Mélenchon revient sur les enjeux écologiques
Par conviction sans doute mais aussi par stratégie politique, Mélenchon revient dans le JDD sur les enjeux écologiques. Dans la perspective de 2022, Mélenchon ne parvient pas à se détacher nettement pour imposer sa candidature à toute la gauche ; en outre, il combat le concept même de candidat unique de la gauche soutenu par les écolos -en tout cas certains -et les jeux socialistes. Ce qui peut se comprendre puisque Mélenchon n’a pas l’intention de retirer sa candidature. Pour mordre sur l’électorat écolo, Mélenchon réinvestit donc le champ environnemental dans sa tribune.
Tribune
« Le lac Titicaca, partagé entre le Pérou et la Bolivie, nous donne une leçon politique. Menacé par les pollutions et le changement climatique, il constitue un lieu exemplaire de la perturbation des grands cycles au niveau mondial. Remarquable, il l’est alors pour la leçon politique que l’on peut en tirer. En effet, le changement climatique fait entrer l’Humanité dans une ère d’incertitude structurelle. Le changement climatique est commencé. Les grandes perturbations sont déjà à l’œuvre et nous placent au seuil de multiples points de bascule.
On ne sait pas s’ils se produiront, ni quand, ni quels seront leurs effets. Les changements en cours ne sont ni constants ni linéaires . Nous entrons dans un intermédiaire, situé entre l’état climatique antérieur et la prochaine stabilisation du système du climat. Entre les deux, il y aura une longue phase d’étapes changeantes aux durées variables.
La politique telle que nous l’avons connue dans la longue période du « chacun pour soi » et du « tout, tout de suite » est un danger mortel pour notre espèce aussi. L’heure est à la politique comme art de gérer l’imprévu. Mais elle dispose pour l’heure de peu de points d’appui. Le principe de précaution est un des rares outils de cette nouvelle ère. Le thème de la planification comme récupération de la gestion du temps long émerge quant à lui avec difficulté. Il va falloir décider d’après des calculs de probabilités.
Le chaos partiel dans lequel nous entrons exige donc une science politique nouvelle. Elle est encore balbutiante. Sur quoi s’appuyer pour prévoir? L’idée que la tradition pourrait mieux nous renseigner est erronée. Les savoirs bâtis à partir d’observations millénaires sont eux aussi pris à revers par le changement climatique. Les capteurs biologiques liés aux migrations animales ou aux cycles des végétaux se dérèglent en même temps que le reste. Certes, l’espèce humaine à tout de même de sérieux ressorts face à l’imprévu. Par ses migrations elle a fait la démonstration de sa capacité à changer de biotope quand les autres espèces dépendent du leur en dépendent de manière absolue.
Dans le moment de l’incertitude, la science peut donner des points d’appuis essentiels. Ses observations, ses mesures, ses modélisations nous permettront d’anticiper, de repérer les signes avant-coureurs des grands bouleversements pour nous adapter. C’est ce que fait une équipe de scientifiques franco-boliviens au lac Titicaca. Leur travail montre que le recueil et l’interprétation de données par les équipes scientifiques sur un milieu naturel peuvent permettre de prendre les bonnes décisions au bon moment. Mais cette science dépend de la collecte de milliers de données, de leur compilation, de leur traitement et de leur diffusion.
Dès lors, la science et la recherche scientifique ne peuvent être dissociées des conditions de leur production. D’où l’importance pour l’avenir des investissements publics dans la recherche fondamentale, les laboratoires, le matériel et les scientifiques eux-mêmes. La diffusion gratuite des données et de leurs interprétations doit être la règle. La logique des brevets et de la marchandisation des savoirs y fait obstacle. Elle doit être stoppée.
Mais ce n’est pas tout. La continuité de la prise de mesure et de la diffusion de celle-ci est la condition d’une connaissance approfondie autorisant une action préventive sur les systèmes étudiés. L’acheminement des données et leur recueil dans maintes autres zones dépendent de réseaux complexes nullement automatisés. Dès lors, les pandémies, les confinements et les fins d’activité pour cause de crédits coupés ou de « rentabilité » produisent des interruptions qui peuvent être finalement très perturbantes pour accéder à la connaissance de l’évolution d’une situation. Car pour modéliser correctement, pour prévoir efficacement, il faut une masse de données toujours plus fraîches et diversifiées.
La condition initiale du savoir qui prend le relai de la tradition et de la science à l’ancienne, passe par l’existence de tels réseaux libres d’accès pour tous et sans cesse augmentés. Gouverner à l’ère de l’incertitude écologique exige donc une attention particulière aux réseaux de communication, de transport, de transmission des données. Elles-aussi doivent devenir en quelque sorte des biens communs. Car sans elles, il ne sera pas possible de planifier la vie des sociétés humaines dans la nouvelle donne climatique.
Le problème est global. La réponse doit l’être aussi. Le suivi scientifique au Lac Titicaca est une de ces preuves du nouvel internationalisme humaniste qui s’impose. La décision politique à l’ère de l’incertitude est-elle possible sans cela? Tel est le cadre ensuite du seul débat qui vaille quand tout disjoncte. Nous devrons trancher et tout organiser autour de la réponse à une question d’orientation politique : tous ensemble ou chacun pour soi. »