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Afrique : des stades de foot chinois contre le pillage des ressources

Afrique : des stades de foot chinois contre le pillage des ressources

La Coupe d’Afrique des Nations (CAN), le plus grand tournoi de football par équipes nationales d’Afrique, débutera le 13 janvier par un match entre la Guinée-Bissau et la Côte d’Ivoire, pays hôte de l’édition 2024, au stade Alassane-Ouattara d’Abidjan. Ce stade ultramoderne, également connu sous le nom de Stade olympique d’Ebimpé, a été inauguré en 2020 et figure parmi les six enceintes retenues pour le tournoi. Sa construction a débuté en 2016 dès que le premier ministre de l’époque, Daniel Kablan Duncan, a donné le premier coup de pioche, entouré de plusieurs représentants de l’ambassade de Chine en Côte d’Ivoire. Le stade a été conçu par l’Institut de conception architecturale de Pékin et construit par le Beijing Construction Engineering Group, deux entités publiques chinoises. Le stade d’Abidjan n’est pas le seul site de la compétition à avoir fait l’objet d’une implication considérable de la part de la Chine. À San Pedro (sud-ouest du pays), le stade Laurent-Pokou a été construit par la China Civil Engineering Construction Corporation (là encore, propriété de l’État), tandis que la China National Building Material (dont les principaux directeurs ont des liens étroits avec le Parti communiste chinois) a été l’entrepreneur général du stade Amadou-Gon-Coulibaly à Korhogo (nord).

par Simon Chadwick
Professor of Sport and Geopolitical Economy, SKEMA Business School

Chris Toronyi
PhD Candidate and Lecturer, Loughborough University dans The Conversation

L’implication de la Chine dans la CAN n’est pas nouvelle, elle s’inscrit dans une politique à long terme de « diplomatie des stades » qu’elle déploie à travers l’Afrique. Dans le cadre des « nouvelles routes de la soie » qui vise à promouvoir le commerce est-ouest, des stades ont souvent été offerts à des nations africaines ou construits à l’aide de prêts bonifiés (prêts accordés à des taux d’intérêt inférieurs à ceux du marché).

Lorsque le Gabon a co-organisé (avec la Guinée équatoriale) la Coupe des Nations en 2012 par exemple, la Chine a participé à la construction de ses deux stades. Cinq ans plus tard, en 2017, le Gabon a de nouveau organisé le tournoi (seul cette fois), pour lequel la Chine a construit deux autres stades. Entretemps, les présidents gabonais Ali Bongo et chinois Xi Jinping se sont rencontrés pour convenir que le pays du premier deviendrait un partenaire de coopération global du second. Aujourd’hui, le Gabon exporte aujourd’hui environ 15 % de toutes ses exportations vers la Chine, dont le pétrole brut et le minerai de manganèse constituent la plus grande part.

Peu après le moment où la construction du stade Alassane-Ouattara démarrait, le président ivoirien du même nom rendait visite à Xi Jinping à Pékin pour finaliser les détails d’un partenariat stratégique de coopération. La Chine aura finalement investi 1,5 milliard de dollars américains en Côte d’Ivoire entre 2018 et 2020. Aujourd’hui, la nation africaine exporte pour 700 millions de dollars de ressources naturelles et de biens vers son partenaire d’Asie de l’Est, soit sept fois plus qu’en 2016.

La diplomatie chinoise des stades, que l’on observe également dans des pays allant du Costa Rica en Amérique latine au Cameroun, est officiellement présentée comme bilatérale et consensuelle. Certains critiques assimilent néanmoins cette politique à du néocolonialisme. Certes, les nations africaines obtiennent de nouvelles infrastructures sportives pour impressionner le monde, des garanties d’investissements étrangers et des destinations pour leurs exportations. Cependant, des questions subsistent quant aux coûts économiques et politiques de ces échanges et à l’utilité des stades une fois les événements terminés.

Pour la Chine, les avantages sont évidents : cette « diplomatie des stades » lui permet d’étendre sa sphère d’influence en Afrique, créant souvent des interdépendances asymétriques qui placent les nations africaines sous l’autorité du gouvernement de Pékin. Dans le même temps, l’Afrique est devenue une source de matières premières qui contribuent à soutenir la croissance économique de la Chine et à lui donner un avantage stratégique dans des secteurs tels que la fabrication de batteries.

Les nations africaines y sont désormais habituées ; après tout, le Royaume-Uni et la France, anciennes puissances coloniales, ont déjà utilisé des tactiques similaires. D’une certaine manière, ces pays restent présents ; par exemple, l’entreprise française TotalEnergies sponsorise la Coupe d’Afrique des Nations et reste impliquée dans d’importantes activités de prospection pétrolière sur le continent. Mais la Chine doit désormais compter avec un nouveau rival plus conséquent : l’Arabie saoudite, qui s’engage également dans la diplomatie du football.

La puissance du Golfe est en pleine transformation et en plein développement économique. Et l’un de ses aspects consiste à investir des centaines de millions de dollars dans le sport. Au cœur des plans du gouvernement saoudien se trouve son intention de positionner le pays comme un centre afro-eurasien, ce qui a déjà commencé à avoir un impact sur le football. À un moment donné, en 2023, il semblait que le royaume se porterait candidat à l’organisation de la Coupe du Monde de football 2030, aux côtés de l’Égypte et de la Grèce. Dans le cadre de l’accord proposé, l’Arabie saoudite aurait offert de construire de nouveaux stades dans chacun des pays partenaires.

Finalement, l’Arabie saoudite a décidé de se porter seule candidate à l’organisation de l’édition 2034, bien que l’implication potentielle des nations africaines ne soit pas à négliger. En effet, pour Neom, un mégaprojet de ville nouvelle futuriste dans le nord-ouest du pays, l’Arabie saoudite prévoit une collaboration avec l’Égypte. En outre, Visit Saudi, l’office du tourisme du royaume, s’est engagé comme sponsor de la Ligue africaine de football, tandis que la Fédération saoudienne de football a conclu un accord avec la Fédération mauritanienne de football.

Au moment où ce dernier accord a été conclu, le prince saoudien Mohammed ben Salmane a reçu un message écrit du président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz concernant le renforcement des relations et de la coordination bilatérales.

Cependant, les critiques affirment que le gouvernement de Riyad tente de rendre l’Afrique « accro » au pétrole pour compenser la baisse de la demande ailleurs dans le monde. D’autres assurent que, comme la Chine, le royaume a besoin d’accéder aux ressources naturelles de l’Afrique (telles que le lithium, le cobalt et le cuivre) pour mener à bien ses réformes économiques.

Un autre pays du Golfe, le Qatar, a mis en place un modèle d’engagement avec l’Afrique. Après avoir gagné le droit d’organiser la Coupe du Monde de football 2022, le Qatar a fait du Rwanda un partenaire privilégié : plusieurs projets de développement du football ont été financés par le gouvernement de Doha. Parallèlement, l’entreprise publique Qatar Airways a fait une offre pour acquérir des participations importantes dans Air Rwanda et dans le nouvel aéroport international de Kigali.

Quand le premier match de la CAN débutera à Abidjan le 13 janvier, la concurrence diplomatique en dehors du terrain risque donc d’être tout aussi intense que la bataille sur le terrain.

Environnement: la question des ressources

Environnement: la question des ressources

Les ressources a priori n’existent pas. Une ressource, en effet, ce n’est pas une qualité substantielle que certaines choses auraient alors que d’autres non. C’est plutôt une relation d’usage, un rapport de moyen à fin. Toute chose peut tenir lieu de ressource, mais le monde n’est pas composé de ressources a priori. Ainsi le pétrole ne se donne pas comme ressource dans l’environnement, il faut un travail considérable pour qu’il puisse finalement servir à la locomotion. L’eau s’offre parfois de façon plus spontanée. Mais pour devenir ressource et servir à l’agriculture — ou à la continuité physiologique des êtres vivants — elle doit en général être découverte, stockée (dans le creux d’une main aussi bien que dans un réservoir), canalisée, traitée et/ou transportée.

par Léo Mariani, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) dans the Conversation

Ce qui qualifie une ressource, c’est donc un caractère de disponibilité, conséquence d’un travail plus ou moins important de mise à disposition. Bien sûr, toutes les sociétés humaines ont été dans ce type de rapport avec certaines choses, y compris les sociétés de chasseurs-cueilleurs : tous les humains sont pris dans des rapports de moyen à fin.

Toutes n’ont cependant pas voulu systématiser et/ou naturaliser cette forme utilitariste de rapport. Les travaux d’anthropologues comme Anna Tsing, James C. Scott ou du sociologue Hartmut Rosa suggèrent même que c’est précisément là ce qui singularise les sociétés capitalistes contemporaines.

La première citée s’appuie ainsi sur le modèle de la plantation de canne à sucre pour incarner l’épistémologie de la modernité. Dans ce modèle, le caractère de disponibilité se décline dans les forces de travail (esclaves et/ou travailleurs pauvres) jusque dans les végétaux (variétés sélectionnées à dessein) et les écologies, « appauvries » parce qu’elles sont entièrement subordonnées à des objectifs de production.

Dans des mondes qui se sont ainsi construits sur le principe de l’accessibilité des ressources, les injonctions à les préserver posent donc au moins deux problèmes, dont il convient plus que jamais d’avoir conscience.

D’abord parce qu’elles tendent à faire oublier ce qu’il en coûte de produire des ressources : la disponibilité invisibilise le travail de mise à disposition.

Elle écrase les perspectives temporelles et spatiales, comme si avoir accès à l’eau courante et pouvoir la « consommer » de façon responsable (ou non) allait de soi. En contribuant à la naturalisation du caractère acquis de ressource, elle aplatit le monde.

L’invitation à préserver les ressources forme par ailleurs un oxymore aux implications délétères : elle définit des choses (du pétrole, de l’eau, des plantes, etc.) par leur destination (leur vocation de consommables), mais elle demande de ne pas les y réduire.

Parce qu’elle favorise l’usage, la mise en ressource du monde augmente enfin mécaniquement l’impératif de son contrôle : rendez l’eau ou le chocolat disponibles à tout moment et vous augmenterez sûrement la tentation… En même temps, par conséquent, que le besoin de la refréner.

Avec l’abondance de la ressource, peut émerger un sentiment de culpabilité.

D’où l’inflation contemporaine de normes expressément promues pour amoindrir la disponibilité qu’on a paradoxalement faite acquérir aux choses. D’où peut-être, aussi, l’émergence et la diffusion d’un sentiment de culpabilité, l’impression légitime de ne pas pouvoir être à la hauteur d’une exigence de modération qui est exactement proportionnelle à la facilité d’accès.

Enjoindre à préserver les ressources c’est, en somme, concentrer l’attention sur l’usure — enjoindre à préserver, économiser, gérer — sans contester l’usage, le caractère de disponibilité. On fait ainsi peser toute la responsabilité de la modération sur le public, comme si le problème n’était pas aussi celui de la mise en ressource, et de celles et ceux qui l’exacerbent.

Préserver les ressources est peut-être nécessaire, mais changer de rapports au vivant et/ou à la biodiversité ou à la terre implique beaucoup plus. Il faut changer de rapport, justement, ne pas se contenter de le faire varier en degré (d’économiser, de gérer, de préserver) mais changer sa nature.

Nous ne pouvons plus nous contenter de réduire la pression sur les ressources, de réaliser des économies ou d’être plus respectueux. Ce ne sont là que des normes humaines, en effet, des choix dont on peut discuter les vertus, mais qui prennent le rapport à la ressource pour donné.

Pour penser autrement, on pourrait commencer par suivre le sociologue Hartmut Rosa et chercher à « rendre le monde indisponible », moins disponible a minima. Cela implique, éventuellement, de mieux accepter les moments — en réalité, nombreux — où il ne l’est pas, en rendant par exemple leur saisonnalité aux tomates ou aux fraises, en nous forçant ainsi à dépendre davantage de notre environnement et de ses temporalités.

On irait alors à rebours de la modernité, qui s’est précisément construite autour d’un idéal d’autonomisation, contre cette hétéronomie (étymologiquement, « autre norme », soit le fait de vivre selon des règles imposées par autrui ou autre chose), en refusant que l’humanité soit normée de l’extérieur et dépendante d’une variabilité qu’elle n’aurait pas tout à fait choisie.

C’est même ainsi qu’elle a conçu la liberté, dans cet élan émancipateur, portée par son extraordinaire capacité à ne dépendre que d’elle-même. Finalement, le concept de ressource exprime l’impasse dans laquelle ce fantasme d’autonomie conduit. Réfléchir à l’indisponibilité des choses et à l’hétéronomie des rapports au monde est une façon de remettre la question de la dépendance au cœur des pensées du futur.

Cela implique, évidemment, de ne plus toujours l’envisager comme une contrainte et une aliénation, mais aussi de la considérer comme une opportunité :

pour le vivant d’abord, dans la mesure où dépendre de l’environnement, ne plus l’avoir indéfiniment comme ressource, est une façon de favoriser son déploiement au-delà de tout contrôle anthropique.

Pour les humains ensuite, parce que la dépendance est une reconnaissance de l’altérité. Elle demande de « faire avec ». À ce titre elle est susceptible de les contraindre parfois, mais aussi de les étonner et de les enrichir, de les sortir en tous cas du narcissisme dans lequel les plonge la projection sans cesse renouvelée de leur volonté sur le monde, et cela qu’elle soit « bonne » ou « mauvaise ».

En tout cas, c’est ce que suggèrent les travaux que j’ai déjà réalisés en la matière, ainsi que d’autres travaux en cours ou qui ont été produits par quelques étudiants.

Ils montrent aussi que les sciences humaines et sociales ont beaucoup à apporter en ce sens, en particulier lorsque, comme l’anthropologie et l’archéologie, elles s’intéressent à des groupes humains qui ont choisi d’accueillir et d’explorer leurs dépendances. Elles offrent ainsi de puissants outils pour penser un avenir moins univoque que celui de la modernité.

Sommet Russie-Afrique: pour mieux piller les ressources locales

Sommet Russie-Afrique: pour mieux piller les ressources locales

Des pays africains voulant retourner au colonialisme ne s’y prendrait pas autrement en se précipitant dans les bras de routine et son fameux sommet Russie Afrique. Un sommet organisé par Poutine pour déstabiliser un peu plus l’Occident mais aussi les régimes internes avec le plus souvent comme bras armé la clique criminelle de Wagner.

Une honte évidemment pour ces pays de se voir contraints de recourir à une sorte de garde nationale assurée par Wagner contre le pillage autorisé des ressources locales.

L’Afrique malheureusement est encore trop soumis à de nouvelles formes de colonisation notamment de la Chine et de la Russie qui veulent renforcer leur pouvoir politique international tout en s’approvisionnant en bon compte des richesses locales.

Un phénomène qui permet aussi aux dirigeants locaux d’accroître à leur profit et un nombre d’intermédiaires qui les soutiennent encore la corruption qui gangrène le continent. Sans parler des atteintes encore renforcées à la démocratie.

Pourtant, derrière les visites et les discours, les échanges commerciaux demeurent faibles entre Moscou et le continent. Alors que la guerre en Ukraine s’enlise et que les sanctions occidentales fragilisent l’économie de la Russie, ses capacités réelles d’engagement vis-à-vis de l’Afrique interrogent.

Parmi les domaines de coopération entre la Russie et l’Afrique, le secteur de l’armement est probablement celui qui fait couler le plus d’encre. Ces dernières années, Moscou a annoncé le renforcement de ses partenariats militaires avec de nombreux pays dont le Cameroun, l’Éthiopie, l’Afrique du Sud, la Centrafrique ou bien encore le Mali.

Ces accords sont loin d’être nouveaux. À l’époque des indépendances, l’URSS avait investi ce domaine fournissant des armes à de nombreux pays africains. Des partenariats mis en sommeil après la chute du bloc soviétique, que Moscou a entrepris de réactiver au cours des deux dernières décennies. En parallèle, la milice Wagner a étendu ces dernières années sa présence en Centrafrique, au Mali, au Soudan ou bien encore en Libye.

Entre 2018 et 2022, la Russie a détrôné la Chine en tant que premier exportateur d’armes en Afrique subsaharienne, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, passant de 21 % à 26 % de parts de marché.

Pour Maxime Ricard, chercheur spécialiste de l’Afrique de l’Ouest à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem). “À l’échelle de la Russie, ces livraisons demeurent relativement faibles, mais elles ont un intérêt stratégique pour l’influence de la Russie en Afrique. En soutenant des élites politiques peu regardantes sur les droits humains, elles ont une dimension politique importante car elles participent au renforcement de régimes autoritaires. Pour les dirigeants des États comme le Mali ou le Burkina Faso, le partenariat militaire avec la Russie est un gros enjeu, d’autant plus depuis qu’ils ont demandé le retrait des forces françaises”.

Outre le domaine sécuritaire, la Russie entretien également un important partenariat agricole avec le continent, dont elle est le premier fournisseur de blé au monde. Le forum Russie-Afrique intervient alors même que Moscou vient de se retirer de l’accord permettant l’exportation de céréales ukrainiennes par la mer Noire, dont l’ONU affirme qu’il est essentiel pour équilibrer les prix et éviter une crise alimentaire mondiale.

La Russie réclame un allègement des sanctions financières qui “entravent” son commerce international de céréales mais aussi, et surtout, ses exportations d’engrais et de matériel agricole.

Elle a assuré qu’elle était prête à offrir ses céréales gratuitement aux pays africains qui en ont le plus besoin, précisant que cette proposition serait discutée lors du sommet, qui comprend un volet sur la souveraineté alimentaire du continent.

En octobre 2019, devant une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement réunis dans la ville balnéaire de Sotchi, Vladimir Poutine avait promis de “doubler dans les cinq ans les échanges commerciaux” avec le continent.

Pourtant, après plusieurs années de croissance, ceux-ci ont enregistré un recul sur la période 2018 – 2021, passant de 20 à 17,7 milliards de dollars. Un chiffre sans commune mesure avec le commerce chinois (282 milliards), de l’Union européenne (254 milliards) ou bien des États-Unis (83 milliards) avec l’Afrique, alors que la Russie représente toujours moins de 1 % des investissements étrangers sur le continent.

Dans sa lettre aux pays africains, Vladimir Poutine affirme que le chiffre de commerce de la Russie avec les pays d’Afrique a augmenté en 2022“ pour atteindre presque 18 milliards de dollars américains”, tout en reconnaissant que les “capacités de [leur] partenariat commercial et économique sont beaucoup plus grandes”.

La Russie à tendance à “sur-promettre et à ne pas tenir ses promesses lorsqu’il s’agit de ses engagements économiques en Afrique”, analyse Joseph Siegle, auteur d’un rapport sur les engagements économiques de la Russie en Afrique. Pour le chercheur américain, la Russie souhaite avant tout “promouvoir ses intérêts géostratégiques […] : s’assurer un pied dans la Méditerranée à la frontière sud de l’Otan, déplacer l’influence occidentale et normaliser la vision du monde de la Russie”.

“Mis à part peut-être quelques partenaires privilégiés comme l’Égypte, l’Afrique du Sud ou le Nigeria, l’Afrique n’est clairement pas un marché prioritaire de la Russie” souligne Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe. “L’Afrique subsaharienne ne représente qu’un à deux milliards de dollars par an sur les 700 milliards du commerce extérieur russe. Néanmoins, Moscou a besoin de bâtir de nouveaux partenariats et, à ce titre, ce marché peut être prometteur”.

Environnement–Sobriété : Le gâchis des ressources naturelles

Environnement–Sobriété : Le gâchis des ressources naturelles

Par
Bruno Villalba
Professeur de science politique environnementale, AgroParisTech – Université Paris-Saclay dans the Conversation

La sobriété interroge notre rapport à la matérialité. Elle est souvent conçue comme la masse et la composition physico-chimique des choses extraites, produites et échangées ou des investissements réalisés qui s’oppose à leurs valeurs.Mais une telle approche minimise le stock disponible, c’est-à-dire la quantité physiquement existante pour permettre que ces dynamiques de flux et d’échange puissent se mettre en place et se développer. Concevoir une matérialité dans une vision évolutive (comme l’extension du contrôle efficace des échanges) revient à maintenir une certaine vision de l’abondance de la ressource – ou tout au moins de l’extension de ses potentialités d’exploitation. Or, nous assistons plutôt à une raréfaction programmée de cette matérialité. Cette programmation résulte du prolongement des politiques de développement qui, inévitablement, conduiront à l’assèchement des ressources.

De nombreuses analyses mettant en évidence ce paradoxe ont déjà été réalisées. Une abondante littérature porte sur la disparition programmée des ressources fossiles et de ses conséquences catastrophiques sur nos « sociétés carbones ». Nous souhaitons insister sur le déploiement de mécanismes plus invisibles encore, qui rend plus compliqué le fait de saisir la relation de dépendance qui nous relie à eux, et montrer combien le « pic » concerne la quasi-totalité des matières avec lesquelles nous entretenons un rapport d’extraction.

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En 1863, le chimiste Dmitri Mendeleev a classé 63 éléments chimiques naturels, connus à l’époque, qui composent tout ce qui nous entoure, et a publié, en 1869, le fameux « tableau périodique ». Depuis la classification s’est étoffée et il y a maintenant 118 éléments répertoriés, dont 90 sont présents dans la nature. Les autres sont pour la plupart des éléments super lourds qui ont été créés dans les laboratoires au cours des dernières décennies par des réactions nucléaires et qui se désintègrent rapidement en un ou plusieurs des éléments naturels.

En 1976, le chimiste américain William Sheehan offre une nouvelle vision de ce tableau. Il représente chaque élément en fonction de son abondance ou de sa rareté, ce qui permet d’échapper à la présentation traditionnelle, où chacun d’entre eux est soigneusement rangé dans des petits carrés équivalents18.

On peut ainsi voir l’abondance de l’hydrogène (H), du carbone (C), de l’oxygène (O), d’une moindre profusion du phosphore (P) ou du calcium (Ca), et d’une très faible présence du lithium (Li) ou de l’argon (Ar), ou bien plus encore, de l’extrême pénurie du prométhium (Pm). Avec cette figuration, il souhaite signifier les possibilités d’exploitation de ces éléments, en fonction de leur profusion naturelle ou de leur création artificielle. Ce croquis, repris puis diffusé sur les réseaux numériques, connaît une amélioration graphique ; ainsi, le tableau a été codé par couleur pour indiquer la vulnérabilité plus ou moins grande des éléments.

Ce qui est ainsi mis en scène, c’est l’extension de la pression sur certains éléments non renouvelables. Bien sûr, cette présentation synthétique a fait l’objet de certaines critiques, dont l’une qui fait état de l’absence de connaissances globales sur l’état des ressources qui empêcheraient de mesurer avec précision le degré de disparition. Mais, elles ne remettent pas en cause l’inégale pression sur les ressources, ni l’intensification des tensions.

The European Chemical Society (EuChemS) s’inspire de ce travail et publie, en 2021, une nouvelle version de son « Element Scarcity – EuChemS Periodic Table ». Dans la plupart des cas, les éléments n’ont pas disparu. Mais, au fur et à mesure que nous les utilisons, ils se dispersent et sont beaucoup plus difficiles à récupérer. La dispersion rendra certains éléments beaucoup moins facilement disponibles dans cent ans ou moins – c’est le cas pour l’hélium (He), l’argent (Ag), le tellure (Te), le gallium (Ga), le germanium (Ge), le strontium (Sr), l’yttrium (Y), le zinc (Zn), l’indium (In), l’arsenic (As), l’hafnium (Hf) et le tantale (Ta). L’hélium est utilisé pour refroidir les aimants des scanners IRM et pour diluer l’oxygène pour la plongée sous-marine. 26 éléments du tableau de Mendeleïev, tels que l’or, le cuivre, le platine, l’uranium, le zinc ou le phosphore seraient en voie d’épuisement. 6 autres ont une durée de vie utile prévue est inférieure à cent ans. Sur les 90 éléments, 31 portent un symbole de smartphone – reflétant le fait qu’ils sont tous contenus dans ces appareils.

The European Chemical Society attire aussi notre attention sur une autre dimension, que les auteurs qualifient de « provenant des ressources du conflit ». Par exemple, le carbone, en particulier le pétrole, peut provenir d’endroits où des guerres sont menées pour les champs pétrolifères ou où les revenus pétroliers sont utilisés pour mener des guerres. Nous sommes donc face à un stock limité d’éléments constitutifs. De plus, même les agencements que nous pouvons réaliser entre eux sont limités : dès lors que l’un des éléments vient à manquer, ils ne sont pas toujours substituables.

À partir de ce simple constat matériel, on voit combien le dépassement technologique est rendu illusoire à cause de la disparition progressive des ressources non renouvelables. Leur rareté devrait conduire à une modération dans leur usage. On retrouve ainsi le « stock de sable » : une quantité limitée, des possibilités d’innovations limitées en raison de la disparition programmée de certains éléments, ainsi que des combinaisons limitées… Et il faudra encore que les générations futures gèrent durablement ces pénuries.

Malgré cet état de fait, la transition écologique, notamment dans son volet énergétique, continue à promouvoir le développement de technologies vertes nécessitant l’utilisation intensive de ces ressources limitées. Il faut, quoi qu’il en coûte, maintenir la croissance, désormais flanquée du qualificatif « verte ». Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), cette croissance consiste « à favoriser la croissance économique et le développement tout en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et les services environnementaux sur lesquels repose notre bien-être. Pour ce faire, elle doit catalyser l’investissement et l’innovation qui étaieront une croissance durable et créeront de nouvelles opportunités économiques ».

Cette définition met clairement en lumière l’objectif que les démocraties occidentales et les autocraties cherchent aujourd’hui à atteindre : poursuivre l’amplification économique, mais en s’appuyant sur le progrès technique pour tenter d’atténuer les impacts sur l’environnement.

Cependant cet artefact des économistes classiques et néo-classiques, qui suppose de considérer le système économique comme une machine à mouvement perpétuel, se heurte aux limites matérielles bien réelles du monde naturel. En effet, les réserves de métaux rares sont relativement peu abondantes, comparées au rythme de consommation effréné de notre siècle. Elle croît à un rythme de 3 à 5 % par an. À titre indicatif, à l’horizon 2030, la demande de germanium, utilisé pour la fabrication de cellules photovoltaïques, va doubler ; celle de tantale, utilisé comme conducteur de la chaleur et de l’électricité ou pour la fabrication d’instruments chirurgicaux et d’implants, va quadrupler ; celle de cobalt, utilisé pour la fabrication des aimants ou des voitures hybrides, va être multipliée par 24. Ces métaux les moins abondants (lithium, béryllium, cobalt…) sont devenus essentiels à la production d’aimants, de moteurs, de batteries, incorporés à l’électronique… Autant de ressources qui sont indispensables au développement des « énergies vertes ». Les terres rares – une trentaine d’éléments chimiques – sont aussi concernées par cette intensification de leur exploitation, au nom des énergies renouvelables.

L’extractivisme est général ! La déplétion est progressive mais permanente. La quantité de matière première extraite de la Terre est passée de 22 milliards de tonnes en 1970 à 70 milliards de tonnes en 2010. Au cours des années 2000-2010, à l’échelle du globe, entre 47 et 49 milliards de tonnes de matériaux ont été extraits chaque année, soit 18 kg en moyenne par jour et par personne.

Au rythme actuel d’extraction, nombreux sont ceux qui risquent d’être épuisés dans une cinquantaine d’années. Il est estimé que, pour satisfaire la demande – en termes de logements, mobilité, nourriture, énergie, eau, etc. – des futurs 10 milliards d’habitants de notre planète, 180 milliards de tonnes de matières premières, soit trois fois la quantité de ressources actuelles, seront nécessaires à l’horizon 2050. L’océan profond devient ainsi un nouvel espace de jeu de l’extractivisme. On envisage tranquillement d’aller exploiter la Lune et Mars… : la poubellocène deviendra spatiale !

Il va sans dire que les impacts négatifs iront de pair. Tout d’abord, ces exploitations répondent à la loi des pics d’extraction : on doit creuser plus profond, pour des taux de concentration plus diffus… Ce qui entraîne inévitablement une logique d’épuisement et une l’augmentation des coûts énergétiques croissants de leur extraction.

Ensuite, ces politiques ont des effets sociaux importants, comme l’augmen – tation des prix de l’énergie en raison de ces contractions de quantité, mais aussi de la spéculation financière qu’elles produiront. De plus, il faut aussi prendre en compte les effets rebonds sur les grands enjeux écologiques : pour extraire toujours plus de matière, on aura besoin de toujours plus de ressources (en pétrole, en eau, etc.), ce qui accentuera les émissions de gaz à effet de serre et participera à la continuité (voir l’amplification) des effets de rétroaction du dérèglement climatique (acidification des océans, érosion de la biodiver- sité…), mais aura aussi des conséquences sur les milieux de vie, sur les pollution et eutrophisation des sols et des nappes d’eau douce, la déforestation massive…

Enfin, cette course à la ressource participera à l’accroissement des violences et des conflits locaux pour protéger la richesse générée par ces exploitations. La diminution des volumes disponibles (à bas coûts) entraîne une augmentation des prix, ce qui rend l’accès plus difficile pour certains pays ne disposant pas de ressources financières importantes.

Si l’on souhaite bâtir des politiques de souveraineté énergétique à l’échelle de chaque pays, la compétition va être rude pour sécuriser l’accès à ces ressources. La concentration de ces terres dans quelques pays représente une source de tensions géopolitiques de premier plan. Par exemple, la Chine dispose aujourd’hui de 80 % à 90 % de la production mondiale de 17 matériaux, indispensables à la fabrication de nombreux équipements électroniques, alors même qu’elle ne possède qu’un tiers des réserves. Comment réagir face à la contraction des échanges si la Chine décide de conserver ces ressources ? Les stocks de ressources deviennent de plus en plus des enjeux stratégiques, comme l’a montré la guerre en Ukraine. Les États développent des stratégies de sécurisation de leurs approvisionnements afin de maintenir ce flux de métaux indispensables au fonctionnement de leur économie. Comment garantir l’approvisionnement en métaux dits « critiques », selon la terminologie de l’International Energy Agency ? La question est posée, la réponse est plus sibylline, notamment lorsqu’elle tend à édulcorer son rapport à la violence (assurer la ressource et ainsi renforcer sa souveraineté) ainsi que les conséquences d’un redéploiement local de l’approvisionnement (réduire sa dépendance, c’est relancer l’exploitation des mines sur son sol, ce qui n’est pas sans rencontrer de vives oppositions).

Mais face à cette réalité, on continue à invoquer le mythe d’une innovation capable de limiter les effets rebonds et d’élaborer des compensations réparatrices… Cette politique extractiviste mobilise de plus en plus de compétences et d’ingéniosités, de financements et de complexités dans les chaînes d’approvisionnement – ce qui contribue d’autant plus à la fiction de l’ingéniosité humaine sans limite, comme en témoigne le récit des énergies « vertes ».

Écologie–Sobriété : Le gâchis des ressources naturelles

Écologie–Sobriété : Le gâchis des ressources naturelles

Par
Bruno Villalba
Professeur de science politique environnementale, AgroParisTech – Université Paris-Saclay dans the Conversation

La sobriété interroge notre rapport à la matérialité. Elle est souvent conçue comme la masse et la composition physico-chimique des choses extraites, produites et échangées ou des investissements réalisés qui s’oppose à leurs valeurs.Mais une telle approche minimise le stock disponible, c’est-à-dire la quantité physiquement existante pour permettre que ces dynamiques de flux et d’échange puissent se mettre en place et se développer. Concevoir une matérialité dans une vision évolutive (comme l’extension du contrôle efficace des échanges) revient à maintenir une certaine vision de l’abondance de la ressource – ou tout au moins de l’extension de ses potentialités d’exploitation. Or, nous assistons plutôt à une raréfaction programmée de cette matérialité. Cette programmation résulte du prolongement des politiques de développement qui, inévitablement, conduiront à l’assèchement des ressources.

De nombreuses analyses mettant en évidence ce paradoxe ont déjà été réalisées. Une abondante littérature porte sur la disparition programmée des ressources fossiles et de ses conséquences catastrophiques sur nos « sociétés carbones ». Nous souhaitons insister sur le déploiement de mécanismes plus invisibles encore, qui rend plus compliqué le fait de saisir la relation de dépendance qui nous relie à eux, et montrer combien le « pic » concerne la quasi-totalité des matières avec lesquelles nous entretenons un rapport d’extraction.

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En 1863, le chimiste Dmitri Mendeleev a classé 63 éléments chimiques naturels, connus à l’époque, qui composent tout ce qui nous entoure, et a publié, en 1869, le fameux « tableau périodique ». Depuis la classification s’est étoffée et il y a maintenant 118 éléments répertoriés, dont 90 sont présents dans la nature. Les autres sont pour la plupart des éléments super lourds qui ont été créés dans les laboratoires au cours des dernières décennies par des réactions nucléaires et qui se désintègrent rapidement en un ou plusieurs des éléments naturels.

En 1976, le chimiste américain William Sheehan offre une nouvelle vision de ce tableau. Il représente chaque élément en fonction de son abondance ou de sa rareté, ce qui permet d’échapper à la présentation traditionnelle, où chacun d’entre eux est soigneusement rangé dans des petits carrés équivalents18.

On peut ainsi voir l’abondance de l’hydrogène (H), du carbone (C), de l’oxygène (O), d’une moindre profusion du phosphore (P) ou du calcium (Ca), et d’une très faible présence du lithium (Li) ou de l’argon (Ar), ou bien plus encore, de l’extrême pénurie du prométhium (Pm). Avec cette figuration, il souhaite signifier les possibilités d’exploitation de ces éléments, en fonction de leur profusion naturelle ou de leur création artificielle. Ce croquis, repris puis diffusé sur les réseaux numériques, connaît une amélioration graphique ; ainsi, le tableau a été codé par couleur pour indiquer la vulnérabilité plus ou moins grande des éléments.

Ce qui est ainsi mis en scène, c’est l’extension de la pression sur certains éléments non renouvelables. Bien sûr, cette présentation synthétique a fait l’objet de certaines critiques, dont l’une qui fait état de l’absence de connaissances globales sur l’état des ressources qui empêcheraient de mesurer avec précision le degré de disparition. Mais, elles ne remettent pas en cause l’inégale pression sur les ressources, ni l’intensification des tensions.

The European Chemical Society (EuChemS) s’inspire de ce travail et publie, en 2021, une nouvelle version de son « Element Scarcity – EuChemS Periodic Table ». Dans la plupart des cas, les éléments n’ont pas disparu. Mais, au fur et à mesure que nous les utilisons, ils se dispersent et sont beaucoup plus difficiles à récupérer. La dispersion rendra certains éléments beaucoup moins facilement disponibles dans cent ans ou moins – c’est le cas pour l’hélium (He), l’argent (Ag), le tellure (Te), le gallium (Ga), le germanium (Ge), le strontium (Sr), l’yttrium (Y), le zinc (Zn), l’indium (In), l’arsenic (As), l’hafnium (Hf) et le tantale (Ta). L’hélium est utilisé pour refroidir les aimants des scanners IRM et pour diluer l’oxygène pour la plongée sous-marine. 26 éléments du tableau de Mendeleïev, tels que l’or, le cuivre, le platine, l’uranium, le zinc ou le phosphore seraient en voie d’épuisement. 6 autres ont une durée de vie utile prévue est inférieure à cent ans. Sur les 90 éléments, 31 portent un symbole de smartphone – reflétant le fait qu’ils sont tous contenus dans ces appareils.

The European Chemical Society attire aussi notre attention sur une autre dimension, que les auteurs qualifient de « provenant des ressources du conflit ». Par exemple, le carbone, en particulier le pétrole, peut provenir d’endroits où des guerres sont menées pour les champs pétrolifères ou où les revenus pétroliers sont utilisés pour mener des guerres. Nous sommes donc face à un stock limité d’éléments constitutifs. De plus, même les agencements que nous pouvons réaliser entre eux sont limités : dès lors que l’un des éléments vient à manquer, ils ne sont pas toujours substituables.

À partir de ce simple constat matériel, on voit combien le dépassement technologique est rendu illusoire à cause de la disparition progressive des ressources non renouvelables. Leur rareté devrait conduire à une modération dans leur usage. On retrouve ainsi le « stock de sable » : une quantité limitée, des possibilités d’innovations limitées en raison de la disparition programmée de certains éléments, ainsi que des combinaisons limitées… Et il faudra encore que les générations futures gèrent durablement ces pénuries.

Malgré cet état de fait, la transition écologique, notamment dans son volet énergétique, continue à promouvoir le développement de technologies vertes nécessitant l’utilisation intensive de ces ressources limitées. Il faut, quoi qu’il en coûte, maintenir la croissance, désormais flanquée du qualificatif « verte ». Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), cette croissance consiste « à favoriser la croissance économique et le développement tout en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et les services environnementaux sur lesquels repose notre bien-être. Pour ce faire, elle doit catalyser l’investissement et l’innovation qui étaieront une croissance durable et créeront de nouvelles opportunités économiques ».

Cette définition met clairement en lumière l’objectif que les démocraties occidentales et les autocraties cherchent aujourd’hui à atteindre : poursuivre l’amplification économique, mais en s’appuyant sur le progrès technique pour tenter d’atténuer les impacts sur l’environnement.

Cependant cet artefact des économistes classiques et néo-classiques, qui suppose de considérer le système économique comme une machine à mouvement perpétuel, se heurte aux limites matérielles bien réelles du monde naturel. En effet, les réserves de métaux rares sont relativement peu abondantes, comparées au rythme de consommation effréné de notre siècle. Elle croît à un rythme de 3 à 5 % par an. À titre indicatif, à l’horizon 2030, la demande de germanium, utilisé pour la fabrication de cellules photovoltaïques, va doubler ; celle de tantale, utilisé comme conducteur de la chaleur et de l’électricité ou pour la fabrication d’instruments chirurgicaux et d’implants, va quadrupler ; celle de cobalt, utilisé pour la fabrication des aimants ou des voitures hybrides, va être multipliée par 24. Ces métaux les moins abondants (lithium, béryllium, cobalt…) sont devenus essentiels à la production d’aimants, de moteurs, de batteries, incorporés à l’électronique… Autant de ressources qui sont indispensables au développement des « énergies vertes ». Les terres rares – une trentaine d’éléments chimiques – sont aussi concernées par cette intensification de leur exploitation, au nom des énergies renouvelables.

L’extractivisme est général ! La déplétion est progressive mais permanente. La quantité de matière première extraite de la Terre est passée de 22 milliards de tonnes en 1970 à 70 milliards de tonnes en 2010. Au cours des années 2000-2010, à l’échelle du globe, entre 47 et 49 milliards de tonnes de matériaux ont été extraits chaque année, soit 18 kg en moyenne par jour et par personne.

Au rythme actuel d’extraction, nombreux sont ceux qui risquent d’être épuisés dans une cinquantaine d’années. Il est estimé que, pour satisfaire la demande – en termes de logements, mobilité, nourriture, énergie, eau, etc. – des futurs 10 milliards d’habitants de notre planète, 180 milliards de tonnes de matières premières, soit trois fois la quantité de ressources actuelles, seront nécessaires à l’horizon 2050. L’océan profond devient ainsi un nouvel espace de jeu de l’extractivisme. On envisage tranquillement d’aller exploiter la Lune et Mars… : la poubellocène deviendra spatiale !

Il va sans dire que les impacts négatifs iront de pair. Tout d’abord, ces exploitations répondent à la loi des pics d’extraction : on doit creuser plus profond, pour des taux de concentration plus diffus… Ce qui entraîne inévitablement une logique d’épuisement et une l’augmentation des coûts énergétiques croissants de leur extraction.

Ensuite, ces politiques ont des effets sociaux importants, comme l’augmen – tation des prix de l’énergie en raison de ces contractions de quantité, mais aussi de la spéculation financière qu’elles produiront. De plus, il faut aussi prendre en compte les effets rebonds sur les grands enjeux écologiques : pour extraire toujours plus de matière, on aura besoin de toujours plus de ressources (en pétrole, en eau, etc.), ce qui accentuera les émissions de gaz à effet de serre et participera à la continuité (voir l’amplification) des effets de rétroaction du dérèglement climatique (acidification des océans, érosion de la biodiver- sité…), mais aura aussi des conséquences sur les milieux de vie, sur les pollution et eutrophisation des sols et des nappes d’eau douce, la déforestation massive…

Enfin, cette course à la ressource participera à l’accroissement des violences et des conflits locaux pour protéger la richesse générée par ces exploitations. La diminution des volumes disponibles (à bas coûts) entraîne une augmentation des prix, ce qui rend l’accès plus difficile pour certains pays ne disposant pas de ressources financières importantes.

Si l’on souhaite bâtir des politiques de souveraineté énergétique à l’échelle de chaque pays, la compétition va être rude pour sécuriser l’accès à ces ressources. La concentration de ces terres dans quelques pays représente une source de tensions géopolitiques de premier plan. Par exemple, la Chine dispose aujourd’hui de 80 % à 90 % de la production mondiale de 17 matériaux, indispensables à la fabrication de nombreux équipements électroniques, alors même qu’elle ne possède qu’un tiers des réserves. Comment réagir face à la contraction des échanges si la Chine décide de conserver ces ressources ? Les stocks de ressources deviennent de plus en plus des enjeux stratégiques, comme l’a montré la guerre en Ukraine. Les États développent des stratégies de sécurisation de leurs approvisionnements afin de maintenir ce flux de métaux indispensables au fonctionnement de leur économie. Comment garantir l’approvisionnement en métaux dits « critiques », selon la terminologie de l’International Energy Agency ? La question est posée, la réponse est plus sibylline, notamment lorsqu’elle tend à édulcorer son rapport à la violence (assurer la ressource et ainsi renforcer sa souveraineté) ainsi que les conséquences d’un redéploiement local de l’approvisionnement (réduire sa dépendance, c’est relancer l’exploitation des mines sur son sol, ce qui n’est pas sans rencontrer de vives oppositions).

Mais face à cette réalité, on continue à invoquer le mythe d’une innovation capable de limiter les effets rebonds et d’élaborer des compensations réparatrices… Cette politique extractiviste mobilise de plus en plus de compétences et d’ingéniosités, de financements et de complexités dans les chaînes d’approvisionnement – ce qui contribue d’autant plus à la fiction de l’ingéniosité humaine sans limite, comme en témoigne le récit des énergies « vertes ».

Sobriété : Le gâchis des ressources naturelles

Sobriété : Le gâchis des ressources naturelles

Par
Bruno Villalba
Professeur de science politique environnementale, AgroParisTech – Université Paris-Saclay dans the Conversation

La sobriété interroge notre rapport à la matérialité. Elle est souvent conçue comme la masse et la composition physico-chimique des choses extraites, produites et échangées ou des investissements réalisés qui s’oppose à leurs valeurs.Mais une telle approche minimise le stock disponible, c’est-à-dire la quantité physiquement existante pour permettre que ces dynamiques de flux et d’échange puissent se mettre en place et se développer. Concevoir une matérialité dans une vision évolutive (comme l’extension du contrôle efficace des échanges) revient à maintenir une certaine vision de l’abondance de la ressource – ou tout au moins de l’extension de ses potentialités d’exploitation. Or, nous assistons plutôt à une raréfaction programmée de cette matérialité. Cette programmation résulte du prolongement des politiques de développement qui, inévitablement, conduiront à l’assèchement des ressources.

De nombreuses analyses mettant en évidence ce paradoxe ont déjà été réalisées. Une abondante littérature porte sur la disparition programmée des ressources fossiles et de ses conséquences catastrophiques sur nos « sociétés carbones ». Nous souhaitons insister sur le déploiement de mécanismes plus invisibles encore, qui rend plus compliqué le fait de saisir la relation de dépendance qui nous relie à eux, et montrer combien le « pic » concerne la quasi-totalité des matières avec lesquelles nous entretenons un rapport d’extraction.

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En 1863, le chimiste Dmitri Mendeleev a classé 63 éléments chimiques naturels, connus à l’époque, qui composent tout ce qui nous entoure, et a publié, en 1869, le fameux « tableau périodique ». Depuis la classification s’est étoffée et il y a maintenant 118 éléments répertoriés, dont 90 sont présents dans la nature. Les autres sont pour la plupart des éléments super lourds qui ont été créés dans les laboratoires au cours des dernières décennies par des réactions nucléaires et qui se désintègrent rapidement en un ou plusieurs des éléments naturels.

En 1976, le chimiste américain William Sheehan offre une nouvelle vision de ce tableau. Il représente chaque élément en fonction de son abondance ou de sa rareté, ce qui permet d’échapper à la présentation traditionnelle, où chacun d’entre eux est soigneusement rangé dans des petits carrés équivalents18.

On peut ainsi voir l’abondance de l’hydrogène (H), du carbone (C), de l’oxygène (O), d’une moindre profusion du phosphore (P) ou du calcium (Ca), et d’une très faible présence du lithium (Li) ou de l’argon (Ar), ou bien plus encore, de l’extrême pénurie du prométhium (Pm). Avec cette figuration, il souhaite signifier les possibilités d’exploitation de ces éléments, en fonction de leur profusion naturelle ou de leur création artificielle. Ce croquis, repris puis diffusé sur les réseaux numériques, connaît une amélioration graphique ; ainsi, le tableau a été codé par couleur pour indiquer la vulnérabilité plus ou moins grande des éléments.

Ce qui est ainsi mis en scène, c’est l’extension de la pression sur certains éléments non renouvelables. Bien sûr, cette présentation synthétique a fait l’objet de certaines critiques, dont l’une qui fait état de l’absence de connaissances globales sur l’état des ressources qui empêcheraient de mesurer avec précision le degré de disparition. Mais, elles ne remettent pas en cause l’inégale pression sur les ressources, ni l’intensification des tensions.

The European Chemical Society (EuChemS) s’inspire de ce travail et publie, en 2021, une nouvelle version de son « Element Scarcity – EuChemS Periodic Table ». Dans la plupart des cas, les éléments n’ont pas disparu. Mais, au fur et à mesure que nous les utilisons, ils se dispersent et sont beaucoup plus difficiles à récupérer. La dispersion rendra certains éléments beaucoup moins facilement disponibles dans cent ans ou moins – c’est le cas pour l’hélium (He), l’argent (Ag), le tellure (Te), le gallium (Ga), le germanium (Ge), le strontium (Sr), l’yttrium (Y), le zinc (Zn), l’indium (In), l’arsenic (As), l’hafnium (Hf) et le tantale (Ta). L’hélium est utilisé pour refroidir les aimants des scanners IRM et pour diluer l’oxygène pour la plongée sous-marine. 26 éléments du tableau de Mendeleïev, tels que l’or, le cuivre, le platine, l’uranium, le zinc ou le phosphore seraient en voie d’épuisement. 6 autres ont une durée de vie utile prévue est inférieure à cent ans. Sur les 90 éléments, 31 portent un symbole de smartphone – reflétant le fait qu’ils sont tous contenus dans ces appareils.

The European Chemical Society attire aussi notre attention sur une autre dimension, que les auteurs qualifient de « provenant des ressources du conflit ». Par exemple, le carbone, en particulier le pétrole, peut provenir d’endroits où des guerres sont menées pour les champs pétrolifères ou où les revenus pétroliers sont utilisés pour mener des guerres. Nous sommes donc face à un stock limité d’éléments constitutifs. De plus, même les agencements que nous pouvons réaliser entre eux sont limités : dès lors que l’un des éléments vient à manquer, ils ne sont pas toujours substituables.

À partir de ce simple constat matériel, on voit combien le dépassement technologique est rendu illusoire à cause de la disparition progressive des ressources non renouvelables. Leur rareté devrait conduire à une modération dans leur usage. On retrouve ainsi le « stock de sable » : une quantité limitée, des possibilités d’innovations limitées en raison de la disparition programmée de certains éléments, ainsi que des combinaisons limitées… Et il faudra encore que les générations futures gèrent durablement ces pénuries.

Malgré cet état de fait, la transition écologique, notamment dans son volet énergétique, continue à promouvoir le développement de technologies vertes nécessitant l’utilisation intensive de ces ressources limitées. Il faut, quoi qu’il en coûte, maintenir la croissance, désormais flanquée du qualificatif « verte ». Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), cette croissance consiste « à favoriser la croissance économique et le développement tout en veillant à ce que les actifs naturels continuent de fournir les ressources et les services environnementaux sur lesquels repose notre bien-être. Pour ce faire, elle doit catalyser l’investissement et l’innovation qui étaieront une croissance durable et créeront de nouvelles opportunités économiques ».

Cette définition met clairement en lumière l’objectif que les démocraties occidentales et les autocraties cherchent aujourd’hui à atteindre : poursuivre l’amplification économique, mais en s’appuyant sur le progrès technique pour tenter d’atténuer les impacts sur l’environnement.

Cependant cet artefact des économistes classiques et néo-classiques, qui suppose de considérer le système économique comme une machine à mouvement perpétuel, se heurte aux limites matérielles bien réelles du monde naturel. En effet, les réserves de métaux rares sont relativement peu abondantes, comparées au rythme de consommation effréné de notre siècle. Elle croît à un rythme de 3 à 5 % par an. À titre indicatif, à l’horizon 2030, la demande de germanium, utilisé pour la fabrication de cellules photovoltaïques, va doubler ; celle de tantale, utilisé comme conducteur de la chaleur et de l’électricité ou pour la fabrication d’instruments chirurgicaux et d’implants, va quadrupler ; celle de cobalt, utilisé pour la fabrication des aimants ou des voitures hybrides, va être multipliée par 24. Ces métaux les moins abondants (lithium, béryllium, cobalt…) sont devenus essentiels à la production d’aimants, de moteurs, de batteries, incorporés à l’électronique… Autant de ressources qui sont indispensables au développement des « énergies vertes ». Les terres rares – une trentaine d’éléments chimiques – sont aussi concernées par cette intensification de leur exploitation, au nom des énergies renouvelables.

L’extractivisme est général ! La déplétion est progressive mais permanente. La quantité de matière première extraite de la Terre est passée de 22 milliards de tonnes en 1970 à 70 milliards de tonnes en 2010. Au cours des années 2000-2010, à l’échelle du globe, entre 47 et 49 milliards de tonnes de matériaux ont été extraits chaque année, soit 18 kg en moyenne par jour et par personne.

Au rythme actuel d’extraction, nombreux sont ceux qui risquent d’être épuisés dans une cinquantaine d’années. Il est estimé que, pour satisfaire la demande – en termes de logements, mobilité, nourriture, énergie, eau, etc. – des futurs 10 milliards d’habitants de notre planète, 180 milliards de tonnes de matières premières, soit trois fois la quantité de ressources actuelles, seront nécessaires à l’horizon 2050. L’océan profond devient ainsi un nouvel espace de jeu de l’extractivisme. On envisage tranquillement d’aller exploiter la Lune et Mars… : la poubellocène deviendra spatiale !

Il va sans dire que les impacts négatifs iront de pair. Tout d’abord, ces exploitations répondent à la loi des pics d’extraction : on doit creuser plus profond, pour des taux de concentration plus diffus… Ce qui entraîne inévitablement une logique d’épuisement et une l’augmentation des coûts énergétiques croissants de leur extraction.

Ensuite, ces politiques ont des effets sociaux importants, comme l’augmen – tation des prix de l’énergie en raison de ces contractions de quantité, mais aussi de la spéculation financière qu’elles produiront. De plus, il faut aussi prendre en compte les effets rebonds sur les grands enjeux écologiques : pour extraire toujours plus de matière, on aura besoin de toujours plus de ressources (en pétrole, en eau, etc.), ce qui accentuera les émissions de gaz à effet de serre et participera à la continuité (voir l’amplification) des effets de rétroaction du dérèglement climatique (acidification des océans, érosion de la biodiver- sité…), mais aura aussi des conséquences sur les milieux de vie, sur les pollution et eutrophisation des sols et des nappes d’eau douce, la déforestation massive…

Enfin, cette course à la ressource participera à l’accroissement des violences et des conflits locaux pour protéger la richesse générée par ces exploitations. La diminution des volumes disponibles (à bas coûts) entraîne une augmentation des prix, ce qui rend l’accès plus difficile pour certains pays ne disposant pas de ressources financières importantes.

Si l’on souhaite bâtir des politiques de souveraineté énergétique à l’échelle de chaque pays, la compétition va être rude pour sécuriser l’accès à ces ressources. La concentration de ces terres dans quelques pays représente une source de tensions géopolitiques de premier plan. Par exemple, la Chine dispose aujourd’hui de 80 % à 90 % de la production mondiale de 17 matériaux, indispensables à la fabrication de nombreux équipements électroniques, alors même qu’elle ne possède qu’un tiers des réserves. Comment réagir face à la contraction des échanges si la Chine décide de conserver ces ressources ? Les stocks de ressources deviennent de plus en plus des enjeux stratégiques, comme l’a montré la guerre en Ukraine. Les États développent des stratégies de sécurisation de leurs approvisionnements afin de maintenir ce flux de métaux indispensables au fonctionnement de leur économie. Comment garantir l’approvisionnement en métaux dits « critiques », selon la terminologie de l’International Energy Agency ? La question est posée, la réponse est plus sibylline, notamment lorsqu’elle tend à édulcorer son rapport à la violence (assurer la ressource et ainsi renforcer sa souveraineté) ainsi que les conséquences d’un redéploiement local de l’approvisionnement (réduire sa dépendance, c’est relancer l’exploitation des mines sur son sol, ce qui n’est pas sans rencontrer de vives oppositions).

Mais face à cette réalité, on continue à invoquer le mythe d’une innovation capable de limiter les effets rebonds et d’élaborer des compensations réparatrices… Cette politique extractiviste mobilise de plus en plus de compétences et d’ingéniosités, de financements et de complexités dans les chaînes d’approvisionnement – ce qui contribue d’autant plus à la fiction de l’ingéniosité humaine sans limite, comme en témoigne le récit des énergies « vertes ».

Ressources: Un changement de paradigme

Ressources: » Un changement de paradigme» (Virginie Raisson-Victor)

Présidente du GIEC Pays de la Loire, cofondatrice et porte-parole du Grand Défi des entreprises pour la planète, la géopolitologue Virginie Raisson-Victor évoque un changement de paradigme éclairant quant à notre rapport à la finitude des ressources : celui de la confusion entre nos besoins et nos désirs. Confusion qui nous oblige à revoir nos priorités.

Rencontre. (Cet article est issu de T La Tribune)

En ces temps de sobriété énergétique où les mots « adaptation » et « résilience » sont devenus la norme, comment la prospectiviste que vous êtes envisage-t-elle l’avenir ?
Virginie Raisson-Victor- Cela n’a jamais été aussi compliqué qu’aujourd’hui d’avoir une vision du futur. Parce qu’il y a tellement de facteurs de basculement qui interagissent les uns avec les autres. Nous devons faire face à de nombreux enjeux globaux majeurs comme le climat, la biodiversité, les migrations, les pandémies ou la cybercriminalité alors que la communauté internationale et les États n’ont jamais été aussi divisés. Autrement dit, alors que la seule façon d’apporter une réponse efficace aux problématiques qui menacent la sécurité mondiale serait que les États convergent avec la même volonté de les résoudre, l’ordre international qui avait été défini au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lui, est en train de voler en éclat. Il est contesté d’une part, déstabilisé de l’autre. Contesté par des pays comme l’Inde, la Chine ou la Russie. Déstabilisé par la fragilisation de la démocratie aux Etats-Unis, mais également au sein de l’Europe, par le Brexit et la guerre en Ukraine. Un peu comme si l’avion perdait ses pilotes…

S’il n’y a plus de pilote dans l’avion, comment prendre la bonne direction ?
V.R-V. En fait, que ce soient le climat, la biodiversité ou l’énergie, les grands enjeux appellent des décisions politiques. Or, même si les politiques ont connaissance des enjeux et des risques de long terme, leur pilotage, lui, se fait à court terme. Parce que dans les démocraties ou les entreprises, on tient le gouvernail pour six ans au mieux. Et puis, ce qui est demandé aujourd’hui à un chef ou une cheffe d’État, à un président ou une présidente de région, ou à une entreprise, c’est de produire de l’emploi ou des résultats. Pas d’économiser des ressources ou des émissions de gaz à effet de serre. Or, c’est pourtant bien de cela que dépendent désormais aussi notre avenir et celui des entreprises.

Comment expliquer que malgré les premiers cris d’alerte, dès les années 1970, la prise de conscience de la crise climatique a tardé ?
V.R-V. En réalité, il faut se rappeler qu’en 1970 très peu de personnes alertaient sur le risque climatique au-delà de quelques scientifiques et du Club de Rome. Jusqu’au sommet de Rio en 1992, cela concernait même vraiment très peu de gens. Alors aujourd’hui, on entend souvent qu’ils n’ont pas été écoutés. Mais il faut se remettre dans le contexte des Trente Glorieuses et de la pleine croissance. Il n’est donc pas très étonnant qu’ils n’aient pas été entendus à ce moment-là, d’autant plus que leurs travaux n’étaient pas encore tant diffusés que cela. Et puis, il est vrai aussi qu’un certain nombre d’acteurs et de lobbies se sont efforcés de disqualifier ces travaux et d’étouffer l’alerte sur la finitude des ressources et sur la dégradation de l’environnement.
En revanche, depuis le sommet de Rio, les pouvoirs politiques ont commencé à s’emparer du sujet, tout comme le grand public depuis une petite dizaine d’années. Très récemment, le mouvement s’est encore amplifié avec les canicules, les incendies et la sécheresse, mais aussi en raison de la guerre en Ukraine qui nous a fait mesurer notre dépendance énergétique. Finalement, en Europe, il a fallu que le robinet s’assèche pour que l’on mesure ce que veut dire la rareté et que l’on redécouvre qu’elle a un prix. Et ce, même si les ressources ne sont pas plus rares qu’avant !

Rareté que l’on ne mesurait pas en 1970…

V.R-V. Non, en effet, car il y avait alors à la fois un sentiment d’abondance et une foi très forte en le progrès, la technologie et la croissance… Et d’une certaine manière, on avait raison.

C’est-à-dire ?

V.R-V. Quoi que l’on en pense, depuis trente ans, on a assisté à une énorme progression du niveau de vie à l’échelle mondiale. Dans les pays émergents, bien sûr, mais aussi dans nos pays, puisque le développement économique des pays émergents et la délocalisation d’un certain nombre d’industries ont permis de rendre accessibles des biens de consommation qui jusque-là étaient des produits d’exception et qui sont devenus des biens de consommation courante. C’est donc bien cette période et ce système économique qui ont donné ce sentiment d’abondance. D’autant plus qu’ils ont permis à un milliard de personnes de sortir de la pauvreté, voire d’accéder aux classes moyennes, et aux Européens et Américains d’améliorer leur confort et leur mode de vie. Or, voilà donc maintenant que l’on nous dit que cela ne tient pas ! C’est logique que ce soit difficile à entendre.

Il semblerait qu’il soit difficile de dissocier la dimension psychologique et la dimension économique…
V.R-V. Effectivement. D’autant plus qu’aujourd’hui, elles se confondent… Finalement, c’est quoi l’économie ? En théorie, c’est un outil qui doit permettre aux sociétés d’atteindre leur projet et de satisfaire les besoins de leur population en termes d’alimentation, de logement, d’emploi… Or, depuis trente ans, on a inversé la proposition. C’est l’économie qui façonne nos sociétés et ses projets. Par exemple, on voit bien que nous sommes passés de la notion de besoin à la notion de désir. Aujourd’hui, globalement, on ne meurt pas de faim en Europe et on dort sous un toit. Même s’il y a beaucoup trop de sans-abris et que la pauvreté subsiste, dans leur très grande majorité, les gens travaillent, se nourrissent, sont habillés et ont accès aux soins et aux loisirs. À l’échelle de l’histoire et du monde, nous vivons même dans des sociétés plus prospères que jamais. Tellement prospères que désormais, l’élévation du niveau de vie est surtout utilisée pour combler nos désirs. Des désirs qu’il faut donc sans cesse renouveler car comme nous avons satisfait tous nos besoins, c’est la satisfaction de nos désirs qui permet de produire toujours plus et de profiter à l’économie. C’est pourquoi d’ailleurs la publicité est utilisée pour fabriquer du désir. Au point que nous vivons dans une société où tout doit être satisfait, tout de suite, parce que nous sommes stimulés en permanence.
Concrètement : on a besoin de s’habiller, mais on a un désir de garde-robes et de marques. On a besoin de se déplacer, mais on a un désir de SUV. Et peu à peu, on a fini par confondre les deux. Or, autant la planète peut répondre aux besoins de tous si on arrive à organiser un modèle qui le permette, autant elle ne peut pas satisfaire tous nos désirs. Finalement, la finitude des ressources, le réchauffement climatique, la crise énergétique nous renvoient au fait que nous ne pourrons plus satisfaire tous nos désirs comme avant.

Et ça, c’est extrêmement difficile à accepter. Qui a envie de renoncer à ses désirs ?

Par conséquent, inventer l’avenir ce serait de manière très théorique : reformuler un projet de société, une vision qui tient compte des contraintes de la planète, redéfinir ce que sont nos besoins et, à partir de là, fixer les règles économiques qui permettent de satisfaire ces besoins.

Ce serait alors une transformation complète…

V.R-V. Absolument, c’est une transformation et non une récession ou une décroissance comme on l’entend trop souvent ! L’objectif est de reformuler un projet qui soit adapté à la nouvelle donne. Nous sommes 8 milliards sur la planète, nous avons atteint un niveau de dégradation de la biosphère qui menace beaucoup d’espèces, y compris la nôtre à long terme. Avec cette nouvelle donne, comment est-ce que l’on reprend le jeu de cartes et comment le distribue-t-on différemment pour que l’on puisse continuer la partie ? Cela demande aussi de redéfinir les règles du jeu, les acteurs, de penser de nouvelles formes de gouvernance politique, d’accepter une contrainte partagée et de revoir son mode de vie.

Quels seraient les mots justes à la place de « décroissance » et « sobriété » ? Peut-être que ces mots n’existent pas encore ?
V.R-V. Oui, peut-être qu’ils sont à inventer. Pour ma part, je vais emprunter des mots d’ici et là qui, je pense, collent bien à notre époque. Il y a celui de « Renaissance ». C’est merveilleux, la Renaissance, car elle montre comment après une période difficile, misérable comme celle du Moyen Âge, marquée par de nombreuses famines, arrive le renouveau. Et ce qui est intéressant, c’est que le basculement a eu lieu sous l’impulsion d’une minorité de personnes. Peut-être qu’en ce moment, nous sommes dans la fabrique d’une nouvelle Renaissance !
Et puis, il y a un mot que j’aime beaucoup, c’est « frugalité ». Je l’aime, car il intègre la notion de sobriété et la notion de satisfaction. La frugalité, c’est un peu comme la satiété : je mange à ma faim. Pas besoin de manger plus. Et il y a du plaisir dans cette satisfaction-là.
J’aime aussi le mot « redirection ». Il évoque le fait que l’on suivait un chemin qui, si on ne tourne pas à temps, pourrait nous mener dans l’impasse. Cela a été un bon chemin, il a permis à plein de gens d’accéder à la santé, l’éducation et réjouissons-nous de tout cela. Le seul problème, c’est que ce n’est pas tenable et qu’il faut prendre une nouvelle direction. Cette notion de redirection me plaît aussi car elle évoque la curiosité d’aller explorer autre chose. Et dans cette exploration, existent les cobénéfices. Ce mot est très laid, mais très juste. Il exprime tout ce que l’on va gagner dans nos renoncements consentis. Par exemple, on peut gagner en lien social. Or, on sait que le lien social est un facteur de santé prédominant.
À l’échelle anecdotique par exemple, beaucoup d’entre nous en ont assez d’offrir des cadeaux d’anniversaire ou de Noël qui s’accumulent et ne servent à rien. Le changement consisterait à ne plus offrir de cadeaux matériels mais des moments passés ensemble comme aller au restaurant, en week-end quelque part. Ces moments s’inscrivent dans la mémoire et créent du lien. Des cadeaux « durables » en quelque sorte.

Cela n’évoque-t-il pas le vivre ensemble ?
V.R-V. Oui, le vivre ensemble et l’expérience. Si on dit aux gens : « C’est fini ! Il n’y a plus de cadeaux », c’est très triste. Mais si on propose une alternative en offrant des moments partagés, ça redevient attractif car le sens du vivre ensemble et du plaisir renaissent. Mais il faut garder en tête que changer, cela prend du temps. Et qu’il faut pour cela fabriquer une nouvelle vision collective.

Les entreprises aussi ont le pouvoir d’agir. Est-ce pour cela que vous avez créé Le Grand défi des entreprises pour la planète ?
V.R-V. En fait, j’accompagne beaucoup d’entreprises dans leur réflexion sur le climat, la biodiversité, la finitude des ressources. Et je me suis rendu compte qu’un certain nombre de dirigeants de PME (les grands groupes travaillent sur le sujet depuis un moment déjà) n’ont pas forcément conscience qu’ils sont des acteurs décisifs du changement. Pour eux, c’est avant tout une affaire politique. Par ailleurs, certains s’autopersuadent que c’est extrêmement compliqué de transformer une entreprise. Ainsi, l’envie est venue de leur donner les moyens d’élaborer eux-mêmes des propositions de transformation, en y intégrant toutes les parties prenantes des entreprises comme les syndicats, les collectifs de dirigeants, les associations d’entreprises, les territoires… Avec Jérôme Cohen, qui est cofondateur du Grand Défi, nous avons rencontré toutes ces parties prenantes pour qu’elles soient partenaires de cette initiative de démocratie participative qui doit permettre à des représentants d’entreprises d’élaborer des propositions pour décarboner l’économie.
On a ensuite tiré au sort une centaine d’entreprises sur un panel de 12 000 entreprises présélectionnées sur la base de critères de secteur d’activité, de taille, d’implantation géographique et de statut pour que soit représentée la diversité du monde économique. Et pour que la diversité du débat soit entière, nous voulions des salariés, des actionnaires et des dirigeants, de telle manière que dans les discussions tous les points de vue soient représentés.

Quel est votre objectif avec le Grand Défi finalement ?
V.R-V. Élaborer et diffuser une centaine de propositions concrètes dont la mise en œuvre doit permettre de replacer l’économie dans les limites planétaires. Parmi elles, certaines seront directement applicables par les entreprises, d’autres le seront au niveau des territoires, et d’autres encore devront faire l’objet d’un portage politique car elles imposeraient de faire évoluer la réglementation. Au total, le Grand Défi a organisé six sessions de deux jours pour formuler les propositions. Une fois leur adoption définitive (qui a eu lieu en janvier 2023, NDLR), il s’agit de les diffuser dans les territoires, auprès des politiques et dans les entreprises pour les mettre en œuvre.
Cela ressemblerait presque à une croisade…

V.R-V. Il y a un peu de cela, mais la croisade comporte l’idée de conversion par la force. Or là, il s’agit plutôt d’être acteur du changement. Grâce à l’intelligence collective et tout un travail d’animation, s’est développé ce sentiment de « mission partagée ». Et tout à coup, chacun s’autorise à agir. Aujourd’hui, les membres du Grand Défi se sentent responsables. En fait, il faut redonner confiance aux gens. Car chacun peut agir. D’ailleurs, ma phrase fétiche c’est : « Le seul moyen de ne pas déprimer, c’est d’agir ». Car lorsque l’on agit cela veut dire que l’on est dans le pouvoir, et non plus dans le subir.

Éviter le pillage des ressources halieutiques

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    Éviter le pillage des ressources halieutiques
  • La mise en place d’une gestion des pêches permet non sans mal une exploitation durable des ressources halieutiques, note l’économiste Olivier Thébaud dans une tribune au « Monde ». L’exploitation durable des ressources halieutiques est une question biologique, mais également économique, sociale et politique. Parce que ces ressources sont communes, la production de chaque exploitant dépend non seulement de son propre effort d’exploitation, mais aussi (négativement) de celui de tous les autres qui exploitent la même ressource.

    En l’absence de régulation, le phénomène de « course au poisson » se met en place, entraînant le développement de surcapacités de production, une moins bonne valorisation des productions, et des conflits. La gestion des pêches a été justement mise en place pour lutter contre ce phénomène, observé partout dans le monde, et a su relever plusieurs défis complexes.
    Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le réchauffement climatique pourrait entraîner le déclin des gros poissons dans les océans
    Dans l’Atlantique Nord, l’approche a d’abord été centrée sur la mise en œuvre de mesures de conservation, visant à limiter les niveaux de prélèvements et permettre ainsi la croissance des poissons et le renouvellement des populations exploitées. Les efforts de recherche internationaux menés depuis plus de soixante-dix ans ont débouché sur une science de l’exploitation des ressources halieutiques aujourd’hui très opérationnelle. Fondée notamment sur des modèles représentant l’effort de pêche et son impact sur les populations exploitées, elle permet d’identifier les niveaux de captures permettant d’espérer le maintien des rendements de la pêche à des niveaux garantissant une pêche durable. Ces modèles participent notamment à la fixation annuelle des « totaux autorisés de captures » (TAC) pour chaque stock ainsi évalué.

    La prise en compte des enjeux économiques et sociaux dans ces diagnostics a eu tendance à s’accroître, avec, par exemple, l’ouverture du Conseil international pour l’exploration de la mer aux sciences sociales. La détermination des mesures de conservation suppose en effet de s’accorder sur des objectifs à long terme pour la pêche, justifiant les limites de captures mises en œuvre. La politique commune de la pêche européenne vise le rendement maximum durable, c’est-à-dire la plus grande quantité de biomasse qui peut être extraite d’un stock halieutique sans affecter son processus de reproduction, dans un objectif de durabilité environnementale, économique et sociale.

    Les faits montrent que la course au poisson se développe tant que les règles encadrant l’exploitation n’abordent pas le partage des possibilités de pêche. Dans une pêcherie gérée par TAC, par exemple, le phénomène de course au poisson finit tôt ou tard par s’instaurer, chacun cherchant à prélever au mieux avant que la limite ne soit atteinte et la saison de pêche fermée. Un second grand défi est donc d’anticiper des règles de répartition des possibilités de pêche, en sélectionnant qui peut pêcher, et en répartissant ces possibilités entre groupes d’usagers. Les systèmes de répartitions en quotas de pêche, alloués à des collectifs comme les organisations de producteurs, ou à des exploitants individuels, suivant les pays et les pêcheries, participent à cet objectif. Cette sécurisation est aujourd’hui reconnue partout dans le monde comme une question majeure pour la viabilité économique de ces entreprises.

    Le temps de la guerre des ressources

    Le temps de  la guerre des ressources 

     

     

    Marie Charrel, du Monde, estime  que chaque génération thématise, selon les peurs qui la traversent, sa fin de l’insouciance. Celle des années 2020 prend désormais conscience de la limitation des ressources naturelles.

     

    « Nous vivons la fin, pour ceux qui en avaient, d’une forme d’insouciance. » Alors que les risques de pénurie énergétique se profilent avec l’automne, les mots prononcés par le président Emmanuel Macron, le 24 août, ont un écho chaque jour un peu plus douloureux. Outre leurs implications économiques, leur sens littéral même interpelle. Car qui, jusqu’ici, vivait vraiment dans l’insouciance ? Interrogé sur le sujet dans l’émission « Sans oser le demander », diffusée le 30 août sur France Culture, le philosophe Guillaume Le Blanc apporte une réponse assez tranchante : personne. Ni les moins aisés, bien sûr, angoissés par les fins de mois difficiles. Ni les plus riches, inquiets quant à eux de la protection de leur patrimoine. L’anxiété change de nature selon la classe sociale, mais elle n’est jamais absente.

    Les baby-boomers, qui ont connu l’euphorie des « trente glorieuses » (1945-1975), ont-ils eu la chance, eux, d’échapper au poids des soucis pendant leur adolescence ? Même pas, assure le philosophe, qui appelle à se méfier de l’illusion du paradis perdu : « Chaque époque est traversée par des formes différentes de peur et thématise ce qu’elle appelle la fin de l’insouciance. » Dans les années 1980, ce fut l’irruption du sida. Dans les années 1990, celle du chômage de masse. Dans les années 2000 et 2010, celle des attentats…

    La décennie 2020, elle, sera marquée par la prise de conscience de la limitation des ressources. Nous nous heurtons au « nœud de contradictions du développement de nos sociétés », explique Guillaume Le Blanc. Nous ouvrons les yeux sur « l’obsolescence programmée de la planète du fait de la prédation systémique du capitalisme des ressources ».

    Se tirer de ce nœud exige de rompre avec l’obsession de la croissance et de placer la vulnérabilité de nos écosystèmes au centre des préoccupations. Mais, à court terme, cette remise à plat sera contrariée par la récession en Europe, en raison du choc énergétique engendré par la guerre en Ukraine. Les gouvernements vont devoir parer à l’urgence – protéger ménages et entreprises mis à genoux par la flambée des prix de l’électricité. A moyen terme, cette remise à plat sera contrariée, aussi, par les difficultés d’accès aux matières premières indispensables à la transition énergétique et à notre survie même – à l’exemple de l’eau. La fin de l’insouciance marque l’entrée dans la guerre des ressources. Elle a déjà commencé.

    Une récente étude du Peterson Institute for International Economics tente d’évaluer qui, par le jeu des actionnaires, contrôle les parties-clés des chaînes d’approvisionnement mondiales de minerais et de terres rares. « Cette analyse n’est pas simple, car les entreprises ne sont pas nécessairement constituées en société dans les pays où se déroulent les activités d’extraction et de production, et les actionnaires peuvent exercer une influence par le biais de multiples filiales », expliquent les auteurs, les économistes Luc Leruth, Adnan Mazarei, Pierre Régibeau et Luc Renneboog. Mais leur constat est sans appel : la Chine domine ces chaînes de valeur, et ce bien plus que ce qui est communément admis.

    Soudan : la malédiction des ressources ?

     

    Soudan : la malédiction des ressources ?

    Le Soudan du sud pourtant récemment in dépendant souffre évidemment des divisions ethniques mais sans doute tout autant de la malédiction de ses nombreuses ressources qui alimentent divisions et concussions.

     

    Une mise en œuvre « très lente », « des difficultés récurrentes ». De l’aveu même de Charles Tai Gituai, le chef de la commission qui supervise le processus de paix au Soudan du Sud, la réconciliation patine dans le plus jeune Etat du monde. Alors que le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé, mardi 15 mars, une résolution renouvelant pour un an la mission de casques bleus dans le pays, les inquiétudes se multiplient sur les risques d’une reprise des affrontements entre factions rivales.

    Indépendant du Soudan depuis juillet 2011, le Soudan du Sud aurait pu espérer un bel avenir grâce à ses ressources naturelles, notamment pétrolières, et un vaste potentiel agricole. Mais le pays a été rattrapé par ses divisions. En décembre 2013, Salva Kiir, le président sud-soudanais, et Riek Machar, son vice-président, sont entrés en conflit ouvert, entraînant un cycle de violences qui aurait fait 400 000 morts en cinq ans selon les estimations.

    Un accord de paix a été signé en septembre 2018, sans toutefois parvenir à empêcher la prolifération des violences au niveau communautaire. En février 2020, la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale – Riek Machar retrouvant son poste de vice-président aux côtés de son rival, le président Salva Kiir –, avait fait espérer une sortie durable du conflit.

    La malédiction des ressources naturelles en Afrique

    La  malédiction des ressources naturelles en Afrique

     

    Les pays d’Afrique dont le sous-sol est riche en matières premières ne sont pas forcément ceux dont la population en profite le plus. Ils sont, bien souvent, victimes de la « malédiction des ressources naturelles », raconte Marie de Vergès, journaliste au « Monde », dans sa chronique.

     

    Chronique.

    Le Nigeria a vécu, mi-février 2022, une mésaventure que l’on pourrait trouver cocasse si elle n’était pas désolante. Le premier producteur d’or noir en Afrique a été confronté toute une semaine à une pénurie de carburant, provoquant de monstrueux embouteillages dans les stations-service du pays. A l’origine de ce dysfonctionnement, l’importation accidentelle d’une grosse quantité d’essence frelatée. Car là est le nœud du problème : le Nigeria achète à l’étranger l’essentiel de son carburant, faute de raffiner lui-même les centaines de milliers de barils extraits chaque jour de son sous-sol.

    L’incident a causé un « choc inutile » à l’économie, selon le Bureau national des statistiques. Dans l’immédiat, on s’attend à un nouveau pic d’inflation alors que près d’un Nigérian sur deux vit avec moins de 1,90 dollar par jour. A plus long terme, cet incident vient confirmer ce que l’on savait déjà : les incroyables richesses pétrolières du géant d’Afrique de l’Ouest ne profitent guère à sa population.

     

    En jargon économique, on appelle ceci la « malédiction des ressources naturelles ». Ou comment, trop souvent, l’exploitation rentière des matières premières déstabilise l’activité économique, nourrit la corruption, ralentit l’industrialisation et aggrave la pauvreté. Au Nigeria, l’argent du pétrole a été dilapidé pendant des décennies. Et la première économie africaine en termes de PIB est, à de nombreux égards (mortalité infantile, violence, déscolarisation…), un Etat en déliquescence.

    Or, comme le Nigeria, de nombreux pays africains dépendent encore à l’excès de leurs ressources naturelles. Pour certains, il peut s’agir de thé, de coton ou de cacao, mais il est plus souvent question de produits miniers ou pétroliers. En Angola, au Tchad, en République démocratique du Congo (RDC) ou encore au Soudan du Sud, les exportations sont composées à plus de 90 % de ressources extractives.

    Est-ce forcément problématique ? L’Economie africaine 2022 (La Découverte, 126 pages, 10 euros), tout juste publié par l’Agence française de développement (AFD), nous livre des éléments d’appréciation factuels mais éclairants sur « l’inertie » de ces économies tributaires de leur sous-sol. On y apprend qu’elles ont enregistré des taux de croissance plus faibles depuis 2015 que les pays plus diversifiés. Et qu’elles ne sont pas parvenues, dans l’ensemble, à renouer avec leur niveau d’activité d’avant la crise du coronavirus.

    La croissance y est volatile, soumise aux aléas des cours mondiaux. Quand les prix sont fortement à la hausse, les caisses de l’Etat se remplissent mais l’afflux de capitaux renchérit la monnaie, ce qui handicape la compétitivité et décourage l’industrialisation. Quand ils s’effondrent, les recettes publiques s’évaporent et les déficits se creusent.

    Ressources naturelles : Vers la finitude ?

    Ressources naturelles : Vers la finitude ?

    L’idée d’une croissance heureuse, où l’économie pourrait continuer à croître éternellement si le capital se substitue assez rapidement aux ressources naturelles qui s’épuisent, ne fait pas l’unanimité, souligne Florian Fizaine, maître de conférences en sciences économiques.( interview Le Monde) 

    Comme l’indique l’auteur la question n’est pas nouvelle et l’économie a répondu en partie aux interrogations si l’on se fie aux tendances de composition de la richesse produite  ( ou Pib mondial). Les services occupent une place de plus en prépondérante dans lʼéconomie mondiale et représentent, dʼaprès les données de la Banque mondiale, près de 75 % du PIB des pays développés et 50 % de celui des pays en développement. Or les services consomment beaucoup moins d’énergie et de matières premières que les activités industrielles. La mutation est donc largement engagée, se pose surtout une question d’ampleur et surtout de rythme par rapport à la problématique environnementale notamment  NDLR


     

    A partir de quand la problématique de la nature comme ressource épuisable est apparue chez les économistes ?

    Contrairement à ce que l’on entend parfois, il n’a pas fallu attendre le « rapport Meadows » [du nom de ses deux principaux coauteurs, Dennis et Donella Meadows, paru en français sous le titre Les Limites à la croissance], en 1972, pour que les économistes s’interrogent sur le lien entre croissance et ressources naturelles. Dès la naissance de la discipline au XVIIIsiècle, les physiocrates placent la nature au cœur de la production des richesses, ce qui implique d’en respecter les contraintes.

    A partir de la révolution industrielle, cette question de la finitude des ressources prend une autre tournure et va devenir plus conflictuelle chez les économistes classiques. Alors que, pour Jean-Baptiste Say, les ressources naturelles, illimitées et donc gratuites, ne sont pas un sujet, pour d’autres, comme David Ricardo, il existe une limite naturelle à la croissance, se traduisant par une décroissance des rendements, et donc une hausse du prix du blé, qui conduit in fine l’économie à un état stationnaire sur le long terme.

    A partir de là, des économistes comme John Stuart Mill vont considérer cette décroissance comme une opportunité pour l’humanité qui, au lieu d’accumuler des richesses, pourra se tourner vers d’autres activités, telles que l’art. D’autres, à l’image de Thomas Malthus, craignent que les ressources naturelles ne s’accroissent pas suffisamment vite face aux dynamiques de croissance démographique, ce qui nécessite de limiter la fécondité.

    Après la seconde révolution industrielle, l’idée dominante est celle qu’il n’y a pas de limites à la croissance…

    A la fin du XIXsiècle, l’école néoclassique, très inspirée des travaux de Karl Marx et d’Adam Smith, estime en effet que la disponibilité limitée en ressources naturelles peut être compensée par une organisation du travail optimisée. Pour les néoclassiques, le progrès technique et les découvertes de nouvelles ressources pourront continuellement lutter contre les rendements décroissants. Malgré cette idéologie dominante, certains économistes commencent à réfléchir à l’épuisement.

    Vers la finitude des ressources ?

     Vers la finitude des ressources ? 

    L’idée d’une croissance heureuse, où l’économie pourrait continuer à croître éternellement si le capital se substitue assez rapidement aux ressources naturelles qui s’épuisent, ne fait pas l’unanimité, souligne Florian Fizaine, maître de conférences en sciences économiques.( interview Le Monde) 

    Comme l’indique l’auteur la question n’est pas nouvelle et l’économie a répondu en partie aux interrogations si l’on se fie aux tendances de composition de la richesse produite  ( ou Pib mondial). Les services occupent une place de plus en prépondérante dans lʼéconomie mondiale et représentent, dʼaprès les données de la Banque mondiale, près de 75 % du PIB des pays développés et 50 % de celui des pays en développement. Or les services consomment beaucoup moins d’énergie et de matières premières que les activités industrielles. La mutation est donc largement engagée, se pose surtout une question d’ampleur et surtout de rythme par rapport à la problématique environnementale notamment  NDLR


    A partir de quand la problématique de la nature comme ressource épuisable est apparue chez les économistes ?

    Contrairement à ce que l’on entend parfois, il n’a pas fallu attendre le « rapport Meadows » [du nom de ses deux principaux coauteurs, Dennis et Donella Meadows, paru en français sous le titre Les Limites à la croissance], en 1972, pour que les économistes s’interrogent sur le lien entre croissance et ressources naturelles. Dès la naissance de la discipline au XVIIIsiècle, les physiocrates placent la nature au cœur de la production des richesses, ce qui implique d’en respecter les contraintes.

    A partir de la révolution industrielle, cette question de la finitude des ressources prend une autre tournure et va devenir plus conflictuelle chez les économistes classiques. Alors que, pour Jean-Baptiste Say, les ressources naturelles, illimitées et donc gratuites, ne sont pas un sujet, pour d’autres, comme David Ricardo, il existe une limite naturelle à la croissance, se traduisant par une décroissance des rendements, et donc une hausse du prix du blé, qui conduit in fine l’économie à un état stationnaire sur le long terme.

    A partir de là, des économistes comme John Stuart Mill vont considérer cette décroissance comme une opportunité pour l’humanité qui, au lieu d’accumuler des richesses, pourra se tourner vers d’autres activités, telles que l’art. D’autres, à l’image de Thomas Malthus, craignent que les ressources naturelles ne s’accroissent pas suffisamment vite face aux dynamiques de croissance démographique, ce qui nécessite de limiter la fécondité.

    Après la seconde révolution industrielle, l’idée dominante est celle qu’il n’y a pas de limites à la croissance…

    A la fin du XIXsiècle, l’école néoclassique, très inspirée des travaux de Karl Marx et d’Adam Smith, estime en effet que la disponibilité limitée en ressources naturelles peut être compensée par une organisation du travail optimisée. Pour les néoclassiques, le progrès technique et les découvertes de nouvelles ressources pourront continuellement lutter contre les rendements décroissants. Malgré cette idéologie dominante, certains économistes commencent à réfléchir à l’épuisement.

    France 2030 :L’oubli des ressources humaines

    France 2030 :L’oubli des ressources humaines

    L’exercice prospectif présenté par Emmanuel Macron oublie la question des ressources humaines, devenue centrale face à la raréfaction de la main-d’œuvre et à la nécessaire adaptation au changement climatique, note l’économiste Philippe Askenazy.

    Chronique.

     

     La présentation du plan France 2030 par le président de la République et non par le haut-commissaire au plan a surpris. Au moins, l’existence de ce haut-commissaire a-t-elle été évoquée, contrairement à celle du haut-commissaire aux compétences, créé en mars 2020 et chargé, notamment, de superviser un exercice de prospective des métiers et qualifications à l’horizon 2030. Cet oubli est significatif : le pouvoir pense aujourd’hui l’avenir du facteur capital, mais pas celui du facteur travail.

    L’exercice tranche avec la planification née après le second conflit mondial. Dans un contexte de reconstruction, puis de modernisation de l’économie française, la planification intégrait simultanément les dimensions capitalistique et humaine, et leur interaction. Planification des besoins de main-d’œuvre, système éducatif et branches professionnelles formaient un bloc articulé autour de la qualification. Dans les grilles des conventions collectives, la qualification du travailleur selon une double échelle (sa formation et son expérience) répondait à la qualification de l’emploi (la capacité à exercer un métier ou un poste). La grille offrait à la fois une hiérarchie des qualifications auxquelles étaient associés des minima salariaux, et un outil pour traduire l’évolution planifiée des effectifs productifs en adaptation constante des flux en formation initiale.

    L’irruption du chômage de masse, la révolution numérique, les mutations des organisations du travail et la « flexibilisation » du marché du travail ont démembré cet édifice. Exigence de polyvalence, travail en équipe, mobilisation simultanée et croissante des capacités cognitives et physiques ont rendu difficile la qualification d’un emploi. Par exemple, une fiche de poste pour un valet ou une femme de chambre comporte typiquement, aujourd’hui, trois pages, décrivant notamment les compétences attendues.

    Modèle « low cost »

    La notion de compétences de l’individu est en effet venue se substituer à la qualification, générant une nébuleuse de typologies variées. L’enquête de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) « Evaluation des compétences des adultes » (PIAAC) retient la compétence en littérature, en numératie (comprendre et utiliser des données mathématiques) et en résolution de problème. Pour Pôle emploi, les « trois types de compétences à valoriser lors de votre candidature » sont le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. Dans leur acquisition, ce n’est plus l’expérience cumulative sur un poste qui est valorisée, mais l’accumulation d’expériences variées. La précarisation des carrières, notamment des jeunes, se mue ainsi en « opportunités ».

    L’envolée aussi des prix ressources alimentaires mondiales (FAO)

    L’envolée aussi des prix  ressources alimentaires mondiales (FAO)

    Une augmentation de plus de 30 % sur un an qui va évidemment se répercuter très prochainement sur les produits de consommation.    Les prix mondiaux des produits alimentaires ont encore augmenté pour le deuxième mois consécutif en septembre pour atteindre leur plus haut niveau en dix ans, a indiqué l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), jeudi 7 octobre.

     L’indice FAO des prix des produits alimentaires s’est établi en moyenne à 130 points le mois dernier, un record depuis septembre 2011. Sur un an, l’indice a augmenté de 32,8 % en septembre. De mauvaises récoltes conjuguées à la demande chinoise expliquent la nette augmentation des prix des produits agricoles de base.

    L’indice des prix des céréales a augmenté de 2 % en septembre par rapport à août, en raison de la croissance des prix du blé (+4 %), la FAO évoquant dans un communiqué le « resserrement des disponibilités exportables dans un contexte de forte demande mondiale ».

    Les prix des huiles végétales ont augmenté de 1,7 % en septembre et restent supérieurs de 60 % à leur niveau enregistré il y a un an, selon la FAO, en raison principalement de la hausse des cours de l’huile de palme et de l’huile de colza. En ce qui concerne la production céréalière, la FAO prévoit une récolte mondiale record de 2,8 milliards de tonnes en 2021.

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