Faillites et restructurations : le danger surtout pour fin 2021 et en 2022
Le pronostic de Philippe Grabli qui dirige Oneida Associé (groupe Oasys & Cie) et participe au Comité Interministériel de Restructuration Industrielle). (Interview à la Tribune)
En quoi consistent ces missions d’accompagnement lancées par l’Etat et quelles entreprises visent-elles ?
PHILIPPE GRABLI - Bercy a voulu réunir un pool d’équipes spécialisées dans la restructuration, la fiscalité, la renégociation des dettes ou la recherche de repreneurs, catégorie pour laquelle nous avons été sélectionnés. En effet, il y a une montée en puissance de ce genre de situations, surtout en région.
Là-bas, c’est le commissaire au redressement productif qui, localement, fait remonter les sujets ou les demandes d’exonérations fiscales. Mais les PME ou les ETI, ces entreprises de taille moyenne qui réalisent un chiffre d’affaires de 5 à 40 millions d’euros, n’ont pas toujours le réflexe de demander de l’aide pour renouveler leur actionnariat. Pourtant ces entreprises sont jugées importantes par l’Etat pour le tissu local et pour leur technologie.
Il s’agit d’un processus préventif pour que l’on sache agir face à une série de dossiers socialement sensibles. C’est la première fois que Bercy prend en main et finance ces sujets.
Ces entreprises feront l’objet de « restructurations et/ou de transformations ». Que pensez-vous de la place accordée à la réindustrialisation dans le plan de relance ?
L’industrie a longtemps été le parent pauvre de la politique économique, en tout cas au niveau des ETI. En Allemagne, des efforts ont été faits par l’Etat, les partenaires sociaux, les actionnaires. Mais en France il y a un décrochage : le tissu industriel est parfois très faible alors qu’il irrigue une grosse partie de l’économie, avec les sous-traitants, le transport, l’hôtellerie, les services…
Le plan de relance remet davantage l’industrie au cœur de l’économie, mais c’est peut-être trop tard pour certaines entreprises. L’Europe est confrontée à une pression très forte avec la flambée des matières premières : seront-elles capables d’y faire face ? Elles sont un peu insuffisantes au niveau technologique : il faut les faire monter en puissance. Sur le plan de la robotisation aussi, la France est en retard : il faut mettre plus de compétitivité et de technologie dans les produits. Cela fait partie de la relance.
Quelle place ont les régions dans la relance ?
Bercy n’a pas pour objectif de mener une nationalisation rampante mais plutôt d’accompagner des industriels privés dont l’activité est sous-performante, en identifiant des solutions d’adossement qui permettent de les pérenniser. Le ministère et les acteurs locaux, notamment les régions, peuvent donc aider à la recherche de repreneurs mais les entreprises restent les mieux placées pour réfléchir aux stratégies d’entreprise.
Une fois le projet de reprise identifié et bouclé, beaucoup de ces entreprises continuent à avoir du mal à recruter ou à garder des effectifs qui doivent être formés. Jusqu’à maintenant, elles n’ont pas beaucoup souscrit à l’APLD (activité partielle de longue durée, Ndlr) qui implique des contreparties jugées trop contraignantes. Peut-être qu’avec une meilleure visibilité économique qui pourrait se dégager, elles la privilégieront davantage, ainsi que le dispositif TRANSCO (Transitions collectives, Ndlr), qui permet aux salariés de se reconvertir en quittant des secteurs sinistrés actuellement, comme l’aéronautique. En effet, certaines compétences sont difficiles à trouver en régions et tous les bassins d’emploi ne sont pas égaux.
Bercy a annoncé la fin progressive des aides. Comment préparer les plans sociaux qui accompagneront la sortie de crise ?
Les plans sociaux cibleront en priorité le transport, la distribution non alimentaire, l’hôtellerie ou l’événementiel. En plus, la crise sanitaire va sans-doute impacter les entreprises qui voudront être plus agiles ou réduire leurs niveaux hiérarchiques : je m’attends à une hémorragie dans les fonctions de management intermédiaire, dans tous les secteurs.
Mais au-delà des aides publiques, il faut se poser la question de la demande. Si la distribution alimentaire ou le e-commerce sont revenus à des niveaux d’activité supérieurs à ceux de 2019, il y a un vrai sujet dans l’aéronautique ou l’automobile. Les petits sous-traitants risquent de souffrir : avec la fin des aides, on voit arriver les plans de départ volontaires, les licenciements collectifs, les ruptures conventionnelles et la hausse du chômage. C’est fin 2021 et en 2022 que le poids de la crise va vraiment se sentir. Par ailleurs, le rapport au travail s’est modifié pour de nombreux salariés : il va y avoir à la fois beaucoup de suppressions de postes et aussi beaucoup des postes difficiles à promouvoir.