Archive pour le Tag 'Ressource'

Energie: La géothermie: ressource sous-utilisée

Energie: La géothermie: ressource sous-utilisée

par
Benjamin Brigaud
Professeur en géologie et géothermie, Université Paris-Saclay dans The Conversation

En France, un objectif de réduction d’émission de gaz à effet de serre de 55 % entre 1990 et 2030 est actuellement discuté, et implique de tripler le rythme de nos efforts de baisse des émissions annuelles. Pour cela, il convient de réduire fortement toutes dépendances aux énergies fossiles : charbon, pétrole et gaz. En France, le secteur des bâtiments (résidentiel et tertiaire) reste très dépendant du gaz (30 %). Ainsi, plus des deux tiers de la population française vit dans des territoires urbains de plus de 5 000 habitants, qui sont chauffés à 51 % par le gaz du réseau public. Travailler sur l’empreinte énergétique de ces territoires est donc un enjeu de taille, et il devient urgent de s’orienter vers des sources d’énergie moins carbonées. Pour cela, le déploiement de la géothermie (tant profonde que de surface) pour chauffer ou refroidir les bâtis semble indispensable.

La géothermie, c’est-à-dire la mobilisation de la chaleur contenue dans le sous-sol, est l’une des méthodes permettant de réaliser la transition énergétique.

Cette énergie est présente partout à la surface de la Terre, avec en moyenne, une augmentation de la température en fonction de la profondeur d’environ 3,5 °C tous les 100 m. En plus d’être abondante, elle est bas carbone, renouvelable, non intermittente et elle peut être produite localement !

En France, deux types de géothermie sont utilisés : la géothermie de surface et la géothermie profonde.

La géothermie de surface (ou de faible profondeur, ou de minime importance selon la loi française) exploite la chaleur à une profondeur superficielle du sous-sol, inférieure à 200 m, et avec une température d’environ 15 °C.

Elle permet de chauffer, alimenter en eau chaude sanitaire, ou fournir de la fraîcheur, et est particulièrement adaptée pour des besoins individuels, ou pour les besoins collectifs et tertiaires de petite taille, comme les écoles ou les hôpitaux.

Pour cela, elle utilise deux systèmes différents. Le premier (appelé pompe à chaleur géothermique sur nappe) est un système en boucle ouverte réalisé par deux forages (on parle de doublet géothermique). L’eau chaude est pompée par le premier forage, amenée en surface où une pompe à chaleur permet l’échange calorifique, puis réinjectée, avec quelques degrés de moins, à la même profondeur par le second forage.

Ce système présente de très bonnes performances tout au long de l’année, et est le plus avantageux d’un point de vue économique. Cependant, son installation dépend beaucoup de la présence d’une nappe exploitable et nécessite un terrain suffisamment grand pour installer les deux forages, qui doivent être séparés de plusieurs dizaines de mètres au moins.

Le deuxième système utilisé en géothermie de surface est un système en boucle fermée, principalement constitué de sondes géothermiques verticales en U dans lequel circule un fluide conducteur de chaleur. Ce système peut être dimensionné selon la taille du bâtiment, en allant de la maison individuelle (sonde unique) aux bâtiments plus grands comme des bureaux, résidences, hôtels, hôpitaux (champs de sonde).

Il est particulièrement efficace en cas d’utilisation alternée refroidissement/chauffage : la chaleur rejetée dans le sol en été (lors du fonctionnement de la pompe à chaleur en mode climatisation) peut être utilisée l’hiver pour le chauffage.

La géothermie profonde, quant à elle, peut exploiter la chaleur de l’eau géothermale présente entre 500 m et 2 500 m de profondeur, avec des températures comprises entre 30 °C et 90 °C, pour alimenter des réseaux de chaleur urbains.

Elle est adaptée à de gros réseaux de distribution, par exemple pour des habitats collectifs de quartiers entiers, pouvant typiquement alimenter 5 000 à 6 000 logements.

Son fonctionnement est assez similaire à celui de la géothermie de surface sur nappe : il utilise un doublet géothermique qui pompe le fluide chaud par un forage et le renvoie par un autre. En revanche, au vu des températures élevées, la pompe à chaleur est remplacée par une centrale géothermique qui assure l’échange de chaleur.

L’Île-de-France regroupe environ 20 % de la population française. En conséquence, ses besoins en énergie thermique (chaleur, eau chaude sanitaire et climatisation) sont énormes : environ 90 TWh par an.

Les réseaux de chaleur du territoire francilien fournissent 14,5 TWh d’énergie, dont 51 % (7,4 TWh) proviennent d’énergies renouvelables. Plus spécifiquement, 27 % de l’énergie totale est produite par les réseaux de chaleur fatale (c’est-à-dire la chaleur produite comme effet secondaire d’une autre production ; par exemple, celle provenant des incinérateurs de déchèteries), 11 % par la géothermie et 10 % par la biomasse.

En 2020, l’Île-de-France comptait ainsi 50 installations de géothermie en exploitation, plaçant l’Île-de-France comme l’une des régions du monde concentrant le plus d’unités de production géothermique alimentant des réseaux de chaleur.

La majeure partie de ces installations sont des installations de géothermie profonde, qui produisent environ 1,7 TWh, soit 11 % des 14,5 TWh délivrés par la totalité des réseaux de chaleur de la région.

La chaleur est extraite essentiellement depuis l’aquifère du Dogger, une couche géologique constituée de calcaires d’âge jurassique moyen et présente à environ 1 500 m de profondeur. Ces calcaires ont de bonnes propriétés réservoirs, c’est-à-dire une bonne porosité et perméabilité, et contiennent une nappe d’eau chaude, à environ 70 °C.

L’aquifère du Dogger étant exploité de manière intensive dans certaines parties de la région, l’objectif d’augmenter la production passe par une très bonne connaissance géologique du réservoir géothermique pour une meilleure gestion. Cela implique également de cibler et prospecter de nouvelles zones ou d’autres aquifères.

À l’inverse de la géothermie profonde, la ressource géothermique de surface exploitée par pompe à chaleur est très largement sous-utilisée en Île-de-France, et ne couvre qu’une part négligeable de l’énergie nécessaire en chaleur ou production de fraîcheur de la région.

Or, elle possède un avantage considérable : elle permet également de facilement fournir du froid durant l’été. Ce rafraîchissement peut passer par les pompes à chaleur, mais également par le géocooling, qui utilise la température faible du sous-sol (12 °C) pour rafraîchir directement et naturellement des bâtiments.

Exemple d’utilisation de chaleur ou froid en milieu urbain. En géothermie profonde, la chaleur est exploitée par un doublet, alimentant un réseau de chaleur urbain collectif. En géothermie de surface, une pompe à chaleur (PAC) exploite l’énergie du sous-sol avec des sondes ou des doublets sur nappe pour chauffer les bâtiments en hiver. Cette PAC peut être réversible, utilisée en mode climatisation l’été, ou encore en pause. En l’absence de PAC, les sondes peuvent rafraîchir les bâtiments par géocooling. Benjamin Brigaud, Fourni par l’auteur
Or, cette possibilité de refroidissement est d’autant plus cruciale qu’une ou deux canicules par année sont prédites sur la région à la fin du siècle, avec des températures maximales qui pourront frôler les 50 °C (période 2070-2100). À titre de comparaison, seulement 9 périodes de canicules ont été observées sur la période 1960-1990, avec une température maximum de 38 °C…

Le développement de la géothermie de surface suscite donc un intérêt croissant. Il s’agit d’un enjeu crucial, comme l’avait récemment souligné le Haut-Commissaire au Plan François Bayrou fin 2022.

Le développement intensif de la géothermie de surface et profonde sur l’ensemble de la région Île-de-France semble donc indispensable pour que les zones urbaines atteignent une neutralité carbone en termes de chauffage et de refroidissement des bâtiments. Améliorer nos connaissances géologiques du sous-sol des zones urbaines et former de jeunes géologues, experts des descriptions des roches ou des techniques de forage géothermique, sera un enjeu important si nous voulons prendre le virage de la géothermie.

La géothermie: ressource sous-utilisée

La géothermie: ressource sous-utilisée

par
Benjamin Brigaud
Professeur en géologie et géothermie, Université Paris-Saclay dans The Conversation

En France, un objectif de réduction d’émission de gaz à effet de serre de 55 % entre 1990 et 2030 est actuellement discuté, et implique de tripler le rythme de nos efforts de baisse des émissions annuelles. Pour cela, il convient de réduire fortement toutes dépendances aux énergies fossiles : charbon, pétrole et gaz. En France, le secteur des bâtiments (résidentiel et tertiaire) reste très dépendant du gaz (30 %). Ainsi, plus des deux tiers de la population française vit dans des territoires urbains de plus de 5 000 habitants, qui sont chauffés à 51 % par le gaz du réseau public. Travailler sur l’empreinte énergétique de ces territoires est donc un enjeu de taille, et il devient urgent de s’orienter vers des sources d’énergie moins carbonées. Pour cela, le déploiement de la géothermie (tant profonde que de surface) pour chauffer ou refroidir les bâtis semble indispensable.

La géothermie, c’est-à-dire la mobilisation de la chaleur contenue dans le sous-sol, est l’une des méthodes permettant de réaliser la transition énergétique.

Cette énergie est présente partout à la surface de la Terre, avec en moyenne, une augmentation de la température en fonction de la profondeur d’environ 3,5 °C tous les 100 m. En plus d’être abondante, elle est bas carbone, renouvelable, non intermittente et elle peut être produite localement !

En France, deux types de géothermie sont utilisés : la géothermie de surface et la géothermie profonde.

La géothermie de surface (ou de faible profondeur, ou de minime importance selon la loi française) exploite la chaleur à une profondeur superficielle du sous-sol, inférieure à 200 m, et avec une température d’environ 15 °C.

Elle permet de chauffer, alimenter en eau chaude sanitaire, ou fournir de la fraîcheur, et est particulièrement adaptée pour des besoins individuels, ou pour les besoins collectifs et tertiaires de petite taille, comme les écoles ou les hôpitaux.

Pour cela, elle utilise deux systèmes différents. Le premier (appelé pompe à chaleur géothermique sur nappe) est un système en boucle ouverte réalisé par deux forages (on parle de doublet géothermique). L’eau chaude est pompée par le premier forage, amenée en surface où une pompe à chaleur permet l’échange calorifique, puis réinjectée, avec quelques degrés de moins, à la même profondeur par le second forage.

Ce système présente de très bonnes performances tout au long de l’année, et est le plus avantageux d’un point de vue économique. Cependant, son installation dépend beaucoup de la présence d’une nappe exploitable et nécessite un terrain suffisamment grand pour installer les deux forages, qui doivent être séparés de plusieurs dizaines de mètres au moins.

Le deuxième système utilisé en géothermie de surface est un système en boucle fermée, principalement constitué de sondes géothermiques verticales en U dans lequel circule un fluide conducteur de chaleur. Ce système peut être dimensionné selon la taille du bâtiment, en allant de la maison individuelle (sonde unique) aux bâtiments plus grands comme des bureaux, résidences, hôtels, hôpitaux (champs de sonde).

Il est particulièrement efficace en cas d’utilisation alternée refroidissement/chauffage : la chaleur rejetée dans le sol en été (lors du fonctionnement de la pompe à chaleur en mode climatisation) peut être utilisée l’hiver pour le chauffage.

La géothermie profonde, quant à elle, peut exploiter la chaleur de l’eau géothermale présente entre 500 m et 2 500 m de profondeur, avec des températures comprises entre 30 °C et 90 °C, pour alimenter des réseaux de chaleur urbains.

Elle est adaptée à de gros réseaux de distribution, par exemple pour des habitats collectifs de quartiers entiers, pouvant typiquement alimenter 5 000 à 6 000 logements.

Son fonctionnement est assez similaire à celui de la géothermie de surface sur nappe : il utilise un doublet géothermique qui pompe le fluide chaud par un forage et le renvoie par un autre. En revanche, au vu des températures élevées, la pompe à chaleur est remplacée par une centrale géothermique qui assure l’échange de chaleur.

L’Île-de-France regroupe environ 20 % de la population française. En conséquence, ses besoins en énergie thermique (chaleur, eau chaude sanitaire et climatisation) sont énormes : environ 90 TWh par an.

Les réseaux de chaleur du territoire francilien fournissent 14,5 TWh d’énergie, dont 51 % (7,4 TWh) proviennent d’énergies renouvelables. Plus spécifiquement, 27 % de l’énergie totale est produite par les réseaux de chaleur fatale (c’est-à-dire la chaleur produite comme effet secondaire d’une autre production ; par exemple, celle provenant des incinérateurs de déchèteries), 11 % par la géothermie et 10 % par la biomasse.

En 2020, l’Île-de-France comptait ainsi 50 installations de géothermie en exploitation, plaçant l’Île-de-France comme l’une des régions du monde concentrant le plus d’unités de production géothermique alimentant des réseaux de chaleur.

La majeure partie de ces installations sont des installations de géothermie profonde, qui produisent environ 1,7 TWh, soit 11 % des 14,5 TWh délivrés par la totalité des réseaux de chaleur de la région.

La chaleur est extraite essentiellement depuis l’aquifère du Dogger, une couche géologique constituée de calcaires d’âge jurassique moyen et présente à environ 1 500 m de profondeur. Ces calcaires ont de bonnes propriétés réservoirs, c’est-à-dire une bonne porosité et perméabilité, et contiennent une nappe d’eau chaude, à environ 70 °C.

L’aquifère du Dogger étant exploité de manière intensive dans certaines parties de la région, l’objectif d’augmenter la production passe par une très bonne connaissance géologique du réservoir géothermique pour une meilleure gestion. Cela implique également de cibler et prospecter de nouvelles zones ou d’autres aquifères.

À l’inverse de la géothermie profonde, la ressource géothermique de surface exploitée par pompe à chaleur est très largement sous-utilisée en Île-de-France, et ne couvre qu’une part négligeable de l’énergie nécessaire en chaleur ou production de fraîcheur de la région.

Or, elle possède un avantage considérable : elle permet également de facilement fournir du froid durant l’été. Ce rafraîchissement peut passer par les pompes à chaleur, mais également par le géocooling, qui utilise la température faible du sous-sol (12 °C) pour rafraîchir directement et naturellement des bâtiments.

Exemple d’utilisation de chaleur ou froid en milieu urbain. En géothermie profonde, la chaleur est exploitée par un doublet, alimentant un réseau de chaleur urbain collectif. En géothermie de surface, une pompe à chaleur (PAC) exploite l’énergie du sous-sol avec des sondes ou des doublets sur nappe pour chauffer les bâtiments en hiver. Cette PAC peut être réversible, utilisée en mode climatisation l’été, ou encore en pause. En l’absence de PAC, les sondes peuvent rafraîchir les bâtiments par géocooling. Benjamin Brigaud, Fourni par l’auteur
Or, cette possibilité de refroidissement est d’autant plus cruciale qu’une ou deux canicules par année sont prédites sur la région à la fin du siècle, avec des températures maximales qui pourront frôler les 50 °C (période 2070-2100). À titre de comparaison, seulement 9 périodes de canicules ont été observées sur la période 1960-1990, avec une température maximum de 38 °C…

Le développement de la géothermie de surface suscite donc un intérêt croissant. Il s’agit d’un enjeu crucial, comme l’avait récemment souligné le Haut-Commissaire au Plan François Bayrou fin 2022.

Le développement intensif de la géothermie de surface et profonde sur l’ensemble de la région Île-de-France semble donc indispensable pour que les zones urbaines atteignent une neutralité carbone en termes de chauffage et de refroidissement des bâtiments. Améliorer nos connaissances géologiques du sous-sol des zones urbaines et former de jeunes géologues, experts des descriptions des roches ou des techniques de forage géothermique, sera un enjeu important si nous voulons prendre le virage de la géothermie.

La problématique de la raréfaction et de la répartition de la ressource eau

La problématique de la raréfaction et de la répartition de la ressource eau

Par
Luc Aquilina
Professeur en sciences de l’environnement, Université de Rennes 1 – Université de Rennes

Clément Roques
Chercheur en hydrologie, Université de Neuchâtel

Jean-Raynald de Dreuzy
Directeur de recherche au CNRS, hydrologie, École normale supérieure de Rennes

Laurent Longuevergne
Directeur de recherche, référent scientifique “Hydrologie de terrain, imagerie géophysique”, Université de Rennes

Ronan Abhervé
Chercheur postdoctoral en hydrologie, Université de Rennes dans the Conversation

Interrogé sur France Inter au matin de la manifestation contre les mégabassines de Sainte-Soline, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau rappelait, le 25 mars 2023, les chiffres de la consommation d’eau en France. Il indiquait que 3 milliards de m3 sont prélevés annuellement par l’agriculture sur les 200 milliards globalement disponibles. Quelques jours plus tard, le président Emmanuel Macron déclarait lors de sa présentation du plan « eau » que l’eau renouvelable disponible devrait diminuer de 30 à 40 % d’ici à 2050. Si ces chiffres généraux des usages et la trajectoire climatique future sont tout à fait exacts, ils ne nous sont pas d’une grande utilité et induisent même un risque, celui de rester indifférent à ce qu’ils annoncent. Leur globalité masque en effet des situations très variables dans l’espace et le temps. Ils ne disent rien des crises à venir ni des difficultés auxquelles les femmes, les hommes et les écosystèmes vont devoir faire face. Chacun affronte une situation locale à un moment donné, jamais la moyenne de tout le territoire durant toute une année.

En moyenne, il pleut 500 milliards de m³ d’eau en France chaque année. La partie non consommée par les plantes et renvoyée vers l’atmosphère (non évapotranspirée) qui peut alimenter les lacs, les rivières et les nappes – et que le ministre considère comme « disponible » – est d’environ 200 milliards. Les prélèvements pour les activités humaines représentent de leur côté 32 milliards, dont 3,2 pour l’agriculture, un chiffre qui peut paraître faible à première vue.

Les 200 milliards ne sont pourtant ni inutiles ni disponibles pour nos activités. Ils nourrissent les nappes, les rivières et l’ensemble des écosystèmes dont certains sont fragiles, primordiaux pour la biodiversité et critiques dans la régulation des cycles du carbone et autres gaz à effets de serre.

Si l’eau globalement disponible est importante, il n’empêche qu’elle se raréfie durant la période estivale. La majorité de l’eau consommée est utilisée en été où l’agriculture devient le premier usage et consomme jusqu’à 80 % de la ressource. Ces chiffres illustrent qu’au-delà de valeurs globales, les tensions prennent une réalité critique sur les territoires durant l’été.

Si les mégabassines visent justement à prélever en hiver les besoins de l’été, la concurrence de cette utilisation avec les autres besoins des rivières et zones humides demeure à évaluer. Surtout, l’impact du changement climatique questionne le fonctionnement de ces retenues, sans aborder les questions relatives au type d’agriculture généralement intensive qu’elles soutiennent.

Les chiffres avancés concernant l’évolution future de débit des cours d’eau sont des moyennes qui cachent des disparités temporelles et spatiales. Examinons d’abord les premières. Ces moyennes peuvent être calculées à l’échelle de l’année : elles incluent à la fois les faibles débits de l’été et les forts débits de l’hiver.

Elles masquent donc les périodes de fort stress hydrique qui peuvent être compensées par un hiver suivant pluvieux. Il existe aussi des moyennes par période, par exemple sur l’horizon 2050-2070. Là encore, elles ne rendent pas compte de la fréquence et de la durée des conditions extrêmes de débits critiques, qui devraient s’intensifier dans les périodes estivales à venir.

On mesure déjà en métropole l’élévation des températures depuis les années 1950, soit plus d’un degré en moyenne annuelle et une diminution des précipitations estivales.

Évolution du climat sur le bassin rennais depuis 1960, chaque rond représente la valeur moyenne d’avril à septembre pour chaque année sur le bassin rennais. Les données historiques montrent deux trajectoires : de 1960 aux années 2000, les hausses de température étaient accompagnées de précipitations estivales plus importantes. Depuis 2000, la progression se poursuit, avec une baisse des précipitations estivales. Auteurs à partir des données SAFRAN-Météo France, CC BY-NC-ND
La hausse des températures et l’élargissement de la saison estivale provoquent une augmentation de l’évapotranspiration et une diminution de l’infiltration et de la recharge vers les nappes phréatiques. Celles-ci, qui constituent le stock principal des bassins versants, voient en retour leur rôle du soutien à l’étiage des rivières dégradé : le débit des rivières baisse.

Les moyennes cachent aussi une variabilité spatiale. Selon les scénarios et modèles, les climats futurs montrent une variation faible du volume de précipitations dans le nord et l’ouest de la France, sans pouvoir déterminer si le volume annuel sera plus ou moins élevé que les moyennes annuelles actuelles.

Pour expliquer ces prévisions d’un bilan hydrique équivalent à ce qu’on mesure aujourd’hui, il faut donc envisager des hivers plus humides avec des précipitations plus intenses.

C’est un paradoxe difficile à admettre : le « réchauffement climatique » pourrait se matérialiser par des inondations et des précipitations majeures sur une partie nord du territoire. À l’inverse, dans le sud de la France, tous les modèles convergent vers de fortes diminutions globales des volumes précipités.

Pour prendre conscience de l’impact du changement climatique et se rendre compte des tensions qui nous attendent, mais aussi évaluer à quelle échéance elles apparaîtront, il est primordial d’examiner les valeurs extrêmes, à savoir de débit estival.

La sécheresse de 1976 est restée dans les mémoires comme un événement tragique qui avait conduit à la levée d’un impôt sécheresse pour soutenir les agriculteurs français. L’année 2022 a montré des températures nettement supérieures à celles de 1976, avec un déficit en précipitations du même ordre.

Afin de répondre aux inquiétudes des gestionnaires de la ressource en eau dans le secteur, l’Université de Rennes (via la fondation Rennes 1) a lancé dès 2019, avec Eau du Bassin Rennais et Rennes Métropole, un programme de recherche sur l’impact du changement climatique sur la ressource en eau à l’échelle du bassin rennais.

Nous avons développé dans ce cadre des modèles numériques capables de prédire l’évolution à venir des stocks d’eau souterraine et des débits des rivières en fonction des scénarios du GIEC. La tendance future émerge clairement de cette variabilité et met en évidence l’impact majeur du changement climatique.

Nous avons analysé la probabilité de trouver dans le futur des débits au moins aussi faibles que ceux de 1976 ou 2022. Dès la période 2020-2040, les débits typiques de ces années de sécheresse record pourraient se retrouver près d’une année sur deux et se succéder deux voire trois années de suite ! Les débits « 1976 ou 2022 » deviendront nos étés systématiques à partir de 2050. C’est donc à très court terme qu’il faut s’alarmer.

Si l’on utilise le même type de calcul reporté par le gouvernement, c’est-à-dire la comparaison des moyennes annuelles futures avec les moyennes annuelles actuelles, on obtient pourtant des baisses annuelles du même ordre (environ 30 % selon les projections) pour le cas de ce bassin versant étudié entre 2050 et 2070. Ce chiffre, pour exact qu’il soit, apparaît bien trop lisse au regard des prévisions estivales.

Nombre de jours chaque année, de 1975 à 2100, où le débit en amont du barrage de la Chèze (Ille-et-Vilaine) est inférieur au 10ᵉ quantile historique (1980-2010). En rouge au-dessus du graphique, probabilité de retrouver des années de type 1976 (au moins 60 jours : conditions historiques observées), et en vert, le nombre d’années consécutives. Ronan Abhervé à partir des données de projections climatiques multi-modèles utilisées pour la simulation des débits futurs (EXPLORE2-2021-SIM2 », scénario RCP8.5), CC BY-NC-ND
Un futur alarmant

On comprend donc l’importance de ne pas se contenter des valeurs globales et moyennées pour avoir une idée des conditions extrêmes estivales qui nous attendent dans le futur.

Ces prédictions sont de toute façon incertaines, notamment en ce qui concerne les précipitations futures, et les modèles climatiques ont tendance à sous-estimer l’intensité et la fréquence de ces conditions extrêmes. Pour cette étude locale, nous avons utilisé le scénario du GIEC (RCP 8.5), considéré comme pessimiste (mais pas le plus pessimiste) à l’échelle de la fin du siècle – c’est en fait le scénario que nous suivons (voire dépassons) depuis plus de 20 ans ; et peu d’indices laissent présager une évolution positive majeure dans les prochains 10 ou 20 ans.

Ce schéma n’est pas une prévision exacte du futur, mais il donne une vision des tendances à venir en insistant sur l’un des points les plus fragiles des systèmes hydrologiques. Les évolutions ressortent clairement et dessinent un futur extrêmement alarmant pour la ressource en eau.

Des crises climatiques et sociales
À ce titre, le plan « eau » annoncé par le gouvernement – qui retarde les engagements déjà pris en matière d’économie d’eau et épargne l’agriculture – ne prend pas la mesure des tensions estivales extrêmes à venir.

L’intérêt de notre démarche est de décrire les crises climatiques à venir ou déjà en cours dans de nombreux pays. Il ne s’agit pas de l’effondrement généralisé prédit par certains, mais de crises extrêmement sévères, localisées dans l’espace et le temps. Ces crises toucheront en premier lieu certains services primordiaux (eau potable, agriculture, industries…) et surtout une partie de la population, accentuant les clivages entre les classes sociales.

Pour surmonter les crises sociales que seront aussi les crises climatiques, nous ne pouvons faire l’impasse ni sur la raréfaction, ni sur la répartition de la ressource en eau.

La gestion de la ressource eau, un enjeu majeur ?

La gestion de la ressource eau, un enjeu majeur ?


par Laurent Baechler
Dans L’Europe en Formation 2012/3 (n° 365), pages 3 à 21


Parmi les ressources qui contribuent au développement des activités humaines, l’eau présente plusieurs caractéristiques qui la distinguent de toutes les autres : elle est indispensable à la vie ; elle est omniprésente (elle compose 65 % du corps humain, et recouvre 70 % de la surface de la Terre) ; elle est disponible en quantités strictement fixes, dictées par les lois de conservation et le cycle de l’eau. Le fait qu’elle soit indispensable à la vie sur terre en fait une ressource convoitée plus qu’aucune autre : sa rareté maintient des populations entières dans des trappes à pauvreté, et alimente des conflits politiques qui peuvent aller éventuellement jusqu’au conflit armé.

Elle est omniprésente, mais la quantité utile pour les activités humaines est répartie de manière extrêmement inégale. Sur les quelque 1 300 millions de km³ d’eau qu’abrite la planète, 97,2 % sont constitués des eaux salées inutilisables pour les activités humaines ; des 2,8 % restant, 2,15 % sont « piégés » dans les glaces polaires ; reste 0,65 %, dont 0,62 % sous forme souterraine. Le cycle de l’eau assure un niveau de précipitation terrestre d’environ 113 000 km³ par an, dont il faut soustraire 72 000 km³ d’évaporation pour obtenir le flux net disponible ; du total restant, 32 900 km³ sont considérés comme géographiquement accessibles, mais il faut également tenir compte du moment auquel ont lieu ces précipitations. La plupart sont concentrées sur des périodes de temps réduites et donnent lieu à des inondations ; restent 9 000 km³ effectivement accessibles ; si l’on ajoute les eaux de précipitation retenues en barrages, on compte finalement 12 500 km³ d’eau douce disponibles chaque année pour les usages humains, ce qui représente plus de 5 000 litres par personne et par jour au plan mondial, les plus gros utilisateurs (les Américains) n’en prélevant « que » 1 800 litres quotidiennement. Ces chiffres pourraient donner l’impression que l’eau est surabondante, mais sa répartition inégale au plan international ou intra-national en fait une ressource inaccessible pour une grande partie de la population mondiale : 9 pays se partagent 60 % des ressources en eau douce (le Brésil, la Colombie, la Russie, l’Inde, le Canada, les États-Unis, l’Indonésie, le Congo et la Chine), alors que l’on trouve dans certains pays considérés comme abondants en eau des régions dévastées par le manque d’eau (en Inde par exemple).

5La troisième caractéristique de l’eau, la disponibilité en quantités fixes à l’échelle planétaire, oblige à considérer la notion d’offre d’eau comme une réalité géophysique autant qu’économique. La réalité géophysique est dictée par les lois de conservation qui font que la ressource ne peut être détruite ni créée, et que son renouvellement « infini » est assuré par le cycle de l’eau. À cela, il faut ajouter que l’eau peut se conserver sous des formes évolutives, et que ces dernières peuvent modifier l’accessibilité à l’eau. De ce point de vue, le changement climatique jouera très probablement un rôle décisif (et négatif) dans la disponibilité future en eau, dans la mesure où le cycle de l’eau est un système parmi les plus sensibles au phénomène, avec des impacts sur l’accessibilité à l’eau douce, la qualité de l’eau disponible et le potentiel destructeur de l’eau par le biais de la multiplication des épisodes climatiques extrêmes [1]
[1]
Voir Kundzewicz Z. W., L. J. Mata, N. W. Arnell, P. Döll, B.…. La réalité économique est que l’offre d’eau ne peut réagir aux signaux de marché comme c’est le cas pour toutes les autres ressources primaires : l’ajustement de l’offre d’eau ne peut se faire qu’à la marge, par un moindre gaspillage et une meilleure utilisation de la ressource disponible (augmentation de la productivité de l’utilisation d’eau). Il existe cependant une exception à cette « loi » économique dictée par des contraintes géophysiques : le dessalement de l’eau, qui permettrait effectivement d’augmenter la disponibilité d’eau douce presque indéfiniment (et qui jouerait en quelque sorte le même rôle que le développement des énergies renouvelables dans un autre domaine).

6Si l’offre d’eau peut être considérée à bien des égards comme fixe, c’est du côté de la demande que l’on trouve les principales explications de la raréfaction de la ressource. Celle-ci a évolué au cours des dernières décennies sous l’impact principalement de la croissance démographique et de l’augmentation des niveaux de vie. La croissance démographique a été autorisée par – et a dans le même temps entraîné – une forte augmentation des surfaces irriguées pour les activités agricoles : celles-ci ont été multipliées par deux en 60 ans, alors que la quantité d’eau utilisée par les activités agricoles a été multipliée par trois. Par ailleurs, de plus en plus de consommateurs sont devenus de plus en plus gourmands en eau, dans les pays riches bien entendu, mais de plus en plus dans les pays émergents avec le développement des classes moyennes : avec près de deux milliards de personnes sur le point d’accéder au statut de classe moyenne, la consommation d’eau ne peut qu’augmenter, même pour une population stagnante, du fait du changement de régime alimentaire. Il faut en effet quatre fois plus d’eau pour produire un kilo de bœuf en comparaison d’un kilo de poulet, et cinq fois plus d’eau pour produire un verre de jus d’orange par rapport à une tasse de thé.

7L’agriculture est encore de loin le secteur le plus demandeur en eau, puisqu’il contribue pour 70 % des prélèvements et 93 % de la consommation globale [2]
[2]
Les prélèvements correspondent aux quantités d’eau que les…, essentiellement dans les pays en développement où l’agriculture demeure une activité majeure. Elle est de ce point de vue le secteur le plus problématique pour la gestion des ressources en eau : la demande croissante dans le secteur agricole est de moins en moins satisfaite par l’usage des eaux de pluie et de surface, mais de plus en plus par des prélèvements souterrains, qui mènent souvent à l’épuisement de la ressource [3]
[3]
Et dans des cas extrêmes à des situations catastrophiques,….

8Mais avec l’augmentation des niveaux de vie un peu partout dans le monde, les deux autres catégories de prélèvements, pour l’industrie et les activités domestiques, voient leur part augmenter. Elles ne comptent respectivement que pour 22 % et 8 % des prélèvements globaux, mais leur augmentation a été deux fois plus rapide que pour l’agriculture au cours de la deuxième moitié du xxe siècle.

9Le bilan de ces évolutions est que les prélèvements en eau ont augmenté deux fois plus vite que la population mondiale au cours du xxe siècle. Et étant donné les tendances de croissance économique et d’amélioration de la productivité de l’utilisation de l’eau à l’échelle globale, on prévoit que l’écart entre l’offre et la demande sera de 40 % d’ici 2030 [4]
[4]
Voir le rapport du 2030 Water Resources Group, Charting our…. Il n’existe pas de courbe de Kuznets pour l’accessibilité aux ressources en eau [5]
[5]
La courbe de Kuznets en U inversé implique que certains…, mais au contraire une empreinte écologique en la matière très étroitement liée au niveau de développement [6]
[6]
Voir Hoekstra A. Y. et A. K. Chapagain, “Water footprints of….

10Parler de raréfaction de la ressource en eau de manière générale n’a pas grand sens : parmi les caractéristiques de l’eau et problématiques qui en découlent, une des plus significatives est le caractère local et temporel de sa disponibilité. Celle-ci est fonction de paramètres très contextuels, mélange de caractéristiques géophysiques, climatiques, démographiques et socio-économiques, qui contribuent à faire de l’eau une ressource extraordinairement mal répartie dans le monde et dont la gestion repose sur des paramètres essentiellement locaux : comme indiqué précédemment, 9 pays se partagent 60 % des ressources en eau douce, mais on compte parmi eux les deux pays les plus peuplés, la Chine et l’Inde, qui doivent se partager 10 % de la ressource pour près d’un tiers de la population mondiale ; les pays à climat non tempéré souffrent de l’irrégularité des précipitations [7]
[7]
Les prélèvements pour les activités agricoles représentent 3 %… et de leur caractère souvent excessif ; les pays pauvres ou en développement dépendent beaucoup plus des activités agricoles que les autres [8]
[8]
95 % de la population active au Bhoutan pour le cas extrême,…, et l’agriculture est de loin le secteur le plus consommateur d’eau comme indiqué plus haut ; dans certaines zones, les difficultés viennent du manque de moyens d’exploitation rationnelle de la ressource disponible (seulement 4 % des surfaces cultivées sont irriguées en Afrique subsaharienne, malgré le fait que le continent bénéficie de larges quantités d’eau de surface et souterraine inexploitées) ; les problématiques de l’eau en zone urbaine sont très différentes de celles en zone rurale, ne serait-ce que pour des raisons de détérioration de la qualité de la ressource dans les zones densément peuplées ; etc.

11Enfin, le problème de l’accès à l’eau est plus qualitatif que quantitatif [9]
[9]
C’est même pour certains auteurs le paramètre dominant pour le…. La pollution de l’eau est un problème clé de la gestion de la ressource. Celle-ci est souvent défectueuse par défaut de systèmes de collecte et de purification/évacuation des eaux usées ou d’infrastructures de stockage d’eau propre à la consommation. Les conséquences sont malheureusement bien connues : manque d’hygiène basique entraînant son cortège de surmortalité infantile, morbidité et malnutrition [10]
[10]
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la moitié des…. Les difficultés d’accès à l’eau propre (qui concernent près d’un être humain sur deux) sont la première cause de mortalité dans le monde, avec un triste bilan de près de 3,6 millions de personnes par an. Les gestes les plus simples, comme se laver les mains pour éviter la transmission de maladies infectieuses, deviennent ainsi des enjeux majeurs de développement. Le problème se pose avec une acuité particulière dans les zones urbaines en rapide expansion dans les pays en développement, où les infrastructures ne peuvent pas suivre l’explosion des besoins. Une des conséquences est que les pays émergents sont parmi les principaux consommateurs d’eau en bouteille après les États-Unis (le Mexique, la Chine, le Brésil et l’Indonésie faisant partie des dix premiers consommateurs), alors qu’il s’agit de la forme d’accès à l’eau potable la plus chère.

12Mais le problème de la qualité de l’eau est l’affaire de tous, en considérant schématiquement que le développement économique s’est fait sur la base de la détérioration de la qualité de l’eau dans les pays riches (essentiellement par pollution des sols du fait de l’énorme augmentation de la productivité agricole autorisée par l’usage des engrais et pesticides), ou que le sous-développement aggrave ces problèmes de détérioration par manque de moyens d’y faire face.

Un problème de gestion de ressource
13Si l’on combine l’ensemble des paramètres déterminant les conditions d’articulation entre l’offre et la demande d’eau, on parvient finalement à la conclusion que le problème de l’accès à l’eau est essentiellement un problème de développement. La population mondiale augmente encore surtout dans les pays en développement, puisant dans un stock d’eau au mieux constant, la plupart du temps dans des régions déjà mal dotées en eau pour des raisons climatiques et géologiques. La quantité d’eau accessible n’est pas le seul enjeu, puisque la mauvaise qualité de l’eau pose des problèmes au moins aussi graves. Ces éléments font que les situations de pénurie les plus sérieuses se trouvent dans les zones arides, fortement peuplées… et pauvres, c’est-à-dire incapables de fournir les efforts d’investissement indispensables pour assurer la disponibilité d’une eau propre. En conséquence de quoi les situations dites de stress hydrique se trouvent essentiellement dans les pays en développement ou émergents situés dans les zones tropicales et équatoriales [11]
[11]
Les situations de stress hydrique sont définies en référence à…. La situation ne devrait pas s’améliorer, puisqu’il est prévu que la proportion de personnes vivant dans des pays en pénurie d’eau, qui était de 8 % au début du xxie siècle, passe à 45 % en 2050 [12]
[12]
Voir OCDE, Perspectives de l’environnement de l’OCDE à….

14En déduire que les difficultés d’accès à l’eau sont la cause même du sous-développement est une autre affaire, de même qu’établir un lien causal entre climat, géologie et sous-développement. C’est ce que propose la thèse de la trappe à pauvreté, selon laquelle les pays en développement voient leurs capacités de décollage économique bloquées par des facteurs objectifs et repérables tels que le manque d’épargne, le caractère endémique des maladies tropicales, la faiblesse des infrastructures collectives, les difficultés d’accès à l’eau… qui finissent par créer un cercle vicieux de sous-développement dont il est impossible de sortir par ses propres moyens [13]
[13]
Voir Sachs Jeffrey D., John W. McArthur, Guido Schmidt-Traub,…. Il est certain que l’eau est la clé de la sécurité alimentaire et de la réduction de la pauvreté, dans la mesure où près de 80 % des situations d’urgence alimentaire sont créées par des épisodes de sécheresse ou d’inondation, autrement dit de manque ou d’excès d’eau, et que le continent africain est le plus touché en la matière. Il est également évident que les facteurs climatiques jouent un rôle décisif dans ces événements. Mais ces facteurs doivent davantage être considérés comme des circonstances aggravant des situations de sous-développement qui accompagnent souvent les problèmes d’accès à l’eau, plutôt que comme des causes ultimes de sous-développement. La relation entre les ressources en eau et la mobilisation des eaux d’une part, le développement socio-économique et le niveau de vie d’autre part, n’est ni simple ni à sens unique. Elle est biunivoque et interactive. Le développement socio-économique facilite et permet la maîtrise et la mobilisation des eaux ; il crée les moyens de satisfaire les besoins en eau qu’il engendre, y compris par les recours aux palliatifs à la raréfaction des disponibilités, autant, sinon plus, que les utilisations d’eau contribuent au développement. En somme, la rareté des ressources en eau n’est un facteur limitant du développement que conjointement avec d’autres causes du sous-développement. Il ne s’agit pas d’en déduire que les situations de stress hydrique sont à relativiser, mais que ces situations sont associées à des difficultés multiples de faire face à la pénurie d’eau, et que ces difficultés sont souvent intimement liées au sous-développement. La conclusion positive que l’on peut tirer de ce constat est que la problématique de l’accès à l’eau est essentiellement une problématique de gestion de ressource rare, et qu’il n’y a pas de fatalité en la matière. On peut illustrer schématiquement cette problématique par le cas du Népal, pays riche en eau, mais l’un des moins bien classés dans les indicateurs mondiaux de performance d’accès à l’eau potable ou d’exploitation du potentiel hydrologique [14]
[14]
Voir http://go.worldbank.org/4IZG6P9JI0.. Ou a contrario par le cas de Singapour, pays en stress hydrique élevé dont l’essentiel des ressources en eau est importé de Malaisie, et qui a mis au point une stratégie efficace de rationnement de la ressource [15]
[15]
Voir Tortajada Cecilia, “Water management in Singapore”, in :….

15On peut faire le même constat à propos de ce qu’il est convenu d’appeler les conflits de l’eau, autrement dit les situations de conflits politiques internationaux ou intra-nationaux (entre l’Arizona et le Colorado en 1935 par exemple) suscitées par les difficultés d’accès à l’eau. La liste des types de conflit dans ce domaine est longue : ils peuvent venir de tensions concernant directement l’accès aux ressources en eau, de l’utilisation de l’eau ou des systèmes hydrologiques comme arme de guerre, de l’utilisation de l’eau comme moyen de pression politique, etc. Il en est de même de la liste des conflits eux-mêmes répertoriés historiquement [16]
[16]
Voir le site du Pacific Institute in California pour une liste…. Mais de même que les difficultés d’accès à l’eau ne devraient pas être retenues comme causes ultimes du sous-développement, elles ne doivent pas être considérées comme facteurs déclencheurs de conflits politiques. Ceux-ci trouvent leurs origines ailleurs, et peuvent être alimentés par des considérations en rapport avec l’accès à l’eau. Pour le dire autrement, on trouve des situations de conflits sur les ressources en eau dans toutes les régions du monde, et l’on constate que ces conflits débouchent sur la violence dans les cas où la gestion pacifique des tensions n’est pas encore envisageable. La conclusion qu’il faut en tirer n’est pas que les pays risquent d’entrer en conflit armé pour l’accès à l’eau, mais que l’accès à l’eau risque d’entrer en considération dans les situations de conflits violents. Israéliens et Palestiniens ont toutes les raisons d’être en conflit pour l’accès à l’eau dans leur région marquée par un stress hydrique élevé [17]
[17]
Et Israël exerce une pression impitoyable en la matière, avec…, les pays européens ont mis au point un arsenal juridique complexe pour gérer pacifiquement les situations de conflit dans ce domaine [18]
[18]
Voir Sohnle Jochen, « Le dispositif juridique de l’Europe pour….
16La conclusion qu’il faut tirer de ces constats est qu’en toutes circonstances, les problèmes de développement ou de conflits suscités par les difficultés d’accès à l’eau sont des problèmes de gestion de ressource rare davantage que de disponibilité de la ressource. Ces problèmes prennent des formes diverses selon les situations en question : il peut s’agir de manque d’investissement en infrastructures pour améliorer l’accès à l’eau, de manque de coopération dans la gestion transfrontalière des ressources en eau, de gaspillages dans les utilisations diverses de la ressource… Toutes ces situations exigent que soient identifiées clairement les causes des difficultés d’accès à l’eau, afin de pouvoir concevoir les solutions appropriées à chaque cas.

Quelles solutions ?
17Assez étrangement, il a fallu attendre la conférence internationale sur l’eau de Dublin en 1992 pour que l’eau soit reconnue comme un bien économique par la communauté internationale. Il tombe pourtant sous le sens que, de même que n’importe quelle autre ressource rare, l’eau doit faire l’objet d’une gestion rationnelle à même de rendre compatibles les offres et les demandes de la ressource. L’explication de cet anachronisme réside probablement dans le fait qu’étant une ressource indispensable à la vie, on pense d’abord à l’eau comme un droit dont aucun être humain ne devrait être privé. Et de fait, la communauté internationale reconnaît également l’accès à l’eau comme un droit de l’homme qu’il convient de protéger [19]
[19]
Officiellement depuis le 28 juillet 2010 par une résolution de…. Cette exigence noble n’enlève rien à la caractéristique fondamentale de l’eau d’être un bien économique comme un autre, mais permet de centrer la problématique sur les usages de l’eau les plus essentiels, et en fait vitaux (une infime partie de l’usage global de l’eau à l’échelle planétaire). Ce qui doit nous amener à toujours considérer l’exigence de solidarité dans les solutions imaginées pour résoudre les difficultés d’accès à l’eau, surtout lorsque les plus pauvres et les plus faibles sont concernés. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, on constate en effet que les riches s’en sortent souvent mieux que les pauvres lorsqu’il est question d’accéder à une ressource rare.

18Concilier exigence de solidarité et rationalité dans la gestion de la ressource en eau n’a aucune raison de soulever des problèmes insurmontables : il faut, lorsque les circonstances l’ordonnent, consacrer à la redistribution vers les plus nécessiteux une partie des ressources préservées grâce à une bonne gestion. Encore faut-il que celle-ci soit bien établie.
La gestion par l’offre
19Les pistes en la matière sont nombreuses, et il ne peut en être autrement pour un problème aussi complexe que la gestion de l’eau. Pour clarifier les choses, il faut commencer par distinguer la gestion de l’offre et celle de la demande. L’offre d’eau étant globalement fixe comme nous l’avons précisé précédemment, l’approche par l’offre ne peut reposer que sur l’amélioration de l’accès aux quantités d’eau disponibles [20]
[20]
Pour un panorama complet des solutions envisageables, voir…. Les possibilités techniques sont les suivantes : augmentation de l’accès aux ressources en eau conventionnelles, par augmentation des capacités de stockage des flux (barrages et systèmes locaux de stockage des eaux de pluie pour l’essentiel) ou meilleure gestion des stocks disponibles (principalement les eaux souterraines et aquifères ayant fait l’objet d’une surexploitation grandissante au cours des dernières décennies) ; meilleur recyclage de la ressource de manière à optimiser son utilisation et éviter les gaspillages ; contrôle de la pollution des eaux pour augmenter les quantités disponibles pour les usages humains et réduire les coûts de traitement ; transferts de ressources entre bassins fluviaux ; dessalement de l’eau de mer.

20L’application de ces techniques n’a bien entendu de sens qu’à l’échelle où se posent les problèmes, autrement dit au plan local pour ce qui concerne la gestion de l’eau. Le potentiel technique des solutions est intimement lié aux circonstances locales de l’utilisation de la ressource, de sorte qu’il faut une étude de terrain pour pouvoir dire quoi que ce soit dans un contexte particulier [21]
[21]
Pour une application de ce principe au cas de l’Inde, voir 2030…. Il se dégage néanmoins des tendances générales à ce sujet. Le dessalement de l’eau de mer est par exemple une solution pour le moment trop coûteuse dans de nombreux contextes (malgré une division du coût par quatre au cours des deux dernières décennies), mais la technique commence progressivement à se répandre au-delà des pays pour lesquels les considérations financières et écologiques n’ont jamais vraiment compté pour adopter cette solution, essentiellement les pays du golfe investissant leur énorme rente pétrolière dans des usines de dessalement. La technique est donc désormais répandue notamment en Australie, en Californie ou en Espagne, mais reste limitée à des zones riches exposées à un stress hydrique élevé [22]
[22]
Voir Salomon J., « Le dessalement de l’eau de mer est-il une…. Ce n’est qu’à long terme que l’on peut espérer son développement à une échelle plus importante, peut-être associée aux panneaux solaires pour apporter l’énergie nécessaire à son application.

21De même, le transport de l’eau pour rééquilibrer l’offre aux échelons locaux n’est pas une solution réaliste au plan global : les coûts de transport sont trop élevés, surtout pour les bénéficiaires potentiels qui se situeraient dans des pays en développement. Un marché mondial de l’eau comparable à celui du pétrole n’est donc pas pour demain. Il est par contre envisageable d’acheminer l’eau par des infrastructures adaptées, solution pratiquée d’ailleurs depuis des millénaires, mais réaliste à des échelles réduites uniquement, et donc pas en mesure de résoudre tous les problèmes d’inégalité d’accès à l’eau, surtout si l’on considère le coût des infrastructures. Une technique qui fait son chemin, principalement dans les pays en développement, est le recyclage de l’eau, qui consiste par exemple à utiliser les eaux rejetées par les activités urbaines pour alimenter en aval les activités agricoles [23]
[23]
Voir FAO, Water at a glance : The relationship between water,….

22Cette gestion intégrée de l’eau présente de nombreux avantages : elle permet de fournir de l’eau régulièrement aux agriculteurs et de moins faire dépendre leurs activités des aléas climatiques ; elle contribue à créer de l’activité et de l’emploi urbain ; elle permet de réduire en aval le niveau de pollution de l’eau rejetée par les villes. Mais cette technique implique que les activités agricoles se situent en périphérie des zones urbaines, et sa mise en œuvre repose sur une capacité de planification urbaine et une appropriation par les populations locales qui exigent un long processus d’apprentissage.

La gestion par la demande
23Les possibilités d’amélioration de la gestion de l’eau par la demande reposent sur un principe global : orienter l’eau vers une utilisation optimale, ce qui sur un plan strictement théorique devrait conduire à égaliser la valeur d’une unité marginale d’eau pour tous les utilisateurs potentiels [24]
[24]
Voir FAO FAO, Coping with water scarcity : An action framework…. Égaliser les valeurs marginales de toutes les utilisations potentielles de l’eau est bien évidemment un objectif parfaitement utopique, mais le principe qui en découle et selon lequel il faut encourager les acteurs concernés à faire l’usage le plus « productif » possible de la ressource lorsqu’elle se raréfie procède du simple bon sens. Il existe principalement deux moyens d’y parvenir : inciter les utilisateurs à faire un usage plus efficace de l’eau ; encourager des transferts de la ressource des usages les moins bénéfiques vers ceux dont les « rendements » sont plus élevés.

24Un usage plus efficace de l’eau consiste en gros à augmenter la productivité de l’utilisation de la ressource, autrement dit à augmenter la capacité de création de richesse pour une quantité d’eau utilisée. Cela peut se faire en limitant les pertes subies par fuite et percolation lors de l’acheminement de l’eau par des réseaux urbains, ou en réduisant les gaspillages dus à une utilisation inappropriée de la ressource dans des processus agricoles ou industriels. La piste la plus prometteuse en la matière semble être la hausse de la productivité agricole par une meilleure utilisation de l’eau grâce au changement de techniques d’irrigation, à la minimisation du phénomène d’évapotranspiration qui accompagne la croissance des végétaux, et à la création de variétés plus résistantes au manque d’eau [25]
[25]
Voir Falkenmark M. et J. Rockström, “The new blue and green…. C’est dans les pays en développement dépendants davantage des activités agricoles et où les techniques agricoles sont les moins productives que le potentiel d’amélioration est le plus élevé. Les techniques d’irrigation en particulier peuvent faire une différence énorme en matière de rendements : l’emploi de l’irrigation double les rendements agricoles les plus élevés par rapport à l’utilisation des eaux de pluie ; après l’échec des projets d’irrigation à grande échelle dans les pays en développement, l’accent est désormais mis sur les technologies simples à l’échelle locale, plus faciles à approprier et moins chères [26]
[26]
Voir Sachs et al. (2004, p. 26-27)..

25L’agriculture est une activité essentielle, surtout dans les pays en développement, mais elle ne génère pas les utilisations des ressources en eau les plus lucratives : l’industrie crée en moyenne 70 fois plus de valeur par litre d’eau que l’agriculture. Cela explique qu’elle constitue l’essentiel des prélèvements d’eau dans les pays riches. Une autre caractéristique est que l’eau pour l’industrie constitue véritablement un coût de production, dans la mesure où les industriels paient généralement l’eau qu’ils utilisent, à la différence des agriculteurs qui bénéficient d’une ressource gratuite. Le résultat logique est que les incitations à améliorer la productivité des utilisations de l’eau sont beaucoup plus fortes dans l’industrie que dans l’agriculture, et de fait cette productivité a fortement augmenté dans les pays industrialisés au cours des dernières décennies, et son amélioration fait partie des stratégies de nombreuses entreprises privées [27]
[27]
Voir The Economist, For want of a drink – À special report on….

26La réallocation des ressources en eau des usages les moins bénéfiques vers ceux dont les « rendements » sont plus élevés repose sur un arsenal d’instruments de marché et d’approches réglementaires. Le principe général est qu’une fois les usages essentiels de l’eau pour les besoins de subsistance couverts, il convient d’orienter la ressource vers les usages les plus « productifs ». C’est habituellement le système de prix qui joue ce rôle dans les économies de marché. Mais l’eau est bien souvent une ressource sans prix, accessible librement et prélevée sans avoir d’idée précise des quantités effectivement utilisées [28]
[28]
On compte en Inde 20 millions d’utilisateurs de puits…. On estime que globalement l’eau est tarifée à hauteur de 10 à 50 % des coûts d’exploitation et de maintenance des systèmes de distribution, et cela représente à nouveau 10 à 50 % de la valeur de l’eau en termes de productivité agricole. Le résultat est qu’il faudrait multiplier le prix de l’eau par un facteur compris dans une fourchette de 4 à 100 selon le contexte pour équilibrer l’offre et la demande d’eau, une mesure politiquement suicidaire. La « vérité des prix » est difficile à mettre en œuvre dans ce domaine pour d’autres raisons [29]
[29]
Voir Baechler Laurent, « Le prix de l’eau », in : L’eau :… : une eau tarifée deviendrait inaccessible pour les plus pauvres qui sont en général les plus nécessiteux ; le prix de l’eau aurait du mal à refléter les coûts environnementaux et la valeur d’existence de la ressource (ce que les économistes appellent des externalités que le marché ne peut pas prendre en compte) ; la multiplicité des usages de l’eau fait qu’un prix aurait du mal à refléter correctement les coûts de ces usages. Finalement, si la tarification de l’eau est de manière générale souhaitable pour éviter la surexploitation de la ressource, elle est pratiquement difficile à mettre en œuvre et n’est pas toujours le moyen le mieux approprié pour faire face aux problèmes d’allocation efficace de la ressource [30]
[30]
Voir Perry Chris, Pricing savings, valuing losses and measuring….

27Le fait que l’eau soit dans bien des cas accessible librement révèle une autre source de dysfonctionnement générant l’épuisement de la ressource : l’absence de droits de propriété ou d’usage clairement identifiés. C’est à nouveau dans le domaine agricole et pour les usages domestiques que le problème se pose avec le plus d’acuité. Les solutions résident dans la définition et la répartition de droits d’usage clairement établis, à l’échelle d’exploitation de la ressource, avec la participation active des populations locales concernées au premier chef [31]
[31]
Ostrom (2010 pour la traduction française) propose un tour…. Dans des contextes où les institutions concernées ont atteint un degré de maturité suffisant, il est même envisageable de voir émerger un marché de droits négociables, où les offres et les demandes s‘articulent de manière à orienter ces droits vers les usages de l’eau les plus productifs. Les exemples les plus significatifs se trouvent dans l’ouest des États-Unis et en Australie, où le « Murray-Darling basin system » a déjà permis de traverser des périodes de sécheresse sans perturber significativement la production agricole [32]
[32]
Voir Gleick Peter H., The World’s Water (vol 7), Pacific….

28Réorienter la ressource en eau vers des usages plus « productifs » peut passer par des dispositifs plus originaux. Une approche récente et prometteuse, introduite au début des années 90, est l’échange international d’« eau virtuelle », entendue comme la quantité d’eau incorporée implicitement dans les processus de production et de distribution des produits consommés partout dans le monde [33]
[33]
Voir Hoekstra A. Y., Virtual water trade : Proceedings of the…. On peut voir l’idée comme une extension du fameux principe des avantages comparatifs identifié il y a près de deux siècles par David Ricardo : l’eau doit s’échanger internationalement par l’intermédiaire des biens qu’elle contribue à produire, et de manière à ce que les ressources en eau puissent aller vers les usages dans le monde qui la valorisent le plus. La mise en œuvre du principe repose avant toute chose sur l’identification des empreintes en eau (version alternative du principe d’empreinte écologique) des produits concernés, de manière à pouvoir dégager le potentiel d’échange international qu’ils génèrent, mais surtout sur la capacité des marchés et des acteurs à reconnaître le principe comme opératoire, ce qui est loin d’être acquis. Une limite parmi d’autres est que les États sont très réticents à faire intervenir le jeu des avantages comparatifs dans l’allocation des produits agricoles, l’autonomie alimentaire restant un objectif stratégique clé.

29N’oublions pas pour terminer le potentiel de mesures simples comme la réduction des subventions à l’utilisation de l’eau qui, avec la tarification de la ressource dans certains cas, permettraient de réduire facilement les gaspillages [34]
[34]
L’Arabie saoudite utilise ses ressources en eau et en pétrole….

Les conflits de l’eau
30Comme indiqué précédemment, les conflits de l’eau peuvent être perçus comme des situations de concurrence sur l’allocation de la ressource qui ne peuvent être gérées pacifiquement pour des raisons politiques dont les origines ne sont pas nécessairement en rapport avec le problème de l’eau lui-même. Ces conflits apparaissent généralement à l’occasion de l’exploitation des ressources de bassins fluviaux ou d’aquifères transfrontaliers. Quoi qu’il en soit, ces situations exigent une forme de coopération internationale ou interrégionale pour éviter les conflits violents. Cette coopération est par définition difficile à obtenir, car les situations s’apparentent généralement à des jeux à somme nulle (lorsqu’un pays exploite en amont le potentiel hydroélectrique d’un fleuve au détriment d’un autre pays en aval), ou à des cas de tragédie des communs (lorsqu’il s’agit d’exploiter un aquifère transfrontalier) où les incitations à coopérer sont faibles. On compte cependant un certain nombre de succès relatifs en la matière, comme dans les cas du Nil ou du Mékong. Tout l’enjeu des négociations dans ces situations conflictuelles repose sur les moyens d’augmenter et de partager les bénéfices de l’exploitation de la ressource. Dans certains cas, il est possible de démontrer qu’une gestion appropriée des ressources concernées permet de générer des gains que peuvent se partager les partenaires potentiels d’un accord international [35]
[35]
Voir Whittington Dale, Xun Wu et Claudia Sadoff, “Water…. Dans bien d’autres cas, conflit et coopération sont intimement mêlés et rendent la situation plus difficilement gérable [36]
[36]
Voir Zeitoun Mark et Naho Mirumachi, “Transboundary water….

Quels acteurs ?
31La complexité du problème de l’eau vient de ce que la disponibilité de la ressource est déterminée par des processus naturels globaux, alors que les utilisations qui en sont faites résultent d’une multitude de comportements locaux non coordonnés. Les politiques de l’eau doivent donc relever le défi d’articuler cette nécessité d’envisager une conception globale de la gestion de la ressource avec la nécessité d’impliquer les acteurs concernés à l’échelle la plus efficace. Une problématique bien différente de celle que l’on trouve par exemple dans le cas climatique, où les émissions de gaz à effet de serre ont les mêmes impacts environnementaux d’où qu’elles viennent, ce qui permet de concevoir des politiques à l’échelle globale en tirant parti notamment des différences de coûts de réduction des émissions entre pays ou acteurs individuels [37]
[37]
Ce que fait par exemple le mécanisme de développement propre du….

32En conséquence de la nécessité d’envisager une conception globale de la gestion de l’eau, de plus en plus d’experts se prononcent pour une vision à l’échelle des systèmes hydrologiques naturels (bassins fluviaux, aquifères…) pour respecter les équilibres globaux de la ressource et éviter les incompatibilités entre interventions ponctuelles. Par ailleurs, on préconise de plus en plus que les modes d’intervention permettent une adaptation aux changements de paramètres des situations locales, qui peuvent être dus par exemple au changement climatique comme évoqué précédemment [38]
[38]
Voir Pahl-Wostl Claudia, “Transitions towards adaptive…. En conséquence de la nécessité d’impliquer les acteurs concernés à l’échelle la plus efficace, la priorité est de tenir compte des interactions entre systèmes écologiques et économiques, ainsi qu’entre les différentes parties prenantes, de manière à optimiser la valeur économique et sociale de l’eau [39]
[39]
Voir Jonch-Clausen Torkil, Integrated water resources…. Les maîtres mots en la matière sont gestion adaptative (Adaptative Management), simulation multi-agents et gestion intégrée des ressources en eau (Integrated Water Resources Management) [40]
[40]
Voir Medema Wietske, B. S. McIntosh et P. J. Jeffrey, “From…. Tous ces principes participent du même objectif d’identifier les problèmes d’action collective associés à la gestion de l’eau en rapport avec les caractéristiques techniques de disponibilité de la ressource [41]
[41]
Voir Berger Thomas, Regina Birner, José Diaz, Nancy McCarthy et….

33Comment passer des principes à la mise en œuvre ? Tout dépend du contexte, des acteurs impliqués et du problème à résoudre. Le cas par cas s’impose en la matière. Dans l’espace urbain où l’accès à l’eau dépend principalement d’infrastructures d’adduction et d’épuration de la ressource, la priorité est souvent à la construction et à l’entretien de ces infrastructures. Les besoins financiers en la matière sont énormes : ils sont estimés à 22 600 milliards de dollars entre 2005 et 2030 dans le monde entier. L’aide internationale aux pays en difficulté est primordiale pour couvrir ces besoins. Mais on ne peut imaginer se passer du rôle des acteurs privés pour accomplir une tâche aussi titanesque. Cela peut se concevoir dans le cadre de partenariats public-privé qui connaissent un regain d’intérêt depuis deux décennies, ou dans le cadre de la privatisation d’infrastructures, ce qui permet d’alléger les budgets publics. Le rôle des compagnies privées de l’eau est très controversé, voire combattu, mais il peut être utile sous certaines réserves, et doit en tout état de cause faire l’objet de contrôles de manière à éviter les impacts sociaux et environnementaux les plus indésirables [42]
[42]
Voir Gleick Peter H., Gary Wolff, Elizabeth L. Chalecki et….

34Dans l’espace rural où le problème est principalement l’exploitation de l’eau pour des usages agricoles ou domestiques, l’implication des acteurs locaux est essentielle, d’autant que ce sont eux qui détiennent les connaissances relatives aux techniques les plus efficaces pour gérer la ressource. On sait mieux depuis les travaux d’Elinor Ostrom [43]
[43]
Elinor Ostrom, op. cit., 2010. à quel point réduire la problématique de gestion des ressources communes à une opposition entre approche par les mécanismes de marché et approche par la régulation publique est simpliste et éloigné de bien des réalités. Dans le domaine de l’eau, il convient d’étudier les solutions locales imaginées par les populations concernées pour gérer les problèmes d’accès à la ressource, qu’il s’agisse de solutions institutionnelles ou techniques, de manière à s’inspirer des expériences réussies dans d’autres contextes comparables [44]
[44]
Voir Van Koppen Barbara, Mark Giordano, John Butterworth et…. C’est la voie de plus en plus empruntée par les organisations internationales de développement et les organisations non gouvernementales afin d’améliorer l’articulation entre les comportements locaux et les interventions de la puissance publique pour la gestion de l’eau.
35Dans bien des cas cependant les moyens financiers et techniques ainsi que l’expertise manquent aux populations locales, évidemment surtout dans les pays en développement. La coopération internationale est alors cruciale pour amorcer le processus de développement [45]
[45]
Voir Banque mondiale, Strengthen, Secure, Sustain, Water…. Dans cette perspective, le développement de l’accès à l’eau propre figure en bonne place dans les objectifs du millénaire pour le développement de la Banque Mondiale. Mais l’aide internationale sans l’appropriation des politiques mises en œuvre par les autorités locales ne sert pas à grand-chose. Le problème ne se pose d’ailleurs pas que dans le cadre de l’aide aux pays en développement, mais de manière générale pour les politiques de l’eau partout dans le monde : la problématique de l’eau souffre cruellement d’un manque d’attractivité pour les politiciens et autres décideurs : elle nécessite une approche à long terme, peu compatible avec le rythme des cycles électoraux ; elle intéresse peu les électeurs qui ne perçoivent pas les problèmes de l’eau ou bénéficient d’un accès à l’eau subventionné ; les résultats des mesures adoptées ne se voient pas (des infrastructures enfouies, des systèmes d’irrigation en zone rurale…), et leur bénéfice politique est donc maigre en regard des coûts qui sont eux gigantesques. La problématique de l’eau est éminemment politique [46]
[46]
Voir Mollinga Peter P., « Water, politics and development :… et sociale, bien davantage que technique, et cela implique des processus longs d’apprentissage et d’appropriation des bonnes pratiques [47]
[47]
Voir Pahl-Wostl Claudia, Marc Craps, Art Dewulf, Erik Mostert,….

Conclusion
36Il ne fait pas de doute que parmi les nombreux défis du développement durable, l’accès à l’eau figure parmi les plus cruciaux, tant la ressource est vitale. La dimension environnementale du défi est évidente : il s’agit de préserver une ressource menacée non pas tant d’épuisement que de détérioration de sa qualité, et ce dans la perspective de pouvoir en garantir l’accès à une population mondiale amenée à augmenter pendant encore plusieurs décennies. La dimension économique ne l’est pas moins : l’accès à l’eau est un paramètre clé du développement, et donc encore trop souvent un obstacle majeur en la matière, évidemment surtout dans les pays pauvres dont la croissance repose encore beaucoup sur les activités agricoles fortement consommatrices d’eau. La dimension sociale enfin ne doit pas être sous-estimée : l’accès à l’eau donne lieu à des inégalités de toutes sortes, entre pays ayant la maîtrise de la ressource et ceux en étant privés, entre régions abondantes en eau et régions arides, entre riches et pauvres selon les moyens de payer l’accès à la ressource, entre femmes et hommes selon les modalités sociétales de gestion de la ressource localement…

37Les solutions pour faire face à ces nombreux défis sont nécessairement multiples, et doivent être coordonnées de manière à tenir compte des logiques naturelles de reproduction de la ressource. Elles doivent être adaptées au contexte local, exigent de combiner des principes pas toujours faciles à appliquer (vérité des prix, droits d’usage, gestion communautaire), nécessitent la participation de toutes les parties prenantes (populations locales, puissance publique, entreprise…), et ne doivent jamais perdre de vue que les politiques de l’eau doivent articuler autant que faire se peut gestion efficace de la ressource et solidarité envers les plus nécessiteux.

Notes
[1]
Voir Kundzewicz Z. W., L. J. Mata, N. W. Arnell, P. Döll, B. Jimenez, K. Miller, T. Oki, Z. Sen et I. Shiklomanov, “The implications of projected climate change for fresh water resources and their management”, in Hydrological Sciences Journal, 53 : 1, 2008, p. 3-10 ; ainsi que FAO, Coping with water scarcity : An action framework for agriculture and food security, FAO Water Reports, 2008.
[2]
Les prélèvements correspondent aux quantités d’eau que les activités humaines détournent du cycle de l’eau pour les différentes utilisations qui en sont faites ; la consommation est la différence entre les prélèvements et ce qui est restitué au cycle de l’eau. Autrement dit la consommation mesure la partie de la ressource qui n’est plus disponible pour des usages ultérieurs.
[3]
Et dans des cas extrêmes à des situations catastrophiques, comme l’affaissement de la ville de Mexico par épuisement de la nappe souterraine qui alimente la ville.
[4]
Voir le rapport du 2030 Water Resources Group, Charting our water future – Economic fameworks to inform decision-making, 2009. p. 11-13.
[5]
La courbe de Kuznets en U inversé implique que certains problèmes environnementaux trouvent leur solution au-delà d’un certain niveau de développement, par accumulation de moyens d’y faire face et augmentation des préoccupations environnementales de populations plus riches. La courbe est avérée pour des problèmes tels que la pollution atmosphérique en milieu urbain.
[6]
Voir Hoekstra A. Y. et A. K. Chapagain, “Water footprints of nations : Water use by people as a function of their consumption pattern”, in Water Resources Management, 2007 (21), p. 35-48.
[7]
Les prélèvements pour les activités agricoles représentent 3 % du total en GB contre 41 % pour les États-Unis.
[8]
95 % de la population active au Bhoutan pour le cas extrême, au-delà de 75 % dans la majeure partie des cas, contre moins de 5 % typiquement dans un pays riche.
[9]
C’est même pour certains auteurs le paramètre dominant pour le développement à long terme. Voir Simonovic Slobodan P., “World water dynamics : global modeling of water resources”, in Journal of Environmental Management, 2002 (00), p. 1-19.
[10]
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la moitié des conséquences de la malnutrition sont causées par des problèmes sanitaires et d’hygiène liés aux difficultés d’accès à l’eau.
[11]
Les situations de stress hydrique sont définies en référence à l’indicateur développé par Malin Falkenmark en 1986, qui établit un niveau minimum de ressources en eau pour assurer une qualité de vie acceptable dans un pays moyennement développé dans une zone aride. En deçà de 1 700 m³ par an et par habitant (4 660 litres par jour), on diagnostique une situation de tensions potentielles entre ressources et besoins. En deçà de 1 000 m³ (2 740 litres par jour), on parle de pénurie chronique. En deçà de 500 m³ (1 370 litres par jour), on considère que la population fait face à une « pénurie absolue » d’eau.
[12]
Voir OCDE, Perspectives de l’environnement de l’OCDE à l’horizon 2050 – Les conséquences de l’inaction (Chap. 5), 2012, pour une perspective globale de ces questions.
[13]
Voir Sachs Jeffrey D., John W. McArthur, Guido Schmidt-Traub, Margaret Kruk, Chandrika Bahadur, Michael Faye et Gordon McCord, Ending Africa’s poverty trap, Brookings Papers on Economic Activity, 2004, p. 117-240.
[14]
Voir http://go.worldbank.org/4IZG6P9JI0.
[15]
Voir Tortajada Cecilia, “Water management in Singapore”, in : International Journal of Water Resources Development, Vol 22 (2), 2006, p. 227-240.
[16]
Voir le site du Pacific Institute in California pour une liste complète des conflits de l’eau à travers l’histoire. http://www.worldwater.org/chronology.html
[17]
Et Israël exerce une pression impitoyable en la matière, avec pour résultat un écart énorme d’accès à l’eau pour les deux populations : selon Amnesty International, les prélèvements d’eau quotidiens palestiniens sont de 70 litres, contre 300 litres en Israël.
[18]
Voir Sohnle Jochen, « Le dispositif juridique de l’Europe pour appréhender les conflits transfrontaliers sur l’eau », in : Lex Electronica, Vol 12, n° 2, automne 2007. http://www.lex-electronica.org/articles/v12-2/sohnle.pdf. Consultable sur http://www.lex-electronica.org/docs/articles_22.pdf.
[19]
Officiellement depuis le 28 juillet 2010 par une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies.
[20]
Pour un panorama complet des solutions envisageables, voir Seckler (2003) et FAO (2008, p. 36-38).
[21]
Pour une application de ce principe au cas de l’Inde, voir 2030 Water Resources Group (2009, p. 19).
[22]
Voir Salomon J., « Le dessalement de l’eau de mer est-il une voie d’avenir ? », in : Revista de Geografia et Ordenamenta do Territorio, n° 1 (juin), 2012, p. 237-262.
[23]
Voir FAO, Water at a glance : The relationship between water, agriculture, food security and poverty, FAO Water Reports, 2010. Consultable sur http://www.fao.org/nr/water/docs/FAO_recycling_society_web.pdf.
[24]
Voir FAO FAO, Coping with water scarcity : An action framework for agriculture and food security, FAO Water Reports, 2008, p. 38-41).
[25]
Voir Falkenmark M. et J. Rockström, “The new blue and green water paradigm : Breaking new ground for water resources planning and management”, in Journal of Water Resources Planning and Management, Mai-Juin 2006, p. 129-132.
[26]
Voir Sachs et al. (2004, p. 26-27).
[27]
Voir The Economist, For want of a drink – À special report on water, 22 mai 2010, p. 8-9).
[28]
On compte en Inde 20 millions d’utilisateurs de puits individuels pour les usages domestiques ou agricoles. Il est de fait impossible de comptabiliser les prélèvements d’eau dans ces conditions.
[29]
Voir Baechler Laurent, « Le prix de l’eau », in : L’eau : Enjeux et conflits, Nouveaux Mondes, CRES Ed, 2003, pour une perspective d’ensemble.
[30]
Voir Perry Chris, Pricing savings, valuing losses and measuring costs : Do we really know how to talk about improved water management ?, 2008.
[31]
Ostrom (2010 pour la traduction française) propose un tour d’horizon fascinant de ces situations de gestion locale de ressources communes, qui lui a valu le Prix Nobel d’économie en 2009.
[32]
Voir Gleick Peter H., The World’s Water (vol 7), Pacific Institute, 2011, p. 79).
[33]
Voir Hoekstra A. Y., Virtual water trade : Proceedings of the international expert meeting on virtual water trade, IHE Delft, 2003, et Allan John A., Virtual Water : Tackling the threat to our planet’s most precious resource, I.B. Tauris, 2011, pour une perspective globale.
[34]
L’Arabie saoudite utilise ses ressources en eau et en pétrole (qui sert au dessalement de l’eau) pour irriguer des champs de blé qui pourrait être importé à moindre frais de l’extérieur. Voir OCDE (2012, chap. 5).
[35]
Voir Whittington Dale, Xun Wu et Claudia Sadoff, “Water resources management in the Nile Basin : The economic value of cooperation”, in Water Policy (7), 2005, p. 227-252.
[36]
Voir Zeitoun Mark et Naho Mirumachi, “Transboundary water interaction : Reconsidering conflict and cooperation”, in International Environmental Agreements, 2008 (8), p. 297-316.
[37]
Ce que fait par exemple le mécanisme de développement propre du Protocole de Kyoto qui permet d’échanger des réductions d’émissions contre des transferts de technologie entre pays riches et pays en développement.
[38]
Voir Pahl-Wostl Claudia, “Transitions towards adaptive management of water facing climate and global change”, in Water Resources Management, 2007 (21), p. 49-62.
[39]
Voir Jonch-Clausen Torkil, Integrated water resources management and water efficiency plans by 2005 : Why, what and how ?, Global Water Partnership, 2004.
[40]
Voir Medema Wietske, B. S. McIntosh et P. J. Jeffrey, “From premise to practice : A critical assessment of integrated water resources management and adaptative management approaches in the water sector”, in Ecology and Society, 13 (2) : 29, 2008, pour une synthèse.
[41]
Voir Berger Thomas, Regina Birner, José Diaz, Nancy McCarthy et Heidi Wittmer, “Capturing the complexity of water uses and water users within a multi-agent framework”, in Water Resources Management, 2007 (21), p. 129-148, pour une application au cas du Chili.
[42]
Voir Gleick Peter H., Gary Wolff, Elizabeth L. Chalecki et Rachel Reyes, The new economy of water – The risks and benefits of globalization and privatization of fresh water, Pacific Institute, 2002, pour une analyse des risques et bénéfices de la privatisation des services de l’eau.
[43]
Elinor Ostrom, op. cit., 2010.
[44]
Voir Van Koppen Barbara, Mark Giordano, John Butterworth et Everisto Mapedza, Community-based water law and water resource management reform in developing countries : rationale, contents and key messages, CAB Inbternational, 2007.
[45]
Voir Banque mondiale, Strengthen, Secure, Sustain, Water Partnership Program Report, 2012.
[46]
Voir Mollinga Peter P., « Water, politics and development : Framing a political sociology of water resources management », in : Water Alternatives, 1 (2008), p. 7-23.
[47]
Voir Pahl-Wostl Claudia, Marc Craps, Art Dewulf, Erik Mostert, David Tabara et Tharsi Taillieu, “Social Learning and Water Resources Management”, in Ecology and Society, 12 (2) : 5, 2007. http://www.ecologyandsociety.org/vol12/iss2/art5/.

Environnement- Ressource eau : une dangereuse financiarisation

Environnement- Ressource eau : une dangereuse financiarisation

 tribune dans le Monde par ​​​​​​Patrice Fonlladosa*

 

 

Lundi 7 décembre 2020 : une première sinistre à la Bourse d’échange de marché à terme à Chicago, avec l’introduction de contrats à court terme sur l’eau, les premiers du genre. D’un bien commun faisant l’objet d’un droit adopté par les Nations Unies en juillet 2010, voilà qu’il deviendrait une commodité exclusive et privée, dans la directe ligne de pensée de l’économiste australien Mike Young.

Les arguments évoqués – parfois contradictoires, à contresens et singuliers – mélangent allégrement rareté, régulation dite « optimale », protection de la ressource, économie de ses usages, jusqu’à cette déclaration qui ne souffre d’aucune ambiguïté : « Ce n’est pas parce que l’eau est la vie qu’elle ne doit pas avoir un prix », a affirmé à l’automne dernier Willem H. Buiter, l’ex-chef économiste de Citigroup, aujourd’hui professeur invité à l’Université de Colombia.

Imaginés pour répondre aux besoins de régulation du marché agricole californien, ces outils financiers ne répondent à aucune des causes de la rareté, des pollutions ou des impacts du changement climatique. Droit de propriété aliénable ? Droit d’utilisation monnayable ? En fait, deux visions s’opposent radicalement : celle de la ressource naturelle exploitable et celle du bien commun fondamental partageable.

Car, si les océans couvrent 70 % de la planète, seuls 0,26 % reste disponible en eau fraîche utilisable pour les besoins humains, selon l’Unesco et l’Institut américain d’études géologiques (USGS). Alors que plus de 1,6 milliard de personnes n’ont toujours pas accès à l’eau potable et que les impacts du changement climatique et de l’urbanisation sans frein commencent seulement à se faire sentir depuis une décennie, des financiers imaginent – et mettent en œuvre – des instruments de couverture de risque liés à la rareté d’un bien vital.

Ce n’est pas un signal faible mais une alerte à ne pas prendre à la légère et qui semble pourtant à la fois peu relayé et très défendu par plusieurs établissements financiers de premier rang (BNP Paribas, Citigroup, Macquarie, pour n’en citer que quelques-uns). Dès lors, cet « indicateur » va sans nul doute – et rapidement – voir son reflet apparaître dans d’autres pays et, en Afrique où les réserves hydrauliques sont très importantes, susciter de potentielles prédations.

L’Organisation des Nations Unies anticipait déjà dès 2020 une « concentration des ressources pour les acteurs majeurs, au détriment des plus modestes ». On est loin de « l’hydrosolidarité » mise en avant régulièrement depuis quinze ans… Et, si l’on n’y prend garde, par des mesures de régulation raisonnée basées sur des politiques publiques affirmées, ces guerres de l’eau jusqu’à présent presque toujours évitées seront notre futur proche.

Aux conflits d’usages déjà existants, n’ajoutons pas ce sel amer de la spéculation financière, car si le service de l’eau a un coût – il faut bien pomper, produire, traiter, distribuer – l’eau comme ressource n’a, elle, pas de prix.

​​*Ancien administrateur du Medef et ex-président du comité Afrique du Medef international, ​​​​​​Patrice Fonlladosa préside aujourd’hui le think tank (Re)sources.

Environnement- Ressource eau : une dangereuse financiarisation

Environnement- Ressource eau : une dangereuse financiarisation

 tribune dans le Monde par ​​​​​​Patrice Fonlladosa*

 

 

Lundi 7 décembre 2020 : une première sinistre à la Bourse d’échange de marché à terme à Chicago, avec l’introduction de contrats à court terme sur l’eau, les premiers du genre. D’un bien commun faisant l’objet d’un droit adopté par les Nations Unies en juillet 2010, voilà qu’il deviendrait une commodité exclusive et privée, dans la directe ligne de pensée de l’économiste australien Mike Young.

Les arguments évoqués – parfois contradictoires, à contresens et singuliers – mélangent allégrement rareté, régulation dite « optimale », protection de la ressource, économie de ses usages, jusqu’à cette déclaration qui ne souffre d’aucune ambiguïté : « Ce n’est pas parce que l’eau est la vie qu’elle ne doit pas avoir un prix », a affirmé à l’automne dernier Willem H. Buiter, l’ex-chef économiste de Citigroup, aujourd’hui professeur invité à l’Université de Colombia.

Imaginés pour répondre aux besoins de régulation du marché agricole californien, ces outils financiers ne répondent à aucune des causes de la rareté, des pollutions ou des impacts du changement climatique. Droit de propriété aliénable ? Droit d’utilisation monnayable ? En fait, deux visions s’opposent radicalement : celle de la ressource naturelle exploitable et celle du bien commun fondamental partageable.

Car, si les océans couvrent 70 % de la planète, seuls 0,26 % reste disponible en eau fraîche utilisable pour les besoins humains, selon l’Unesco et l’Institut américain d’études géologiques (USGS). Alors que plus de 1,6 milliard de personnes n’ont toujours pas accès à l’eau potable et que les impacts du changement climatique et de l’urbanisation sans frein commencent seulement à se faire sentir depuis une décennie, des financiers imaginent – et mettent en œuvre – des instruments de couverture de risque liés à la rareté d’un bien vital.

Ce n’est pas un signal faible mais une alerte à ne pas prendre à la légère et qui semble pourtant à la fois peu relayé et très défendu par plusieurs établissements financiers de premier rang (BNP Paribas, Citigroup, Macquarie, pour n’en citer que quelques-uns). Dès lors, cet « indicateur » va sans nul doute – et rapidement – voir son reflet apparaître dans d’autres pays et, en Afrique où les réserves hydrauliques sont très importantes, susciter de potentielles prédations.

L’Organisation des Nations Unies anticipait déjà dès 2020 une « concentration des ressources pour les acteurs majeurs, au détriment des plus modestes ». On est loin de « l’hydrosolidarité » mise en avant régulièrement depuis quinze ans… Et, si l’on n’y prend garde, par des mesures de régulation raisonnée basées sur des politiques publiques affirmées, ces guerres de l’eau jusqu’à présent presque toujours évitées seront notre futur proche.

Aux conflits d’usages déjà existants, n’ajoutons pas ce sel amer de la spéculation financière, car si le service de l’eau a un coût – il faut bien pomper, produire, traiter, distribuer – l’eau comme ressource n’a, elle, pas de prix.

​​*Ancien administrateur du Medef et ex-président du comité Afrique du Medef international, ​​​​​​Patrice Fonlladosa préside aujourd’hui le think tank (Re)sources.

Ressource eau : une dangereuse financiarisation

La financiarisation de la ressource eau, tribune dans le monde Par ​​​​​​Patrice Fonlladosa*

 

 

Lundi 7 décembre 2020 : une première sinistre à la Bourse d’échange de marché à terme à Chicago, avec l’introduction de contrats à court terme sur l’eau, les premiers du genre. D’un bien commun faisant l’objet d’un droit adopté par les Nations Unies en juillet 2010, voilà qu’il deviendrait une commodité exclusive et privée, dans la directe ligne de pensée de l’économiste australien Mike Young.

Les arguments évoqués – parfois contradictoires, à contresens et singuliers – mélangent allégrement rareté, régulation dite « optimale », protection de la ressource, économie de ses usages, jusqu’à cette déclaration qui ne souffre d’aucune ambiguïté : « Ce n’est pas parce que l’eau est la vie qu’elle ne doit pas avoir un prix », a affirmé à l’automne dernier Willem H. Buiter, l’ex-chef économiste de Citigroup, aujourd’hui professeur invité à l’Université de Colombia.

Imaginés pour répondre aux besoins de régulation du marché agricole californien, ces outils financiers ne répondent à aucune des causes de la rareté, des pollutions ou des impacts du changement climatique. Droit de propriété aliénable ? Droit d’utilisation monnayable ? En fait, deux visions s’opposent radicalement : celle de la ressource naturelle exploitable et celle du bien commun fondamental partageable.

Car, si les océans couvrent 70 % de la planète, seuls 0,26 % reste disponible en eau fraîche utilisable pour les besoins humains, selon l’Unesco et l’Institut américain d’études géologiques (USGS). Alors que plus de 1,6 milliard de personnes n’ont toujours pas accès à l’eau potable et que les impacts du changement climatique et de l’urbanisation sans frein commencent seulement à se faire sentir depuis une décennie, des financiers imaginent – et mettent en œuvre – des instruments de couverture de risque liés à la rareté d’un bien vital.

Ce n’est pas un signal faible mais une alerte à ne pas prendre à la légère et qui semble pourtant à la fois peu relayé et très défendu par plusieurs établissements financiers de premier rang (BNP Paribas, Citigroup, Macquarie, pour n’en citer que quelques-uns). Dès lors, cet « indicateur » va sans nul doute – et rapidement – voir son reflet apparaître dans d’autres pays et, en Afrique où les réserves hydrauliques sont très importantes, susciter de potentielles prédations.

L’Organisation des Nations Unies anticipait déjà dès 2020 une « concentration des ressources pour les acteurs majeurs, au détriment des plus modestes ». On est loin de « l’hydrosolidarité » mise en avant régulièrement depuis quinze ans… Et, si l’on n’y prend garde, par des mesures de régulation raisonnée basées sur des politiques publiques affirmées, ces guerres de l’eau jusqu’à présent presque toujours évitées seront notre futur proche.

Aux conflits d’usages déjà existants, n’ajoutons pas ce sel amer de la spéculation financière, car si le service de l’eau a un coût – il faut bien pomper, produire, traiter, distribuer – l’eau comme ressource n’a, elle, pas de prix.

​​*Ancien administrateur du Medef et ex-président du comité Afrique du Medef international, ​​​​​​Patrice Fonlladosa préside aujourd’hui le think tank (Re)sources.




L'actu écologique |
bessay |
Mr. Sandro's Blog |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | astucesquotidiennes
| MIEUX-ETRE
| louis crusol