Comment réussir la refondation de l’Hôpital
chronique collective des professionnels de santé dans la Tribune.
« Prononcées le 14 avril dernier par le Chef de l’Etat, au cœur d’un confinement jamais connu dans notre pays, tous les soignants ont entendu des paroles fortes. Elles ont créé une attente que les Français ont relayée tous les jours : celle d’une nouvelle page de l’histoire de nos politiques de santé.
Aujourd’hui, nous engageons une mobilisation générale pour préparer l’« après COVID ». Cet « après » qui ne peut pas, qui ne doit pas être la reproduction de l’avant, nous avons commencé à le dessiner ensemble. Nous, professionnels de santé, directeurs d’hôpitaux, présidents de Conseils de Surveillance et de Commissions Médicales d’Etablissement, doyens, cadres, sommes prêts, avec tous nos collègues, à assumer une refondation de l’hôpital en lien avec la révolution nécessaire de notre système de santé. Nous attendons du Gouvernement le soutien clair et résolu de cette ambition.
Cette ambition est d’abord celle d’une organisation refondée sur des objectifs de santé publique que notre société doit réaffirmer urgemment.
La refondation de l’hôpital passe par l’abandon du prisme budgétaire étroit et inadapté qui a prévalu depuis deux décennies en France, et dont les limites sont apparues cruellement depuis le début de cette pandémie.
« Tout ambulatoire », « rationalisation de capacités de réanimation », « ratios d’effectifs », « taux de marge brute comme critère majeur de gestion», « objectifs de taux d’occupation des lits créateurs de pénurie »… : toutes ces politiques issues de tableurs appliquées sans discernement ont affaibli les hôpitaux, de référence ou de proximité, en diminuant leurs capacités matérielles et humaines, les transformant en établissements à flux tendus, débordés par l’épidémie malgré l’engagement et le professionnalisme dont les hospitaliers ont fait preuve. La traduction en a été des pertes de chance pour des malades et des décès qui auraient pu être évités. Oui, la première chose à faire est de reprendre une distance sanitaire avec les oukases des cost-killers et autres COPERMO.
Corollaire de ce constat : tout le système de financement doit être repensé, à la ville comme à l’hôpital, en abandonnant la tarification à l’activité telle qu’elle est conçue et appliquée. Elle n’a sans doute pas tous les défauts qui lui sont prêtés, mais l’hôpital ne peut s’accommoder d’un financement à la commission. L’impact sur les salaires du coût du système et la question de son financement global ne sauraient être une variable évacuée mais cette tarification a montré toutes ses limites dans la crise. Ces limites avaient déjà été dénoncées préalablement dans d’autres domaines comme ceux de la prévention, ou de la prise en charge des maladies chroniques notamment.
Cette ambition, c’est ensuite celle d’une réelle politique d’investissement. Elle ne doit plus être conçue comme la contrepartie de la suppression de capacités ou d’emplois, dont on a vu le caractère délétère. Une politique d’investissement ambitieuse est la seconde condition majeure de l’adaptation de l’hôpital. Les équipes hospitalières, dans la plupart des régions, ont travaillé avec l’Etat depuis des années pour définir les investissements nécessaires au renforcement de l’Hôpital. Citons par exemple le CHRU de Nancy ; celui-ci a reçu un premier aval du ministère juste avant le développement de l’épidémie COVID. La refondation passera par une politique d’investissement qui prendra en compte les leçons de la crise COVID, dynamisera les projets existants et transformera les hôpitaux du pays en lieux de soins préparés aux enjeux sanitaires de notre temps.
L’investissement, c’est aussi le soin dû aux professionnels, qui ne peuvent plus être considérés comme la variable d’ajustement. Leurs effectifs doivent retrouver dans des organisations sans doute innovantes, des niveaux compatibles avec la qualité des soins aux malades, mais aussi au respect dû à ceux qui donnent beaucoup.
Cette ambition, c’est aussi celle de la considération qui est due à tous les professionnels hospitaliers. Leur travail doit être reconnu au-delà des discours et propos convenus, avec des conditions de rémunérations qui permette à l’hôpital de conserver soignants et médecins. Une refonte des métiers et des carrières, leurs contenus, les formations qui y conduisent doit permettre de retrouver une attractivité perdue. Le rattrapage de l’insuffisance des rémunérations est une urgente priorité, mais, au-delà, il est essentiel de mieux prendre en compte la réalité de l’exercice professionnel, des responsabilités assumées, des compétences demandées ; il faut individualiser, évoluer en prenant en compte l’expérience.
Cette ambition, c’est celle de la liberté et de l’agilité. La gouvernance de l’Hôpital a montré dans la crise sa capacité à faire face, mais aussi les limites qui l’entravent : donner de la liberté, limiter toutes les strates internes ou externes qui alourdissent la décision, dégraisser le cadre réglementaire ou normatif, réduire le nombre d’agences thématiques qui produisent du texte et des normes contradictoires.
L’organisation sanitaire a été mise en cause dans cette crise. S’interroger sur le sens de son action, ses missions, son lien avec les acteurs de terrain, les élus, apparait indispensable. Chacun connaît des interactions qui peuvent être chaotiques entre des ARS plus budgétaires qu’opérationnelles, assujetties aux services parisiens, des Groupements Hospitaliers de Territoire inaboutis – dont sont absents les établissements privés qui ont su collaborer dans la crise – des établissements publics soumis à une tutelle d’autant plus tatillonne qu’elle perd parfois de vue sa raison d’être… Cette organisation a montré ses insuffisances qui doivent être corrigées par une réelle décentralisation. En interne, il faut aussi laisser les professionnels déterminer leur cadre de travail, retrouver le sens des projets collectifs en dépassant le couple directeur-médecin pour intégrer les professionnels non médicaux dont le rôle majeur a été rappelé de manière éclatante depuis le début du COVID.
Cette ambition, enfin, c’est la capacité à nous « donner de l’air » en partant des territoires, des élus locaux, et du lien global avec la population. La question n’est pas seulement l’hôpital. Elle intéresse chaque territoire, les villes, les professionnels de santé, les structures médico-sociales, alors que les déserts médicaux, avant COVID, étaient déjà une préoccupation forte de ces mêmes élus. Aujourd’hui, la reconnaissance des élus locaux par nos concitoyens reste forte, dans un contexte où la parole publique est contestée. En lien avec les professionnels de la santé, soignants, médecins, directeurs, avec les représentants des patients, ils sauront organiser les concertations populaires qui nourriront la feuille de route de ce futur système hospitalier, et du système de santé en général.
« Comment réussir la transition écologique »
« Comment réussir la transition écologique »
« La politique n’est pas qu’une affaire de plomberie, c’est aussi une affaire de poésie », clame la députée du Nord, Valérie Petit, qui appelle dans le journal l’opinion à convoquer les sentiments des Français pour réussir la transition écologique.
Chronique dans le Monde
Ce n’est ni une preuve scientifique, ni un discours politique qui ont fait de moi une écologiste convaincue, c’est une émotion, celle que nous ressentons face au spectacle grandiose et vibrant de la nature. Celle que narrent les astronautes qui ont contemplé la planète bleue depuis l’espace, celle que nous éprouvons sous un ciel étoilé, face à l’océan, dans les profondeurs de la forêt ou dans le regard d’un animal aimé. Une émotion presque magique, pour ne pas dire mystique, qui nous fait nous sentir tout petits mais connectés à quelque chose d’immense. Elle nous procure joie, gratitude, mais aussi le sens de nous-même et de notre responsabilité dans le « miracle » du vivant, ce « grand tout » que forment ensemble l’humain et la nature.
Adolescente née dans une cité bétonnée, je rêvais de fuir dans la forêt : quand enfin, j’emménageais près d’un petit bois, j’y passais des heures, seule ou avec mes camarades, dans une petite cabane faite de branchages. Le bruissement des arbres, le chant des oiseaux, le frémissement du vivant tout autour, me procuraient un sentiment d’émerveillement, presqu’une transcendance. J’en ressortais invariablement avec un sentiment de liberté et de plénitude personnelle, en même temps que de responsabilité immense vis-à-vis de ce cadeau qu’est, non pas seulement la nature, mais notre connexion avec elle.
De la forêt noire de Baden-Baden à la forêt magique de Paimpont, des châtaigniers majestueux de Virginie aux pins sacrés du mont Hua shan : depuis cette époque, je n’ai cessé de répondre à l’appel de la forêt, de la wilderness (nature sauvage) comme l’appellent les Américains. Plus tard, pour soutenir mon engagement politique et garder la trace de cette émotion, j’ai fait tatouer sur mon avant-bras, le symbole d’Artémis, déesse du monde sauvage, assorti de cette citation de l’écologiste libertaire H. D. Thoreau : « Toutes les bonnes choses sont libres et sauvages ».
« Pour changer sa manière de vivre, il faut bien plus que de bonnes raisons, il faut de bonnes émotions. Le cœur a des raisons que la raison politique ne peut plus ignorer, au risque d’échouer. »
Car l’émotion, dont l’étymologie signifie « se mettre en mouvement », est un puissant moteur de l’action. Cette émotion aussi puissante que singulière, que nous éprouvons au contact de la nature, les chercheurs l’appellent awe (la révérence). Les travaux récents de la psychologie positive montrent qu’elle n’est pas seulement source de bien-être physique et de joie : elle donne également du sens à nos vies et contribue à notre épanouissement individuel. Plus étonnant, elle nous pousse également à des comportements plus altruistes et plus responsables, notamment à l’endroit de l’environnement et du vivant.
« Libre et sauvage ». Dès lors, l’awe apparaît comme la réponse émotionnelle à cette question politique décisive : « Pourquoi, alors même que nous avons tous conscience de l’urgence climatique, ne sommes-nous pas capables collectivement d’accepter de changer nos modes de vie ? » Tout simplement, parce que les émotions négatives ou la contrainte imposée de l’extérieur ne suffisent pas pour lever les freins au changement comme le peut une émotion forte et positive qui meut chacun de l’intérieur.
Pour changer sa manière de vivre, il faut bien plus que de bonnes raisons, il faut de bonnes émotions. Le cœur a des raisons que la raison politique ne peut plus ignorer, au risque d’échouer. Si nous voulons que chaque citoyen, soit un acteur actif, libre et responsable de la transition écologique, nous devons aussi réensauvager les cœurs.
Osons dès lors un discours à contre-courant de l’époque, si prompt à craindre les émotions presque autant que la liberté de les exprimer : pour embarquer librement les Français dans la transition écologique, et faire de celle-ci une aventure personnelle aussi bien qu’une réussite collective, nous devrions aussi susciter une adhésion « libre et sauvage » à l’écologie, faire de celle-ci une émotion politique positive fondée sur la reconnexion avec la nature et le sauvage au quotidien.
Hausse des ambitions de l’Accord de Paris, loi Climat, Green Deal européen, One Planet Summit, COP15 sur la biodiversité, COP26 sur le climat : l’année 2021 sera la chance, enfin donnée, à une transformation écologique de notre économie et de notre société. Nous ne convaincrons pas les Français avec un discours politique nourrit uniquement de technique et de science. Car, comme le soulignent les scientifiques de l’émotion, il faut du plaisir, du sens et de la liberté pour persévérer. Et pour cela nous avons besoin d’émotions fortes et positives.
Il se trouve que la nature, qui n’en finit plus d’être généreuse avec l’homme, est aussi pourvoyeuse de ressources émotionnelles. Car la nature et la planète ne gisent pas mortes à nos pieds. Le vivant n’a pas dit son dernier mot. Nous ne devons pas « réparer la planète » comme des mécaniciens dépourvus d’âmes. Nous devons, avec force d’émotion, nous « unir au vivant » et coopérer pour organiser la résilience, localement et globalement.
Le travail entamé par l’Union internationale pour la conservation de la nature sur le développement des solutions basées sur la nature est exemplaire de ce nouveau paradigme : la biodiversité n’est pas un trésor perdu qu’il faut protéger, c’est un allié, avec qui il nous faut travailler en confiance et en intelligence pour notre bénéfice mutuel.
«Gandhi disait, à propos du changement, que l’on commence par se changer soi, puis autour de vous les gens changent et à la fin c’est le monde qui est transformé. Cessons donc, d’infantiliser les Français, et de leur dire quoi faire pour cocher la bonne case de l’écologie»
Il ne s’agit pas de dire à chacun de retourner vivre dans les bois ! Il ne s’agit pas non plus de tenir un discours romantique déconnecté du réel. Il s’agit d’abord de reconnaître, la place de l’émotion et du sens, dans l’engagement des individus au quotidien ; de faire de l’écologie une émotion politique nationale, positive, et qui résonne chez chacun.
Empreinte émotionnelle. Il s’agit ensuite de faire de cette émotion et de la reconnexion quotidienne à la nature, une grande cause nationale et un objectif pour tous les acteurs publics pourvoyeurs d’expériences et d’engagements au quotidien. La psychologue de l’environnement Lisa Garnier propose ainsi de permettre à chacun de nous de devenir un « pisteur » de la nature sauvage au quotidien. Et ce, afin de multiplier la force de ce lien émotionnel qui, en même temps qu’il nous lie à la nature, nous relie à nous-mêmes et aux autres.
Il s’agit enfin, de rappeler que cette émotion ne peut donner son plein potentiel de mise en mouvement que si elle s’accompagne de liberté individuelle : liberté de ressentir, liberté de s’exprimer, liberté d’imaginer, liberté de s’associer et liberté pour chacun de fabriquer sa propre transition. Gandhi disait, à propos du changement, que l’on commence par se changer soi, puis autour de vous les gens changent et à la fin c’est le monde qui est transformé. Cessons donc d’infantiliser les Français et de leur dire quoi faire pour cocher la bonne case de l’écologie. Donnons plutôt la capacité et la liberté de cultiver son jardin.
Ainsi, si le Président veut réussir le tournant écologique en s’appuyant sur les citoyens, son seul rôle, à présent, devrait être de narrer le récit de l’aventure à venir, et de faire de l’écologie et de la nature une grande émotion politique. Car c’est aussi de l’empreinte émotionnelle que nous saurons imprimer dans le cœur des Français que dépendra l’avenir de notre empreinte carbone ! La politique n’est pas qu’une affaire de plomberie, c’est aussi une affaire de poésie.
Valérie Petit est députée (Agir) du Nord.