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Finances : la rigueur qui risque de tuer une croissance fragile

Finances : la rigueur qui risque de tuer une croissance fragile

Du fait de désengagement de Bruxelles, le gouvernement se voit contraint d’annoncer 10 milliards d’économies sur le budget. Des économies très virtuelles car cette rigueur pourrait peser sur une croissance déjà fragile. Le gouvernement avait en effet construit son projet de budget sur une perspective de croissance de 1,4%. Il ne compte plus désormais que sur une croissance d’à peine 1 %. Ensuite mécaniquement, il y aura baisse des rentrées fiscales avec moins de croissance. En outre avec la reprise du volume du chômage les aides sociales pesaient encore davantage sur le budget. Le problème central, c’est que le gouvernement ne veut pas s’attaquer au train de vie de l’État, aux innombrables institutions et organisations et à l’armée de fonctionnaires dont beaucoup sont inutiles et même nuisibles car ils sont largement responsables de la complexité administrative. On objectera que dans tel ou tel secteur il y a des manques d’effectifs. C’est oublier que dans les superstructures et les secteurs amont et aval de l’activité principale, on compte nombre d’improductifs sans parler de la productivité.

La croissance française devrait avoisiner les 1%, selon les nouvelles prévisions de Bercy. C’est 0,4 points de moins par rapport à ce que tablait le gouvernement. Mais qui dit baisse des prévisions de croissance, signifie réduction des dépenses. Le gouvernement compte ainsi rogner 10 milliards d’euros, une issue désormais nécessaire si l’exécutif souhaite juguler son déficit.

L’OCDE prévoit pour la France une croissance de 0,6%, selon son dernier rapport intermédiaire datant de février. Le gouvernement s’inquiète notamment du « nouveau contexte géopolitique », pointe Bruno Le Maire, avec le ralentissement économique de la Chine, qui a notamment un impact sur le commerce extérieur mondial. Le moteur de l’Europe, l’Allemagne, a également subi une déconfiture en 2023 avec une activité en repli, touchée de plein fouet par la crise de l’énergie er l’inflation.

Une inflation qui est d’ailleurs responsable de ces chiffres de croissance. « Le ralentissement économique, c’est le prix à payer de la victoire contre l’inflation », estime Bruno Le Maire. Mais ce qui hypothèque surtout de plus en plus le budget en France c’est le poids de la dette. La charge sur la dette, qui représente toutes les dépenses de l’Etat destinées au paiement des intérêts de sa dette, est passée de 35 milliards d’euros il y a peu à désormais plus de 50 milliards.

Politique-Crise sociale: « Un risque de mai 68″ ?

Politique-Crise sociale: « Un risque de mai 68″ ?

Les retours à la référence de Mai 68 dans les manifestations invitent à réfléchir à la manière dont la mémoire d’un événement varie. Par Erik Neveu, Université de Rennes 1 – Université de Rennes dans the conversation


Les dernières manifestations et grèves dénonçant le projet de réforme des retraites du gouvernement ont donné lieu à d’importantes mobilisations : si les formes ont été relativement convenues et attendues, encadrées par une intersyndicale redynamisée, on a vu aussi apparaître de nombreuses références à Mai 68 dans les cortèges.

Un phénomène qui peut surprendre tant la référence à 68 et plus encore aux « soixante-huitards » a souvent été objet d’ironie voire de lassitude dans les décennies passées. Une illustration de cette sensibilité critique se trouve dans les travaux du sociologue Jean-Pierre Le Goff. Souvent sollicité par les médias à ce propos, il évoque un « héritage impossible ».

Son analyse repose sur deux critiques centrales. D’un côté ce qu’on peut appeler « le 68 politique » avec la floraison des groupes gauchistes, qui n’aurait produit que dogmatisme, psalmodies sectaires et propositions politiques aussi radicales qu’inquiétantes. Certes, un mot d’ordre comme « dictature du prolétariat » sonne vétuste ou alarmant. Et la célébration d’une classe ouvrière qui n’aurait guère changé depuis les « Trente glorieuses » – telle qu’elle a existé et pesé avant la désindustrialisation de la France semble bien décalée par rapport à la nouvelle génération de travailleurs précaires ou uberisés.

Allant plus loin, Le Goff prend aussi pour cible ce qu’on peut nommer le « gauchisme culturel ». Ce dernier prône et met en pratique une remise en cause des mœurs et rapports hiérarchiques traditionnels, qui a pu participer de ce que Luc Boltanski et Eve Chiapello ont nommé « la critique artiste ». Il s’agit moins de cibler le capitalisme comme exploiteur que comme aliénant, anesthésiant toute force créative par son obsession de la rationalité et des hiérarchies.

Toujours selon Le Goff, l’esprit de Mai 68 aurait instillé le chaos dans les couples et les familles, disqualifié tout rapport d’autorité, et promu une culture narcissique de l’épanouissement individuel sapant la possibilité même de faire société. Soit, une vaste anomie sociale. Le terme désigne une situation dans laquelle les individus sont déboussolés faute de règles claires sur ce qui est propre à un statut, un rôle social, sur ce qu’on peut raisonnablement attendre de l’existence.

Or, si les thèses de Le Goff apparaissent comme une ponctuation de trente ans de lectures critiques de Mai 68 elles s’inscrivent aussi dans une vision mémorielle dominante de Mai 68. Cette dernière se concentre principalement sur le Mai parisien, la composante étudiante-gauchiste du mouvement et sa dimension idéologique, en occultant la mémoire ouvrière et populaire, celle des huit millions de grévistes.

On peut ajouter qu’à partir des années 1990 a émergé dans les médias, par le biais des récits de fiction et des discours politiques une figure très négative du « soixante-huitard ».
Ce dernier aurait vite jeté par-dessus bord ses proclamations radicales, fait carrière avec cynisme sans hésiter à piétiner ses concurrents, fort bien réussi dans les univers de la presse, de l’université, de la culture, de la publicité. Daniel Cohn-Bendit, Romain Goupil ou hier André Glucksmann ont été pointé du doigt comme illustrations de telles évolutions. Car le « soixante-huitard » serait aussi un incurable donneur de leçons, s’autorisant de ses reniements pour prêcher aux nouvelles générations la vanité des révolutions et les vertus d’une posture libérale-libertaire.

On retrouvait une part de ces thématiques dans les discours de Nicolas Sarkozy ainsi que dans de nombreux articles de presse.
En témoigne le livre Maos (2006) de Morgan Sportes dans lequel d’anciens maoïstes devenus sommités du tout Paris culturel crachent leur mépris des classes populaires. Dans un autre registre, l’ancien leader de la « gauche prolétarienne » Serge July, devenu rédac-chef de Libération a lui fait office de punching-ball pour bien des critiques.

Le quarantième anniversaire de Mai a vu s’opérer un virage. Il repose largement sur l’investissement des historiens, sociologues et politistes longtemps restés à distance d’un objet trop brûlant.

Le travail sur archives, les collectes de récits de vie, l’enquête systématique, ont permis de questionner des pans entiers de la mémoire officielle. Ces chercheurs ont ainsi revalorisé l’époque comme celle d’une séquence d’insubordination ouvrière et de conflits du travail.
Ils ont montré qu’à mesure qu’on s’éloignait des dirigeants, spécialement de ceux consacrés par les médias, le recrutement des groupes gauchistes était largement populaire et petit-bourgeois, non élitiste. Ils ont plus encore permis de constater – à partir du suivi d’effectifs qui chiffrent désormais par milliers de militants – que ni gauchistes, ni féministes de ces années n’avaient abandonné toute forme d’engagement ou abdiqués du désir de changer la vie.

La plupart ont au contraire massivement poursuivi des activités militantes dans le syndicalisme, les causes écologiques, la solidarité avec les migrants, l’économie sociale et solidaire, les structures d’éducation populaire, les mouvements comme ATTAC… Ce faisant ces « soixante-huitards » ont côtoyé d’autres générations plus jeunes et sans se borner au rôle d’ancien combattant radoteur, mais en jouant au contraire un rôle de passeurs de savoirs.

De manière contre-intuitive ces travaux ont aussi montré que, si ceux qui avaient acquis des diplômes universitaires ont profité des dynamiques de mobilité sociale ascendante, les militants des années 68 n’avaient pas connu de réussites sociales remarquables. Au contraire, à qualification égales, de par leurs engagements, beaucoup ont exprimé leur répugnance à exercer des fonctions d’autorité quitte à entraver les carrières qu’ils avaient pu envisager.

Que tant de pancartes en manifestations reprennent des slogans phares de 68 peut traduire un sens de la formule. Il est aussi possible d’y voir l’expression d’une réhabilitation. Cette dernière questionne aussi la manière dont une mémoire officielle « prend » ou non, quand elle circule via des supports (essais, magazines d’information, journaux) dont on oublie trop souvent que leur lecture est socialement clivante car faible en milieux populaires.

Il faut donc penser à d’autres vecteurs de circulation d’une autre mémoire, celle des millions d’anonymes qui ont participé à la mobilisation de 68 : propos et souvenirs « privés » ou semi-publics tenus lors de fêtes de famille, de pots de départ en retraite, de réunions syndicales ou associatives.
Il faut regarder les manuels d’histoire du secondaire rédigés par des auteurs soucieux de faits et non d’audacieuses interprétations, aller du coté des cultures alternatives (romans noirs, rock). Si l’on prend la peine de consulter les sondages faits tant en 2008 qu’en 2018, on verra que l’image de Mai comme moment d’émancipation sociale et de libération des mœurs est très majoritairement positive, et ce d’abord dans les milieux populaires.

Pour rester en partie éclairants, slogans, livres et théories d’il y a un demi-siècle ne donnent pas les clés du présent. Mieux vaut raisonner en termes de résurgences et renouveaux. On peut faire l’hypothèse d’une résurgence de la « vocation d’hétérodoxie » soixante-huitarde, théorisée par Boris Gobille, et qui questionnait toutes les formes instituées de la division sociale du travail et du pouvoir.
On le voit aujourd’hui sur les rapports hommes femmes, la critique de la suffisance des « experts », la revendication de la reconnaissance de celles et ceux des « première et seconde lignes », le refus d’inégalités sans précédent de richesses.

Le renouveau lui s’exprime à travers le sentiment diffus que des formes de conflictualité plus généralisées, plus intenses seraient le seul moyen de vaincre. Comme le soulignait sur ce site Romain Huet, se font jour doutes ou lassitudes quant aux formes routinisées de la protestation.
Autre parfum des années 68 que le constat persistant d’une « société bloquée » que proposait alors feu le sociologue Michel Crozier. Si on peut ne partager ni tout le diagnostic, ni les préconisations de cet auteur, il n’était pas sans lucidité sur l’extraordinaire incapacité des élites sociales françaises à écouter, dialoguer, envisager d’autres savoirs.

Vouloir en finir énergiquement avec ce blocage n’est ni romantisme de la révolution, ni vain radicalisme, mais conscience de plus en plus partagée de ce que le système politique français semble être devenu l’un des plus centralisés, hermétique aux tentatives de contre-pouvoirs institutionnels (référendums, syndicats). Il est donc aussi le plus propre à stimuler les désirs d’insurrection et la possibilité de violences.
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Par Erik Neveu, Sociologue, Université de Rennes 1 – Université de Rennes
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Politique-Risque de chaos mondial avec Poutine ?

Politique-Risque de chaos mondial avec Poutine ?

par Didier Le Bret, diplomate, membre de Synopia (dans l’Opinion).

Au moment où le conflit semble marquer une « pause opérationnelle », quel premier bilan peut-on faire de cette guerre en Europe et avec quels scénarios de sortie de crise ? Exercice périlleux tantla guerre de Poutine compte de paramètres.

Dans l’absolu, tout devrait inciter le locataire du Kremlin à revoir ses ambitions à la baisse. L’échec militaire est patent. Le changement de régime a échoué. Les armées russes se replient sur leurs bases arrière dans la région du Donbass.

Sur la scène internationale, après une décennie d’efforts gagnants, dans son précarré d’abord, puis au Levant et en Afrique, la Russie semblait de retour. En intervenant militairement en Ukraine, Poutine abîme un leadership chèrement acquis auprès du « sud global ». Ses alliés lui tournent désormais le dos. Au sommet du G20, la Russie a été désavouée, sa guerre en Ukraine fermement condamnée. Pire, l’usage ou la menace d’utiliser des armes nucléaires y a été qualifiée d’inadmissible. La Chine prend également ses distances.

A l’intérieur, le tour de vis sécuritaire achève de vider le pays de ses élites. L’effondrement économique est certes amorti par l’épais matelas de devises accumulées par la Banque centrale russe, le renchérissement du prix des matières premières énergétiques et le contournement de l’embargo pétrolier. Mais la pluie de sanctions et le départ en bon ordre du monde du business privent à terme le pays de ses leviers de croissance.

Et pourtant, aucun de ces paramètres n’est de nature à infléchir la posture belliqueuse de Poutine. Car de son point de vue, il conserve deux cartes majeures : le temps et la fragilité des Européens.
Guerre d’usure. Le temps, Poutine va l’occuper dans une guerre d’usure qui, fidèle à la stratégie déployée à Grozny et à Alep, consiste à rendre la vie impossible en faisant des civils et des infrastructures critiques ses cibles privilégiées, en laissant derrière soi un champ de ruines pour retarder le retour à la normale.
L’Europe, maillon faible, toujours selon la logique de Poutine, finira par céder. Et là encore, il fait le pari que la résilience du peuple russe l’emportera sur les démocraties capricieuses et fragiles.

Vis-à-vis du reste du monde, le maître du Kremlin se sent sans doute là encore relativement assuré. Il tient d’une main ferme la menace de la légitime défense nucléaire en cas d’extension du conflit. Et tout aussi fermement, dans son autre main,le risque de famines, et partant d’embrasements politiques des pays les plus vulnérables. Deux armes de destruction massive !
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Pour Poutine, la guerre d’Ukraine est une guerre existentielle. Non pas que l’Ukraine menace en quoi que ce soit l’existence de la Russie. Dénucléarisée depuis 1994 et le traité de Budapest, délestée de la Crimée, partiellement occupée, l’Ukraine gère une guerre hybride dont elle est la première victime. Mais pour avoir théorisé la non-existence de l’identité ukrainienne, Poutine est désormais dos au mur. Il ne peut ni avancer ni reculer. Un échec militaire le contraignant à négocier équivaudrait à reconnaître un Etat dont il nie la souveraineté. Il devra donc continuer quoi qu’il en coûte. L’Ukraine doit être « prise » à tout prix.

Cette approche purement idéologique pourrait hélas prévaloir et constituer ainsi le plus sombre des cygnes noirs de l’histoire contemporaine, contraignant l’Occident à devoir s’engager de plus en plus, au risque de précipiter le chaos.

Didier Le Bret, diplomate, membre de Synopia.

Vichy et les juifs : rétablir la vérité

Vichy et les juifs : rétablir la vérité

 

L’historien ,Jacques Semelin  revient, à la première personne, sur les faits et comment ils ont été établis. « Une énigme française », un livre contre Eric Zemmour.

Par André Loez ( Historien et collaborateur du « Monde des livres »)

« Une énigme française. Pourquoi les trois quarts des Juifs en France n’ont pas été déportés », de Jacques Semelin, avec Laurent Larcher, Albin Michel, 224 p., 19 €, numérique 13 €.

Qu’une connaissance historique soit exacte ne suffit pas pour qu’elle soit connue, reconnue, ni surtout correctement interprétée dans l’espace public. Tel est l’inconfortable constat qui traverse le nouveau livre de Jacques Semelin, directeur de recherche émérite au CNRS. Une énigme française tient à la fois du carnet de recherche et du plaidoyer pour la compréhension du fait remarquable qui en forme le sous-titre : Pourquoi les trois quarts des juifs en France n’ont pas été déportés. Il y récapitule les résultats des ouvrages qu’il a déjà consacrés à la question, dont le récent et fouillé La Survie des juifs en France. 1940-1944 (CNRS Editions, 2018).

Une utile synthèse des acquis

Ce rappel vient évidemment s’inscrire en opposition aux assertions d’Eric Zemmour qui, en partant des mêmes chiffres – sur près de 320 000 juifs établis en France avant 1940, environ 74 150 furent déportés, soit un taux de survie de 75 % –, attribue faussement la responsabilité de ce bilan (moins lourd que dans la plupart des pays soumis aux nazis, des Pays-Bas à la Pologne) au régime de Vichy dirigé par le maréchal Pétain. Un des derniers chapitres de l’ouvrage, sobrement intitulé « Déjouer les pièges de M. Zemmour », redit avec clarté pourquoi ces vues sont intenables.

Lire aussi cette tribune de Jacques Semelin (2021) : Article réservé à nos abonnés « M. Zemmour, votre rhétorique est celle de “l’entrepreneur identitaire” qui peut entraîner un pays au massacre »

Sur le plan factuel, en effet, le livre constitue une utile synthèse des acquis permettant de comprendre cette proportion apparemment étonnante, déjà soulignée dans les travaux de Serge Klarsfeld (Vichy-Auschwitz, Fayard, 1983) et dans le fameux discours de Jacques Chirac commémorant la rafle du Vél’d’hiv,’ en 1995. Si les trois quarts des juifs ont, en France, échappé à la déportation, ce n’est pas dû à une quelconque protection de Vichy, qui entreprit au contraire de les discriminer et prêta le concours de sa police à l’occupant pour les traquer, mais à l’entrecroisement de plusieurs facteurs : leurs propres stratégies de survie ; les priorités stratégiques du IIIe Reich, initialement moins brutal dans l’ouest de l’Europe ; des réseaux d’entraide ou d’évasion relevant notamment des Eglises ; la complicité ordinaire d’une population prompte à les cacher ou du moins à ne pas les dénoncer ; ainsi que les protestations publiques de plusieurs prélats catholiques, dont l’archevêque de Toulouse, Mgr Jules Saliège (1870-1956), en 1942, aboutissant à infléchir les politiques de persécution. De l’« énigme » du titre, il ne reste rien, en réalité.

 




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