Gifle à Macron - C’est le premier corps du roi qui a été giflé
« La gifle à Macron signe, à mon humble avis, l’obsolescence de la fiction théologico-politique » selon laquelle le monarque possède deux corps, l’un « mortel et naturel », l’autre « surnaturel et immortel », écrit Jean-Louis Robert dans le Monde , qui estime que le soufflet reçu par le président de la République le 8 juin démontre « la déliquescence progressive du second ».
L’historien allemand Ernst Kantorowicz, dans son étude de la monarchie médiévale, conceptualise « Les deux corps du roi » dans son ouvrage majeur. Selon cette théorie, le roi possède deux corps. Le premier est mortel et naturel et incarne la fonction terrestre : à ce titre, comme tout titulaire d’une autorité, il est amené à prendre des décisions, parfois bonnes parfois mauvaises, dans le contexte de la vie quotidienne politique.
Le second est surnaturel et immortel et revêt une fonction symbolique, celle d’incarner la nation, le peuple, la monarchie de droit divin. Ce corps immortel, présent dans celui mortel, se transmet, inaltérable, de monarque en monarque. Ainsi se trouve assurée la continuité de l’institution politique, qui supporte le consentement à l’État.
La France, qui vit maintenant en République, est restée fortement attachée aux deux catégories de Kantorowicz. Il suffit, pour s’en convaincre, de se souvenir des figures de De Gaulle et Mitterrand ; ceux-ci sont regardés comme des monarques, dans la mesure où ils se sont évertués à personnifier le deuxième corps symbolique, grâce notamment au déploiement d’un décorum adéquat et au maintien d’une certaine distance avec les sujets, qui incite ceu-ci au respect.
Dans le contexte de la monarchie absolue, toucher au premier corps, c’est toucher au second et relève du sacrilège. La presse se souvient de cela et convoque les catégories de Kantorowicz quand elle déclare que gifler le président Macron, c’est gifler la République. Les réactions de la classe politique vont unanimement dans le même sens.
Il me semble, cependant, que l’indissociabilité des deux corps a été bien entamée depuis un certain temps, plus précisément depuis la présidence de Sarkozy ; cette tendance s’est consolidée au cours du quinquennat de Hollande. Ces deux présidents n’ont pas rempli pleinement leur rôle, dans la mesure où ils ont négligé d’incarner le second corps du roi. Emmanuel Macron, leur successeur, en réinstaurant une certaine verticalité du pouvoir, a tenté de le retrouver. En vain. La posture jupitérienne s’est dégradée en gesticulation jupinienne (Jupin, c’est le nom trivial de Jupiter dans les fables de La Fontaine).
Je me démarquerai donc du discours médiatico-politique en posant que c’est le premier corps du roi qui a été giflé – c’est l’individu Macron qui a été agressé – et non le second, pour la raison que j’avançais plus haut, celle de la disjonction des deux corps et la déliquescence progressive du second.
Ainsi, la gifle à Macron signe, à mon humble avis, l’obsolescence de la fiction théologico-politique imaginée par l’historien allemand. Et la fin du pouvoir ?