Un contexte favorable à une relance de l’Europe
Pour l’Union européenne, la pandémie et la guerre en Ukraine actent un changement d’époque qui pourrait la transformer. Un changement qui est le fruit d’un contexte politique européen propice aux réformes et de l’apparition de nombreux défis géopolitiques et macroéconomiques auxquels l’Europe est la mieux à même d’apporter une réponse. Par Simon-Pierre Sohier et Victor Warhem, Centre de Politique Européenne (cep) Paris (1).( La Tribune)
« L’Union européenne, au même titre que l’Allemagne, vit un changement d’époque. C’est pourquoi nous allons la réformer », assurait Olaf Scholz, le 15 mai 2022, devant le Bundestag.
Pour l’Union, la pandémie et, plus encore, la guerre en Ukraine actent une « Zeitenwende » – un changement d’époque – qui pourrait la changer de fond en comble. Ce changement est le fruit d’un contexte politique européen propice aux réformes et de l’apparition de nombreux défis géopolitiques et macroéconomiques auxquels l’Europe est la mieux à même d’apporter une réponse.
Politiquement, l’année 2022 offre une constellation réformiste inédite, avec des gouvernements favorables à une réforme de l’Union dans ses pays les plus puissants : l’Allemagne, l’Italie et la France.
Cette constellation s’appuie tout d’abord sur la nouvelle coalition au pouvoir en Allemagne, regroupant socio-démocrates, verts et libéraux, et dont le « Koalitionsvertrag » (contrat de coalition) de novembre 2021 s’intitule « Mehr Fortschritt wagen » (Oser plus de progrès), un contraste saisissant après 16 ans de politiques à dominante conservatrice. Dans ce programme, il est fait état du souhait de la coalition de soutenir une fédéralisation européenne accrue, pour faire de l’Union une entité « stratégiquement » plus souveraine, et dont les missions premières seraient la digitalisation, la transition écologique, et la préservation de la démocratie.
La coalition réformiste européenne s’appuie également sur le maintien de Mario Draghi au poste de Premier ministre, alors qu’il fut un temps pressenti pour devenir président de la République italienne en début d’année. Son rôle international s’est affirmé ces derniers mois, s’agissant tant des réponses à apporter à l’invasion russe en Ukraine – il a été l’instigateur du gel des avoirs européens et américains de la banque centrale russe – que celles à apporter au projet européen, avec notamment un soutien aux proposition de réformes de l’Union ainsi qu’un soutien à la candidature ukrainienne.
Enfin, la coalition réformiste peut exister dans la durée grâce à la réélection du Président Emmanuel Macron, dont l’agenda européen, axé sur l’idée de « souveraineté » depuis ses débuts avec le discours de la Sorbonne de 2017, devrait être au cœur de son deuxième mandat, comme il l’a précisé le 9 mai dernier au Parlement européen de Strasbourg dans ce qu’il a lui-même appelé le « Serment de Strasbourg ». Au cours de ce discours, il a fait deux annonces importances : il a tout d’abord soutenu la création d’un nouvel échelon d’intégration moins exigeant que l’Union elle-même, qu’il a voulu nommer « Communauté politique européenne ». Cette communauté permettrait aux futurs prétendants de se préparer à l’adhésion à l’Union (Ukraine, Géorgie, Moldavie, etc.) mais aussi aux sortants de maintenir des liens forts avec elle (Royaume-Uni, Groenland). Cette proposition rejoint le souhait de la coalition allemande de protéger les démocraties européennes face aux autoritarismes, notamment russe et chinois. Deuxièmement, le Président Macron a aussi défendu la tenue d’une nouvelle convention européenne afin de négocier une réforme des traités européens et ainsi accroitre la flexibilité des institutions. Néanmoins, la défense de ce programme sur la scène européenne tient à l’obtention d’une majorité en sa faveur à l’Assemblée nationale le 19 juin prochain, ce qui pour l’heure est plus que jamais incertain.
Dans quel contexte économique cette constellation politique s’installe-t-elle ? Compte tenu de l’inflation persistante du prix des matières premières, ainsi que des effets récessifs des sanctions contre la Russie dans le contexte de la guerre en Ukraine, la Commission européenne a réduit ses prévisions de croissance de 4 % à 2,7 % pour 2022. Cet affaiblissement de l’économie européenne, associé à un resserrement attendu de la politique de la Banque centrale européenne (BCE), pourrait créer de nouvelles tensions sur les taux souverains, et donc sur la soutenabilité des dettes publiques, du sud de la zone euro – en plus d’engendrer de nouvelles difficultés pour les États membres qui doivent se détourner de l’approvisionnement énergétique russe.
Dès lors, où ce « moment européen » peut-il nous mener ? Après deux années de pandémie, qui ont entraîné une forte augmentation des ratios d’endettement public européens, alors que la croissance économique semble encore s’éloigner en 2022, et que la guerre en Ukraine se poursuit, le moment est venu de réfléchir à une nouvelle « consolidation » européenne, notamment en termes fiscaux, énergétiques et militaires.
Une consolidation fiscale européenne pourrait prendre corps dans la création d’une nouvelle Agence européenne de la dette – instrument proposé par les experts chargés de réfléchir à la réforme du Pacte de Stabilité et de Croissance pour les gouvernements italiens et français -, qui gérerait notamment celle contractée par les États membres pendant la pandémie et la grande crise financière. Elle pourrait également correspondre à l’adoption de ressources fiscales supplémentaires, comme un fonds de relance « NGEU 2.0 » – faisant suite à celui négocié dans le cadre du covid-19 -, financé par les États-Membres, de nouvelles ressources propres européennes, et de la dette commune. Dans les deux cas, il s’agit d’accroitre la mutualisation des ressources fiscales, rapprochant l’Union du « moment hamiltonien », saut fédéral fiscal qui équivaudrait à faire de l’Union un véritable État fédéral, comme pour les États-Unis en 1789.
S’agissant de la consolidation énergétique, la Commission appelle aujourd’hui les États membres à puiser dans les fonds obtenus via le NGEU pour mettre en œuvre leur plan d’indépendance vis-à-vis de l’énergie russe, REPowerEU. Néanmoins, pour accélérer la transition énergétique et participer à la mise sur pied d’une véritable résilience énergétique européenne, la Commission espère de nouveaux investissements publics – c’est-à-dire de nouvelles ressources qu’il reste à négocier – et privés. Pour éviter d’alourdir encore le fardeau de la dette qui pèse sur les États membres, un NGEU 2.0 pourrait se charger de réduire les coûts en mutualisant certaines ressources destinées à ces investissements. Il convient de penser en parallèle une nouvelle organisation européenne de production et d’approvisionnement énergétique, alors que la guerre en Ukraine a montré que cela été possible. La Commission, chargée de négocier les contrats d’approvisionnement en gaz pour les 27 – elle a déjà négocié un accord avec les États-Unis pour des livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL) et continue ses négociations avec les fournisseurs de gaz moyen-orientaux -, pourrait en parallèle instaurer une institution dont l’objectif serait de maximiser l’interopérabilité des systèmes énergétiques européens.
S’agissant de la consolidation sur le volet militaire, elle est plus que jamais possible, compte tenu tout d’abord de l’engagement pris par le Chancelier allemand Olaf Scholz à élever à 2% du PIB durablement les dépenses de défense, mais aussi de la révocation de l’exemption danoise de participation aux politiques de défense européennes suite au référendum sur le sujet (66,9% des voix en faveur de la révocation), et de la volonté finnoise et suédoise de finalement rejoindre l’Otan. En parallèle du respect de la cible otanienne des 2% du PIB, les 27 devraient saisir cette conjonction pour approfondir leurs programmes industriels militaires communs, alors qu’une réélection de Donald Trump en 2024 pourrait de nouveau affaiblir le lien transatlantique. Lors de son « Serment de Strasbourg », le président Macron a aussi affirmé défendre un rapprochement des politiques de défense nationale dans l’Union, en concordance avec les objectifs de l’OTAN, mais dans un cadre différent.
Néanmoins, si ces sujets sont prioritaires, il ne faut pas oublier que de nombreux autres domaines d’intégration européenne sont largement ouverts à approfondissement : établissement d’un « modèle de croissance européen » fondé sur des champions industriels communs, une croissance du marché intérieur à l’heure où le monde se fragmente, et une orientation des investissements vers la transition écologique et le digital ; approfondissement de l’Union européenne de la santé avec l’établissement d’une plateforme d’échange de données de santé entre les États membres ; réforme de l’espace Schengen ; finalisation de l’Union bancaire et des marchés de capitaux ; etc.
Après le 19 juin, si le gouvernement français obtient une majorité de plus de 289 sièges à l’Assemblée nationale, nous pourrons pleinement prendre la mesure du moment européen. L’été sera à la réflexion, mais l’automne sera très certainement à l’action. L’Union pourrait accélérer, et s’affirmer de plus en plus comme puissance dans un monde dominé par la confrontation entre les États-Unis et la Chine.
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Le Centre for European Policy Network, basé à Berlin, Fribourg, Paris et Rome, participe aux débats européens.
Simon-Pierre Sohier, Victor Warhem et Marc Uzan