partir de matière issue du vivant, couvrent un champ très large – allant des matériaux de construction et d’isolation aux composites utilisées dans l’automobile, aux matières utilisées dans l’habillement ou dans le monde de la chimie (peintures ou solvants par exemple).

Son troisième grand usage, historique, est la production d’énergie : de chaleur renouvelable, de biogaz, de biocarburants et d’électricité en cogénération, par exemple. Le bois énergie, qui représente 35,1 % en 2021 de la production primaire d’énergie renouvelable, constitue la première des énergies renouvelables en France.

Les scénarios prospectifs pour atteindre la neutralité carbone en 2050 – comme ceux élaborés par l’Ademe – donnent ainsi à la biomasse un rôle clé : aucun des quatre ne parvient à un résultat sans une contribution forte au monde du vivant. Sur le plan climatique, elle prend deux formes principales, le stockage du carbone et la substitution des ressources fossiles.

La biomasse étant constituée par nature de carbone capté par la photosynthèse, elle a une capacité à stocker massivement du carbone. Elle offre ainsi la possibilité de maintenir une quantité de carbone hors de l’atmosphère, et en augmentant ce stock de créer un puits de carbone, donc une absorption. Le carbone est principalement stocké dans trois grands compartiments – les sols, les arbres et les produits biosourcés.

À l’échelle mondiale, le carbone stocké dans les arbres et les sols est au moins trois fois plus important que celui stocké dans l’atmosphère. Toute variation de la quantité stockée affecte donc le bilan, positivement ou négativement. D’où la nécessité de maintenir les stocks et de mettre en place des stratégies visant à les augmenter, comme le retour au sol de la matière organique, le maintien des prairies ou l’agroforesterie.

L’effet de substitution consiste de son côté à remplacer l’usage de ressources fossiles par de la biomasse renouvelable avec le développement des produits biosourcés et des bioénergies. Compte tenu de son potentiel, son rôle est déterminant pour sortir de notre dépendance aux ressources fossiles non renouvelables et renforcer notre autonomie énergétique.

Au-delà de ces deux enjeux, la biomasse et les écosystèmes rendent évidemment de nombreux autres services à ne pas négliger. L’enjeu est d’utiliser cette biomasse renouvelable en veillant à ne pas dégrader la biodiversité, et quand cela est possible, de trouver des synergies positives permettant au contraire de la renforcer.

Le développement des haies et de l’agroforesterie répond par exemple à ce double enjeu de biomasse et de renforcement de la résilience des écosystèmes. Ces milieux jouent également d’autres rôles dans le cycle de l’eau, les paysages, sans oublier leur fonction récréative.

Tous ces enjeux étant étroitement liés, il est indispensable d’aborder la question des usages de la biomasse, et plus largement de nos besoins et niveaux de consommation, avec une vision systémique afin de définir le juste équilibre entre ces fonctions, la biomasse étant certes une richesse mais aussi une ressource limitée.

Ces multiples facettes expliquent que la place qu’elle doit occuper dans la transition fasse l’objet de nombreux débats. Il ressort de notre point de vue, trois défis majeurs : adapter les systèmes agricoles et forestiers, objectiver les bilans environnementaux et renforcer l’analyse systémique.

En tête des enjeux figure celui de préserver la qualité de nos écosystèmes dans ce contexte d’accélération des effets du changement climatique. La fréquence accrue des sécheresses, des canicules et des incendies affectent directement les écosystèmes agricoles et forestiers et génèrent une incertitude croissante sur les services attendus de ces milieux.

Tout affaiblissement des systèmes de production de biomasse compliquera l’atteinte de la neutralité carbone par une baisse du potentiel de stockage de carbone et par une réduction du potentiel de substitution.

L’adaptation des systèmes agricoles et forestiers au changement climatique est donc un axe prioritaire d’action pour les années à venir, en anticipant l’évolution du climat dans les investissements et les orientations des systèmes de production.

Aussi, l’adaptation des écosystèmes forestiers au changement climatique pour lutter contre le dépérissement des massifs et le renforcement de leur résilience constitue une priorité absolue. C’est tout l’enjeu du dispositif de renouvellement forestier de France 2030, qui vise à améliorer la résilience des forêts au changement climatique.

Sur le plan agricole, il s’agit de mobiliser les indicateurs agroclimatiques pour anticiper l’impact de l’évolution du climat sur les productions agricoles dans chaque territoire, et construire des stratégies d’adaptation pour chaque filière. Des démarches qui visent à aider la prise de décision afin que les investissements et les orientations de productions réalisés aujourd’hui soient cohérents avec le climat que nous aurons dans le futur.

Le fait d’avoir recours à de la matière issue du monde du vivant ne suffit pas à garantir un service environnemental optimal. Les avancées sur la compréhension des services rendus des usages de la biomasse montrent la nécessité de prendre toute la chaîne de l’amont à l’usage final du produit.

La contribution du bois énergie à la lutte contre le changement climatique est par exemple dépendant du type de ressource utilisé.

Aussi, pour objectiver les services environnementaux rendus par les usages de la biomasse, il est indispensable de tenir compte de son origine, de l’impact potentiel des prélèvements sur le puits de carbone, des pratiques sur la biodiversité, de la préservation de la qualité des sols, des effets de l’utilisation des intrants pour les productions agricoles ou de la gestion de la fin de vie des produits.

Compte tenu des enjeux environnementaux en cours et de la complexité de la biomasse, il est donc nécessaire de continuer à investir pour objectiver et quantifier les services environnementaux rendus par la biomasse, et notamment dans la science pour mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre.

Il s’agit aussi, pour les projets de taille importante, de renforcer la traçabilité des produits en remontant jusqu’à la parcelle (et aux pratiques mises en place à cette échelle) pour avoir une garantie sur la plus-value environnementale des services rendus à la population.

Enfin, l’interconnexion des filières et des enjeux implique de repenser la gouvernance de la biomasse pour permettre une vision plus systémique et sortir d’une vision en silo, filière par filière.

Il s’agit de veiller par un suivi global de la biomasse à une cohérence et une compatibilité entre la diversité des ressources disponibles, l’état des écosystèmes, les niveaux attendus des usages prévus sur les bioénergies et les produits biosourcés. La ressource étant renouvelable mais limitée, cette analyse doit aider à définir des règles de priorisation et de partage. Plus généralement, il faut trouver des compromis entre les objectifs de substitution, de stockage de carbone, de préservation de la biodiversité ou de gestion de l’eau. Le suivi de la ressource biomasse et des usages est aussi à renforcer au niveau local à travers la planification territoriale, pour tenir compte de la diversité des milieux.

Indispensable à la transition écologique du pays, la biomasse demeure complexe à appréhender, avec de multiples dimensions environnementales, sociales et économiques. Le défi est de rechercher en permanence les équilibres entre ses différentes fonctions.

Le rôle important de la biomasse dans la transition écologique

Le rôle important de la biomasse dans la transition écologique

par
Jérôme Mousset
Directeur bioéconomie et énergies renouvelables, Ademe (Agence de la transition écologique) dans The conversation

Depuis plusieurs années, les épisodes de sécheresse se multiplient et s’intensifient en Europe, charriant leurs conséquences dramatiques sur la production agricole, comme actuellement en Espagne. L’impact du changement climatique sur les forêts dans le monde est également renforcé par la mortalité accrue des arbres, une dégradation de leur état sanitaire et une réduction de leur vitesse de croissance notamment en lien avec les parasites et les incendies. Dans ce contexte, la place à octroyer à la biomasse dans la transition écologique et énergétique est au cœur d’un dilemme : on attend beaucoup d’elle pour lutter contre le changement climatique et en particulier pour contribuer à l’objectif de neutralité carbone, mais elle est aussi dès à présent impactée par l’accélération de ce même changement climatique.

Rappelons en premier lieu que la biomasse, souvent évoquée en matière d’énergie, couvre en fait l’ensemble de la matière organique d’origine végétale ou animale présente dans un espace donné : elle comprend donc à la fois les ressources venues du monde agricole et agroalimentaire (sa production, ses résidus, ses effluents d’élevage, ses biodéchets industriels…), des haies, des forêts et leurs filières de transformation (grumes, bûches, plaquettes forestières…), des productions issues de l’eau (algues) et des divers biodéchets collectés.

En partie valorisée dans les filières, la biomasse reste pour une autre partie dans les écosystèmes, notamment pour le maintien de la biodiversité.

En France, elle constitue une ressource importante très diverse dans ses gisements et ses caractéristiques. 45 % de la surface du pays est dédiée à l’agriculture et 31 % à la forêt – la France détient le 3e plus grand massif d’Europe. Plus méconnue, la biomasse issue du monde de l’eau est une voie émergente mais dynamique en recherche et innovation.

L’ensemble de ces ressources constitue un atout pour la transition écologique du pays et une richesse majeure pour la bioéconomie – ensemble des activités, des produits et services issus du monde du vivant.

On distingue trois grands types d’usages de la biomasse. Le volume le plus important de la biomasse agricole est dédié à la production alimentaire. Les produits biosourcés, fabriqués entièrement ou partiellement à partir de matière issue du vivant, couvrent un champ très large – allant des matériaux de construction et d’isolation aux composites utilisées dans l’automobile, aux matières utilisées dans l’habillement ou dans le monde de la chimie (peintures ou solvants par exemple).

Son troisième grand usage, historique, est la production d’énergie : de chaleur renouvelable, de biogaz, de biocarburants et d’électricité en cogénération, par exemple. Le bois énergie, qui représente 35,1 % en 2021 de la production primaire d’énergie renouvelable, constitue la première des énergies renouvelables en France.

Les scénarios prospectifs pour atteindre la neutralité carbone en 2050 – comme ceux élaborés par l’Ademe – donnent ainsi à la biomasse un rôle clé : aucun des quatre ne parvient à un résultat sans une contribution forte au monde du vivant. Sur le plan climatique, elle prend deux formes principales, le stockage du carbone et la substitution des ressources fossiles.

La biomasse étant constituée par nature de carbone capté par la photosynthèse, elle a une capacité à stocker massivement du carbone. Elle offre ainsi la possibilité de maintenir une quantité de carbone hors de l’atmosphère, et en augmentant ce stock de créer un puits de carbone, donc une absorption. Le carbone est principalement stocké dans trois grands compartiments – les sols, les arbres et les produits biosourcés.

À l’échelle mondiale, le carbone stocké dans les arbres et les sols est au moins trois fois plus important que celui stocké dans l’atmosphère. Toute variation de la quantité stockée affecte donc le bilan, positivement ou négativement. D’où la nécessité de maintenir les stocks et de mettre en place des stratégies visant à les augmenter, comme le retour au sol de la matière organique, le maintien des prairies ou l’agroforesterie.

L’effet de substitution consiste de son côté à remplacer l’usage de ressources fossiles par de la biomasse renouvelable avec le développement des produits biosourcés et des bioénergies. Compte tenu de son potentiel, son rôle est déterminant pour sortir de notre dépendance aux ressources fossiles non renouvelables et renforcer notre autonomie énergétique.

Au-delà de ces deux enjeux, la biomasse et les écosystèmes rendent évidemment de nombreux autres services à ne pas négliger. L’enjeu est d’utiliser cette biomasse renouvelable en veillant à ne pas dégrader la biodiversité, et quand cela est possible, de trouver des synergies positives permettant au contraire de la renforcer.

Le développement des haies et de l’agroforesterie répond par exemple à ce double enjeu de biomasse et de renforcement de la résilience des écosystèmes. Ces milieux jouent également d’autres rôles dans le cycle de l’eau, les paysages, sans oublier leur fonction récréative.

Tous ces enjeux étant étroitement liés, il est indispensable d’aborder la question des usages de la biomasse, et plus largement de nos besoins et niveaux de consommation, avec une vision systémique afin de définir le juste équilibre entre ces fonctions, la biomasse étant certes une richesse mais aussi une ressource limitée.

Ces multiples facettes expliquent que la place qu’elle doit occuper dans la transition fasse l’objet de nombreux débats. Il ressort de notre point de vue, trois défis majeurs : adapter les systèmes agricoles et forestiers, objectiver les bilans environnementaux et renforcer l’analyse systémique.

En tête des enjeux figure celui de préserver la qualité de nos écosystèmes dans ce contexte d’accélération des effets du changement climatique. La fréquence accrue des sécheresses, des canicules et des incendies affectent directement les écosystèmes agricoles et forestiers et génèrent une incertitude croissante sur les services attendus de ces milieux.

Tout affaiblissement des systèmes de production de biomasse compliquera l’atteinte de la neutralité carbone par une baisse du potentiel de stockage de carbone et par une réduction du potentiel de substitution.

L’adaptation des systèmes agricoles et forestiers au changement climatique est donc un axe prioritaire d’action pour les années à venir, en anticipant l’évolution du climat dans les investissements et les orientations des systèmes de production.

Aussi, l’adaptation des écosystèmes forestiers au changement climatique pour lutter contre le dépérissement des massifs et le renforcement de leur résilience constitue une priorité absolue. C’est tout l’enjeu du dispositif de renouvellement forestier de France 2030, qui vise à améliorer la résilience des forêts au changement climatique.

Sur le plan agricole, il s’agit de mobiliser les indicateurs agroclimatiques pour anticiper l’impact de l’évolution du climat sur les productions agricoles dans chaque territoire, et construire des stratégies d’adaptation pour chaque filière. Des démarches qui visent à aider la prise de décision afin que les investissements et les orientations de productions réalisés aujourd’hui soient cohérents avec le climat que nous aurons dans le futur.

Le fait d’avoir recours à de la matière issue du monde du vivant ne suffit pas à garantir un service environnemental optimal. Les avancées sur la compréhension des services rendus des usages de la biomasse montrent la nécessité de prendre toute la chaîne de l’amont à l’usage final du produit.

La contribution du bois énergie à la lutte contre le changement climatique est par exemple dépendant du type de ressource utilisé.

Aussi, pour objectiver les services environnementaux rendus par les usages de la biomasse, il est indispensable de tenir compte de son origine, de l’impact potentiel des prélèvements sur le puits de carbone, des pratiques sur la biodiversité, de la préservation de la qualité des sols, des effets de l’utilisation des intrants pour les productions agricoles ou de la gestion de la fin de vie des produits.

Compte tenu des enjeux environnementaux en cours et de la complexité de la biomasse, il est donc nécessaire de continuer à investir pour objectiver et quantifier les services environnementaux rendus par la biomasse, et notamment dans la science pour mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre.

Il s’agit aussi, pour les projets de taille importante, de renforcer la traçabilité des produits en remontant jusqu’à la parcelle (et aux pratiques mises en place à cette échelle) pour avoir une garantie sur la plus-value environnementale des services rendus à la population.

Enfin, l’interconnexion des filières et des enjeux implique de repenser la gouvernance de la biomasse pour permettre une vision plus systémique et sortir d’une vision en silo, filière par filière.

Il s’agit de veiller par un suivi global de la biomasse à une cohérence et une compatibilité entre la diversité des ressources disponibles, l’état des écosystèmes, les niveaux attendus des usages prévus sur les bioénergies et les produits biosourcés. La ressource étant renouvelable mais limitée, cette analyse doit aider à définir des règles de priorisation et de partage. Plus généralement, il faut trouver des compromis entre les objectifs de substitution, de stockage de carbone, de préservation de la biodiversité ou de gestion de l’eau. Le suivi de la ressource biomasse et des usages est aussi à renforcer au niveau local à travers la planification territoriale, pour tenir compte de la diversité des milieux.

Indispensable à la transition écologique du pays, la biomasse demeure complexe à appréhender, avec de multiples dimensions environnementales, sociales et économiques. Le défi est de rechercher en permanence les équilibres entre ses différentes fonctions.

Émeutes : le rôle des trafiquants de drogue

Émeutes : le rôle des trafiquants de drogue

Des médias se sont naïvement étonnés des attaques contre les biens publics mais surtout contre les mairies. En effet pourquoi viser les mairies où en général il n’y a pas grand-chose à piller. Simplement parce que cela représente l’institution républicaine la plus proche mais surtout parce que de plus en plus de mairies ont engagé une lutte acharnée pour se débarrasser du trafic de drogue. C’était un particulier le cas à L’Haÿ-les-Roses dont le maire a été personnellement l’objet d’actions criminelles.

Ce maire a été particulièrement courageux et clair sur les responsabilités des attaques contre les mairies. Il a nettement affirmé qu’il convenait désormais de ne plus voiler les yeux quant aux responsabilités criminelles des trafiquants de drogue.

Ces derniers en effet ont eux des objectifs politiques et sociétaux visant à interdire définitivement la présence de toute force de police qui freine leur juteux business sur leur territoire .

Invité au 20 heures de TF1, le maire de L’Haÿ-les-Roses Vincent Jeanbrun est donc revenu sur l’attaque à la voiture-bélier qui a visé domicile dans la nuit de samedi à dimanche. Depuis le début des soirées d’émeutes en réaction à la mort de Nahel, plusieurs élus ont été visés. Une attaque qui pose plus généralement la question de la protection des élus et représentants d’institutions ou d’organisations publiques.( Élus bien sûr mais aussi médecins, pompiers, enseignants etc.).

« Ils voulaient brûler la maison, nous tuer. Le véhicule était clairement dirigé pour venir percuter la façade de la maison et la véranda », raconte l’édile.

« Après avoir mis le feu à la voiture, ils ont pris des conteneurs de poubelles et en ont fait une espèce de chemin pour que les flammes puissent atteindre la véranda », poursuit Vincent Jeanbrun. « Il n’y a aucun doute sur le fait qu’ils voulaient brûler la maison. »

« Ils ont compris qu’il y avait quelqu’un à l’intérieur. Loin d’arrêter, ils ont déclenché une salve de tirs de mortiers complètement folle », dénonce-t-il.

En prenant la fuite avec ses deux jeunes enfants, son épouse s’est fracturé le tibia. « Elle a payé de sa personne pour sauver nos enfants. Elle a fait un acte de bravoure extraordinaire », a dit le maire de L’Haÿ-les-Roses.

Rôle des syndicats dans les mouvements sociaux

Rôle des syndicats dans les mouvements sociaux

Stéphanie Matteudi-Lecocq, enseignante, chercheuse au LEREDS, analyse le poids des syndicats dans les mouvements sociaux.

Un article intéressant mais qui n’apporte guère d’enrichissements nouveaux vis-à-vis des mutations sociales structurelles qui pèsent sur l’action des syndicats et qui a notamment permis aux syndicats réformistes de devenir largement majoritaires dans le pays. .NDLR



Entre grève préventive chez TotalEnergies, grève inédite chez EDF et dans les centrales nucléaires, marche contre la vie chère de la France insoumise, recours aux réquisitions et au 49.3, la France automnale est le théâtre de nouvelles contestations sociales. Dans ce dialogue social tendu, les syndicats tentent de rester visibles.
Chez TotalEnergies, après l’annonce des « super profits » au deuxième trimestre 2022 et du nouveau salaire de Patrick Pouyanné (+52 % d’augmentation, soit un salaire de 5.944.129 €),la fédération CGT de la chimie appelle à la grève à compter du 27 septembre auprès des raffineries du groupe TotalEnergies et exige d’ouvrir des négociations sur les salaires avec une augmentation salariale de 10 % pour lutter contre l’inflation galopante. Les Négociations annuelles obligatoires (NAO), rendez-vous mis en place chaque année depuis les lois Auroux de 1982 pour renégocier les salaires, les conditions de travail et le partage de la valeur, connaissent un bouleversement depuis deux ans, non seulement dans la réouverture des négociations en milieu d’année mais également dans l’importance que reprend la question salariale.

Les cinq raffineries suivent le mouvement avec les deux raffineries du groupe Esso filiale d’ExxonMobil. Pourtant, au sein du groupe Esso, un accord majoritaire a déjà été trouvé entre la direction, la CFE-CGC et la CFDT et les augmentations salariales validées à l’inverse de TotalEnergies qui souhaitait ouvrir les négociations qu’à compter du mois de novembre. La fédération de la CGT de la chimie, la plus contestataire de la confédération, voit là le moyen de bloquer le pays et d’envoyer un message fort aux militants six mois avant le congrès de cette confédération où Philippe Martinez, l’actuel secrétaire général, devrait être remplacé…..

Si la grève préventive au sein des raffineries permet de bloquer le pays, cette action militante de la CGT a pour avantage de créer un rapport de force pour exiger d’entamer les négociations, ce qui fut le cas au sein du groupe TotalEnergies.

Confortées par l’arrêté préfectoral du préfet du Nord sur le site de TotalEnergies de Mardyck (Dunkerque) imposant les réquisitions de quelques salariés, la direction du groupe, qui ne souhaitait pas négocier sous la contrainte des blocages a profité de ce pas en avant du gouvernement pour rouvrir le dialogue et proposer l’ouverture des négociations le jeudi 13 octobre de 20h à 3h du matin. Il aura fallu sept heures pour inverser le rapport de force et conforter la culture de la négociation plutôt que celle de la contestation.

Dans ce contexte, le débat ne se faisait plus à l’extérieur de l’entreprise par le blocage des raffineries, ni dans les médias, mais à la table des négociations entre la direction du groupe TotalEnergies et les coordinateurs syndicaux de la CFDT, CFE-CGC et CGT. Quelques heures plus tard, la CGT ayant claqué la porte face à l’impossibilité de prendre en compte ses revendications a repris son action contestataire. Elle a ainsi tenté de faire converger les luttes des autres bastions syndicaux (Énergie, Transports, Enseignements, fonction publique) là où le taux de syndicalisation dépasse les 10 %). Les syndicats réformistes (CFDT – CFE-CGC) du groupe TotalEnergies, majoritaires au sein de l’entreprise s’engageaient sur un accord majoritaire, représentant plus de la moitié des salariés et devenaient acteurs du changement.

Comme nous le constatons cependant dans nos travaux, l’équilibre fragile entre la culture de la négociation et celle de la contestation pourrait désormais mener à la disparition des syndicats.
L’exemple des groupes Esso et TotalEnergies est intéressant à plus d’un titre. D’abord parce qu’il démontre que tous les sujets ne se traitent pas dans la rue, que la question des salaires, des conditions de travail et du partage de la valeur sont des thèmes qui se régulent in fine, au niveau des branches professionnelles et en entreprise par la négociation d’accords.

Ensuite, si le mouvement de grève ne s’est pas arrêté tout de suite alors que le débat NAO était clos et la CGT perdante sur l’exigence des 10 % d’augmentation, continuer à bloquer le pays signifiait prendre le risque de subir d’autres réquisitions et perdre le rapport de force. En revanche, la poursuite de la grève a permis, localement cette fois, par la négociation du protocole de fin de conflit, de négocier sur l’amélioration des conditions de travail pour apaiser les tensions avant de reprendre le travail.
Un mouvement qui a fait des petits

Plus récemment, la grève chez EDF, au niveau des centrales nucléaires, crée un nouveau rapport de force en rendant impossible la constitution des réserves d’énergie qu’il faudra aller chercher ailleurs qu’en France.

Quel est alors l’intérêt de ce mouvement alors qu’un accord vient d’être signé sur les rémunérations dans la branche professionnelle ? En effet, trois syndicats représentatifs du secteur de l’énergie – la CGT, FO et CFDT – ont signé un accord portant sur les augmentations salariales dans la branche des industries électriques et gazières (IEG). Cet accord prévoit une augmentation générale du salaire national de base de 3,3 % en deux temps, avec une rétroactivité de 1 % au 1er juillet 2022 et le solde de 2,3 % au 1er janvier 2023. Il s’agit là d’en rajouter et de créer le rapport de force sur les négociations qui s’ouvrent localement dans chaque entreprise.
Le mouvement de la CGT dans les raffineries a donné un nouvel élan dans certaines sections syndicales d’entreprise. Des mouvements peu visibles mais qui envoient des signaux forts aux entreprises en cette période d’élections professionnelles notamment là où la CGT est présente.

Le pluralisme syndical à la française permet-il encore de construire un rapport de force ?
Si des thèmes salariaux normalement négociés au sein des entreprises ont permis de bloquer le pays, qu’en sera-t-il des thèmes plus généraux comme le chômage et les retraites ?
Ces sujets à forts enjeux contestataires où les syndicats unis peuvent peser dans le rapport de force lors des réformes nous invitent à la vigilance et au débat si nous voulons être à l’abri de nouveaux mouvements de grande ampleur dès janvier 2023.

Malgré un contexte international de crise économique, de guerre en Ukraine, malgré une priorité énergétique et climatique à défendre, les organisations syndicales, en pleine campagne électorale de renouvellement de leurs instances représentatives dans le secteur public et privé, restent arc-boutées sur leurs pratiques militantes d’antan : la grève/la négociation, les syndicats contestataires (dans quelques bastions)/les syndicats réformistes.

Or, en parallèle de leurs différentes revendications, les salariés semblent de moins en moins convaincus de la force de frappe de leurs syndicats.
Se réinventer pour ne pas mourir.

Une période d’élections professionnelles s’ouvre dans les secteurs publics et privés et c’est une occasion pour les syndicats de se remettre en cause en organisant un rapport de force intelligible pour peser dans le paysage politique, économique, social et désormais climatique.

Ainsi, en développant différemment leur pouvoir d’influence, en travaillant sur de nouvelles formes d’engagement militant, en s’associant avec des ONG, en déployant leur force dans les déserts syndicaux grâce au pouvoir des réseaux et de la digitalisation, en participant aux différentes concertations proposées par le gouvernement et les institutions (CNR, CESE), en défendant la question du paritarisme sur les questions de chômage et de retraite, les syndicats pourraient peser à nouveau dans le dialogue social, économique et politique et créer un rapport de force plus puissant et continu. Cela souligne aussi un besoin d’adaptation du syndicalisme à un contexte politique particulièrement agité.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

«Koh Lantess -Fresnes:Le rôle de la prison (Alain Bauer)

«Koh Lantess -Fresnes:Le rôle de la prison  (Alain Bauer)

 

Régulièrement, à l’occasion d’une évasion, d’une récidive ou d’un évènement qui émeut l’opinion, on trouve un moment pour reparler de la prison, le plus souvent sous forme d’invectives ou de déclaration lénifiantes. ( l‘Opinion)

Celles et ceux qui s’émouvaient de la « Honte pour la République » au regard des conditions de traitement des prisonniers (mais aussi des personnels de l’administration pénitentiaire, des avocats, des visiteurs et éducateurs de prison, des familles,…) ne sont pas les derniers à condamner les initiatives locales, parfois plus que maladroites, qui semblaient pourtant répondre au chœur des lamentations humanistes des mêmes commentateurs.

Depuis l’Ordalie, jugement de dieu, qui réglait dans l’instant une partie des questions de culpabilité, d’innocence et de traitement de la peine, en passant par la peine de mort, le pilori, les travaux forcés, le bagne (y compris pour enfants), la perpétuité réelle, les débats sur la dureté insuffisante de la peine n’ont jamais vraiment cessé.

Invention moderne, l’emprisonnement n’était le plus souvent, en matière criminelle, qu’un moment relativement bref de rétention avant jugement, mise en esclavage ou exécution. Le traitement de la folie et la répression politique permettant la quasi-totalité des enfermements de longue durée.

L’Etat central français a ensuite pris le dessus et inventé la prison « répressive » au XIIIe siècle, aidé par l’Eglise catholique qui permet la création du mode d’enquête inquisitorial dont une large partie a survécu dans la « Patrie des droits de l’Homme et du Citoyen ». Dès 1670, La Grande ordonnance criminelle de Louis XIV, revenant aux principes anciens, souligne que l’emprisonnement ne constitue pas une peine mais une mesure préventive en attendant un jugement ou un châtiment. Michel Foucault l’a largement rappelé dans son « Surveiller et Punir ».

Le système judiciaire, magistrats et surveillants, personnels d’éducation et de santé, tentent de naviguer à vue en tenant des opérations visant à faire baisser la pression dans un univers dégradé et surchauffé dans cette période caniculaire

Bentham, Beccaria, Howard ont dès le XVIIIe siècle interroge la société sur ce qu’elle voulait faire de sa prison. Faut-il juste transformer la vengeance individuelle en sanction collective ? Punir, rééduquer, réinsérer, resocialiser, empêcher la retirance et la récidive…

L’Etat a ensuite, un peu partout dans le monde, inventé un « paradoxe pénitentiaire » qui tente de traiter une contradiction majeure entre les fonctions de répression et de réhabilitation de la prison, mais aussi de réparation vis-à-vis de la société et des victimes. Ne sachant que privilégier, faute de consensus, face aux revirements naturels de l’opinion et des médias lors de chaque tragédie mettant en cause un repris de justice mis en cause dans un viol, un meurtre, un attentat, les institutions ont navigué au jugé, à la godille, sacrifiant les initiatives souvent nécessaires à une forme de paix civile en prison et tenant de masquer le fait qu’on ne peut tenir un lieu d’enfermement collectif sans une forme de négociation sociale entre les enfermés et les surveillants.

Peu à peu, on a supprimé les châtiments corporels et les pratiques les plus barbares et inventé des mesures dites alternatives (assignation à résidence, placement sous surveillance électronique – une sorte de prison domiciliaire élargie –, probation…). Incapables de trancher devant tant d’injonctions contradictoires, de revirement de postures et de positions, le système judiciaire, magistrats et surveillants, personnels d’éducation et de santé, tentent de naviguer à vue en tenant des opérations visant à faire baisser la pression dans un univers dégradé et surchauffé dans cette période caniculaire.

Le Koh Lantless de Fresnes, faisant référence à un « jeu » auprès duquel le bagne pourrait faire office de Club Med, mais a surtout péché par sa mise en scène extérieure et son choix visiblement discutable de certains participants. Qu’aurait donc été la réaction politique et publique si la canicule avait provoqué des émeutes dans les prisons ?

On peut comprendre l’émotion des victimes et de leurs proches qui ne voient la prison que comme une punition qui devrait remplacer tout juste la loi du Talion. La grande confusion dans la présentation du rôle de la Prison, pourtant défini par des parlementaires qui devraient plus souvent visiter les maisons d’arrêts et lire attentivement les recommandations de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, ne facilite pas la capacité pour le peuple citoyen et souverain au nom duquel on juge en France, de savoir quelle prison il veut et pour quoi faire.

Il serait peut-être temps de lui demander.

Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers, New York et Shanghai. Dernier ouvrage : Criminologie pour les nuls, First, 2021.

 

Guerre en Ukraine :Le rôle stratégique de l’open source intelligence

Guerre en Ukraine :Le rôle stratégique de  l’open source intelligence

 

La guerre en Ukraine rappelle l’utilité stratégique de l’OSINT – Open Source Intelligence –, qui vise à exploiter les innombrables informations disponibles et à démêler le vrai du faux. Par Christine Dugoin-Clément, IAE Paris – Sorbonne Business School.

 

Avec l’invasion russe en Ukraine, l’OSINT connaît son heure de gloire. En effet, si l’open source intelligence - à savoir l’exploitation de sources d’information accessibles à tous (journaux, sites web, conférences…) à des fins de renseignement – est largement utilisée pour contrecarrer la diffusion de fake news et la désinformation, elle est aussi d’un grand secours tactique, voire stratégique, pour glaner des informations à caractère militaire.

Dans ce contexte, il paraît important de rappeler ce qu’est l’OSINT, ainsi que la façon dont elle est employée et les enjeux organisationnels et de gouvernance qui y sont liés.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les partisans de Kiev ont largement recours à l’OSINT pour vérifier des informations diffusées sur Internet, particulièrement sur les réseaux sociaux, et, le cas échéant, démasquer les fausses nouvelles.

L’origine de l’OSINT remonte à la Seconde Guerre mondiale. C’est à cette époque que le président des États-Unis Franklin D. Roosevelt crée le Foreign Broadcast Monitoring Service (FBMS), qui a pour mission d’écouter, de transcrire et d’analyser les programmes de propagande conçus et diffusés par l’Axe. Développé à la suite de l’attaque de Pearl Harbor, ce programme deviendra le Foreign Broadcast Intelligence Service, appelé à être placé sous l’autorité de la CIA. En 1939, parallèlement à la structure américaine, les Britanniques chargent la British Broadcasting Corporation (BBC) de déployer un service destiné à scruter la presse écrite et les émissions radio pour produire des « Digest of Foreign Broadcasts », qui deviendront les « Summary of World Broadcasts » (SWB) puis le BBC Monitoring.

La guerre froide accentue ces pratiques d’observation des informations ouvertes, faisant rapidement de ces dernières un élément majeur du renseignement, voire sa principale source d’information, y compris sur les capacités et les intentions politiques adverses. Leur exploitation permet également d’identifier et d’anticiper les menaces et de lancer les premières alertes.

Pour autant, le terme d’OSINT n’apparaît réellement que dans les années 1980 à l’occasion de la réforme des services de renseignement américains, devenue nécessaire pour s’adapter aux nouveaux besoins d’information, notamment en matière tactique sur le champ de bataille. La loi sur la réorganisation du renseignement aboutit en 1992. Elle sera suivie en 1994 par la création, au sein de la CIA, du Community Open Source Program et du Community Open Source Program Office (COSPO).

Les attentats du 11 Septembre sont un « game changer » pour l’OSINT. En effet, c’est à la suite de la réforme de 2004 portant sur le renseignement et la prévention du terrorisme, l’Intelligence Reform and Terrorism Prevention Act qu’est créé, en 2005, le Centre Open Source (OSC) chargé de filtrer, transcrire, traduire, interpréter et archiver les actualités et les informations de tous types de médias.

Si l’OSINT est née de la nécessité de capter des informations à des fins militaires, le secteur privé n’a pas tardé à s’emparer de ces techniques, notamment dans la sphère de l’intelligence économique. Cette discipline a connu de nombreuses mutations au fil de son évolution : dans les premiers temps, il s’agissait d’accéder à des contenus recelant des informations parfois délicates à obtenir, mais l’explosion des nouvelles technologies a orienté davantage l’OSINT vers l’identification des informations pertinentes parmi la multitude de celles disponibles. C’est ainsi que se sont développés les outils et méthodes à même de trier ces informations et, particulièrement, de discerner celles susceptibles d’être trompeuses ou falsifiées.

Si l’OSINT a gagné ses lettres de noblesse en Ukraine en permettant de valider ou d’invalider certains contenus, notamment diffusés sur les réseaux sociaux depuis février 2022, il faut remonter plus loin dans le temps pour mesurer sa réelle montée en puissance.

En effet, dès la révolution du Maïdan en 2014, les séparatistes pro-russes duu Donbass et leurs soutiens diffusent un grand nombre de contenus dont la rhétorique, soutenue par Moscou, cherche à discréditer le nouveau gouvernement de Kiev. L’ampleur fut telle que les Occidentaux ont rapidement parlé de guerre hybride (même si le terme continue de faire l’objet de débats) pour décrire la mobilisation de l’information. On parle également d’« information warfare » – c’est-à-dire l’art de la guerre de l’information – qui sert en temps de conflits autant qu’en temps de paix.

Rapidement, des structures issues de la société civile sont mises en place afin de discréditer les fausses nouvelles dont le nombre explose sur la toile. Au-delà de ces initiatives, beaucoup d’internautes commencent à vérifier les contenus qui leur parviennent et à se familiariser avec des outils de base pour, par exemple, identifier ou géo-localiser une image, afin de voir si elle est réellement représentative du sujet qu’elle est censée illustrer.

Certaines communautés se spécialisent ainsi sur des domaines plus ou moins précis. À titre d’exemple, InformNapalm se consacre aux contenus touchant aux sujets militaires et, en ne se limitant pas seulement à l’Ukraine, a constitué une base de données qui recense notamment les pilotes russes actifs sur le théâtre syrien. C’est une force de l’OSINT : elle transcende les frontières physiques et permet ainsi le développement de communautés transnationales.

Ce savoir-faire, acquis par nécessité depuis 2014, s’est renforcé au fil du temps, notamment à la faveur des vagues de désinformation liées à la pandémie de Covid-19. Ces réseaux ont permis aux Ukrainiens et à leurs soutiens d’être immédiatement très opérationnels au début de la guerre. En outre, le besoin croissant des journalistes de vérifier leurs sources a aussi participé à développer le recours à l’OSINT qui, disposant d’une multitude d’outils souvent disponibles en Open Source, facilite la pratique de fact checking.

Ainsi, de nombreuses publications explicitent désormais comment, en utilisant des moyens d’OSINT, elles ont validé ou invalidé tel ou tel contenu.

On le voit, l’une des forces de l’OSINT consiste à s’appuyer sur une société civile parfaitement légitime à s’autosaisir en fonction de ses centres d’intérêt. Cette dynamique a permis la création de réseaux efficaces et transnationaux.

Cependant, si les États peuvent eux aussi déployer des compétences d’OSINT, un enjeu majeur demeure : coordonner les besoins et les capacités. En effet, les États pourraient avoir avantage à se saisir des réseaux efficaces de l’OSINT, particulièrement dans un contexte de conflit. Cependant, outre le risque relatif à l’infiltration de ces réseaux, la capacité de recenser les besoins de l’État et de mettre ces derniers en relation avec la communauté susceptible d’y répondre représente une difficulté majeure.

D’un point de vue organisationnel, à moyen et long terme, cela pose également la question de la structuration de la ressource OSINT pour les gouvernements. Dans le cas de l’Ukraine, le gouvernement est encore jeune, l’indépendance remontant à août 1991. En outre, contraint depuis 2014 de faire face à un conflit puis, depuis février 2022 à à une invasion massive, la problématique peut être difficile à résoudre. De fait, il s’agit de trouver un équilibre entre l’urgence de la gestion quotidienne du conflit et la mise en place d’une organisation dont la finalité serait de manager l’OSINT au regard de la centralisation des besoins, de leur transmission ou du renforcement d’un vivier de compétences.

Pour essayer de répondre à cette problématique, un projet d’audit des besoins, préalable à l’élaboration d’un cadre organisationnel et juridique, a été mis en place. Piloté par l’Institute for Information Security - une ONG créée en 2015 et centrée sur les enjeux relatifs à la sécurité de l’information tant pour l’État que pour la société et les individus -, le projet « Strengthening the Institutional Capacity of Public Actors to Counteract Disinformation » (Renforcement de la capacité institutionnelle des acteurs publics à lutter contre la désinformation) a débuté en avril 2022 alors que le conflit faisait déjà rage. Il doit aboutir en mars 2023. Son objectif est d’améliorer la capacité institutionnelle des autorités publiques et des institutions de la société civile ukrainienne pour identifier et combattre la désinformation.

Parallèlement, un projet de Centre d’excellence de l’OSINT est mis en route, notamment porté par Dmitro Zolotoukhine, vice-ministre ukrainien de la politique d’information de 2017 à 2019, et mené en partenariat avec l’Université Mohyla de Kiev et avec le secteur privé, notamment ukrainien. Son objet est de construire un pont entre les différentes strates de la société pour constituer un lieu de recherche et de développement. Cette démarche s’inscrit clairement dans le droit fil de celle qui a présidé à la création des Centres d’excellence pilotés par l’OTAN – qui, à Tallinn, portent sur la cyberdéfense, à Riga sur la communication stratégique et à Vilnius sur la sécurité énergétique - ou encore dans celle du Centre d’excellence européen pour la lutte contre les menaces hybrides d’Helsinki.

Reste à savoir si les Occidentaux qui soutiennent l’Ukraine soutiendront également ce projet alors même que ce pays est aujourd’hui un point phare de l’OSINT et que l’UE, qui prend très au sérieux les risques liés à la désinformation, tout particulièrement depuis la pandémie, vient de renforcer son arsenal contre ces menées hostiles, notamment au travers de son code de bonnes pratiques paru en 2022.

Finalement, même si beaucoup de nos concitoyens associent l’OSINT à l’Ukraine et à l’invasion russe, la cantonner à la guerre en cours serait excessivement restrictif. Là encore, le conflit ukrainien est en passe de servir de révélateur d’enjeux qui dépassent largement les frontières physiques du pays.

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Par Christine Dugoin-Clément, Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris – Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business School.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Crise ukrainienne : Le rôle insuffisant des banques vis-à-vis du blanchiment d’argent

Crise ukrainienne  : Le rôle insuffisant des banques vis-à-vis du blanchiment d’argent  

Les guerres ont toujours eu un impact conséquent sur le blanchiment d’argent et ont souvent facilité le financement du terrorisme et la circulation de l’argent « sale ». Par Marine Chaldebas, Consultante, Groupe Square Management ( dans la Tribune).

 

Les établissements bancaires manquent sans doute d’éléments légaux et techniques pour s’opposer à ce blanchiment mais certains y participent  en évitant de tracasser de juteux clients notamment à Londres qui gère un gros portefeuille d’Oligraques russes ( sans parler évidemment des paradis fiscaux ) NDLR

 

L’agression de la Russie envers l’Ukraine a conduit l’Union européenne et par force des choses la France, à renforcer leur vigilance sur ces sujets de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT). Dans cette lutte, les établissements financiers ont un rôle à jouer, en particulier par la réalisation de l’évaluation de leurs tiers (Know Your Customer ou KYC) et également par la prise de décisions impactantes les concernant. Mais ces établissements rencontrent certaines difficultés, mises en lumière par la crise, pour appliquer les sanctions européennes de mise sous embargo de certaines personnes et entités.

En raison de la crise, des sanctions ont, été prises à l’encontre de la Russie par l’Union européenne qui viennent s’ajouter aux autres tiers déjà mis sous embargo avant-guerre. Ainsi, le 23 février 2022, dans un communiqué, le Conseil de l’Union européenne, a listé 555 personnes et 52 entités pour lesquelles les avoirs doivent être gelés et les fonds mis à leur disposition, bloqués. Les organismes financiers se doivent de réaliser un contrôle efficace de leurs clients et de s’assurer notamment qu’ils ne font pas parti des personnes sanctionnées. Pour se faire, les établissements évaluent leurs tiers en menant des investigations.

Mais les banques n’ont pas forcément tous les outils ou toutes les informations nécessaires à la bonne réalisation de ces contrôles. Ces difficultés viennent réduire la portée des mesures mises en place par l’Union européenne à l’encontre de la Russie, auxquels les établissements doivent faire face. Si le problème n’est pas nouveau, l’urgence de la crise ukrainienne, et la nécessité de maximiser la portée des sanctions européennes ouvrent une remise en question des dispositifs et réglementations en vigueur, au mieux insuffisant ou au pire déficients.

 

Les établissements bancaires et financiers ont dû agir dans l’urgence, avec pour objectif de limiter les risques liés à leur relation d’affaires. Les établissements doivent ainsi réaliser une analyse et une évaluation de l’actionnariat de leur client, en remontant tous les maillons de la chaine jusqu’aux personnes physiques, actionnaires de l’entité. Ils doivent également réaliser un contrôle des représentants légaux présents dans le registre d’immatriculation des personnes morales. In fine, il devient très complexe de savoir qui détient quelle entité.

L’identification des représentants légaux et les actionnaires peuvent se révéler délicates, car les dispositifs ne sont pas toujours assez efficaces. Un des premiers outils est notamment la mise à disposition aux établissements d’un registre national des bénéficiaires effectifs (RNBE). Ce registre permet de remonter la chaine capitalistique des entités dans leur intégralité et ainsi de déterminer les personnes physiques détenant la société à 25% ou plus.

En revanche, certaines entreprises étrangères ou trusts ne sont pas soumises à cette obligation de publication. Par ailleurs, certaines d’entre elles ne complètent pas ce formulaire de manière véritablement conforme à la réalité. L’une des autres problématiques est la difficulté pour ces organismes de contrôler de façon efficiente tous les tiers notamment indirects.

Les personnes physiques et morales présentes dans la liste des personnes sous sanctions peuvent également passer par l’intermédiaire de sociétés-écrans, des hommes de paille ou encore des paradis fiscaux, afin de contourner les sanctions. Ils se dissimulent ainsi derrière des montages complexes qui rendent très difficile, voire impossible pour les établissements de détecter les individus se trouvant réellement derrière ces sociétés.

L’objectif de ces manœuvres est de cacher l’identité réelle des véritables actionnaires ou représentants légaux de l’entité. Cette opacité est une des plus grandes difficultés que les établissements financiers rencontrent à la bonne connaissance de leurs clients. Il convient alors de se demander si des solutions à ces problématiques sont envisageables.

 

Face à cette volonté politique de changer et améliorer les choses, des solutions peuvent être envisagées, en mettant en place de nouveaux outils pour les établissements tout en les responsabilisant.

L’identification des bénéficiaires effectifs peut, pour les organismes, être facilitée à travers la mise en place de registres plus efficients et une collaboration européenne entre les États. Ces registres permettraient ainsi plus facilement aux établissements financiers d’investiguer. Le registre luxembourgeois en est un exemple, il a été ouvert au public depuis 2019. Il a permis de lister plusieurs biens immobiliers en France détenus par des oligarques russes qui passaient par l’intermédiaire de sociétés-écrans luxembourgeoises.

Dans la même lignée, la France pourrait rendre obligatoire la déclaration au registre des bénéficiaires pour les sociétés étrangères et trusts. Bien qu’elle ait déjà fait des progrès sur le sujet en rendant impérieux, en 2018, la complétude de ce registre pour un nombre important d’entités. Les efforts vont également continuer du côté de l’Union européenne qui aimerait étendre ces exigences en matière de déclaration de bénéficiaires effectifs. Mais ce remède reste assez insuffisant, car la détection des sociétés-écrans et autres stratagèmes restent dans l’ensemble très délicat. Pour répondre à cette problématique, les économistes Thomas Piketty et Joseph Stiglitz proposent, dans une lettre au G20, de créer un registre mondial des actifs afin de pouvoir mieux identifier ces fortunes cachées. Cette proposition pourrait être un axe d’amélioration important et permettrait une meilleure transparence et communication entre les États à plus grande échelle que l’Union européenne.

Une des autres pistes est de renforcer le contrôle des régulateurs au sein des établissements financiers en leur imposant un caractère contraignant. Ainsi les établissements seront conduits à entreprendre de meilleurs contrôles, de crainte d’être sanctionnés non seulement par des sanctions aux conséquences pécuniaires, mais également réputationnelles. Cette crainte contribuerait à l’efficacité de la mise en place des dispositifs d’évaluation des tiers. Les établissements auraient alors tout intérêt à entreprendre un contrôle suffisamment efficient, tout en assurant une amélioration constante de leurs processus d’évaluation de tiers. Pour aller plus loin, il serait pertinent d’interdire de garder un client si l’établissement financier n’est pas capable d’indiquer clairement d’où proviennent ses fonds et qui sont les personnes physiques et morales qui se cachent derrière. Mais cette disposition semble plus facile à appliquer à l’entrée en relation que pour les clients historiques des établissements. En effet, dans ce dernier cas, la relation pourrait être endommagée face à des investigations trop poussées, pouvant être mal perçue pas la clientèle.

Le chemin à parcourir reste encore long pour les établissements financiers, dans leur lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. En l’état actuel, la réglementation n’est pas suffisante pour une bonne optimisation de gestion du risque notamment face à la créativité de certains clients. Toutefois il existe des initiatives internationales et nationales en cours pour armer un peu mieux les établissements et les responsabiliser sur le sujet. De plus, la création future de la nouvelle autorité européenne AMLA (nouvelle autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent) qui sera effective d’ici 2024, apportera peut-être de nouveaux axes de réflexion sur le sujet et de nouvelles opportunités de renforcer les mécanismes et dispositifs LCB-FT. Néanmoins ces processus restent long et laissent, pendant ce temps-là, tout le loisir aux oligarques russes de profiter des failles pour sécuriser tout ou partie de leur patrimoine, bien caché derrière leurs montages financiers opaques.

Guerre en Ukraine : le rôle de l’open source intelligence

 Guerre en Ukraine : le rôle de l’open source intelligence

OPINION. La guerre en Ukraine rappelle l’utilité stratégique de l’OSINT – Open Source Intelligence –, qui vise à exploiter les innombrables informations disponibles et à démêler le vrai du faux. Par Christine Dugoin-Clément, IAE Paris – Sorbonne Business School.

 

Avec l’invasion russe en Ukraine, l’OSINT connaît son heure de gloire. En effet, si l’open source intelligence - à savoir l’exploitation de sources d’information accessibles à tous (journaux, sites web, conférences…) à des fins de renseignement – est largement utilisée pour contrecarrer la diffusion de fake news et la désinformation, elle est aussi d’un grand secours tactique, voire stratégique, pour glaner des informations à caractère militaire.

Dans ce contexte, il paraît important de rappeler ce qu’est l’OSINT, ainsi que la façon dont elle est employée et les enjeux organisationnels et de gouvernance qui y sont liés.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les partisans de Kiev ont largement recours à l’OSINT pour vérifier des informations diffusées sur Internet, particulièrement sur les réseaux sociaux, et, le cas échéant, démasquer les fausses nouvelles.

L’origine de l’OSINT remonte à la Seconde Guerre mondiale. C’est à cette époque que le président des États-Unis Franklin D. Roosevelt crée le Foreign Broadcast Monitoring Service (FBMS), qui a pour mission d’écouter, de transcrire et d’analyser les programmes de propagande conçus et diffusés par l’Axe. Développé à la suite de l’attaque de Pearl Harbor, ce programme deviendra le Foreign Broadcast Intelligence Service, appelé à être placé sous l’autorité de la CIA. En 1939, parallèlement à la structure américaine, les Britanniques chargent la British Broadcasting Corporation (BBC) de déployer un service destiné à scruter la presse écrite et les émissions radio pour produire des « Digest of Foreign Broadcasts », qui deviendront les « Summary of World Broadcasts » (SWB) puis le BBC Monitoring.

La guerre froide accentue ces pratiques d’observation des informations ouvertes, faisant rapidement de ces dernières un élément majeur du renseignement, voire sa principale source d’information, y compris sur les capacités et les intentions politiques adverses. Leur exploitation permet également d’identifier et d’anticiper les menaces et de lancer les premières alertes.

Pour autant, le terme d’OSINT n’apparaît réellement que dans les années 1980 à l’occasion de la réforme des services de renseignement américains, devenue nécessaire pour s’adapter aux nouveaux besoins d’information, notamment en matière tactique sur le champ de bataille. La loi sur la réorganisation du renseignement aboutit en 1992. Elle sera suivie en 1994 par la création, au sein de la CIA, du Community Open Source Program et du Community Open Source Program Office (COSPO).

Les attentats du 11 Septembre sont un « game changer » pour l’OSINT. En effet, c’est à la suite de la réforme de 2004 portant sur le renseignement et la prévention du terrorisme, l’Intelligence Reform and Terrorism Prevention Act qu’est créé, en 2005, le Centre Open Source (OSC) chargé de filtrer, transcrire, traduire, interpréter et archiver les actualités et les informations de tous types de médias.

Si l’OSINT est née de la nécessité de capter des informations à des fins militaires, le secteur privé n’a pas tardé à s’emparer de ces techniques, notamment dans la sphère de l’intelligence économique. Cette discipline a connu de nombreuses mutations au fil de son évolution : dans les premiers temps, il s’agissait d’accéder à des contenus recelant des informations parfois délicates à obtenir, mais l’explosion des nouvelles technologies a orienté davantage l’OSINT vers l’identification des informations pertinentes parmi la multitude de celles disponibles. C’est ainsi que se sont développés les outils et méthodes à même de trier ces informations et, particulièrement, de discerner celles susceptibles d’être trompeuses ou falsifiées.Si l’OSINT a gagné ses lettres de noblesse en Ukraine en permettant de valider ou d’invalider certains contenus, notamment diffusés sur les réseaux sociaux depuis février 2022, il faut remonter plus loin dans le temps pour mesurer sa réelle montée en puissance.

En effet, dès la révolution du Maïdan en 2014, les séparatistes pro-russes duu Donbass et leurs soutiens diffusent un grand nombre de contenus dont la rhétorique, soutenue par Moscou, cherche à discréditer le nouveau gouvernement de Kiev. L’ampleur fut telle que les Occidentaux ont rapidement parlé de guerre hybride (même si le terme continue de faire l’objet de débats) pour décrire la mobilisation de l’information. On parle également d’« information warfare » – c’est-à-dire l’art de la guerre de l’information – qui sert en temps de conflits autant qu’en temps de paix.

Rapidement, des structures issues de la société civile sont mises en place afin de discréditer les fausses nouvelles dont le nombre explose sur la toile. Au-delà de ces initiatives, beaucoup d’internautes commencent à vérifier les contenus qui leur parviennent et à se familiariser avec des outils de base pour, par exemple, identifier ou géo-localiser une image, afin de voir si elle est réellement représentative du sujet qu’elle est censée illustrer.

Certaines communautés se spécialisent ainsi sur des domaines plus ou moins précis. À titre d’exemple, InformNapalm se consacre aux contenus touchant aux sujets militaires et, en ne se limitant pas seulement à l’Ukraine, a constitué une base de données qui recense notamment les pilotes russes actifs sur le théâtre syrien. C’est une force de l’OSINT : elle transcende les frontières physiques et permet ainsi le développement de communautés transnationales.

Ce savoir-faire, acquis par nécessité depuis 2014, s’est renforcé au fil du temps, notamment à la faveur des vagues de désinformation liées à la pandémie de Covid-19. Ces réseaux ont permis aux Ukrainiens et à leurs soutiens d’être immédiatement très opérationnels au début de la guerre. En outre, le besoin croissant des journalistes de vérifier leurs sources a aussi participé à développer le recours à l’OSINT qui, disposant d’une multitude d’outils souvent disponibles en Open Source, facilite la pratique de fact checking.

Ainsi, de nombreuses publications explicitent désormais comment, en utilisant des moyens d’OSINT, elles ont validé ou invalidé tel ou tel contenu.On le voit, l’une des forces de l’OSINT consiste à s’appuyer sur une société civile parfaitement légitime à s’autosaisir en fonction de ses centres d’intérêt. Cette dynamique a permis la création de réseaux efficaces et transnationaux.

Cependant, si les États peuvent eux aussi déployer des compétences d’OSINT, un enjeu majeur demeure : coordonner les besoins et les capacités. En effet, les États pourraient avoir avantage à se saisir des réseaux efficaces de l’OSINT, particulièrement dans un contexte de conflit. Cependant, outre le risque relatif à l’infiltration de ces réseaux, la capacité de recenser les besoins de l’État et de mettre ces derniers en relation avec la communauté susceptible d’y répondre représente une difficulté majeure.

D’un point de vue organisationnel, à moyen et long terme, cela pose également la question de la structuration de la ressource OSINT pour les gouvernements. Dans le cas de l’Ukraine, le gouvernement est encore jeune, l’indépendance remontant à août 1991. En outre, contraint depuis 2014 de faire face à un conflit puis, depuis février 2022 à à une invasion massive, la problématique peut être difficile à résoudre. De fait, il s’agit de trouver un équilibre entre l’urgence de la gestion quotidienne du conflit et la mise en place d’une organisation dont la finalité serait de manager l’OSINT au regard de la centralisation des besoins, de leur transmission ou du renforcement d’un vivier de compétences.

Pour essayer de répondre à cette problématique, un projet d’audit des besoins, préalable à l’élaboration d’un cadre organisationnel et juridique, a été mis en place. Piloté par l’Institute for Information Security - une ONG créée en 2015 et centrée sur les enjeux relatifs à la sécurité de l’information tant pour l’État que pour la société et les individus -, le projet « Strengthening the Institutional Capacity of Public Actors to Counteract Disinformation » (Renforcement de la capacité institutionnelle des acteurs publics à lutter contre la désinformation) a débuté en avril 2022 alors que le conflit faisait déjà rage. Il doit aboutir en mars 2023. Son objectif est d’améliorer la capacité institutionnelle des autorités publiques et des institutions de la société civile ukrainienne pour identifier et combattre la désinformation.

Parallèlement, un projet de Centre d’excellence de l’OSINT est mis en route, notamment porté par Dmitro Zolotoukhine, vice-ministre ukrainien de la politique d’information de 2017 à 2019, et mené en partenariat avec l’Université Mohyla de Kiev et avec le secteur privé, notamment ukrainien. Son objet est de construire un pont entre les différentes strates de la société pour constituer un lieu de recherche et de développement. Cette démarche s’inscrit clairement dans le droit fil de celle qui a présidé à la création des Centres d’excellence pilotés par l’OTAN – qui, à Tallinn, portent sur la cyberdéfense, à Riga sur la communication stratégique et à Vilnius sur la sécurité énergétique - ou encore dans celle du Centre d’excellence européen pour la lutte contre les menaces hybrides d’Helsinki.

Reste à savoir si les Occidentaux qui soutiennent l’Ukraine soutiendront également ce projet alors même que ce pays est aujourd’hui un point phare de l’OSINT et que l’UE, qui prend très au sérieux les risques liés à la désinformation, tout particulièrement depuis la pandémie, vient de renforcer son arsenal contre ces menées hostiles, notamment au travers de son code de bonnes pratiques paru en 2022.

Finalement, même si beaucoup de nos concitoyens associent l’OSINT à l’Ukraine et à l’invasion russe, la cantonner à la guerre en cours serait excessivement restrictif. Là encore, le conflit ukrainien est en passe de servir de révélateur d’enjeux qui dépassent largement les frontières physiques du pays.

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Par Christine Dugoin-Clément, Analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris – Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire « normes et risques », IAE Paris – Sorbonne Business School.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Climat : les médias ont un rôle majeur

Climat : les médias ont un rôle majeur

 

 

Lors de cette période de canicule (deuxième depuis le début de l’été 2022), les médias ont l’opportunité, voire la responsabilité, de faire comprendre et faire savoir que les canicules sont une conséquence de la crise climatique. Même si la prise de conscience devient de plus en plus importante, 93% des Européens considèrent que la crise climatique est un problème sérieux… Par le Dr Helen Etchanchu, professeur associé et co-titulaire de la chaire COAST (*). (dans la Tribune)

Nous peinons à agir (Eurobarometer, 2021). Les médias ont un rôle majeur à jouer pour faire comprendre les enjeux de la crise climatique ET favoriser le passage à l’action à grande échelle (Priest, 2016). Mais la communication climatique est extrêmement délicate car nous risquons de tomber dans la banalisation d’un côté, ou de l’alarmisme de l’autre. Donc comment faire ?

D’abord, il est important de créer le lien entre les canicules et la crise climatique (GIEC, 2022). La crise climatique est créée par le fait de brûler des ressources fossiles qui émettent du CO2 et autres gaz à effet de serre. Ce CO2 crée une couche de gaz autour de la terre qui fait que la chaleur ne peut pas être renvoyée et s’accumule sur la surface de la terre. C’est cette couche de gaz qui provoque l’effet de serre.

Donc plutôt que de montrer des gens qui se rafraichissent dans des fontaines ou qui mangent des glaces, ce qui banalise le sujet, il serait plus judicieux de montrer des images de gens qui se trouvent dans une serre afin de comprendre tout de suite pourquoi on a chaud lors de cette canicule et que nous contribuons à créer cette serre en émettant du CO2.

Une fois que ce lien est fait avec la canicule et le constat scientifique de la crise climatique, nous courrons le risque de tomber dans de l’alarmisme qui risque de déprimer, de provoquer du déni ou de faire culpabiliser les gens (Aronson, 2008). Les scientifiques du climat ont fait un travail remarquable et grâce au GIEC le constat scientifique est accessible à tous. Les ONG aident à vulgariser ces travaux, et font de la pédagogie, comme La Fresque du Climat. Des mouvements comme Extinction Rebellion ou Fridays for future sont indispensables pour éveiller la conscience et capter l’attention. Même si cela peut être primordial pour éveiller la conscience, ces angles d’information ne favorisent pas l’action climat à grande échelle.

 

Une fois que le constat est fait, on accueille les réactions émotionnelles des gens. C’est important de reconnaître nos émotions, car ce sont elles qui nous font bouger et nous aident à agir. Et l’art du communicant sera de convertir les émotions négatives, la colère, le désespoir, la déception, dans une énergie positive qui redonne l’espoir et le pouvoir d’agir (Nabi et al., 2018). Trop souvent les médias s’arrêtent à la description de ce qui ne va pas. Et cela favorise l’inaction, le sentiment d’impuissance face à un enjeu global et complexe et renvoie la responsabilité des uns vers les autres. Au contraire, pour redonner le pouvoir d’agir on peut beaucoup apprendre de la psychologie sociale.

Entre autres, la psychologie sociale nous livre 2 leçons majeures que les journalistes devraient garder à l’esprit quand ils couvrent l’actualité de la crise climatique qui sont le pouvoir des normes sociales et l’influence des exemples modèles des pairs.

Le traitement d’information dans les médias contribue à la validation des normes sociales qui influencent grandement nos comportements (Frank, 2020). Ces normes c’est ce qui est vu comme « normal » dans la société ; quand on fait des choses sans se poser des questions car « ça a toujours été comme ça » ou « tout le monde fait comme ça » ou alors « chez nous, on fait comme ça ». Et ces normes sont avant tout créées par du mimétisme. Les gens agissent en fonction de « qu’est-ce que fait ma famille, mes amis, mes voisins, mes collègues, mes concurrents ? » C’est ce facteur social qui est le plus important à prendre en compte aujourd’hui pour favoriser l’action climat et sur lequel les médias ont une influence majeure en choisissant les exemples qu’ils mettent en avant. Pour favoriser le passage à l’action il faut donc évoquer des solutions et des actions que nos pairs mettent en place. Beaucoup de solutions existent mais peinent à monter en puissance et les médias peuvent les amplifier en montrant des solutions concrètes illustrées par ce que font les gens, les entreprises, et les états pour agir.

Dans le contexte de la communication sur les canicules ces solutions sont à deux niveaux : la communication de crise et l’adaptation à la situation, d’une part et la communication sur les solutions et l’atténuation d’autre part. On pourrait par exemple montrer comment les gens font face à la canicule actuelle, en fermant les volets la journée, en s’hydratant, et en humidifiant ses habits. Cet axe serait le traitement journalistique classique d’une vague de chaleur.

Mais surtout pour diminuer le risque des canicules futures, les journalistes pourraient montrer des gens qui plantent des arbres : leur ombre naturel rafraichit pendant les canicules et il stocke du CO2 dans l’atmosphère pour réduire l’effet de serre. Enfin, les journalistes peuvent mettre en avant des initiatives solidaires et des associations, notamment locales, qui pourront accompagner et proposer beaucoup de pistes d’actions adaptées à chaque situation. À la suite de la canicule les journalistes devront continuer à mettre en avant le sujet du climat et évoquer des exemples de solutions que les gens intègrent dans leur vie quotidienne (De Meyer et al., 2020).

 

Or, aujourd’hui beaucoup de communications en France tombent soit dans l’alarmisme, soit dans la banalisation. A l’international, l’initiative Covering Climate Now est notable puisqu’il s’agit d’une collaboration de 500 médias à travers le monde pour mieux traiter le sujet du climat dans la presse. Ils partagent des bonnes pratiques en matière de journalisme sur le climat, proposent des formations et des prix journalistiques. En France, le traitement de la crise climatique progresse dans les médias, mais reste encore très marginal, même si certains médias locaux mettent en avant des initiatives locales avec des actions constructives (Reporters d’Espoir, 2020). Pour aller plus loin, il existe le journalisme de solution avec des acteurs comme Impact(s) ou Sparknews et Reporters d’Espoir ont établi un guide de bonnes pratiques journalistiques pour traiter du climat.

Enfin, en tissant le lien entre les scientifiques et les professionnels, la chaire COAST et l’agence de communication ICF, avec son climate centre, ont publié un rapport sur la communication climatique et viennent de lancer CLIMATE CONNECT, un cycle de conférences et une communauté d’acteurs engagés pour impulser une nouvelle communication climatique autour de 3 piliers : nouvelles pratiques, nouveaux comportements et nouveaux récits. Ce nouveau collectif de communicants vise à célébrer les pionniers de la transformation durable et montrer les exemples concrets de nouvelles pratiques, à impulser des nouveaux comportements qui favorisent notre bien-être en respectant les limites planétaires et à imaginer des nouveaux récits positifs autour des futures désirables en recréant du lien avec le vivant et en valorisant l’immatériel.

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(*) Helen Etchachu est Professeur associé et co-titulaire de la chaire COAST (Communication and organizing for sustainability transformation), à la Montpellier Business School. Ses recherches explorent le pouvoir du langage dans la transformation durable de nos sociétés. Elle est cofondatrice de OS4future, un mouvement académique engagé dans l’action pour le climat.

Le rôle central des PME pour le développement en France

Le rôle central des PME pour le développement en France

Au cours de ces dernières années on a surtout vanté les mérites des grandes sociétés multinationales françaises. Des entreprises effectivement qui jouent un rôle important notamment en termes d’exportation. Le problème c’est que nombre de ces grandes sociétés ont aussi délocalisé nombre d’activités. D’où la nécessité de s’appuyer davantage sur les PME qui peuvent redonner du souffle  à l’aménagement du territoire dans une vision de développement durable .

 

. Les 3 millions de TPE/PME qui constituent 95 % du tissu économique de notre pays peuvent largement contribuer à défendre le pouvoir d’achat, préserver la croissance et accélérer la décarbonation de l’économie, à condition de prendre certaines mesures. Par Lionel Canesi, Président du Conseil Supérieur de l’Ordre des experts-comptables.

 

tribune

 

« Aller vers l’idéal en passant par le réel »… Une fois de plus, face à des enjeux économiques, sociaux et sociétaux majeurs, dans un environnement inflationniste où les crises succèdent aux crises, la méthode prônée par Jean Jaurès démontre toute son actualité et, plus encore, sa pertinence.

Pour les cinq ans à venir, l’idéal tient dans les termes d’une équation aussi simple à poser que difficile à résoudre : défendre le pouvoir d’achat des Français en préservant la croissance et, parallèlement, accélérer la décarbonation de notre économie.

Quelles sont donc les voies du réel qu’il s’agirait d’emprunter pour rendre possible ce double objectif ? Les experts-comptables de France, premiers conseillers des TPE/PME, en sont plus que jamais convaincus : il est urgent de convoquer le bon sens, la simplicité, et le pragmatisme. Il est indispensable de s’appuyer sur les 3 millions de TPE/PME qui constituent 95 % du tissu économique de notre pays.

L’armée silencieuse des indépendants, des TPE et des PME créée des emplois non délocalisables, fabrique du lien social dans nos quartiers, anime nos centres-villes et nos villages. La loi entrepreneur votée dans les dernières semaines du quinquennat marque un progrès certain. Mais il faut aller beaucoup plus loin et beaucoup plus vite. L’enjeu est d’abord de faciliter le quotidien de l’entrepreneur, de libérer sa capacité créative, simplifier ses relations avec l’administration pour lui permettre de fabriquer de la croissance et par ricochet, d’être en capacité de mieux rémunérer le travail de ses collaborateurs. Pour cela, la liberté de choix de son statut social par l’entrepreneur, des mesures de renforcement des fonds propres et une facilitation de la transmission des entreprises sont des voies à prendre.

Quelques pistes concrètes

Sur la défense ou l’amélioration du pouvoir d’achat, quelques pistes concrètes :

La suppression de tout ou partie des cotisations sociales sur les salaires libèrerait au moins 15% de pouvoir d’achat immédiatement. Notre modèle social (hors retraite) serait dès lors financé par des prélèvements sur la consommation et les mouvements financiers. Une telle décision offrirait une bouffée d’oxygène aux salariés sans peser sur les marges des TPE/PME et contribuerait à renforcer la compétitivité des entreprises françaises à l’international.

Le Président de la République annonce l’augmentation de la prime PEPA. Le dispositif est efficace sur le court terme, il est plébiscité par les chefs d’entreprise. Il pourrait être pérennisé pour devenir une sorte « d’intéressement simplifié », parfaitement adapté à la réalité et aux attentes des TPE.

Sur les enjeux climatiques, que seuls quelques esprits obtus persistent à nier ou à minimiser, le bon sens invite à considérer les 3 millions de TPE/PME françaises comme un levier d’action essentiel. A ce jour, les textes règlementaires, les normes européennes ou nationales visant à orienter l’activité économique vers des pratiques plus vertueuses ne concernent en réalité que les ETI et les grands groupes. Les grandes structures disposent des organisations et des moyens financiers pour s’engager dans la démarche. Penser que leurs pratiques ou que les injonctions lancées par un arsenal de règles administratives complexes vont tranquillement s’imposer à l’univers des TPE/PME est illusoire. Ce raisonnement traduit une méconnaissance absolue de la réalité des entreprises à taille humaine. Les experts-comptables de France le constatent chaque jour au contact de leur client. L’idéal environnemental vient percuter le réel des petites structures moins sensibilisées, moins équipées, moins structurées et dans l’incapacité de financer les investissements souvent nécessaires à la transition écologique de leur activité.

La stratégie du colibri

Le réel, pour que ces entreprises s’engagent dans la transition environnementale nécessaire, c’est la stratégie du colibri. Nous proposons de créer une annexe fiscale simplifiée où seraient recensées 10 données extra-financières (nombre de m3 d’eau consommés, nombre de kilowatt heure, litres de carburants consommées, niveau des salaires hommes/femmes, surface au sol « consommée » par les locaux professionnels…). L’objectif est d’embarquer les TPE PME dans la connaissance de leur impact environnemental. Sensibiliser, diagnostiquer et ainsi créer les conditions d’une action possible, réaliste, concrète.

Au nom du pragmatisme et de l’efficacité, les cinq années qui viennent pourraient enfin replacer les TPE/PME au cœur des politiques publiques tout simplement parce qu’elles sont au cœur de l’économie et de la société.

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