Energie: risque de blocage du pays
Dans le secteur énergétique (l’électricité, le pétrole ou le gaz), les syndicats semblent décidés à utiliser l’épreuve de force y compris avec la paralysie du pays.
Chez TotalEnergies, la CGT appelle déjà à une grève de 48 heures la semaine prochaine, puis de 72 heures à partir du 6 février.
Si les raffineries ont la capacité de bloquer l’économie du pays en quelques jours seulement, c’est toutefois dans la branche des industries électriques et gazières (IEG) que le mécontentement est sans doute le plus grand.
« La journée du 19, c’est là que débute le mouvement. La question de la reconductibilité n’est plus une question. L’objectif maintenant est de savoir comment on va l’organiser localement avec les grévistes. Nous allons utiliser tous les moyens en notre possession. On ne s’interdira rien », lance à La Tribune Fabrice Coudour, secrétaire fédéral CGT de la Fédération nationale des mines et de l’énergie (FNME), première organisation syndicale de l’électricité et du gaz.
L’ampleur de la grogne est directement liée aux pertes qu’engendrerait la réforme pour la branche IEG. En effet, au-delà du recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans d’ici à 2030, ces salariés seraient particulièrement touchés par cette réforme si elle était menée à bien, compte tenu de la suppression annoncée de leur régime spécial de retraite attaché au statut des IEG, créé en 1946.
Même si celui-ci a déjà fait l’objet de nombreuses réformes pour le faire converger vers le régime général, il présente encore d’importantes spécificités en partie calquées sur la fonction publique. D’abord, la pension à taux plein est égale à 75% du salaire des six derniers mois. « En revanche, contrairement au régime général, les primes ne sont pas comptabilisées dans nos pensions », pointe Soraya Lucatelli, déléguée syndicale CGT à Gaz Electricité Grenoble (GEG).
Le régime général, lui, prend bien en compte les primes, mais la pension à taux plein correspond à 50% de la rémunération des 25 meilleures années du salarié.
Surtout, le régime spécial des IEG tient compte de la pénibilité des métiers qui sont les plus contraignants (port de lourdes charges, travail en 3×8, astreintes 7 jours/7, etc.) Cette prise en compte de la pénibilité repose sur un système baptisé « service actif ».
EDF et Engie, à eux deux, rassemblent 70% des salariés de la branche. Chez EDF, quelque 60.000 salariés sont statutaires au régime des IEG et 48% partent avec une anticipation au titre de la pénibilité. « En pratique, l’âge moyen de départ effectif des salariés d’EDF SA progresse régulièrement et s’élève à 60 ans en moyenne en 2021 (en comprenant les salariés ayant des anticipations). Il est de 62,9 ans pour ceux qui n’ont aucune anticipation », précise l’électricien dans un courrier à La Tribune.
De son côté, Engie compte 24.000 collaborateurs appartenant à la branche IEG. Dans le groupe, l’âge moyen de départ à la retraite est de 60,5 ans. Les salariés bénéficiant d’une anticipation partent en moyenne à 58 ans tandis que ceux qui n’en bénéficient pas partent en moyenne à 62 ans et 7 mois. Dans les deux entreprises, l’âge moyen de départ à la retraite devrait atteindre les 62 ans en 2024.
Au-delà de ces spécifiés liées à la pénibilité, les syndicats défendent un régime « exemplaire, solidaire et excédentaire» qui, selon eux, devrait « servir de modèle au régime général».
« Plusieurs fois, le régime général est venu ponctionner les excédents de notre régime », affirme Fabrice Coudour.
« Au nom de la solidarité, 1,6 milliard d’euros cumulés ont été versés entre 2005 et 2020 vers les régimes de retraites ayant moins d’actifs que de retraités, comme les régimes des agriculteurs et des artisans, abonde Soraya Lucatelli. Notre régime ne coûte rien à la collectivité, le supprimer ne ramènera rien à l’État », estime-t-elle.
Dans le détail, le régime spécial des IEG dispose de sa propre caisse : la Cnieg (Caisse nationale des industries électriques et gazières). Le financement des pensions repose sur les cotisations des salariés (12,8 % du salaire) et des employeurs (jusqu’à 44%) dont le taux est légèrement supérieur à celui en vigueur dans le régime général. Il repose aussi sur une taxe, la Contribution tarifaire d’acheminement (CTA), mais celle-ci ne couvre plus que les droits spécifiques passés acquis jusqu’en 2004.
La promesse du gouvernement de maintenir les avantages du régime spécial jusqu’au départ des derniers salariés relevant de ce statut, selon la clause dite du « grand-père », ne convainc pas l’organisation syndicale.
« À partir du moment où les nouveaux entrants ne cotisent plus au régime, il ne peut que s’appauvrir. Cela conduira à son déficit », regrette Virginie Neumayer, déléguée syndicale CGT de la Fédération nationale des mines et de l’énergie.
Pour la syndicaliste, cette réforme risque aussi de « fragiliser les relations entre les salariés » ce qui aura des conséquences sur « le collectif travail ».
« C’est impensable de faire cohabiter deux régimes et injuste pour les nouveaux embauchés qui devront effectuer les mêmes tâches que leurs collègues sans bénéficier des mêmes garanties », renchérit Soraya Lucatelli.
Preuve que ce mécontentement est partagé, chez EDF, le taux de grévistes s’élevait, ce jeudi 19 janvier, à 50% de l’effectif total.