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Repenser l’Europe

Repenser l’Europe

 

Dans sa leçon inaugurale au Collège de France, jeudi 4 avril, dont « Le Monde » publie un extrait, le philosophe allemand , Peter Sloterdijk ,s’interroge sur l’identité de l’Europe, après avoir réussi une improvisation politique qui n’était pas prévue dans les scénarios de l’histoire du monde : l’Union européenne. 

Après le 11 septembre 2001, des obstacles inattendus ont contrecarré les ambitions sécuritaires croissantes des Européens, il n’est pas nécessaire de les commenter ici en détail. Il ne nous est toujours pas facile d’expliquer où nous en sommes avec nous-mêmes et le reste du monde. Cette superbe formule, « reste du monde », paraît anachronique dans la bouche d’Européens de notre temps, il y flotte encore aussi un peu d’amertume. On ne peut se défaire de l’impression que le « monde » se produit depuis longtemps ailleurs, tandis que nous-mêmes nous retrouvons dans le reste.Dans son essai L’Autre Cap [Editions de Minuit, 1991], écrit peu après la chute du mur de Berlin, à l’occasion d’un congrès à Turin, Jacques Derrida se consacre au souci de savoir si une nouvelle monstruosité ne pouvait pas naître du caractère de « restant » qui s’attachait à l’Europe, qu’on l’appelle « décentrage » ou « provincialisation ». Pendant un moment, il a paru plausible de se demander si « l’Ouest », dans son ensemble, n’allait pas voir pousser sur son corps de nouvelles têtes de dragon après l’effondrement de l’Union soviétique. Tout se passait comme si nous entendions une exhortation à nous garder des pensées qui s’agitaient presque inéluctablement dans nos esprits, après que le colosse de l’Est européen était tombé de ses pieds d’argile ! Il pouvait y avoir des pensées de dragon tapies à l’arrière-plan, attendant la première occasion de faire leur retour.

Pour que l’Europe du futur soit comprise correctement, il faut la penser comme avec une tête coupée. Le corps de dragon de jadis, composé d’une douzaine de « pays mères », comme on les appelait, et de leurs extensions coloniales, ce composite monstrueux que nous avons cru mort, au plus tard, à partir de l’« année africaine » que fut 1960 [quand 18 anciennes colonies acquirent leur indépendance], ou, à la rigueur, de la signature des accords d’Evian, qui marquèrent la fin de la guerre d’Algérie en mars 1962, ce composite, donc, devait être enterré et rester scellé sous une plaque massive. Que le demi-cadavre de la Russie impériale ait été secoué par les convulsions du réveil, après s’être fait passer pour mort pendant soixante-neuf ans sous l’enveloppe soviétique, cela devrait tout aussi peu nous induire en erreur, en dépit de la satisfaction que nous procure la marche des choses, que le triomphalisme des libéraux américains, lesquels voyaient d’un seul coup se dégager la voie menant à la domination unique des Etats-Unis sur le monde.

Ecole: repenser l’autorité

Ecole: repenser l’autorité

Les récentes émeutes suite à la mort de Nahel Merzouk ont suscité de nouvelles polémiques sur le thème de la « perte » de l’autorité et la nécessité de sa « restauration ». Une des caractéristiques frappantes de ces épisodes rhétoriques est de ne pas sembler, année après année, parvenir à capitaliser les apports d’un certain nombre de travaux en sciences humaines. Pourtant, des recherches à la jonction des sciences de l’éducation et de la philosophie sont à même d’éclairer prises de position dans ce registre. Arrêtons-nous sur deux de ces apports, la distinction et le fait de découpler pouvoir et autorité d’une part, les rapports de cette dernière aux mutations inhérentes à la modernité démocratique d’autre part, puis ouvrons une piste pour mieux comprendre la place de l’autorité dans les démocraties occidentales du XXIe siècle.

par Camille Roelens
Chercheur en sciences de l’éducation, Université de Lille
dans The Conversation

Un article intéressant pour ouvrir le débat sur l’autorité dans les sociétés modernes mais qui demeure cependant encore assez flou. NDLR

Rappelons d’abord que la confusion entre autorité et pouvoir est sans doute ce qui obscurcit le plus la capacité d’analyse dans ce domaine. C’est elle qu’il faut d’abord dissiper.

Il existe pourtant des critères simples pour y parvenir. Le pouvoir admet la contrainte, et exige simplement en démocratie que celle-ci soit cadrée dans son ampleur et ses méthodes par le droit. C’est pourquoi on parle d’État de droit ou que l’on dit que « force doit rester à la loi ». Souvent, ainsi, les appels à « restaurer l’autorité » sont en fait des appels à accroitre le pouvoir de contrainte de la puissance publique (ou des parents), au besoin en s’affranchissant d’un certain nombre de protections touchant par exemple à la vie privée ou encore à la liberté d’expression et d’association.

Le débat sur le juste dosage du recours à ce que le philosophe et sociologue Max Weber appelait « le monopole de la contrainte légitime » est en lui-même intéressant et important, mais ne concerne l’autorité qu’à la marge. Celle-ci en effet exclut par définition la contrainte : elle est une forme d’influence reconnue comme légitime et admise sans qu’elle ait besoin de s’imposer par la force.

Cette légitimité a longtemps pu être de nature religieuse ou traditionnelle, ce qui, effectivement, a tendu à s’effacer progressivement dans la modernité démocratique, même si cela a été plus longtemps prégnant dans certains contextes et certains domaines (celui de l’éducation ou de la santé par exemple) que d’autres. Aujourd’hui, dans un autre registre, les formulations impératives que nous suivons souvent sans pour autant craindre de représailles dans le cas contraire sont toujours légion, des conseils de nutrition (« mangez, bougez ») aux invitations amicales (« parle-moi », « appelle-moi quand tu passes dans la région »).

L’autorité est une forme d’influence reconnue comme légitime et admise sans qu’elle ait besoin de s’imposer par la force.
Longtemps, les individus en position de pouvoir et d’autorité ont été de fait les mêmes (un pater familias romain par exemple), et se trouvaient ainsi en position d’obtenir de force (par le pouvoir) ce qu’ils pouvaient aussi obtenir souvent de gré (par autorité).

Une complexité contemporaine se niche dans le fait que, très souvent, ces rôles sont désormais découplés. Bien des influenceurs ont un effet sur le comportement d’autres individus sans avoir aucune possibilité de les contraindre en quoi que ce soit. Bien des institutions publiques n’ont au fond plus que la contrainte qu’elles peuvent exercer sur les individus (y compris dans le strict respect du cadre légal) pour agir sur eux.

D’un côté, la contrainte au prisme du couple droit-pouvoir est une dimension inévitable de la vie sociale, fût-elle démocratique, d’un autre côté, elle ne peut être le seul ordinaire des interactions entre les individus, sauf à se trouver, justement, dans une situation critique et éruptive. L’autorité, au fond, est ce qui fluidifie, quand elle « fonctionne », la vie sociale, en réduisant la contrainte effective à l’exception, et non à la règle.

Tenir présentement un discours cohérent sur l’autorité est donc inséparable de l’adoption d’une position claire dans la compréhension de la modernité démocratique elle-même. Hannah Arendt jugeait ainsi que la modernité condamnait l’autorité dans le domaine politique en sapant les piliers de la religion et de la tradition qui l’étayait, mais qu’il fallait pouvoir continuer à pouvoir compter sous sa forme traditionnelle dans le domaine éducatif. C’est pourquoi elle prescrivait de séparer ce domaine des autres (et des passions démocratiques qui s’y instillent).

Des analystes ultérieurs de la modernité démocratique, comme Marcel Gauchet, pensent au contraire que nous vivons désormais dans un nouveau monde, soit un univers où les compromis entre tradition et modernité ne peuvent plus avoir cours, et où il est exigé des acteurs une certaine cohérence entre les principes dont ils se réclament dans les différentes dimensions de la vie sociale.

La tendance à pester contre la perte d’autorité par rapport aux temps jadis ou à rêver du retour de l’autorité qui régnait alors devrait donc en bonne logique s’accompagner d’éléments plus pratiques pour en garantir la crédibilité.

Cela pourrait être une explicitation plus claire de ce qu’impliquerait un renoncement global à la modernité démocratique qui rendrait ce projet possible, ou encore une description fine de l’art par lequel le tri effectif entre ce qui peut se moderniser et se démocratiser ou non serait fait et pourrait faire consensus. Il y a fort à penser que les déclarations d’intention fracassantes, si nombreuses dans ce registre, ne sortiraient pas indemnes d’un tel exercice…

Désormais, dans un monde hypermoderne dans tant d’autres registres, l’autorité peut aussi peu être restaurée sous sa forme traditionnelle qu’elle ne peut simplement quitter la scène et laisser place au règne du pouvoir de contraindre, avec la seule régulation du droit.

Il s’agit, en d’autres termes, d’apprendre à penser désormais l’autorité dans la démocratie (comprise comme un mode de vie plus encore qu’un régime politique) et non contre elle – en appelant à un maintien de l’ordre plus autoritaire – ou en dehors d’elle – en pensant pouvoir soustraire certains domaines de la vie sociale à son empire.

Sans doute gagne-t-on, pour ce faire, à tenir compte de deux éléments massifs dans l’Occident où nous vivons en ce début de XXIe siècle, qu’une autre caractéristique majeure de bien des discours publics sur l’autorité est de minorer voire de passer sous silence.

Le premier est le phénomène que Tocqueville, déjà, au début du XIXe siècle identifiait et baptisait l’individualisme démocratique dans De la démocratie en Amérique. Dans les temps démocratiques, les individus agissent plus par quête de leur bien-être singulier que par fidélité à quelque tradition ou devoir collectif, et c’est une donnée dont la réflexion sur la paix sociale doit aussi partir.

Le deuxième est un fait dont Rawls pointe la centralité, dans Libéralisme politique, pour comprendre nos sociétés démocratiques contemporaines, et qu’il appelle le fait de pluralisme : il est vain d’espérer que tous les individus de sociétés libres et ouvertes partagent les mêmes valeurs et idéaux de vie, il faut donc organiser entre eux une coexistence pacifique et juste.

La prise en compte de ces deux éléments invite à repenser l’autorité comme une « proposition d’influence formulée par un individu et à laquelle un autre consent (sans contrainte) », ce qui implique d’une part qu’elle doit pouvoir être perçue, ressentie et vécue par les individus auxquels elle est adressée comme un point d’appui et non un obstacle vers leur bien-être. D’autre part, il ne saurait, dans une société pluraliste, y avoir un seul modèle d’autorité pensable en bloc, mais plutôt une infinité de nuances dans les manières de s’approprier ce type de relation interindividuelle.

Prix Electricité : repenser la régulation

Prix Electricité : repenser la régulation

par
Jean Pascal Brivady
Professeur, EM Lyon Business School

Abdel Mokhtari
Economiste, Chargé de cours, EM Lyon Business School dans The Conversation

La modification du contexte géopolitique et la perspective d’un monde moins ouvert ont remis sur le devant de la scène le concept de souveraineté. Relocaliser de nombreuses productions industrielles, considérées comme stratégiques (molécules pharmaceutiques ou chimiques, semi-conducteurs, construction automobile, voire certaines matières premières comme le lithium par exemple) fait partie de l’agenda public. Les groupes industriels concernés ne seront cependant enclins à rapatrier leur production que dans la mesure où les investissements permettent de rester compétitif sur leurs marchés.

Stabilité de l’environnement règlementaire, qualité des infrastructures, niveau d’éducation de la population, possibilité de disposer de subventions, tous ces paramètres entrent en ligne de compte au moment de prendre pareille décision. D’autres facteurs sont de nature plus économique, parmi lesquels, dans le cas précis de l’industrie, le coût de l’électricité et sa maîtrise sur le long terme.

La France et l’Allemagne l’avaient bien compris en optant chacun pour une solution garantissant sur plus de 20 ans, des prix bas de l’électricité via la construction du parc électro nucléaire en France et l’accès au gaz russe en Allemagne. Cet équilibre a été brutalement rompu par le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Or, le conflit ne semble pas une simple parenthèse : deux tendances de fond sont en effet d’ores et déjà à l’œuvre. D’une part, la transition écologique accélérée dans laquelle s’est engagée l’Europe va entrainer une hausse de 35 % environ de la demande au-delà de 2030, ce qui suppose à la fois une augmentation des capacités, le passage à une production décarbonée, et une adaptation du réseau de transport.

D’autre part, les concurrents économiques de l’Europe investissent massivement pour garantir la compétitivité de leurs industries. Les États-Unis ont, par exemple, opté pour l’option la plus simple qui consiste à attribuer des subventions massives, dans le cadre notamment de l’Inflation Reduction Act. Pour rester dans le jeu, l’Union européenne est donc aujourd’hui contrainte de réagir.

Plusieurs facteurs déterminent le prix de l’électricité. Une partie a trait aux infrastructures. On note, par exemple, un effet d’expérience en cas de passage du prototype à un ensemble d’unités. Dans le cas des réacteurs pressurisés européens (EPR), l’Ademe estime le coût du mégawattheure à 110-120 euros pour le seul site de Flamanville, susceptible d’être ramené à 70 euros à compter de la 4e unité mise en service.

L’innovation intervient également. Par exemple, l’évolution technologique des éoliennes a permis de multiplier leur puissance par 60 entre 1985 et 2015. Il en résulte une baisse régulière du prix de production moyen de 130-190 euros en 2000 à 60-110 euros actuellement.

Outre le coût des matières premières, l’état de santé financière des opérateurs joue également. Ce sont néanmoins des évolutions de nature fiscale qui ont le plus fait varier le prix du mégawattheure au cours de la dernière décennie.

À 15 ans, les différents scénarios anticipent une accélération de la croissance de la demande en électricité résultant d’une part de la transition énergique (habitat, transport) et d’autre part de la relocalisation industrielle. De là résulterait une inadéquation durable entre l’offre et la demande compte tenu des incertitudes inhérentes au déploiement des nouvelles infrastructures (en termes de coûts et de délais), d’autant plus que la transition énergétique requiert principalement de l’électricité décarbonée.

Ces scénarios laissent anticiper à la fois une hausse tendancielle des prix mais également une forte augmentation de la volatilité. Mettre en place les conditions d’une offre d’électricité durablement compétitive suppose donc de maîtriser ces deux risques.

Une faible volatilité des prix permet aux producteurs de pouvoir garantir sur le très long terme le remboursement des dettes destinées à financer les infrastructures. Il s’agirait donc d’une invitation à investir, notamment pour une transition verte. Pour les clients consommateurs, cela permet de mieux prévoir et donc de maîtriser leurs dépenses.

Pour la limiter, plusieurs options sont ouvertes : diversifier le mix de production en faveur des capacités dont la part de coût variable est la plus faible possible, développer des solutions de « stockage » de l’électricité, ou surdimensionner la capacité de production par rapport à la demande attendue. Toutes ont en commun une mise en œuvre longue et complexe, et le risque d’accroitre sensiblement les coûts de production. La meilleure solution consiste donc à améliorer les mécanismes du marché actuel, en particulier avec le développement sa composante à long terme (maturités supérieures à 2 ans)

Pour ce qui est du niveau des prix, deux aspects nous paraissent source de réflexion. Le premier a trait à l’ouverture à la concurrence, impulsée par une directive de 1996. Le postulat consiste à considérer qu’une concurrence accrue présente un impact positif sur les prix à long terme. Il a poussé à réduire la position des opérateurs historiques pour faire place à de nouveaux entrants. En France, par exemple, avec « l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique » (Arenh), les concurrents d’EDF peuvent accéder à la rente issue de la production des centrales nucléaires à des conditions fixées par l’administration.

Le bilan s’avère globalement négatif. En premier lieu, l’évolution du prix moyen de vente du mégawattheure à l’industrie en Europe depuis 1991 démontre qu’il n’y a pas de relation significative entre niveau de la concurrence et prix, puisque ce dernier reste avant tout conditionné par des facteurs de nature conjoncturelle. Ensuite, en cas de crise, la volatilité est hors de contrôle. Enfin, la situation financière de l’opérateur historique est fortement pénalisée et handicape d’autant sa capacité à investir.

L’autre postulat suppose une optimisation de la capacité de production, donc que la réponse à une demande supplémentaire provienne de la dernière unité mise en production – en l’espèce pour des raisons techniques, des centrales thermiques et soit donc valorisée sur la base du coût marginal de cette dernière unité. Or c’est justement ce mode de calcul qui est à l’original de l’envolée du prix du mégawattheure et de l’explosion de la volatilité. Il convient donc de mettre en œuvre un autre mode de calcul à défaut de quoi le coût de la volatilité viendra gonfler de manière disproportionnée, l’inflation induite par la hausse de la demande.

Parmi les solutions envisageables, outre les changements relatifs à l’organisation de la production décrits précédemment, certains acteurs ont formulé des propositions au moment de l’invasion de l’Ukraine. Le gouvernement grec, notamment, a soumis en juillet 2022 à l’Union européenne, un modèle visant à segmenter le marché de gros en deux compartiments distincts.

D’un côté, il y aurait les centrales à coûts marginaux faibles mais à coûts fixes élevés, produisant lorsqu’elles sont disponibles (nucléaires et énergie renouvelables). De l’autre côté, les centrales à coûts variables élevés (qui produisent à partir des combustibles fossiles), qui produiraient à la demande et contribueraient à équilibrer le marché en complément des productions évoquées précédemment. Les premières ne seraient plus rémunérées sur la base des coûts marginaux, mais recevraient un prix couvrant leur coût moyen de long terme, appelé Levelized Cost of Electricity. Le prix payé par le consommateur résulterait d’une moyenne pondérée des prix observés dans chacun des deux compartiments du marché.

Ce système présente l’avantage de rémunérer les producteurs en fonction de leur coût réel de production, plutôt que de se baser sur le coût des centrales fossiles et provoquer ainsi une baisse du coût moyen de l’électricité. De plus, en lissant les anticipations des prix futurs, elle devrait mécaniquement réduire la volatilité potentielle.

Voilà pourquoi, pour faire de la maîtrise du prix de l’énergie un socle de la compétitivité industrielle, il parait nécessaire de remettre en cause des postulats qui ont prévalu à l’organisation de la production sur les 20 dernières années et qui ont eu pour effet d’affaiblir les anciens monopoles sans véritable contrepartie mesurable sur le plan économique. Et ce alors que le défi de la transition énergétique passe par un effort d’investissement colossal, dont le succès repose, au-delà du cadre que nous venons de décrire, sur une parfaite coordination sur les plans technique, industriel et institutionnel. Si les acteurs privés ont leur place dans le dispositif, le rôle du maître d’œuvre sera déterminant.

Énergie–Electricité : repenser la régulation

Énergie–Electricité : repenser la régulation

par
Jean Pascal Brivady
Professeur, EM Lyon Business School

Abdel Mokhtari
Economiste, Chargé de cours, EM Lyon Business School dans The Conversation

La modification du contexte géopolitique et la perspective d’un monde moins ouvert ont remis sur le devant de la scène le concept de souveraineté. Relocaliser de nombreuses productions industrielles, considérées comme stratégiques (molécules pharmaceutiques ou chimiques, semi-conducteurs, construction automobile, voire certaines matières premières comme le lithium par exemple) fait partie de l’agenda public. Les groupes industriels concernés ne seront cependant enclins à rapatrier leur production que dans la mesure où les investissements permettent de rester compétitif sur leurs marchés.

Stabilité de l’environnement règlementaire, qualité des infrastructures, niveau d’éducation de la population, possibilité de disposer de subventions, tous ces paramètres entrent en ligne de compte au moment de prendre pareille décision. D’autres facteurs sont de nature plus économique, parmi lesquels, dans le cas précis de l’industrie, le coût de l’électricité et sa maîtrise sur le long terme.

La France et l’Allemagne l’avaient bien compris en optant chacun pour une solution garantissant sur plus de 20 ans, des prix bas de l’électricité via la construction du parc électro nucléaire en France et l’accès au gaz russe en Allemagne. Cet équilibre a été brutalement rompu par le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Or, le conflit ne semble pas une simple parenthèse : deux tendances de fond sont en effet d’ores et déjà à l’œuvre. D’une part, la transition écologique accélérée dans laquelle s’est engagée l’Europe va entrainer une hausse de 35 % environ de la demande au-delà de 2030, ce qui suppose à la fois une augmentation des capacités, le passage à une production décarbonée, et une adaptation du réseau de transport.

D’autre part, les concurrents économiques de l’Europe investissent massivement pour garantir la compétitivité de leurs industries. Les États-Unis ont, par exemple, opté pour l’option la plus simple qui consiste à attribuer des subventions massives, dans le cadre notamment de l’Inflation Reduction Act. Pour rester dans le jeu, l’Union européenne est donc aujourd’hui contrainte de réagir.

Plusieurs facteurs déterminent le prix de l’électricité. Une partie a trait aux infrastructures. On note, par exemple, un effet d’expérience en cas de passage du prototype à un ensemble d’unités. Dans le cas des réacteurs pressurisés européens (EPR), l’Ademe estime le coût du mégawattheure à 110-120 euros pour le seul site de Flamanville, susceptible d’être ramené à 70 euros à compter de la 4e unité mise en service.

L’innovation intervient également. Par exemple, l’évolution technologique des éoliennes a permis de multiplier leur puissance par 60 entre 1985 et 2015. Il en résulte une baisse régulière du prix de production moyen de 130-190 euros en 2000 à 60-110 euros actuellement.

Outre le coût des matières premières, l’état de santé financière des opérateurs joue également. Ce sont néanmoins des évolutions de nature fiscale qui ont le plus fait varier le prix du mégawattheure au cours de la dernière décennie.

À 15 ans, les différents scénarios anticipent une accélération de la croissance de la demande en électricité résultant d’une part de la transition énergique (habitat, transport) et d’autre part de la relocalisation industrielle. De là résulterait une inadéquation durable entre l’offre et la demande compte tenu des incertitudes inhérentes au déploiement des nouvelles infrastructures (en termes de coûts et de délais), d’autant plus que la transition énergétique requiert principalement de l’électricité décarbonée.

Ces scénarios laissent anticiper à la fois une hausse tendancielle des prix mais également une forte augmentation de la volatilité. Mettre en place les conditions d’une offre d’électricité durablement compétitive suppose donc de maîtriser ces deux risques.

Une faible volatilité des prix permet aux producteurs de pouvoir garantir sur le très long terme le remboursement des dettes destinées à financer les infrastructures. Il s’agirait donc d’une invitation à investir, notamment pour une transition verte. Pour les clients consommateurs, cela permet de mieux prévoir et donc de maîtriser leurs dépenses.

Pour la limiter, plusieurs options sont ouvertes : diversifier le mix de production en faveur des capacités dont la part de coût variable est la plus faible possible, développer des solutions de « stockage » de l’électricité, ou surdimensionner la capacité de production par rapport à la demande attendue. Toutes ont en commun une mise en œuvre longue et complexe, et le risque d’accroitre sensiblement les coûts de production. La meilleure solution consiste donc à améliorer les mécanismes du marché actuel, en particulier avec le développement sa composante à long terme (maturités supérieures à 2 ans)

Pour ce qui est du niveau des prix, deux aspects nous paraissent source de réflexion. Le premier a trait à l’ouverture à la concurrence, impulsée par une directive de 1996. Le postulat consiste à considérer qu’une concurrence accrue présente un impact positif sur les prix à long terme. Il a poussé à réduire la position des opérateurs historiques pour faire place à de nouveaux entrants. En France, par exemple, avec « l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique » (Arenh), les concurrents d’EDF peuvent accéder à la rente issue de la production des centrales nucléaires à des conditions fixées par l’administration.

Le bilan s’avère globalement négatif. En premier lieu, l’évolution du prix moyen de vente du mégawattheure à l’industrie en Europe depuis 1991 démontre qu’il n’y a pas de relation significative entre niveau de la concurrence et prix, puisque ce dernier reste avant tout conditionné par des facteurs de nature conjoncturelle. Ensuite, en cas de crise, la volatilité est hors de contrôle. Enfin, la situation financière de l’opérateur historique est fortement pénalisée et handicape d’autant sa capacité à investir.

L’autre postulat suppose une optimisation de la capacité de production, donc que la réponse à une demande supplémentaire provienne de la dernière unité mise en production – en l’espèce pour des raisons techniques, des centrales thermiques et soit donc valorisée sur la base du coût marginal de cette dernière unité. Or c’est justement ce mode de calcul qui est à l’original de l’envolée du prix du mégawattheure et de l’explosion de la volatilité. Il convient donc de mettre en œuvre un autre mode de calcul à défaut de quoi le coût de la volatilité viendra gonfler de manière disproportionnée, l’inflation induite par la hausse de la demande.

Parmi les solutions envisageables, outre les changements relatifs à l’organisation de la production décrits précédemment, certains acteurs ont formulé des propositions au moment de l’invasion de l’Ukraine. Le gouvernement grec, notamment, a soumis en juillet 2022 à l’Union européenne, un modèle visant à segmenter le marché de gros en deux compartiments distincts.

D’un côté, il y aurait les centrales à coûts marginaux faibles mais à coûts fixes élevés, produisant lorsqu’elles sont disponibles (nucléaires et énergie renouvelables). De l’autre côté, les centrales à coûts variables élevés (qui produisent à partir des combustibles fossiles), qui produiraient à la demande et contribueraient à équilibrer le marché en complément des productions évoquées précédemment. Les premières ne seraient plus rémunérées sur la base des coûts marginaux, mais recevraient un prix couvrant leur coût moyen de long terme, appelé Levelized Cost of Electricity. Le prix payé par le consommateur résulterait d’une moyenne pondérée des prix observés dans chacun des deux compartiments du marché.

Ce système présente l’avantage de rémunérer les producteurs en fonction de leur coût réel de production, plutôt que de se baser sur le coût des centrales fossiles et provoquer ainsi une baisse du coût moyen de l’électricité. De plus, en lissant les anticipations des prix futurs, elle devrait mécaniquement réduire la volatilité potentielle.

Voilà pourquoi, pour faire de la maîtrise du prix de l’énergie un socle de la compétitivité industrielle, il parait nécessaire de remettre en cause des postulats qui ont prévalu à l’organisation de la production sur les 20 dernières années et qui ont eu pour effet d’affaiblir les anciens monopoles sans véritable contrepartie mesurable sur le plan économique. Et ce alors que le défi de la transition énergétique passe par un effort d’investissement colossal, dont le succès repose, au-delà du cadre que nous venons de décrire, sur une parfaite coordination sur les plans technique, industriel et institutionnel. Si les acteurs privés ont leur place dans le dispositif, le rôle du maître d’œuvre sera déterminant.

Electricité : repenser la régulation

Electricité : repenser la régulation

par
Jean Pascal Brivady
Professeur, EM Lyon Business School

Abdel Mokhtari
Economiste, Chargé de cours, EM Lyon Business School dans The Conversation

La modification du contexte géopolitique et la perspective d’un monde moins ouvert ont remis sur le devant de la scène le concept de souveraineté. Relocaliser de nombreuses productions industrielles, considérées comme stratégiques (molécules pharmaceutiques ou chimiques, semi-conducteurs, construction automobile, voire certaines matières premières comme le lithium par exemple) fait partie de l’agenda public. Les groupes industriels concernés ne seront cependant enclins à rapatrier leur production que dans la mesure où les investissements permettent de rester compétitif sur leurs marchés.

Stabilité de l’environnement règlementaire, qualité des infrastructures, niveau d’éducation de la population, possibilité de disposer de subventions, tous ces paramètres entrent en ligne de compte au moment de prendre pareille décision. D’autres facteurs sont de nature plus économique, parmi lesquels, dans le cas précis de l’industrie, le coût de l’électricité et sa maîtrise sur le long terme.

La France et l’Allemagne l’avaient bien compris en optant chacun pour une solution garantissant sur plus de 20 ans, des prix bas de l’électricité via la construction du parc électro nucléaire en France et l’accès au gaz russe en Allemagne. Cet équilibre a été brutalement rompu par le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Or, le conflit ne semble pas une simple parenthèse : deux tendances de fond sont en effet d’ores et déjà à l’œuvre. D’une part, la transition écologique accélérée dans laquelle s’est engagée l’Europe va entrainer une hausse de 35 % environ de la demande au-delà de 2030, ce qui suppose à la fois une augmentation des capacités, le passage à une production décarbonée, et une adaptation du réseau de transport.

D’autre part, les concurrents économiques de l’Europe investissent massivement pour garantir la compétitivité de leurs industries. Les États-Unis ont, par exemple, opté pour l’option la plus simple qui consiste à attribuer des subventions massives, dans le cadre notamment de l’Inflation Reduction Act. Pour rester dans le jeu, l’Union européenne est donc aujourd’hui contrainte de réagir.

Plusieurs facteurs déterminent le prix de l’électricité. Une partie a trait aux infrastructures. On note, par exemple, un effet d’expérience en cas de passage du prototype à un ensemble d’unités. Dans le cas des réacteurs pressurisés européens (EPR), l’Ademe estime le coût du mégawattheure à 110-120 euros pour le seul site de Flamanville, susceptible d’être ramené à 70 euros à compter de la 4e unité mise en service.

L’innovation intervient également. Par exemple, l’évolution technologique des éoliennes a permis de multiplier leur puissance par 60 entre 1985 et 2015. Il en résulte une baisse régulière du prix de production moyen de 130-190 euros en 2000 à 60-110 euros actuellement.

Outre le coût des matières premières, l’état de santé financière des opérateurs joue également. Ce sont néanmoins des évolutions de nature fiscale qui ont le plus fait varier le prix du mégawattheure au cours de la dernière décennie.

À 15 ans, les différents scénarios anticipent une accélération de la croissance de la demande en électricité résultant d’une part de la transition énergique (habitat, transport) et d’autre part de la relocalisation industrielle. De là résulterait une inadéquation durable entre l’offre et la demande compte tenu des incertitudes inhérentes au déploiement des nouvelles infrastructures (en termes de coûts et de délais), d’autant plus que la transition énergétique requiert principalement de l’électricité décarbonée.

Ces scénarios laissent anticiper à la fois une hausse tendancielle des prix mais également une forte augmentation de la volatilité. Mettre en place les conditions d’une offre d’électricité durablement compétitive suppose donc de maîtriser ces deux risques.

Une faible volatilité des prix permet aux producteurs de pouvoir garantir sur le très long terme le remboursement des dettes destinées à financer les infrastructures. Il s’agirait donc d’une invitation à investir, notamment pour une transition verte. Pour les clients consommateurs, cela permet de mieux prévoir et donc de maîtriser leurs dépenses.

Pour la limiter, plusieurs options sont ouvertes : diversifier le mix de production en faveur des capacités dont la part de coût variable est la plus faible possible, développer des solutions de « stockage » de l’électricité, ou surdimensionner la capacité de production par rapport à la demande attendue. Toutes ont en commun une mise en œuvre longue et complexe, et le risque d’accroitre sensiblement les coûts de production. La meilleure solution consiste donc à améliorer les mécanismes du marché actuel, en particulier avec le développement sa composante à long terme (maturités supérieures à 2 ans)

Pour ce qui est du niveau des prix, deux aspects nous paraissent source de réflexion. Le premier a trait à l’ouverture à la concurrence, impulsée par une directive de 1996. Le postulat consiste à considérer qu’une concurrence accrue présente un impact positif sur les prix à long terme. Il a poussé à réduire la position des opérateurs historiques pour faire place à de nouveaux entrants. En France, par exemple, avec « l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique » (Arenh), les concurrents d’EDF peuvent accéder à la rente issue de la production des centrales nucléaires à des conditions fixées par l’administration.

Le bilan s’avère globalement négatif. En premier lieu, l’évolution du prix moyen de vente du mégawattheure à l’industrie en Europe depuis 1991 démontre qu’il n’y a pas de relation significative entre niveau de la concurrence et prix, puisque ce dernier reste avant tout conditionné par des facteurs de nature conjoncturelle. Ensuite, en cas de crise, la volatilité est hors de contrôle. Enfin, la situation financière de l’opérateur historique est fortement pénalisée et handicape d’autant sa capacité à investir.

L’autre postulat suppose une optimisation de la capacité de production, donc que la réponse à une demande supplémentaire provienne de la dernière unité mise en production – en l’espèce pour des raisons techniques, des centrales thermiques et soit donc valorisée sur la base du coût marginal de cette dernière unité. Or c’est justement ce mode de calcul qui est à l’original de l’envolée du prix du mégawattheure et de l’explosion de la volatilité. Il convient donc de mettre en œuvre un autre mode de calcul à défaut de quoi le coût de la volatilité viendra gonfler de manière disproportionnée, l’inflation induite par la hausse de la demande.

Parmi les solutions envisageables, outre les changements relatifs à l’organisation de la production décrits précédemment, certains acteurs ont formulé des propositions au moment de l’invasion de l’Ukraine. Le gouvernement grec, notamment, a soumis en juillet 2022 à l’Union européenne, un modèle visant à segmenter le marché de gros en deux compartiments distincts.

D’un côté, il y aurait les centrales à coûts marginaux faibles mais à coûts fixes élevés, produisant lorsqu’elles sont disponibles (nucléaires et énergie renouvelables). De l’autre côté, les centrales à coûts variables élevés (qui produisent à partir des combustibles fossiles), qui produiraient à la demande et contribueraient à équilibrer le marché en complément des productions évoquées précédemment. Les premières ne seraient plus rémunérées sur la base des coûts marginaux, mais recevraient un prix couvrant leur coût moyen de long terme, appelé Levelized Cost of Electricity. Le prix payé par le consommateur résulterait d’une moyenne pondérée des prix observés dans chacun des deux compartiments du marché.

Ce système présente l’avantage de rémunérer les producteurs en fonction de leur coût réel de production, plutôt que de se baser sur le coût des centrales fossiles et provoquer ainsi une baisse du coût moyen de l’électricité. De plus, en lissant les anticipations des prix futurs, elle devrait mécaniquement réduire la volatilité potentielle.

Voilà pourquoi, pour faire de la maîtrise du prix de l’énergie un socle de la compétitivité industrielle, il parait nécessaire de remettre en cause des postulats qui ont prévalu à l’organisation de la production sur les 20 dernières années et qui ont eu pour effet d’affaiblir les anciens monopoles sans véritable contrepartie mesurable sur le plan économique. Et ce alors que le défi de la transition énergétique passe par un effort d’investissement colossal, dont le succès repose, au-delà du cadre que nous venons de décrire, sur une parfaite coordination sur les plans technique, industriel et institutionnel. Si les acteurs privés ont leur place dans le dispositif, le rôle du maître d’œuvre sera déterminant.

Violences: repenser l’éducation-des-garcons

Violences: repenser-l’éducation-des-garcons


Alors que les modèles traditionnels sont remis en cause dans la société, on assiste au renforcement d’un masculin défensif qui valorise les codes virils de puissance et de destruction chez des garçons en situation d’échec, analyse la sociologue Christine Castelain Meunier dans une tribune au « Monde ».

Rien ne justifie la violence, mais la violence à laquelle nous venons d’assister est révélatrice d’une situation qui n’a cessé de se dégrader. Elle témoigne notamment de l’inadéquation des réponses éducatives aux transformations profondes de la société et de la jeunesse.

Certes, de nombreuses initiatives de professeurs, d’animateurs, d’éducateurs, de médiateurs, de mères, parfois aussi de pères, ainsi que d’acteurs économiques, sportifs ou du spectacle, et bien d’autres encore, ont réellement du sens, mais elles se transforment rapidement en gouttes d’eau face à l’ampleur du défi éducatif auquel nous devons faire face.

Dans le débat public, l’éducation est aujourd’hui sur la sellette. Certains font la promotion de l’éducation bienveillante quand d’autres réclament de l’autorité et des punitions. Mais de quelle autorité parle-t-on ? La puissance paternelle qui prévalait à l’échelle de l’histoire a été remplacée en 1970-1972 par l’autorité parentale, exercée par les deux parents, puis en 1993 a été promu le principe de coparentalité.

On est passé ainsi de la « paternité institutionnelle », fondée sur la différence de rôles, de places, de fonctions entre le père et la mère à la « coparentalité relationnelle », fondée sur la communication, la négociation des places et des rôles entre l’homme et la femme et le partage de l’autorité parentale. Cette évolution nécessaire bouscule bien des repères, quand par ailleurs, sur les huit millions de familles avec enfants de moins de 18 ans, 1,9 million sont des familles monoparentales, soit 23 % (chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques).

Alors que les modèles traditionnels du masculin sont largement contestés dans la société, on assiste au renforcement d’un masculin défensif chez des garçons en situation d’échec. La remise en question des inégalités femmes-hommes exacerbe le malaise de l’exclusion et un sentiment d’injustice déjà bien présent, en générant pour certains jeunes hommes une chute du piédestal qui peut se traduire par une révolte, un défi à l’autorité.

Repenser l’OTAN en Europe

Repenser l’OTAN en Europe

 

Alors que se tient, fin juin à Madrid, un sommet de l’Alliance atlantique visant à définir son nouveau concept stratégique, le directeur de la division « recherche » au Collège de l’OTAN, Thierry Tardy, détaille, dans une tribune au « Monde », les quatre points d’équilibre à trouver dans un environnement mondial complexe et incertain.

 

Une réflexion sans doute utile quand on constate que les occidentaux sont bien impuissants à aider suffisamment un petit pays comme l’Ukraine face à la Russie. Même si l’Ukraine ne fait pas parti de l’OTAN, c’est évidemment un allié de l’Occident.La question qui se pose est de savoir si le temps serait plus efficace en cas d’attaque par exemple d’un pays balte par la Russie NDLR

 

Une nouvelle fois dans son histoire, l’OTAN est confrontée à une situation de grande incertitude stratégique. L’évolution et la complexité des menaces, le bouleversement constitué par une Russie impériale et guerrière, l’émergence de la Chine et la compétition stratégique qu’elle implique sont autant de marqueurs d’un environnement incertain, qui défie l’ensemble des acteurs de la sécurité et de la défense.

C’est dans ce contexte que l’Alliance atlantique va adopter, lors de son sommet du 28 au 30 juin à Madrid, son nouveau concept stratégique, douze années après celui de Lisbonne en 2010. Le document brossera le portrait dudit environnement, définira le mandat et les objectifs de l’OTAN pour les années qui viennent, et portera le message d’une Alliance à la fois pertinente et faisant preuve d’une constante adaptation. Dans ce débat, pourtant, les alliés devront s’entendre sur un certain nombre de points d’équilibre, qui détermineront l’avenir de l’Alliance.

En premier lieu, l’OTAN doit trouver le juste équilibre entre, d’une part, son mandat principal d’alliance militaire autour des concepts de dissuasion et de défense et, d’autre part, sa présence dans un champ sécuritaire élargi. Bien sûr, la guerre en Ukraine a repositionné l’OTAN sur la défense collective et son article 5, selon lequel une attaque contre l’un des alliés sera considérée comme une attaque contre l’organisation tout entière. Mais la diversification des menaces a aussi conduit l’Alliance à investir d’autres domaines de nature hybride, telles la cybersécurité, la lutte contre le terrorisme, mais aussi la lutte contre la désinformation ou, plus récemment, la contribution à la réponse au changement climatique. L’OTAN peut difficilement se tenir à l’écart de ces défis tant ils touchent la sécurité de ses Etats membres, mais elle doit aussi veiller à ne pas diluer son mandat dans des tâches pour lesquelles elle n’offrirait que peu de valeur ajoutée.

Le deuxième dilemme qu’il conviendra de trancher est celui du rôle régional ou global de l’OTAN. L’Alliance doit-elle se concentrer sur la zone euro-atlantique telle que définie dans son propre traité constitutif ou doit-elle se projeter en dehors, dans la mesure où les menaces existantes l’y obligent ? Vingt-cinq années de gestion des crises, des Balkans à l’Afghanistan, en passant par le golfe d’Aden et la Libye, offrent un bilan mitigé, et les alliés ne sont plus disposés à se réengager dans de telles opérations. Mais, aujourd’hui, l’agenda global est surtout déterminé par la Chine, qui pose la question du rôle de l’OTAN dans la zone Asie-Pacifique. Pour le moment, le défi chinois a surtout été perçu dans sa dimension européenne, notamment en lien avec les investissements chinois dans les nouvelles technologies ou les infrastructures critiques, ou les attaques cyber. Mais qu’en sera-t-il lorsque, le pivot américain vers l’Asie aidant, l’OTAN sera sollicitée pour contribuer à la réponse occidentale au défi chinois ? Et quel serait l’impact d’une implication de l’OTAN en Asie pour le mandat de défense collective de la zone euro-atlantique ?

Afrique: repenser la formation ?

Afrique: repenser la formation ?

 

Francis Akindes  sociologue en Côte d’Ivoire interroge le contenu de la formation en Afrique de l’Ouest jugée inadaptée notamment aux besoins de l’économie dans( l’Opinion). Un problème qui n’est pas spécifique à l’Afrique mais qui concerne tout autant des pays comme la France.

En outre contrairement à la France, nombre de pays d’Afrique de l’Ouest ont conservé un solide système de formation élémentaire ( et avec des classes parfois dans le public de 50 à 60 élèves quand en France on ne parvient pas à maîtriser une classe de 25!).  La situation commence à se dégrader en secondaire et surtout en supérieur où les enseignants sont rémunérés de manière dérisoire. Certes la formation mérite d’être repensée pour tenir compte des évolutions structurelles de notre économie et de notre société mais l’autre problème est celui de l’offre  d’emploi significative pour  éviter la fuite des qualifications et des cerveaux. NDLR

 

Tribune

L’Afrique compte aujourd’hui 400 millions de jeunes âgés de 15 à 35 ans, soit 33 % de la population – une classe d’âge en quête d’opportunités, mais frappée par un taux de chômage important. Comment créer des emplois et les opportunités d’accès à ces emplois si, dans le même temps, l’on ne trouve guère de solution au nœud gordien de l’inadéquation entre l’offre d’éducation et les besoins du marché du travail ?

La transformation radicale du système éducatif reste l’un des plus grands défis des Etats en Afrique de l’Ouest. Pourquoi ? Avec, à l’horizon 2050, une population de 2,5 milliards d’habitants, soit un quart de la population mondiale, et actuellement une population composée de plus de 400 millions de jeunes âgés de 15 à 35 ans, soit 33 % de la population du continent, l’Afrique dispose théoriquement d’un important atout : la jeunesse de sa population.

Selon l’Organisation internationale du travail, la part active de cette population jeune en Afrique augmente rapidement. Si en 2020, les jeunes âgés de 15 à 24 ans représentaient moins d’un quart (24 %) de la population mondiale en âge de travailler, ils comptaient pour plus d’un tiers (34 %) en Afrique. Mais, au lieu d’être vue comme une ressource, cette tranche d’âge est plutôt redoutée sur le continent et perçue comme une source de risque politique, en raison du fort taux de chômage qui la frappe. En Afrique du Sud, l’actualité nous apprend ainsi qu’un taux record de 66 % des 15-24 ans cherchent un emploi…

Des croissances non inclusives. La tendance du chômage ne s’inversera pas si rien n’est fait pour la corriger. Car l’on projette d’ici à 2030, l’arrivée chaque année de 30 millions de jeunes Africains sur le marché du travail. Comment transformer cette ressource en capital humain et en faire une part active de l’émergence tant attendue ? Or, la Banque africaine de développement relève depuis quelques années, un paradoxe saisissant : celui de la performance améliorée des pays africains en termes de croissance économique (5-9 %), mais sans création d’emplois.

L’inefficacité relative des systèmes de formation. Dans les agences de développement, les débats sur la croissance « inclusive » et le dividende démographique vont bon train. Comme l’illustre une étude de l’Unesco de 2011, un consensus semble se dégager sur l’inefficacité relative des systèmes éducatifs et de formation. Ceux-ci peinent à transformer le potentiel démographique en capital humain. En découle la contradiction suivante : les systèmes éducatifs forment des personnes dont le marché du travail n’a pas besoin, tandis que le marché du travail a des besoins de compétences auxquels les systèmes éducatifs ne forment pas.

Alors que l’Union africaine propose une stratégie continentale pour l’enseignement et la formation techniques et professionnels en faveur de l’emploi des jeunes, des pistes viennent de politiques nationales, comme au Bénin et en Côte d’Ivoire.

Le Bénin en fait une priorité nationale. Le Bénin illustre le problème de la surqualification, et une volonté politique forte de s’attaquer à la question. Le pays doit en effet insérer 39 % de chômeurs (25-34 ans) et gérer 75 000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail, avec un risque de doublement de cet effectif à l’horizon 2025. Il lui faut également corriger la tendance notée chez les élèves à s’orienter plutôt vers l’enseignement général que technique (respectivement 97 % contre seulement 3 %). L’on comprend aisément qu’un tel déséquilibre soit à la source de distorsions structurelles sur le marché du travail.

Les autorités tentent de relever le défi à travers un plan sectoriel pour l’éducation post-2015 et une « stratégie nationale de l’enseignement technique et la formation professionnelle ». Pour le gouvernement mené par le président Patrice Talon, à l’échéance 2026, l’objectif est de relever le niveau en mettant en place des formations adaptées au marché du travail, en concertation avec les acteurs économiques. Pour ce faire, un investissement important a été consenti pour créer et équiper 47 lycées techniques dans les secteurs de l’agriculture (en particulier du coton), l’énergie, le numérique, les infrastructures, les transports et le tourisme ainsi que sept écoles de référence dans l’énergie, le numérique, le BTP, l’automobile, l’eau, le bois, l’aluminium et le tourisme.

Formations de masse en Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire, toujours en Afrique de l’Ouest, a de son côté lancé des écoles « de la seconde chance » et appuie les formations qualifiées dans la filière des énergies renouvelables. Entre 350 000 et 400 000 jeunes rejoignent chaque année la population en âge de travailler. Face aux contraintes de chômage presque identiques à celles du Bénin, le gouvernement a mis en place le programme dénommé « Une Côte d’Ivoire solidaire pour l’insertion et l’autonomisation des jeunes ». Sept établissements de formation professionnelle répartis sur l’étendue du territoire sont en construction.

Un programme « Ecole de la deuxième chance » cherche à reconvertir certains diplômés sans emploi, accompagner les jeunes sans diplôme ou qualification dans des métiers à visée d’insertion rapide. Un tel programme de formation de masse vise à l’horizon 2030 à traiter un stock de 1 million de personnes sans emploi ou mal insérées.

Aussi, depuis la crise sociopolitique de 2010, la relance appelle d’importantes transformations, notamment dans l’énergie. Le gouvernement a opté pour un mix énergétique composé à 40 % de renouvelables, dont au moins 6 % d’énergie solaire à l’horizon 2030. Ces choix engendrent un besoin de main-d’œuvre qualifiée. Ce à quoi l’Etat tente de répondre à travers des partenariats internationaux, comme le système de double diplôme entre l’Institut National Polytechnique Félix Houphouët-Boigny et l’Université Sorbonne Paris Nord dans le domaine de la gestion durable des déchets.

Ces efforts reflètent certes une conscience politique des efforts à consentir, mais ne doivent pas se limiter à l’accélération des formations professionnelles. Les capacités d’insertion se démultiplieront si et seulement si elles intègrent au primaire et secondaire une culture de créativité, de l’innovation et de l’initiative entrepreneuriale, avec ce que cela appelle comme compétences en matière de maîtrise du digital. Car l’école d’aujourd’hui en Afrique ne peut plus ressembler à celle d’hier, si elle veut être l’incubatrice des jeunes acteurs inventifs apportant des solutions aux besoins de leur société.

Francis Akindes est sociologue. Il enseigne à l’Université Alassane Ouattara de Bouaké en Côte d’Ivoire.

Repenser la social-démocratie

Repenser la social-démocratie

 

 

 

La gauche française n’a plus aucune cohérence. Dans l’état où elle se trouve, elle n’a plus la moindre chance d’accéder au pouvoir. Cette situation est grave pour le pays. Notre démocratie est affaiblie, notre société fracturée, notre économie en déclin relatif, nos finances publiques lourdement déficitaires. Or, comme l’a montré l’histoire européenne, seule une gauche de gouvernement, animée à la fois par une volonté de changement et les principes de liberté et d’égalité, a la capacité, éventuellement en coalition avec d’autres forces démocrates, de relever de tels défis. La pensée sociale-démocrate est à cet égard incontournable.

 

Un collectif d’anciens rocardiens regroupés autour du cercle IAG (Inventer à gauche), présidé par Michel Destot, ancien maire socialiste de Grenoble, lance un « Manifeste pour la social-démocratie ». Les signataires de cette tribune au « Monde » rédigée par Jean Peyrelevade appellent à écrire un nouveau chapitre de l’histoire de la gauche de gouvernement.

La marque la plus visible de l’affaiblissement de notre démocratie est la monopolisation croissante d’un pouvoir verticalisé par une élite sociologiquement homogène et restreinte. Dans l’Etat jacobin comme dans les entreprises, le pouvoir réel est capté par une minorité réduite qui oublie le peuple. (La social-technocratie de Hollande par exemple NDLR)

D’où ce manifeste autour des points fondamentaux suivants : la réforme de nos institutions, la relation au pouvoir de chaque citoyen, dans l’ordre politique comme dans l’ordre économique et social, la modernisation de notre système de protection sociale et la lutte contre toutes les formes d’inégalités, le retour à la compétitivité de notre appareil productif, la révolution climatique, le projet européen.

Le président exerce en France un pouvoir de plus en plus centralisé. Cette évolution, continue depuis plusieurs années, a été fortement accélérée par l’adoption du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral qui a ramené l’Assemblée nationale au rôle d’une chambre d’enregistrement. Il nous paraît dès lors indispensable : au niveau national, d’abandonner le quinquennat et la simultanéité obligée des élections présidentielle et législatives et de renforcer le rôle du Parlement ; de revoir complètement notre système de décentralisation afin d’une part de le simplifier et d’autre part donner à chaque échelon territorial toutes les compétences qu’il peut légitimement exercer, au plus près des citoyens.

 

Nous vivons dans une économie de marché. Aucun autre système, compatible avec la démocratie, n’a fait la preuve de son efficacité. Mais la social-démocratie ne se confond pas avec le social-libéralisme. L’entreprise a un intérêt social qui dépasse, et de loin, le seul intérêt des actionnaires. Dans cet esprit, il faut que la France se mette enfin au diapason de ses voisins d’Europe du Nord et bascule d’un capitalisme actionnarial, facteur de fracture sociale, à un capitalisme de codécision. Cela passe par une gouvernance immédiatement dualiste (conseil de surveillance et directoire) des grandes entreprises. Puis, dans un second temps, par de vrais pouvoirs de codécision reconnus en faveur des comités sociaux et économiques.

Repenser le rapport de l’Europe au Monde

Repenser le rapport de l’Europe au Monde (Josep Borrell)

 

Le haut représentant de l’Union de  la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne estime qu’il faut repenser les rapports de l’Europe au monde. (les « Echos »)

 

Pensez-vous que la pression internationale et les sanctions contre la Russie peuvent faire plier Vladimir Poutine et le contraindre à arrêter la guerre ?

Je pense que l’économie russe va souffrir très durement des sanctions que nous avons décidées et notamment de la diminution progressive des achats de gaz et de pétrole. Mais la guerre ne va pas s’arrêter du jour au lendemain…

Êtes-vous favorable à un embargo sur les achats de gaz russe, comme l’ont décidé les Etats-Unis et le Royaume-Uni ?

Ce serait certainement la meilleure façon de faire si on pouvait se passer du gaz russe. Nous allons viser une réduction nette de notre dépendance et de nos achats le plus vite possible. La Commission a proposé en début de semaine un plan qui prévoit de diminuer de deux tiers l’utilisation de gaz russe d’ici à la fin de l’année et il faut que tout le monde coopère. A titre d’exemple, une baisse du chauffage de 1 °C par les ménages représenterait une diminution de 7 % de notre consommation de gaz.

 

Comment expliquer cette forte dépendance de l’Europe au gaz russe ?

Depuis que la Russie a envahi la Crimée en 2014, nous n’avons pas cessé d’alerter les Européens sur cette dépendance. Or, elle s’est encore accrue ! On consomme beaucoup plus de gaz russe qu’en 2014 et l’Allemagne a construit un deuxième gazoduc pour augmenter ses livraisons.

La guerre en Ukraine aura-t-elle aussi des conséquences pour les économies européennes ? Êtes-vous favorable à un nouveau fonds européen pour compenser ces dommages ?

Avec cette guerre, l’économie européenne va subir un troisième choc asymétrique, c’est-à-dire qui va coûter aux uns plus qu’aux autres, après la crise de l’euro et la pandémie. Certains pays comme la Hongrie sont dépendants du gaz russe à presque 100 %, d’autres comme l’Espagne, très peu.

Et puis ce qui va coûter, c’est l’aide aux réfugiés. Il y en a déjà 2 millions et bientôt ce sera beaucoup plus et les plus touchés sont les frontaliers. Il peut donc être très utile de mutualiser ces coûts. La situation demande à nouveau une réponse collective, comme cela a été le cas pour la pandémie. Il va falloir faire face à une poussée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, notamment le blé et les engrais. Il se pourrait aussi qu’il y ait un choc social si l’inflation est trop élevée.

Pensez-vous que les dépenses d’armement doivent être incluses dans ce plan ?

Certaines dépenses d’armement pour l’Ukraine sont financées par les fonds européens. Quant aux dépenses d’armement nationales, elles seront financées par les Etats.

Plusieurs pays européens ont décidé d’accroître leur budget militaire, l’Allemagne notamment mais est-ce que cela suffit à parler d’Europe de la Défense ?

On ne va pas créer une armée européenne et faire disparaître les armées nationales comme on a fait avec l’euro ! Mais la France qui préside actuellement le Conseil de l’Union européenne défend l’idée que l’Europe ait une capacité défensive propre . Il ne s’agit pas de se substituer à l’Otan mais d’être complémentaire. Nous devons être interopérables, commander en commun, éviter les duplications, se doter des capacités qu’on n’a pas.

Il y a un énorme travail à faire pour optimiser les dépenses militaires en Europe car elles sont très éparpillées. Tous ensemble, nous consacrons à la défense environ trois fois plus que la Russie et autant que la Chine mais on ne peut pas dire qu’on est aussi efficaces.

L’Europe de la défense revient en fait à renforcer le pilier européen de l’Otan ?

L’Europe doit se doter d’une capacité de réagir, et pour cela il faut que les Etats membres européens de l’Otan fassent un apport plus important à l’Alliance atlantique qui reste le moyen fondamental de la défense territoriale de l’Europe. Mais il y a des occasions et des lieux où l’Otan n’interviendra pas et où les Européens doivent pouvoir le faire.

Quand au début des années 1990, il y a eu la guerre des Balkans où l’on a reproduit, à moindre échelle, les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, les Européens n’avaient pas les moyens d’intervenir et ce sont les Etats-Unis qui l’ont fait via l’Otan. En Afrique, dans le Sahel, ce sont les Européens tous ensemble qui devraient être présents car l’Otan n’ira pas au Sahel .

 

Parce que la perception des menaces n’est pas la même selon qu’on est un pays balte ou un pays méditerranéen. Pour un Balte, c’est la menace russe qui occupe toutes vos préoccupations mais si vous vivez au Portugal, vous serez plus préoccupés par le risque migratoire et l’instabilité de l’Afrique qui vous touche plus directement. Si l’on veut construire une Union politique, nous devons cultiver une culture stratégique commune et cela prend du temps.

 

La menace russe était déjà bien présente, nos rapports s’étaient déjà beaucoup dégradés. On est entré dans un nouvel âge de nos rapports avec la Russie et cette guerre va marquer la politique européenne pendant longtemps. Elle va aussi servir d’accélérateur au réveil géopolitique de l’Europe. Il faudra notamment éliminer la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie car elle est devenue une arme dans les mains de Moscou.

En cinquante ans, on a assisté à un véritable processus de désarmement de l’Europe. On a profité des dividendes de la paix pour développer notre Sécurité sociale.

En 1975, au moment des accords d’Helsinki sur la sécurité en Europe, les dépenses militaires des pays européens avoisinaient les 4 % de leur PIB. Aujourd’hui, ils sont autour de 1,5 % . En cinquante ans, on a assisté à un véritable processus de désarmement de l’Europe. On a profité des dividendes de la paix pour développer notre Sécurité sociale. Mais aujourd’hui l’Europe doit repenser ses rapports au monde. Elle s’est imaginé qu’en favorisant l’Etat de droit et en multipliant les accords commerciaux, le monde allait évoluer vers une sorte de paix universelle basée sur la démocratie et l’économie de marché, mais cela ne s’est pas produit. La guerre en Ukraine est un accélérateur de cette prise de conscience.

Repenser la qualité des logements

Repenser la qualité des logements

il faudrait plutôt repenser la question de la qualité des logements, plaide le sociologue et urbaniste Yankel Fijalkow dans une tribune au « Monde ».(Extrait)

 

Tribune. La crise sanitaire et environnementale actuelle exacerbe la critique de l’urbanisation, et la promotion des territoires périphériques se porte au chevet des métropoles dites malades. Les campagnes et les petites villes seraient le nouveau remède à la suractivité urbaine : plus de nature, de lenteur et une meilleure santé.

Ce récit de la chute et de la rédemption n’est pas inédit. Comme l’a montré le philosophe Georges Canguilhem (1904-1995) pour la médecine, les récits sur le normal et le pathologique ligotent la pensée des urbanistes depuis au moins deux siècles.

Dès le XIXe siècle, les hygiénistes s’étaient attachés à promouvoir la santé publique en considérant les populations « en masse », à établir des statistiques et à cartographier des espaces insalubres destinés à être reconstruits selon les canons de l’architecture moderne.

Au début du XXe siècle, alors que les taux d’urbanisation culminaient en Europe occidentale, l’idéologie ruraliste taquinait les urbanistes, qui répliquaient avec des programmes incluant des parcs et des « espaces verts ».

Le contexte actuel atteste de la permanence des principes hygiénistes. Mais les failles de leur application montrent les moyens pour les dépasser.

Lors du premier confinement, les familles des métropoles et des banlieues, cloîtrées dans leurs petits appartements et privées d’espaces libres, ont mesuré la réduction de la notion de santé à la dimension physiologique. Leurs souffrances ont nourri la critique des logements collectifs, de la densité, de la dimension des appartements. De même, la crainte de la contagion et l’application du principe de solidarité, chère à Léon Bourgeois (1851-1925) [théoricien du solidarisme], ont subi quelques sérieuses entorses, malgré le repérage des « clusters » et les mesures de couvre-feu.

Face à l’hypothèse d’une obligation vaccinale, le gouvernement, sous la pression des petites revendications catégorielles ou individuelles, a multiplié les exceptions, rendant incompréhensible une stratégie générale. Etre ou non vacciné, disposer ou non d’un passe sanitaire, participer à la vie collective en virtuel ou en présentiel, résider ou non à l’écart des densités urbaines élevées et des sources de contamination : telles sont les variables qui agissent sur les comportements résidentiels contemporains. Quelle que soit la volonté des gouvernants pour soutenir l’activité économique, nos sociétés obéissent de plus en plus à une gestion sanitaire à la carte.

Repenser la sécurité routière

 

Repenser la sécurité routière

 

Alors que le nombre de tués stagne, celui des blessés ne cesse d’augmenter. Aussi est-il temps que la sécurité routière renoue avec une vision politique globale et structurée, estime l’avocat Vincent Julé-Parade dans une tribune au « Monde ».(extrait)

 

Après le rapport de la Cour des comptes du 1er juillet et à l’heure d’une nouvelle vague de départs en vacances, il est impératif de nous interroger sur l’avenir de la politique publique en faveur d’une meilleure sécurité routière. Vingt ans après l’élévation de la lutte contre l’insécurité routière au rang de cause nationale par Jacques Chirac, que reste-t-il de l’efficacité de cette politique publique ? Le nombre de tués stagne mais, depuis huit ans, la France connaît une augmentation du nombre de blessés. Le renforcement perpétuel du contrôle-sanction automatisé semble montrer ses limites.

Il est indispensable que la sécurité routière redevienne un volet de la politique publique à vision longue, globale et structurée. Parmi les propositions formulées par la Cour des comptes, la réorganisation de la délégation à la sécurité routière dans l’échiquier du gouvernement m’apparaît être un point essentiel, bien que très technocratique a priori.

Aujourd’hui, la sécurité routière doit retrouver sa dimension interministérielle. Seule une action coordonnée entre l’ensemble des ministères concernés (ministère de l’intérieur certes, mais également de l’écologie et des transports, de la justice, sans oublier l’éducation nationale, la jeunesse, mais aussi l’économie) permettra de redonner une vision globale et pérenne à cette politique publique. Pour ce faire, il convient d’aller plus loin que la préconisation de la Cour des comptes et de rattacher directement la délégation à la sécurité routière au premier ministre.

L’heure n’est plus aux déclarations d’intention à l’occasion de ponctuels comités interministériels, mais à l’organisation d’un plan d’action global.

Il est tout aussi essentiel d’axer la communication autour du nombre de blessés graves. Si la route tue moins aujourd’hui, elle blesse plus, elle mutile et brise des vies. Elle touche plus certaines catégories d’usagers, notamment les piétons et les cyclistes. La seule référence au nombre de tués est aujourd’hui dépassée. Parler des blessés graves, c’est aussi et surtout parler du bilan humain dramatique permanent. Je reste convaincu que le poids des conséquences corporelles de l’insécurité routière pourrait, de plus, favoriser l’adhésion collective souhaitée par la Cour des comptes.

Certes, la peur du gendarme doit naturellement être maintenue, voire renforcée s’agissant de l’alcool au volant. Mais pour ce faire, il faut nécessairement plus de moyens humains pour assurer l’efficience des contrôles. Là encore, la Cour des comptes appelle fort justement à un renforcement de la présence des forces de l’ordre sur le bord de nos routes. De même, le rôle du système pénal doit aussi être accentué. Dernier maillon de la chaîne contrôle-sanction, qu’il me soit permis de considérer qu’il lui reste encore à faire pour le voir jouer pleinement son rôle.

Travail : repenser les horaires et la mobilité

Travail : repenser les horaires et la mobilité

Les experts de la mobilité Christophe Gay, Sylvie Landriève et Agathe Lefoulon expliquent que la crise sanitaire liée au Covid-19 constitue une occasion de repenser la mobilité liée au travail. (dans le Monde extrait)

 

Tribune.

 

Chacun sait que le quotidien est structuré par le travail et le rythme de ses déplacements. Rien de nouveau ? Pas si sûr. La lutte contre la propagation du Covid-19 et la limitation incomparable de la liberté de mouvement qu’elle a engendrée est venue perturber un équilibre qu’on croyait stable depuis les années 1970 : le fameux « métro, boulot, dodo », qui colle à la vie dans les métropoles et qui donne l’impression de toujours courir après le temps perdu à se déplacer souvent, longuement, péniblement pour travailler. On ne croyait pas, on ne croyait plus, que cela pouvait encore changer.

Mars 2020 : tout s’est arrêté à l’exception du travail. Quid des déplacements qui vont avec ? Le confinement et ses corollaires (couvre-feu, interdiction de voyager sur le territoire et à l’étranger) ont figé deux tiers des Français, sommés de rester à domicile, pour une moitié d’entre eux à attendre la reprise et pour l’autre à se débrouiller en travaillant à distance.

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Le télétravail a même concerné deux tiers des actifs en Ile-de-France ! Pour eux, c’est un quotidien sans déplacement pour le travail qui est expérimenté. Pendant ce temps, dans les métiers du service, on continue à se déplacer. Comme si de rien n’était ? Pas tout à fait non plus. On se déplace différemment : plus aisément sur les routes en partie désertées, en voiture ou à vélo, dans des rues reconfigurées par les « coronapistes » en un temps record. Mais aussi parfois plus difficilement, avec des transports en commun plus rares, plus lents et peu adaptés à la distanciation physique.

Se libérer du carcan des horaires imposés

Avant la crise sanitaire, 95 % des personnes se déplaçaient chaque jour pour travailler et faisaient en moyenne 60 kilomètres. Combien demain ? La sortie de la crise sanitaire est le moment idéal pour y réfléchir. Nous avons une certitude nouvelle : l’organisation du travail et des territoires avec des logements éloignés de lieux de travail concentrés qu’il faut rejoindre à horaire fixe n’est pas inéluctable.

 

On se prend à rêver en se rappelant que 8 personnes sur 10 aspirent à ralentir leur rythme de vie et à vivre en plus grande proximité. Serait-il envisageable de se libérer du carcan des horaires imposés, de prendre des transports collectifs moins bondés, voire, pourquoi pas, de s’installer à la campagne, ou en bord de mer, tout en restant connecté aux grandes villes ? Cela pourrait permettre de parcourir moins de kilomètres et ainsi de contribuer à réduire l’empreinte carbone des déplacements, ce à quoi les politiques de mobilité ne sont pas parvenues jusqu’à présent.

Repenser la sécurité des occidentaux

 Repenser la sécurité des occidentaux 

 

Le départ de l’armée américaine du sol afghan aura des conséquences sur la sécurité des Etats-Unis, mais aussi sur la nôtre, le risque étant que l’Afghanistan redevienne un sanctuaire pour les groupes terroristes, souligne, dans une tribune au « Monde », Philippe Caduc, spécialiste de l’intelligence économique.

« Un retrait des troupes. Une solution politique. » » Tel était le conseil que Mikhaïl Gorbatchev adressait à Barack Obama, en 2010, sur la meilleure façon de sortir de la guerre en Afghanistan. Et il ajoutait : « Cela requiert une stratégie de réconciliation nationale. » L’ancien chef de l’Union soviétique parlait d’expérience, puisque c’est cette même stratégie qu’il avait tenté de mettre en œuvre à la fin des années 1980.

Mais si l’armée soviétique s’est bel et bien retirée d’Afghanistan en 1989, la réconciliation nationale ne s’est pas produite. Les talibans ont pris possession du pays, et Al-Qaida y a établi ses bases opérationnelles d’où sont partis les attentats du 11 septembre 2001.

 

C’est pourtant cette stratégie de la « double voie » qu’a tenté de mettre en place l’administration Obama à partir de 2010 (alors que près de 100 000 militaires américains étaient présents en Afghanistan), en lançant des négociations secrètes avec les talibans. Malgré une baisse considérable de l’engagement militaire américain (10 000 militaires à la fin du second mandat d’Obama, en 2017), ces discussions avec les talibans échouèrent.

Donald Trump s’inscrivit lui aussi dans une approche « retrait-réconciliation » en fixant au 1er mai 2021 la date de retrait définitif des troupes américaines, sans obtenir davantage de résultats sur le chapitre réconciliation nationale, ni de concessions de la part des talibans.

L’insécurité repart

C’est ce qui explique la décision de Joe Biden d’un retrait total des 2 500 militaires américains encore présents sur le sol afghan, ainsi que des troupes de l’OTAN, au 11 septembre, mettant ainsi un terme à la plus longue guerre menée par les Etats-Unis, qui a coûté la vie à près de 2 200 de ses soldats et à plus de 100 000 Afghans. Le préalable de la réconciliation nationale a disparu, puisque jugé inatteignable par la nouvelle administration américaine.

Pour éviter que l’Afghanistan ne redevienne un centre d’opérations terroristes dirigées contre l’Occident, les Etats-Unis vont devoir mettre en place une stratégie antiterroriste offshore

La question qui se pose désormais est celle des conséquences de cette décision sur la sécurité du pays, sur celle de ses voisins mais aussi sur la nôtre. Si les 130 milliards de dollars [environ 108 milliards d’euros] déversés par les Etats-Unis ont alimenté la corruption, ils ont aussi permis d’améliorer les conditions de vie des habitants des grandes villes afghanes, et en particulier de Kaboul.

Crise : repenser la notion de solidarité internationale (Thomas Piketty)

Crise :  repenser la notion de solidarité internationale  (Thomas Piketty)

 

 En refusant de lever les brevets sur les vaccins contre le Covid-19, les Occidentaux ont montré leur incapacité à prendre en compte les besoins des pays du Sud, estime l’économiste Thomas PikettyDirecteur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Ecole d’économie de Paris

 

 

Chronique. 

 

La crise du Covid-19, la plus grave crise sanitaire mondiale depuis un siècle, oblige à repenser fondamentalement la notion de solidarité internationale. Au-delà du droit à produire des vaccins et du matériel médical, c’est toute la question du droit des pays pauvres à se développer et à percevoir une partie des recettes fiscales des multinationales et des milliardaires de la planète qui doit être posée. Il faut sortir de la notion néocoloniale d’aide internationale, versée au bon vouloir des pays riches, sous leur contrôle, et passer enfin à une logique de droits.

 

Commençons par les vaccins. Certains avancent (imprudemment) que cela ne servirait à rien de lever les droits de propriété sur les brevets, car les pays pauvres seraient incapables de produire les précieuses doses. C’est faux. L’Inde et l’Afrique du Sud ont des capacités importantes de production de vaccins, qui pourraient être étendues, et le matériel médical peut être produit un peu partout. Ce n’est pas pour passer le temps que ces deux pays ont pris la tête d’une coalition d’une centaine de pays pour réclamer à l’OMC [l’Organisation mondiale du commerce] la levée exceptionnelle de ces droits de propriété. En s’y opposant, les pays riches n’ont pas seulement laissé le champ libre à la Chine et à la Russie : ils ont raté une belle occasion de changer d’époque et de montrer que leur conception du multilatéralisme n’allait pas dans un seul sens. Espérons qu’ils fassent très vite machine arrière.

La France et l’Europe complètement dépassées

Mais au-delà de ce droit à produire, c’est l’ensemble du système économique international qui doit être repensé en termes de droits pour les pays pauvres à se développer et à ne plus se laisser piller par les plus riches. En particulier, le débat sur la réforme de la fiscalité internationale ne peut pas se réduire à une discussion entre pays riches visant à se partager les profits actuellement localisés dans les paradis fiscaux. C’est tout le problème des projets discutés à l’OCDE [l’Organisation de coopération et de développement économiques]. On envisage que les multinationales fassent une déclaration unique de leurs profits au niveau mondial, ce qui est en soi est une excellente chose. Mais au moment de répartir cette base fiscale entre pays, on prévoit d’utiliser un mélange de critères (masses salariales et ventes réalisées dans les différents territoires) qui en pratique aboutira à attribuer aux pays riches plus de 95 % des profits réalloués, et à ne laisser que des miettes aux pays pauvres. La seule façon d’éviter ce désastre annoncé est d’inclure enfin les pays pauvres autour de la table et de répartir les profits en question en fonction de la population (au moins en partie).

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