Le risque de l’entre soi à RMC
Il est clair que Jean-Jacques Bourdin écarté de son interview traditionnelle sur RMC va faire tourner une page à la radio avec son remplacement par Apolline de Malherbe. On passe brutalement de la provocation un peu populiste aux mondanités du 16e arrondissement. Ce que pense en tout cas Jean-Jacques Bourdin avec un peu d’amertume.
En juillet dernier, vous abandonniez la matinale de RMC, dont vous étiez l’animateur incontesté. Beaucoup y ont vu une sanction, un désaveu. Et vous?
Je n’ai vécu cela ni comme une sanction ni comme un désaveu. Mais j’en ai été profondément affecté dans la mesure où je pense avoir très largement contribué non seulement au succès de RMC, mais également à celui de chaînes de télévision qui m’ont emboîté le pas. J’ai trouvé ce moment particulièrement injuste.
Que vous ont dit les dirigeants de RMC pour justifier cette décision?
Ils ne m’ont jamais véritablement expliqué les raisons profondes de cette décision.
La matinale aujourd’hui animée par Apolline de Malherbe voit son audience décliner. Comment réagissez-vous ?
Loin de moi l’idée d’accabler celle qui m’a succédé. Ce ne serait pas très sportif et ce n’est pas mon genre de dire publiquement ce que je ressens. Je remarque simplement que RMC a toujours été une radio populaire, proche de l’auditeur, loin de l’entre-soi parisien. Et je ne souhaite pas qu’elle s’égare dans une autre direction. Cet éloignement explique sans doute les chiffres actuels. Mais nous ne sommes pas les seuls à souffrir, regardez… S’il ne se réforme pas, le modèle des radios généralistes va souffrir plus encore. Il faut leur donner une identité forte.
C’est-à-dire?
Prenons France Inter : on sait ce que l’on cherche et ce qu’on trouve. Chez nous, on ne sait malheureusement plus. À part peut-être le rendez-vous des Grandes Gueules, qui ont su garder une vraie identité avec des personnalités fortes. On s’est peu à peu éloignés du concept très clair d’origine de RMC avec ses trois piliers : information, débat et sport. Ce qui a conduit à une forme de banalisation de la station. Elle doit revenir à ses fondamentaux, notamment la proximité.
C’est quoi le style Bourdin, s’il en est un?
Je ne sais s’il en existe un. J’essaie d’être à la radio ce que je suis dans mon quotidien. Quelqu’un qui ne fréquente jamais l’entre-soi parisien. Ni les politiques ni les journalistes…
Votre ton vous a été reproché lors de votre interview d’Emmanuel Macron en avril 2018, en binôme avec Edwy Plenel…
J’ai mal vécu les reproches faits à l’époque… mais cette interview est restée dans les esprits, parce qu’elle était différente de toutes les précédentes : nous avons bousculé le chef de l’État. À mon corps défendant, je n’avais jamais pratiqué auparavant d’interview à deux. J’ai toujours refusé, mais c’est l’Élysée qui l’a imposée.
Interroge-t-on le chef de l’État comme les autres?
Sur les questions, c’est la même chose. Il est vrai que j’ai appelé le Président « Emmanuel Macron », parce que j’ai toujours questionné mes invités par leurs prénom et nom. Peut-être procéderais-je différemment aujourd’hui, mais cela ne changerait en rien le ton et la forme des questions.
On vous a également reproché le caractère « populiste » de votre matinale : une critique qui vous atteint?
J’avais aussi fait l’objet des mêmes critiques à RTL quand j’animais Les auditeurs ont la parole. Ces accusations se sont effacées au fil du temps et, aujourd’hui, nombre de chaînes font la même chose.
Que corrigeriez-vous si vous repreniez une matinale?
Je ne reprendrai pas le matin. C’est fini.
Pourquoi?
Parce qu’il y a eu une cassure en juillet. Je n’ai plus envie de revenir sur ce passé.
Parce que la blessure est trop profonde?
Oui, et que la page est tournée. J’ai donné quarante-quatre ans de ma vie à ce sacerdoce. C’est beaucoup.
Et si RTL ou Europe 1 faisaient appel à vous?
Je n’irai pas. Même si RTL a représenté vingt-cinq ans de ma vie.
Auriez-vous cette carrière sans cette voix singulière?
Non, jamais. Elle m’a beaucoup aidé. Cet outil ne trompe pas. On peut tout faire passer par elle. Un timbre naturel que je n’ai jamais travaillé.
BFMTV a annoncé le départ de Ruth Elkrief : veut-on, là aussi, tirer un trait sur le passé?
Je ne partage pas ce sentiment, même si je regrette son départ. BFMTV doit rester fidèle à ce qu’elle est depuis sa création, c’est-à-dire privilégier les faits d’abord, les explications ensuite et les commentaires enfin. Je ne voudrais pas que le rythme de l’information soit dicté par les réseaux sociaux. Et que nous nous contentions de débats. C’est un discours que je défends ardemment auprès des dirigeants de la chaîne : ils l’ont compris.
Auprès de son directeur, Marc-Olivier Fogiel, notamment?
Pas seulement. J’ai toujours été ardemment indépendant. Indépendant de toutes les directions, ici et ailleurs… Ce qui fait partie de mon originalité, mais également de mon image : celle d’un franc-tireur au mauvais caractère.
Où serez-vous en septembre?
Sur BFMTV, bien sûr. Sans la moindre hésitation. Une interview d’autant plus stimulante alors qu’approche la présidentielle.
Malgré les sollicitations dont vous devez faire l’objet depuis votre retrait de RMC?
Je suis en effet régulièrement consulté…
Par qui?
Je n’en dirai pas plus.
Et vous le serez dans les semaines à venir lors du mercato audiovisuel.
Sans doute, mais je serai sur BFMTV à la rentrée. Sans le moindre doute.