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Code du travail : des rigidités surévaluées

Code du travail : des rigidités surévaluées

Thierry Kirat, Directeur de recherche au CNRS conteste dans la tribune l’ampleur des rigidités dont serait coupable le code du travail

 

Le contexte politique et social du mois de mars 2016 est marqué par l’actualité de la réforme du Code du travail, dont nombre d’arguments sont construits à charge contre le Code actuel : lui sont reprochés sa rigidité, l’insécurité juridique dont il serait le vecteur, la protection trop forte de certains salariés aux dépens d’autres. La justice prud’homale est également mise sur la sellette. Dans les débats et controverses du moment, il n’est pas inutile de remarquer que certains faits importants sont passés sous silence, ou sont présentés de manière déformée. Par exemple, l’explosion des litiges entre salariés et employeurs devant les conseils de prud’hommes. Contrairement aux idées reçues, le contentieux devant les prud’hommes connaît une baisse continue depuis 2004, voire depuis la décennie précédente. Entre 2004 et 2013, le nombre d’affaires introduites devant les prud’hommes, que ce soit au fond ou en référé, fluctue autour de 200 000 par an. Même si l’amplitude des fluctuations du nombre d’affaires s’est accentuée entre 2009 et 2013, avec un pic de près de 230.000 en 2009 suivi d’une baisse rapide jusque 2012 (avec un peu de moins de 180.000 affaires), la tendance moyenne se situe aux environs de 200.000 affaires. Ces chiffres ne donnent pas l’image d’une explosion des litiges entre salariés et employeurs. Selon les données du Ministère de la Justice, 95% des demandes sont introduites par des salariés ordinaires et, parmi eux, par une part de plus en importante de seniors. Ce qu’ils demandent est avant tout lié à la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur. Les demandes se répartissent en deux catégories : (a) la contestation du motif du licenciement, (b) en l’absence de contestation du motif de licenciement : la remise de documents, le paiement de créances salariales ou l’annulation d’une sanction disciplinaire. Entre 2004 et 2013, la part des demandes sans contestation du motif de licenciement diminue, alors que celle des contestations du motif de la rupture par l’employeur s’accroît sensiblement. Or, l’immense majorité de ces contestations du motif de la rupture concerne les licenciements pour motifs personnels, la part des licenciements économiques étant très peu importante. Les licenciements économiques sont beaucoup moins contestés que les licenciements pour motif personnel, aussi bien en nombre qu’en taux. En effet, si l’on rapporte le nombre de demandes aux prud’hommes au nombre de licenciements, il s’avère que, selon l’OCDE, 25% des salariés ayant été licenciés pour motif personnel faisaient un recours contentieux en 2001. Une étude du Ministère de la Justice fait état d’une baisse du taux de recours, qui passe d’environ 40% au début des années 1990 à 20% avant la crise des subprimes de 2008. Par contre, le taux de recours contre les licenciements économiques est beaucoup plus faible : il est bien inférieur à 3 %. L’idée que les employeurs, effrayés par la complexité de la procédure de licenciement économique préféreraient recourir à des licenciements pour motif personnel a été avancée dans les années 2000. En d’autres termes, nombre de licenciements pour motif personnel seraient des licenciements économiques déguisés. Cette thèse pose deux problèmes : d’une part les employeurs seraient assez irrationnels de préférer recourir au type de licenciement qui est justement le plus contesté devant les conseils de prud’hommes ; d’autre part, les entreprises qui déguisent les licenciements économiques en licenciements pour motif personnel sont censées être confrontées à des difficultés économiques qui devraient les conduire à ne pas recruter à court terme. Or, une étude publiée dans la revue de l’OFCE en 2008 montre que ce n’est pas le cas : la part des établissements qui embauchent dans les six mois suivant un licenciement pour motif personnel augmente de 1993 à 2000. Nombre de critiques reprochent aux conseils de prud’hommes de susciter de l’insécurité juridique. Ce reproche vise le côté employeur, ce qui indique que les entreprises seraient paralysées par la crainte de se voir condamner à payer de lourdes indemnités à leur salarié licencié abusivement. L’insécurité juridique dont il est question ne concerne pas les règles applicables, alors que les débats juridiques sur la question lient ce problème à l’incertitude ou à l’indétermination des règles de droit applicables. Cette insécurité juridique concerne, dans les débats relatifs au Code du travail, les montants à payer. Il est important de noter qu’il s’agit en réalité de deux choses : d’abord l’indemnité légale de licenciement, dont le montant est fonction de l’ancienneté du salarié et est donc prévisible ; ensuite l’indemnité compensatrice du préjudice subi par un salarié dont le licenciement a été reconnu comme abusif : l’indemnité prud’homale, que l’avant-projet de loi de la ministre du travail entend baser sur un barème. Or, un principe du droit est l’entière réparation du préjudice, dont le quantum est établi souverainement par le juge qui dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation. Pour autant, on ne peut raisonnablement pas penser que les indemnités prud’homales aient pour objet ou pour effet de mettre les entreprises, surtout les petites, en difficulté. Les décisions sont en effet prises par une justice paritaire, par quatre conseillers venant pour moitié du monde des salariés et pour moitié des entreprises. Les entreprises sont représentées dans la justice prud’homale, à parts égales des salariés. En cas de désaccord entre les conseillers membres de la formation de jugement, une procédure dite de départition est mise en œuvre : un juge judiciaire est appelé pour débloquer l’affaire et rendre une décision. Le contentieux prud’homal refléterait la segmentation du marché du travail, entre les « insiders » bien protégés (les salariés en CDI, surtout les très qualifiés), et les « outsiders » (les précaires, les jeunes, les femmes peu qualifiées, les seniors). Cette conception est en partie vraie, et en partie exagérée, voire erronée. Il est vrai que les salariés licenciés ayant peu d’ancienneté dans l’entreprise ont été de plus en nombreux dans les années 1990 et au début des années 2000. En effet, la part des salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté dans le total des licenciements s’est accrue de 1990 à 2002 : de 14 à 20% pour les licenciements économiques, de 40 à 45% pour les licenciements pour motif personnel. Or, corrélativement, la part des salariés à faible ancienneté dans le contentieux prud’homal sur les licenciements pour motif personnel diminue sur la même période d’environ 10 points. En d’autres termes, le recours au conseil de prud’hommes n’est pas matériellement avantageux pour des salariés ayant accumulé peu de droits du fait de leur faible ancienneté. Il a été reproché au Code du travail de surprotéger les salariés dirigeants et les cadres. Faute de données sur ce sujet, on s’en tiendra à trois études approfondies menées par des sociologues en 2008 : l’analyse des conseils de prud’hommes de Longjumeau, de Boulogne-Billancourt et de Grenoble montre que les cadres de plus de 50 ans et dont le salaire était supérieur à 5.000 euros ont moins souvent grain de cause que leurs homologues plus jeunes, moins bien payés, et d’une plus faible ancienneté. Il est très certainement abusif de considérer que le Code du travail est un modèle de rigidité. Si l’on fait l’inventaire des réformes successives du droit du travail depuis quelques décennies, à commencer par la suppression de l’autorisation administrative de licenciement en 1986, la liste des lois ayant flexibilisé le marché du travail s’avère longue : institution de la rupture conventionnelle en 2008, centrage des négociations sociales au niveau des accords d’entreprise (loi Bertrand, janvier 2008), accords de maintien dans l’emploi, limitation des possibilités de recours au juge sur les plans de sauvegarde de l’emploi (loi de 2013 relative à la sécurisation de l’emploi), extension du travail dominical et réforme la justice prud’homale par le renforcement de la médiation conventionnelle préalable (loi Macron, août 2015). Près de 1,7 million de ruptures conventionnelles ont été enregistrées depuis que cette possibilité juridique de rupture du contrat de travail a été instituée. Le succès de ce dispositif, qui représente,  en 2014,  358.000 ruptures, soit 25.000 de plus qu’en 2013, montre que les difficultés de licenciement ne sont peut-être pas si fortes qu’on le pense habituellement.




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