Archive pour le Tag 'régulation'

La guerre des plates-formes américaines contre la régulation européenne

La guerre des plates-formes américaines contre la régulation européenne

 

« La régulation européenne qui entrave la loi des plateformes est insupportable aux géants américains de la tech »


par Patrick Barban

Professeur de droit privé à CY Cergy-Paris Université

Un geste de Mark Zuckerberg a suffi pour que les règles de Meta mutent en l’espace d’une journée. Or, si la « loi des plateformes » n’est guère qu’un contrat, ce dernier est soumis à un ensemble de règles permettant de protéger les utilisateurs et de s’assurer que les informations transmises respectent les valeurs propres de cet Etat, rappelle le juriste Patrick Barban, dans une tribune au « Monde ».

Comment Mark Zuckerberg a-t-il pu aussi rapidement modifier les règles de ses plateformes Meta pour les aligner à son revirement politique en faveur de Donald Trump ? En une journée, il a pu supprimer le fact-checking, autoriser les commentaires discriminants vis-à-vis des personnes LGBT+ et des femmes. Plus récemment, sa plateforme a été accusée d’invisibiliser des publicités et des profils promouvant la pilule du lendemain.

La clé de voûte de l’architecture des réseaux sociaux de Meta (3 milliards d’utilisateurs) réside dans les fameux « standards de la communauté » qui contiennent les règles de modération et constituent, chez Meta, ce que l’on pourrait appeler une « loi des plateformes ». La même structure existe sur toutes les autres plateformes, à commencer par X.

C’est en effet ce texte qui juridiquement permet à Meta de coordonner la modération et de sanctionner les utilisateurs récalcitrants par des techniques de shadow ban [bannissement caché] consistant à masquer du contenu, à supprimer des publications ou des profils. Or, dans une société privée de type Meta, ces règles sont sous le contrôle de la seule société, elle-même sous le contrôle d’un unique homme.

Quand cet homme passe de démocrate soucieux de respect des différentes minorités sur ses réseaux à républicain masculiniste, il suffit d’un geste de sa part pour que l’infrastructure mute entièrement en l’espace d’une journée. La mue est totale et Meta va passer du relativement bon élève de la modération à un ersatz de ce qu’est devenu le réseau X.

Cette « loi des plateformes » est la clé du pouvoir juridique au sein du réseau. Il s’agit banalement d’un contrat, c’est-à-dire d’un accord de volontés entre l’exploitant de la plateforme et son utilisateur, reproduit en très grand nombre.

Pour une autre régulation du secteur aérien européen

Pour une autre régulation du secteur aérien européen

 Les politiques européennes et allemandes favorisent les réglementations pénalisantes. Le secteur aérien européen perd en compétitivité internationale, aggravé par des tensions géopolitiques. Par Dr Karl-Ludwig Kley, Président du conseil de surveillance Lufthansa et Christine Behle, Vice-président du syndicat ver.di. ( dans la Tribune)

 

En Europe, ainsi qu’en Allemagne, le transport aérien subit une pression considérable. Depuis de nombreuses années, nos pôles européens sont en train de perdre leur capacité concurrentielle sur le plan international. Cette situation est aggravée par des développements géopolitiques.

Nous travaillons sans relâche pour rattraper ces désavantages concurrentiels dans la mesure de nos possibilités : en modernisant notre flotte d’avions, en rendant nos services de voyage plus numériques et en promouvant le développement durable dans toutes ses dimensions.

Mais tout n’est pas de la responsabilité des entreprises. La politique doit établir des conditions-cadres qui permettent une économie durable et, par conséquent, qui garantissent des emplois à long terme. La politique européenne et allemande répond de moins en moins à ces exigences. Au contraire : la politique mise trop sur des réglementations qui ne tiennent pas compte des intérêts de l’économie européenne. Mario Draghi a fortement souligné ceci dans son rapport sur l’avenir de la compétitivité de l’UE.

Au cours des dernières années, de nombreuses réglementations qui désavantagent fortement et unilatéralement les compagnies aériennes européennes et les hubs de l’UE dans la concurrence internationale ont été mises en place. Concrètement, les dossiers de politique climatique, économique et du commerce extérieur de l’UE affaiblissent les entreprises européennes. Les bénéficiaires de ce déséquilibre sont les compagnies aériennes du Moyen-Orient, de Turquie et de Chine, qui ne répondent pas aux normes de l’UE en matière de politique sociale, sociétale et environnementale et qui reçoivent un soutien par des investissements massifs dans leurs infrastructures.

Nous appelons la Commission européenne ainsi que le prochain gouvernement fédéral allemand à corriger ces erreurs.

Les lois et projets de loi du pacte vert pour l’Europe (« Green Deal ») touchent unilatéralement les compagnies aériennes de l’UE à des réseaux internationaux. Ces lois sont souvent inefficaces en matière de leur effet climatique, car elles entraînent des délocalisations d’émissions de gaz à effet de serre. Elles mettent en péril les emplois et affaiblissent la connectivité de l’Europe et par conséquent l’autonomie stratégique du continent. C’est notamment le cas pour les quotas de carburants durables et le système d’échange de quotas d’émission de l’UE.

Il est évident que le « Green Deal » ne va pas pouvoir devenir un modèle pour le reste du monde. Il ne sert pas suffisamment les intérêts économiques de l’UE. C’est pourquoi l’objectif politique devrait être de réviser le dossier pour aboutir à une neutralité concurrentielle. Les réglementations qui ne touchent essentiellement que les entreprises de l’UE doivent être rapidement révisées ou au moins suspendues.

De nombreuses et importantes perturbations de la concurrence pèsent sur les compagnies aériennes de l’UE, notamment en ce qui concerne l’accord aérien de l’UE avec le Qatar. La disparité radicale des conditions de la concurrence et l’écart socio-politique viennent s’ajouter aux soupçons de corruption.

Il est temps que la Commission européenne suspende l’accord aérien avec le Qatar. Il est incompréhensible que cette réaction n’ait pas encore eu lieu et que les parquets européens n’aient pas été saisis. Les accusations de corruption sont graves, connues depuis des mois et n’ont pas été réfutées. Elles ne peuvent plus être ignorées.

Nous adhérons aux objectifs politiques de l’UE et sommes solidaires de la position européenne contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Néanmoins, l’UE doit également prendre en compte les conséquences des sanctions sur les entreprises et trouver des réponses. La guerre d’agression menée par la Russie a eu pour conséquence pour les compagnies aériennes de l’UE qu’elles ne peuvent plus utiliser l’espace aérien russe depuis près de trois ans. Cela concerne surtout les vols long-courriers vers la Chine, le Japon et la Corée du Sud. En revanche, les compagnies aériennes chinoises, par exemple, survolent la Russie à haute fréquence et développent ainsi unilatéralement leurs liaisons avec l’Europe. En outre, les compagnies aériennes turques ont considérablement augmenté leurs capacités vers la Russie depuis le début de la guerre, tout en continuant à desservir l’UE. En conséquence, de nouvelles distorsions de concurrence substantielles se produisent au détriment de l’industrie aérienne domestique.

Jusqu’à présent, aucune réaction de politique économique n’a été apportée à ces pertes de parts de marché dues à la guerre. Nous demandons à la Commission européenne et aux États membres d’établir un « level playing field » à travers des mesures financières ou de droit de trafic.

Les charges réglementaires et bureaucratiques, notamment dans le domaine des critères ESG, sont démesurées et surchargent les entreprises. La législation a été mise en place sans tenir compte des conséquences et des coûts administratifs. La bureaucratie ne cesse ainsi d’augmenter. Cela vaut en particulier pour les mesures du Green Deal (par exemple la CSRD, la directive européenne sur les Green Claims et les mesures « anti-tankering »).

Nous demandons à la Commission européenne de revoir les lois, de réduire considérablement les charges administratives dans les entreprises au lieu d’aggraver encore la situation, et de renoncer à de nouvelles initiatives.

Haine en ligne : quelle régulation ?

Haine en ligne : quelle régulation ? 

 

Le procès de l’assassinat de Samuel Paty se poursuit devant la cours d’assise spéciale de Paris. Un certain nombre d’accusés comparaissent pour avoir mené une campagne de haine sur les réseaux sociaux avant le meurtre. Depuis 2020, de nouvelles lois – européennes et françaises – sont entrées en vigueur pour lutter contre les violences en ligne. Que retenir de ces législations ? Sont-elles efficaces ? Le procès de l’assassinat de Samuel Paty a débuté lundi 4 novembre. Sur le banc des accusés se trouvent notamment ceux qui ont créé la polémique et intentionnellement faussé la réalité d’un des cours de l’enseignant portant sur la liberté d’expression. Dans une vidéo, le père d’une élève qui sera jugé durant le procès avait appelé à écrire à la direction de l’établissement « pour virer ce malade » et livrait publiquement le nom du professeur, son numéro de téléphone portable et l’adresse du collège. Les insultes, menaces et commentaires haineux contre l’enseignant et la directrice du collège inondèrent les réseaux sociaux Facebook, WhatsApp, Instagram, Twitter, Snapchat, YouTube, TikTok, Google… devenus de véritables tribunaux virtuels. Suite à l’émoi suscité par ces événements, la France a adopté en 2021 plusieurs lois pour contrer la haine en ligne, notamment l’article surnommé « Samuel Paty » de la loi sur le respect des principes de la République qui criminalise les actes d’intimidation et d’entrave au travail des enseignants par la diffusion de messages haineux.

par  Docteur en droit international, Auteurs historiques The Conversation France

Plus largement, ces dernières années, de multiples initiatives législatives, à l’échelle française et européenne ont cherché à responsabiliser les plates-formes de contenus, les réseaux sociaux mais aussi les utilisateurs pour limiter les impacts de la violence en ligne.

Entré en vigueur en 2023, le Règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act, DSA) a notamment pour objectif d’endiguer la viralité de contenus violents pour éviter d’y exposer les utilisateurs. Il exige aussi la publication de rapports de transparence par les réseaux sociaux et plates-formes de partage tels que Facebook, Google Search, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, X (anciennement Twitter) et YouTube.

En vertu de ce texte, les réseaux sociaux doivent aussi donner des informations sur leurs équipes de modération de contenu, mettre en place des mécanismes de signalement des contenus illicites et fournir des informations sur le fonctionnement de leurs algorithmes de recommandation.

Ce partage d’informations sur le fonctionnement des algorithmes devrait permettre aux utilisateurs de mieux comprendre et contrôler ce qu’ils voient en ligne. Il est surtout utile pour le Centre européen pour la transparence algorithmique qui contrôle l’application du règlement.

Les plates-formes doivent également évaluer et réduire les risques systémiques pour la sécurité publique et les droits fondamentaux liés à leurs algorithmes comme la propagation de la haine en ligne. Ces éléments doivent figurer dans les rapports émis à la disposition de la Commission européenne. Dans le cas contraire, ou si les actions des plates-formes ne reflètent pas suffisamment les attentes du DSA, c’est la Commission européenne qui prendra l’attache de l’entreprise et procédera en cas d’inertie de celle-ci à un rappel à la loi public. C’est précisément ce qu’a fait Thierry Breton en août dernier en s’adressant à Elon Musk.

Un outil de dénonciation permettant aux employés ou autres lanceurs d’alerte de signaler les pratiques nuisibles des très grandes plates-formes en ligne et des moteurs de recherche a été mis en place.

Avant ces nouvelles mesures, ces entreprises n’étaient soumises qu’à un code de conduite non juridiquement contraignant et dont les résultats avaient atteints leurs limites.

Comment évaluer l’efficacité de ces mesures ? Nous le saurons bientôt, la Commission européenne a ouvert, le 18 décembre 2023 une procédure contre X (ex-Twitter) après avoir mené une enquête préliminaire pour non respect de l’obligation de transparence et des défaillances dans la modération de contenus. X interdit aussi aux chercheurs éligibles d’accéder de manière indépendante à ses données conformément au règlement. La société encourt une amende pouvant aller jusqu’à 6 % de son chiffre d’affaires mondial et, en cas de manquements répétés, elle peut voire l’accès à son service restreint dans l’Union européenne.

Aujourd’hui, l’épée de Damoclès des sanctions financières et surtout le blocage du service sur le territoire européen font peser un risque économique et réputationnel que les plates-formes souhaitent éviter. Plusieurs procédures formelles ont été lancées par la Commission européenne contre le réseau social X en 2023, TikTok, AliExpress et Meta cette année.

En France, la loi « Sécuriser et Réguler l’Espace Numérique » (SREN) promulguée en mai 2024 sanctionne les plates-formes qui échouent à retirer les contenus illicites dans un délai rapide (75 000 euros d’amende) et met aussi en place des mécanismes pour mieux sensibiliser et protéger les utilisateurs contre les dangers en ligne.

Cela se traduit par l’information des collégiens en milieu scolaire et des parents en début d’année. Une réserve citoyenne du numérique (rattachée à la réserve civique) est également instaurée avec pour but lutter contre la haine dans l’espace numérique et à des missions d’éducation, d’inclusion et d’amélioration de l’information en ligne. Ce dispositif qui constitue un moyen officiel d’alerte auprès du procureur de la République aurait été le bienvenu il y a 4 ans, au moment de l’affaire Paty. À l’époque, seuls la médiation scolaire et le référent laïcité du rectorat avaient été actionnés, sans effet.

Les plates-formes en ligne ont des obligations légales croissantes issues du règlement européen et de la loi SREN pour prévenir et réagir au cyberharcèlement et aux contenus illicites, avec une responsabilité à plusieurs niveaux.

L’obligation de modération proactive signifie que les plates-formes doivent mettre en place des systèmes pour détecter, signaler et retirer rapidement les contenus haineux, violents, ou incitant au cyberharcèlement. C’est l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) qui veille à ce que les éditeurs et fournisseurs de services d’hébergement de sites retirent effectivement ces contenus et conduit des audits pour vérifier la conformité aux règles. Cette obligation, issue du règlement européen sur les services numériques et de la loi SREN, sera mise en œuvre grâce à la publication d’un rapport annuel le nombre de signalements effectués. À ce jour, le premier rapport n’a pas été publié.

Les hébergeurs qui ont connaissance du caractère illicite du contenu et qui n’informent pas les autorités compétentes, par exemple, le procureur de la République, ni bloqué l’accès à cette publication, encourent des sanctions allant jusqu’à 250 000 euros d’amende et un an d’emprisonnement pour le dirigeant.

Les plates-formes doivent également sensibiliser leurs utilisateurs aux risques de cyberharcèlement et fournir des outils pour signaler facilement les contenus et comportements nuisibles. C’est le cas par exemple sur XFacebookInstagram.

En France, le cyberharcèlement est un délit sévèrement puni par des lois visant à lutter contre le harcèlement moral et les actes répétés de violence en ligne, notamment sur les réseaux sociaux. Une personne coupable de harcèlement moral encourt jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende. Si la victime est mineure, ces peines sont alourdies à trois ans de prison et 45 000 € d’amende. Des peines plus graves peuvent s’appliquer en cas d’incapacité de travail de la victime ou si les actes conduisent au suicide ou à la tentative de suicide, avec une sanction maximale de dix ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende.

Pour protéger les victimes de harcèlement groupé, en 2018 la loi Schiappa avait introduit un délit de « harcèlement en meute » ou raid numérique, visant à pénaliser les attaques concertées de multiples internautes contre une victime, même si chaque participant n’a pas agi de façon répétée.

La loi SREN prévoit également que les personnes reconnues coupables de cyberharcèlement peuvent se voir interdites de réseaux sociaux pendant six mois ou un an en cas de récidive. Ce bannissement inclut la création de nouveaux comptes durant la période d’interdiction. Les plates-formes risquent des amendes allant jusqu’à 75 000 € si elles ne bannissent pas les utilisateurs condamnés pour cyberharcèlement ou ne bloquent pas la création de nouveaux comptes pour les récidivistes.

Finances-Cryptomonnaie : enfin une régulation en France ?

Finances-Cryptomonnaie : enfin une régulation en France ?

Il serait temps que la France -et plus généralement l’Europe- mette en place une régulation pour empêcher toutes les arnaques qui tournent autour du mirage des superprofits des cryptomonnaies. Aujourd’hui encore n’importe qui peut en effet jouer un rôle d’intermédiaire financier pour encourager les différents monnaies numériques et promettre aussi de mirifiques profits. Notons d’ailleurs que certains de ses promoteurs sont partis avec la caisse. On comprendrait mal qu’il y ait une réglementation très drastique pour obtenir le statut d’établissement bancaire et que des acteurs financiers sans compétence et sans honorabilité puisse intervenir sans contrainte sur les marchés financiers.

La Cour des comptes appelle à renforcer la réglementation autour des cryptoactifs et notamment le système d’octroi des agréments autorisant les acteurs du marché à se lancer en France, selon un rapport publié mardi 19 décembre. En l’état actuel de la réglementation, le lancement des activités des « prestataires de services sur actifs numériques » (PSAN) est conditionné à un enregistrement auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

L’enregistrement permet « d’établir un socle de contrôle minimal relatif à l’honorabilité des acteurs, à leur compétence et à leur capacité à respecter les dispositions concernant la lutte contre le blanchiment et le financement des activités illicites », explique le rapport. Un second niveau existe, mais il n’est qu’optionnel. Il permet aux PSAN d’obtenir de l’AMF « un agrément optionnel, à condition qu’ils disposent de procédures de gestion interne plus exigeantes, attestant leur maîtrise des risques financiers et offrant aux investisseurs un niveau de transparence plus satisfaisant », détaille la Cour des comptes.

Cryptomonnaie : enfin une régulation en France

Cryptomonnaie : enfin une régulation en France

Il serait temps que la France -et plus généralement l’Europe- mette en place une régulation pour empêcher toutes les arnaques qui tournent autour du mirage des superprofits des cryptomonnaies. Aujourd’hui encore n’importe qui peut en effet jouer un rôle d’intermédiaire financier pour encourager les différents monnaies numériques et promettre aussi de mirifiques profits. Point notons d’ailleurs que certains de ses promoteurs sont partis avec la caisse. On comprendrait mal qu’il y ait une réglementation très drastique pour obtenir le statut d’établissement bancaire et que des acteurs financiers sans compétence et sans honorabilité puisse intervenir sans contrainte sur les marchés financiers.

La Cour des comptes appelle à renforcer la réglementation autour des cryptoactifs et notamment le système d’octroi des agréments autorisant les acteurs du marché à se lancer en France, selon un rapport publié mardi 19 décembre. En l’état actuel de la réglementation, le lancement des activités des « prestataires de services sur actifs numériques » (PSAN) est conditionné à un enregistrement auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

L’enregistrement permet « d’établir un socle de contrôle minimal relatif à l’honorabilité des acteurs, à leur compétence et à leur capacité à respecter les dispositions concernant la lutte contre le blanchiment et le financement des activités illicites », explique le rapport. Un second niveau existe, mais il n’est qu’optionnel. Il permet aux PSAN d’obtenir de l’AMF « un agrément optionnel, à condition qu’ils disposent de procédures de gestion interne plus exigeantes, attestant leur maîtrise des risques financiers et offrant aux investisseurs un niveau de transparence plus satisfaisant », détaille la Cour des comptes.

Régulation des prix de l’électricité : la folie européenne continue

Alors que la France demande à pouvoir décider elle-même de la régulation des prix de l’électricité, l’Europe s’y oppose toujours. En cause évidemment l’obstruction de certains pays qui ne souhaitent pas que la France bénéficie de son avantage compétitif pour l’économie liée à la production nucléaire.

En effet, tandis que le gouvernement tricolore se bat pour pouvoir réguler le parc nucléaire d’EDF après 2025, via l’accès à des contrats à prix fixes garantis par l’Etat (CfD), le texte rédigé par la présidence espagnole (à la tête du Conseil jusque fin décembre) et dévoilé ce mercredi supprime purement et simplement cette possibilité. Or, c’est bien cette version qui sera présentée aux ambassadeurs des Vingt-Sept le 13 octobre, puis aux ministres de l’Énergie réunis à Luxembourg le 17 octobre.

Concrètement, pour éviter tout avantage comparatif à la France sur les autres pays du Vieux continent, seuls les nouveaux réacteurs, construits trois ans après l’entrée en vigueur de la réforme du marché de l’électricité, auront accès aux prix garantis par les CfD si ils demandent un soutien public. En d’autres termes, rien dans cette ébauche n’autorise l’Etat à administrer les tarifs issus du parc historique d’EDF.

A priori, ceux-ci devraient donc se voir soumis au prix (aujourd’hui exorbitants) du marché, au détriment des consommateurs français, professionnels comme particuliers.

Il ne s’agit donc pas d’une bataille technologique ou écologique mais d’une lutte économique visant à pénaliser la France en raison de son avantage de compétitivité nucléaire sur l’électricité.

Pour preuve déclarations ciel de l’Allemagne: « Ce que je crains, ce n’est pas qu’ [elle] possède des centrales nucléaires. Ce que je crains, c’est que l’exploitant des centrales nucléaires puisse proposer des prix bon marché, inférieurs à la valeur du marché », avait d’ailleurs clarifié le vice-chancelier allemand à l’Économie, Robert Habeck, lors d’un événement à Rostock, dans le nord du pays, en septembre.

Fin septembre, Emmanuel Macron avait même promis aux Français d’annoncer une reprise du « contrôle du prix de notre électricité » dès le mois d’octobre.

D’après un rapport de la Commission de la régulation de l’énergie , la France compte sur des coûts de production autour de 60 euros le MWh. Or, le gouvernement entend obliger EDF à vendre à un tarif proche de ses coûts de production, alors que les cours de marché flirtent autour de 150 euros le MWh pour 2025.

Prix Electricité : revoir la régulation

Prix Electricité : revoir la régulation

par
Jean Pascal Brivady
Professeur, EM Lyon Business School

Abdel Mokhtari
Economiste, Chargé de cours, EM Lyon Business School dans The Conversation

La modification du contexte géopolitique et la perspective d’un monde moins ouvert ont remis sur le devant de la scène le concept de souveraineté. Relocaliser de nombreuses productions industrielles, considérées comme stratégiques (molécules pharmaceutiques ou chimiques, semi-conducteurs, construction automobile, voire certaines matières premières comme le lithium par exemple) fait partie de l’agenda public. Les groupes industriels concernés ne seront cependant enclins à rapatrier leur production que dans la mesure où les investissements permettent de rester compétitif sur leurs marchés.

Stabilité de l’environnement règlementaire, qualité des infrastructures, niveau d’éducation de la population, possibilité de disposer de subventions, tous ces paramètres entrent en ligne de compte au moment de prendre pareille décision. D’autres facteurs sont de nature plus économique, parmi lesquels, dans le cas précis de l’industrie, le coût de l’électricité et sa maîtrise sur le long terme.

La France et l’Allemagne l’avaient bien compris en optant chacun pour une solution garantissant sur plus de 20 ans, des prix bas de l’électricité via la construction du parc électro nucléaire en France et l’accès au gaz russe en Allemagne. Cet équilibre a été brutalement rompu par le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Or, le conflit ne semble pas une simple parenthèse : deux tendances de fond sont en effet d’ores et déjà à l’œuvre. D’une part, la transition écologique accélérée dans laquelle s’est engagée l’Europe va entrainer une hausse de 35 % environ de la demande au-delà de 2030, ce qui suppose à la fois une augmentation des capacités, le passage à une production décarbonée, et une adaptation du réseau de transport.

D’autre part, les concurrents économiques de l’Europe investissent massivement pour garantir la compétitivité de leurs industries. Les États-Unis ont, par exemple, opté pour l’option la plus simple qui consiste à attribuer des subventions massives, dans le cadre notamment de l’Inflation Reduction Act. Pour rester dans le jeu, l’Union européenne est donc aujourd’hui contrainte de réagir.

Plusieurs facteurs déterminent le prix de l’électricité. Une partie a trait aux infrastructures. On note, par exemple, un effet d’expérience en cas de passage du prototype à un ensemble d’unités. Dans le cas des réacteurs pressurisés européens (EPR), l’Ademe estime le coût du mégawattheure à 110-120 euros pour le seul site de Flamanville, susceptible d’être ramené à 70 euros à compter de la 4e unité mise en service.

L’innovation intervient également. Par exemple, l’évolution technologique des éoliennes a permis de multiplier leur puissance par 60 entre 1985 et 2015. Il en résulte une baisse régulière du prix de production moyen de 130-190 euros en 2000 à 60-110 euros actuellement.

Outre le coût des matières premières, l’état de santé financière des opérateurs joue également. Ce sont néanmoins des évolutions de nature fiscale qui ont le plus fait varier le prix du mégawattheure au cours de la dernière décennie.

À 15 ans, les différents scénarios anticipent une accélération de la croissance de la demande en électricité résultant d’une part de la transition énergique (habitat, transport) et d’autre part de la relocalisation industrielle. De là résulterait une inadéquation durable entre l’offre et la demande compte tenu des incertitudes inhérentes au déploiement des nouvelles infrastructures (en termes de coûts et de délais), d’autant plus que la transition énergétique requiert principalement de l’électricité décarbonée.

Ces scénarios laissent anticiper à la fois une hausse tendancielle des prix mais également une forte augmentation de la volatilité. Mettre en place les conditions d’une offre d’électricité durablement compétitive suppose donc de maîtriser ces deux risques.

Une faible volatilité des prix permet aux producteurs de pouvoir garantir sur le très long terme le remboursement des dettes destinées à financer les infrastructures. Il s’agirait donc d’une invitation à investir, notamment pour une transition verte. Pour les clients consommateurs, cela permet de mieux prévoir et donc de maîtriser leurs dépenses.

Pour la limiter, plusieurs options sont ouvertes : diversifier le mix de production en faveur des capacités dont la part de coût variable est la plus faible possible, développer des solutions de « stockage » de l’électricité, ou surdimensionner la capacité de production par rapport à la demande attendue. Toutes ont en commun une mise en œuvre longue et complexe, et le risque d’accroitre sensiblement les coûts de production. La meilleure solution consiste donc à améliorer les mécanismes du marché actuel, en particulier avec le développement sa composante à long terme (maturités supérieures à 2 ans)

Pour ce qui est du niveau des prix, deux aspects nous paraissent source de réflexion. Le premier a trait à l’ouverture à la concurrence, impulsée par une directive de 1996. Le postulat consiste à considérer qu’une concurrence accrue présente un impact positif sur les prix à long terme. Il a poussé à réduire la position des opérateurs historiques pour faire place à de nouveaux entrants. En France, par exemple, avec « l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique » (Arenh), les concurrents d’EDF peuvent accéder à la rente issue de la production des centrales nucléaires à des conditions fixées par l’administration.

Le bilan s’avère globalement négatif. En premier lieu, l’évolution du prix moyen de vente du mégawattheure à l’industrie en Europe depuis 1991 démontre qu’il n’y a pas de relation significative entre niveau de la concurrence et prix, puisque ce dernier reste avant tout conditionné par des facteurs de nature conjoncturelle. Ensuite, en cas de crise, la volatilité est hors de contrôle. Enfin, la situation financière de l’opérateur historique est fortement pénalisée et handicape d’autant sa capacité à investir.

L’autre postulat suppose une optimisation de la capacité de production, donc que la réponse à une demande supplémentaire provienne de la dernière unité mise en production – en l’espèce pour des raisons techniques, des centrales thermiques et soit donc valorisée sur la base du coût marginal de cette dernière unité. Or c’est justement ce mode de calcul qui est à l’original de l’envolée du prix du mégawattheure et de l’explosion de la volatilité. Il convient donc de mettre en œuvre un autre mode de calcul à défaut de quoi le coût de la volatilité viendra gonfler de manière disproportionnée, l’inflation induite par la hausse de la demande.

Parmi les solutions envisageables, outre les changements relatifs à l’organisation de la production décrits précédemment, certains acteurs ont formulé des propositions au moment de l’invasion de l’Ukraine. Le gouvernement grec, notamment, a soumis en juillet 2022 à l’Union européenne, un modèle visant à segmenter le marché de gros en deux compartiments distincts.

D’un côté, il y aurait les centrales à coûts marginaux faibles mais à coûts fixes élevés, produisant lorsqu’elles sont disponibles (nucléaires et énergie renouvelables). De l’autre côté, les centrales à coûts variables élevés (qui produisent à partir des combustibles fossiles), qui produiraient à la demande et contribueraient à équilibrer le marché en complément des productions évoquées précédemment. Les premières ne seraient plus rémunérées sur la base des coûts marginaux, mais recevraient un prix couvrant leur coût moyen de long terme, appelé Levelized Cost of Electricity. Le prix payé par le consommateur résulterait d’une moyenne pondérée des prix observés dans chacun des deux compartiments du marché.

Ce système présente l’avantage de rémunérer les producteurs en fonction de leur coût réel de production, plutôt que de se baser sur le coût des centrales fossiles et provoquer ainsi une baisse du coût moyen de l’électricité. De plus, en lissant les anticipations des prix futurs, elle devrait mécaniquement réduire la volatilité potentielle.

Voilà pourquoi, pour faire de la maîtrise du prix de l’énergie un socle de la compétitivité industrielle, il parait nécessaire de remettre en cause des postulats qui ont prévalu à l’organisation de la production sur les 20 dernières années et qui ont eu pour effet d’affaiblir les anciens monopoles sans véritable contrepartie mesurable sur le plan économique. Et ce alors que le défi de la transition énergétique passe par un effort d’investissement colossal, dont le succès repose, au-delà du cadre que nous venons de décrire, sur une parfaite coordination sur les plans technique, industriel et institutionnel. Si les acteurs privés ont leur place dans le dispositif, le rôle du maître d’œuvre sera déterminant.

Prix Electricité : repenser la régulation

Prix Electricité : repenser la régulation

par
Jean Pascal Brivady
Professeur, EM Lyon Business School

Abdel Mokhtari
Economiste, Chargé de cours, EM Lyon Business School dans The Conversation

La modification du contexte géopolitique et la perspective d’un monde moins ouvert ont remis sur le devant de la scène le concept de souveraineté. Relocaliser de nombreuses productions industrielles, considérées comme stratégiques (molécules pharmaceutiques ou chimiques, semi-conducteurs, construction automobile, voire certaines matières premières comme le lithium par exemple) fait partie de l’agenda public. Les groupes industriels concernés ne seront cependant enclins à rapatrier leur production que dans la mesure où les investissements permettent de rester compétitif sur leurs marchés.

Stabilité de l’environnement règlementaire, qualité des infrastructures, niveau d’éducation de la population, possibilité de disposer de subventions, tous ces paramètres entrent en ligne de compte au moment de prendre pareille décision. D’autres facteurs sont de nature plus économique, parmi lesquels, dans le cas précis de l’industrie, le coût de l’électricité et sa maîtrise sur le long terme.

La France et l’Allemagne l’avaient bien compris en optant chacun pour une solution garantissant sur plus de 20 ans, des prix bas de l’électricité via la construction du parc électro nucléaire en France et l’accès au gaz russe en Allemagne. Cet équilibre a été brutalement rompu par le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Or, le conflit ne semble pas une simple parenthèse : deux tendances de fond sont en effet d’ores et déjà à l’œuvre. D’une part, la transition écologique accélérée dans laquelle s’est engagée l’Europe va entrainer une hausse de 35 % environ de la demande au-delà de 2030, ce qui suppose à la fois une augmentation des capacités, le passage à une production décarbonée, et une adaptation du réseau de transport.

D’autre part, les concurrents économiques de l’Europe investissent massivement pour garantir la compétitivité de leurs industries. Les États-Unis ont, par exemple, opté pour l’option la plus simple qui consiste à attribuer des subventions massives, dans le cadre notamment de l’Inflation Reduction Act. Pour rester dans le jeu, l’Union européenne est donc aujourd’hui contrainte de réagir.

Plusieurs facteurs déterminent le prix de l’électricité. Une partie a trait aux infrastructures. On note, par exemple, un effet d’expérience en cas de passage du prototype à un ensemble d’unités. Dans le cas des réacteurs pressurisés européens (EPR), l’Ademe estime le coût du mégawattheure à 110-120 euros pour le seul site de Flamanville, susceptible d’être ramené à 70 euros à compter de la 4e unité mise en service.

L’innovation intervient également. Par exemple, l’évolution technologique des éoliennes a permis de multiplier leur puissance par 60 entre 1985 et 2015. Il en résulte une baisse régulière du prix de production moyen de 130-190 euros en 2000 à 60-110 euros actuellement.

Outre le coût des matières premières, l’état de santé financière des opérateurs joue également. Ce sont néanmoins des évolutions de nature fiscale qui ont le plus fait varier le prix du mégawattheure au cours de la dernière décennie.

À 15 ans, les différents scénarios anticipent une accélération de la croissance de la demande en électricité résultant d’une part de la transition énergique (habitat, transport) et d’autre part de la relocalisation industrielle. De là résulterait une inadéquation durable entre l’offre et la demande compte tenu des incertitudes inhérentes au déploiement des nouvelles infrastructures (en termes de coûts et de délais), d’autant plus que la transition énergétique requiert principalement de l’électricité décarbonée.

Ces scénarios laissent anticiper à la fois une hausse tendancielle des prix mais également une forte augmentation de la volatilité. Mettre en place les conditions d’une offre d’électricité durablement compétitive suppose donc de maîtriser ces deux risques.

Une faible volatilité des prix permet aux producteurs de pouvoir garantir sur le très long terme le remboursement des dettes destinées à financer les infrastructures. Il s’agirait donc d’une invitation à investir, notamment pour une transition verte. Pour les clients consommateurs, cela permet de mieux prévoir et donc de maîtriser leurs dépenses.

Pour la limiter, plusieurs options sont ouvertes : diversifier le mix de production en faveur des capacités dont la part de coût variable est la plus faible possible, développer des solutions de « stockage » de l’électricité, ou surdimensionner la capacité de production par rapport à la demande attendue. Toutes ont en commun une mise en œuvre longue et complexe, et le risque d’accroitre sensiblement les coûts de production. La meilleure solution consiste donc à améliorer les mécanismes du marché actuel, en particulier avec le développement sa composante à long terme (maturités supérieures à 2 ans)

Pour ce qui est du niveau des prix, deux aspects nous paraissent source de réflexion. Le premier a trait à l’ouverture à la concurrence, impulsée par une directive de 1996. Le postulat consiste à considérer qu’une concurrence accrue présente un impact positif sur les prix à long terme. Il a poussé à réduire la position des opérateurs historiques pour faire place à de nouveaux entrants. En France, par exemple, avec « l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique » (Arenh), les concurrents d’EDF peuvent accéder à la rente issue de la production des centrales nucléaires à des conditions fixées par l’administration.

Le bilan s’avère globalement négatif. En premier lieu, l’évolution du prix moyen de vente du mégawattheure à l’industrie en Europe depuis 1991 démontre qu’il n’y a pas de relation significative entre niveau de la concurrence et prix, puisque ce dernier reste avant tout conditionné par des facteurs de nature conjoncturelle. Ensuite, en cas de crise, la volatilité est hors de contrôle. Enfin, la situation financière de l’opérateur historique est fortement pénalisée et handicape d’autant sa capacité à investir.

L’autre postulat suppose une optimisation de la capacité de production, donc que la réponse à une demande supplémentaire provienne de la dernière unité mise en production – en l’espèce pour des raisons techniques, des centrales thermiques et soit donc valorisée sur la base du coût marginal de cette dernière unité. Or c’est justement ce mode de calcul qui est à l’original de l’envolée du prix du mégawattheure et de l’explosion de la volatilité. Il convient donc de mettre en œuvre un autre mode de calcul à défaut de quoi le coût de la volatilité viendra gonfler de manière disproportionnée, l’inflation induite par la hausse de la demande.

Parmi les solutions envisageables, outre les changements relatifs à l’organisation de la production décrits précédemment, certains acteurs ont formulé des propositions au moment de l’invasion de l’Ukraine. Le gouvernement grec, notamment, a soumis en juillet 2022 à l’Union européenne, un modèle visant à segmenter le marché de gros en deux compartiments distincts.

D’un côté, il y aurait les centrales à coûts marginaux faibles mais à coûts fixes élevés, produisant lorsqu’elles sont disponibles (nucléaires et énergie renouvelables). De l’autre côté, les centrales à coûts variables élevés (qui produisent à partir des combustibles fossiles), qui produiraient à la demande et contribueraient à équilibrer le marché en complément des productions évoquées précédemment. Les premières ne seraient plus rémunérées sur la base des coûts marginaux, mais recevraient un prix couvrant leur coût moyen de long terme, appelé Levelized Cost of Electricity. Le prix payé par le consommateur résulterait d’une moyenne pondérée des prix observés dans chacun des deux compartiments du marché.

Ce système présente l’avantage de rémunérer les producteurs en fonction de leur coût réel de production, plutôt que de se baser sur le coût des centrales fossiles et provoquer ainsi une baisse du coût moyen de l’électricité. De plus, en lissant les anticipations des prix futurs, elle devrait mécaniquement réduire la volatilité potentielle.

Voilà pourquoi, pour faire de la maîtrise du prix de l’énergie un socle de la compétitivité industrielle, il parait nécessaire de remettre en cause des postulats qui ont prévalu à l’organisation de la production sur les 20 dernières années et qui ont eu pour effet d’affaiblir les anciens monopoles sans véritable contrepartie mesurable sur le plan économique. Et ce alors que le défi de la transition énergétique passe par un effort d’investissement colossal, dont le succès repose, au-delà du cadre que nous venons de décrire, sur une parfaite coordination sur les plans technique, industriel et institutionnel. Si les acteurs privés ont leur place dans le dispositif, le rôle du maître d’œuvre sera déterminant.

Énergie–Electricité : repenser la régulation

Énergie–Electricité : repenser la régulation

par
Jean Pascal Brivady
Professeur, EM Lyon Business School

Abdel Mokhtari
Economiste, Chargé de cours, EM Lyon Business School dans The Conversation

La modification du contexte géopolitique et la perspective d’un monde moins ouvert ont remis sur le devant de la scène le concept de souveraineté. Relocaliser de nombreuses productions industrielles, considérées comme stratégiques (molécules pharmaceutiques ou chimiques, semi-conducteurs, construction automobile, voire certaines matières premières comme le lithium par exemple) fait partie de l’agenda public. Les groupes industriels concernés ne seront cependant enclins à rapatrier leur production que dans la mesure où les investissements permettent de rester compétitif sur leurs marchés.

Stabilité de l’environnement règlementaire, qualité des infrastructures, niveau d’éducation de la population, possibilité de disposer de subventions, tous ces paramètres entrent en ligne de compte au moment de prendre pareille décision. D’autres facteurs sont de nature plus économique, parmi lesquels, dans le cas précis de l’industrie, le coût de l’électricité et sa maîtrise sur le long terme.

La France et l’Allemagne l’avaient bien compris en optant chacun pour une solution garantissant sur plus de 20 ans, des prix bas de l’électricité via la construction du parc électro nucléaire en France et l’accès au gaz russe en Allemagne. Cet équilibre a été brutalement rompu par le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Or, le conflit ne semble pas une simple parenthèse : deux tendances de fond sont en effet d’ores et déjà à l’œuvre. D’une part, la transition écologique accélérée dans laquelle s’est engagée l’Europe va entrainer une hausse de 35 % environ de la demande au-delà de 2030, ce qui suppose à la fois une augmentation des capacités, le passage à une production décarbonée, et une adaptation du réseau de transport.

D’autre part, les concurrents économiques de l’Europe investissent massivement pour garantir la compétitivité de leurs industries. Les États-Unis ont, par exemple, opté pour l’option la plus simple qui consiste à attribuer des subventions massives, dans le cadre notamment de l’Inflation Reduction Act. Pour rester dans le jeu, l’Union européenne est donc aujourd’hui contrainte de réagir.

Plusieurs facteurs déterminent le prix de l’électricité. Une partie a trait aux infrastructures. On note, par exemple, un effet d’expérience en cas de passage du prototype à un ensemble d’unités. Dans le cas des réacteurs pressurisés européens (EPR), l’Ademe estime le coût du mégawattheure à 110-120 euros pour le seul site de Flamanville, susceptible d’être ramené à 70 euros à compter de la 4e unité mise en service.

L’innovation intervient également. Par exemple, l’évolution technologique des éoliennes a permis de multiplier leur puissance par 60 entre 1985 et 2015. Il en résulte une baisse régulière du prix de production moyen de 130-190 euros en 2000 à 60-110 euros actuellement.

Outre le coût des matières premières, l’état de santé financière des opérateurs joue également. Ce sont néanmoins des évolutions de nature fiscale qui ont le plus fait varier le prix du mégawattheure au cours de la dernière décennie.

À 15 ans, les différents scénarios anticipent une accélération de la croissance de la demande en électricité résultant d’une part de la transition énergique (habitat, transport) et d’autre part de la relocalisation industrielle. De là résulterait une inadéquation durable entre l’offre et la demande compte tenu des incertitudes inhérentes au déploiement des nouvelles infrastructures (en termes de coûts et de délais), d’autant plus que la transition énergétique requiert principalement de l’électricité décarbonée.

Ces scénarios laissent anticiper à la fois une hausse tendancielle des prix mais également une forte augmentation de la volatilité. Mettre en place les conditions d’une offre d’électricité durablement compétitive suppose donc de maîtriser ces deux risques.

Une faible volatilité des prix permet aux producteurs de pouvoir garantir sur le très long terme le remboursement des dettes destinées à financer les infrastructures. Il s’agirait donc d’une invitation à investir, notamment pour une transition verte. Pour les clients consommateurs, cela permet de mieux prévoir et donc de maîtriser leurs dépenses.

Pour la limiter, plusieurs options sont ouvertes : diversifier le mix de production en faveur des capacités dont la part de coût variable est la plus faible possible, développer des solutions de « stockage » de l’électricité, ou surdimensionner la capacité de production par rapport à la demande attendue. Toutes ont en commun une mise en œuvre longue et complexe, et le risque d’accroitre sensiblement les coûts de production. La meilleure solution consiste donc à améliorer les mécanismes du marché actuel, en particulier avec le développement sa composante à long terme (maturités supérieures à 2 ans)

Pour ce qui est du niveau des prix, deux aspects nous paraissent source de réflexion. Le premier a trait à l’ouverture à la concurrence, impulsée par une directive de 1996. Le postulat consiste à considérer qu’une concurrence accrue présente un impact positif sur les prix à long terme. Il a poussé à réduire la position des opérateurs historiques pour faire place à de nouveaux entrants. En France, par exemple, avec « l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique » (Arenh), les concurrents d’EDF peuvent accéder à la rente issue de la production des centrales nucléaires à des conditions fixées par l’administration.

Le bilan s’avère globalement négatif. En premier lieu, l’évolution du prix moyen de vente du mégawattheure à l’industrie en Europe depuis 1991 démontre qu’il n’y a pas de relation significative entre niveau de la concurrence et prix, puisque ce dernier reste avant tout conditionné par des facteurs de nature conjoncturelle. Ensuite, en cas de crise, la volatilité est hors de contrôle. Enfin, la situation financière de l’opérateur historique est fortement pénalisée et handicape d’autant sa capacité à investir.

L’autre postulat suppose une optimisation de la capacité de production, donc que la réponse à une demande supplémentaire provienne de la dernière unité mise en production – en l’espèce pour des raisons techniques, des centrales thermiques et soit donc valorisée sur la base du coût marginal de cette dernière unité. Or c’est justement ce mode de calcul qui est à l’original de l’envolée du prix du mégawattheure et de l’explosion de la volatilité. Il convient donc de mettre en œuvre un autre mode de calcul à défaut de quoi le coût de la volatilité viendra gonfler de manière disproportionnée, l’inflation induite par la hausse de la demande.

Parmi les solutions envisageables, outre les changements relatifs à l’organisation de la production décrits précédemment, certains acteurs ont formulé des propositions au moment de l’invasion de l’Ukraine. Le gouvernement grec, notamment, a soumis en juillet 2022 à l’Union européenne, un modèle visant à segmenter le marché de gros en deux compartiments distincts.

D’un côté, il y aurait les centrales à coûts marginaux faibles mais à coûts fixes élevés, produisant lorsqu’elles sont disponibles (nucléaires et énergie renouvelables). De l’autre côté, les centrales à coûts variables élevés (qui produisent à partir des combustibles fossiles), qui produiraient à la demande et contribueraient à équilibrer le marché en complément des productions évoquées précédemment. Les premières ne seraient plus rémunérées sur la base des coûts marginaux, mais recevraient un prix couvrant leur coût moyen de long terme, appelé Levelized Cost of Electricity. Le prix payé par le consommateur résulterait d’une moyenne pondérée des prix observés dans chacun des deux compartiments du marché.

Ce système présente l’avantage de rémunérer les producteurs en fonction de leur coût réel de production, plutôt que de se baser sur le coût des centrales fossiles et provoquer ainsi une baisse du coût moyen de l’électricité. De plus, en lissant les anticipations des prix futurs, elle devrait mécaniquement réduire la volatilité potentielle.

Voilà pourquoi, pour faire de la maîtrise du prix de l’énergie un socle de la compétitivité industrielle, il parait nécessaire de remettre en cause des postulats qui ont prévalu à l’organisation de la production sur les 20 dernières années et qui ont eu pour effet d’affaiblir les anciens monopoles sans véritable contrepartie mesurable sur le plan économique. Et ce alors que le défi de la transition énergétique passe par un effort d’investissement colossal, dont le succès repose, au-delà du cadre que nous venons de décrire, sur une parfaite coordination sur les plans technique, industriel et institutionnel. Si les acteurs privés ont leur place dans le dispositif, le rôle du maître d’œuvre sera déterminant.

Electricité : repenser la régulation

Electricité : repenser la régulation

par
Jean Pascal Brivady
Professeur, EM Lyon Business School

Abdel Mokhtari
Economiste, Chargé de cours, EM Lyon Business School dans The Conversation

La modification du contexte géopolitique et la perspective d’un monde moins ouvert ont remis sur le devant de la scène le concept de souveraineté. Relocaliser de nombreuses productions industrielles, considérées comme stratégiques (molécules pharmaceutiques ou chimiques, semi-conducteurs, construction automobile, voire certaines matières premières comme le lithium par exemple) fait partie de l’agenda public. Les groupes industriels concernés ne seront cependant enclins à rapatrier leur production que dans la mesure où les investissements permettent de rester compétitif sur leurs marchés.

Stabilité de l’environnement règlementaire, qualité des infrastructures, niveau d’éducation de la population, possibilité de disposer de subventions, tous ces paramètres entrent en ligne de compte au moment de prendre pareille décision. D’autres facteurs sont de nature plus économique, parmi lesquels, dans le cas précis de l’industrie, le coût de l’électricité et sa maîtrise sur le long terme.

La France et l’Allemagne l’avaient bien compris en optant chacun pour une solution garantissant sur plus de 20 ans, des prix bas de l’électricité via la construction du parc électro nucléaire en France et l’accès au gaz russe en Allemagne. Cet équilibre a été brutalement rompu par le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Or, le conflit ne semble pas une simple parenthèse : deux tendances de fond sont en effet d’ores et déjà à l’œuvre. D’une part, la transition écologique accélérée dans laquelle s’est engagée l’Europe va entrainer une hausse de 35 % environ de la demande au-delà de 2030, ce qui suppose à la fois une augmentation des capacités, le passage à une production décarbonée, et une adaptation du réseau de transport.

D’autre part, les concurrents économiques de l’Europe investissent massivement pour garantir la compétitivité de leurs industries. Les États-Unis ont, par exemple, opté pour l’option la plus simple qui consiste à attribuer des subventions massives, dans le cadre notamment de l’Inflation Reduction Act. Pour rester dans le jeu, l’Union européenne est donc aujourd’hui contrainte de réagir.

Plusieurs facteurs déterminent le prix de l’électricité. Une partie a trait aux infrastructures. On note, par exemple, un effet d’expérience en cas de passage du prototype à un ensemble d’unités. Dans le cas des réacteurs pressurisés européens (EPR), l’Ademe estime le coût du mégawattheure à 110-120 euros pour le seul site de Flamanville, susceptible d’être ramené à 70 euros à compter de la 4e unité mise en service.

L’innovation intervient également. Par exemple, l’évolution technologique des éoliennes a permis de multiplier leur puissance par 60 entre 1985 et 2015. Il en résulte une baisse régulière du prix de production moyen de 130-190 euros en 2000 à 60-110 euros actuellement.

Outre le coût des matières premières, l’état de santé financière des opérateurs joue également. Ce sont néanmoins des évolutions de nature fiscale qui ont le plus fait varier le prix du mégawattheure au cours de la dernière décennie.

À 15 ans, les différents scénarios anticipent une accélération de la croissance de la demande en électricité résultant d’une part de la transition énergique (habitat, transport) et d’autre part de la relocalisation industrielle. De là résulterait une inadéquation durable entre l’offre et la demande compte tenu des incertitudes inhérentes au déploiement des nouvelles infrastructures (en termes de coûts et de délais), d’autant plus que la transition énergétique requiert principalement de l’électricité décarbonée.

Ces scénarios laissent anticiper à la fois une hausse tendancielle des prix mais également une forte augmentation de la volatilité. Mettre en place les conditions d’une offre d’électricité durablement compétitive suppose donc de maîtriser ces deux risques.

Une faible volatilité des prix permet aux producteurs de pouvoir garantir sur le très long terme le remboursement des dettes destinées à financer les infrastructures. Il s’agirait donc d’une invitation à investir, notamment pour une transition verte. Pour les clients consommateurs, cela permet de mieux prévoir et donc de maîtriser leurs dépenses.

Pour la limiter, plusieurs options sont ouvertes : diversifier le mix de production en faveur des capacités dont la part de coût variable est la plus faible possible, développer des solutions de « stockage » de l’électricité, ou surdimensionner la capacité de production par rapport à la demande attendue. Toutes ont en commun une mise en œuvre longue et complexe, et le risque d’accroitre sensiblement les coûts de production. La meilleure solution consiste donc à améliorer les mécanismes du marché actuel, en particulier avec le développement sa composante à long terme (maturités supérieures à 2 ans)

Pour ce qui est du niveau des prix, deux aspects nous paraissent source de réflexion. Le premier a trait à l’ouverture à la concurrence, impulsée par une directive de 1996. Le postulat consiste à considérer qu’une concurrence accrue présente un impact positif sur les prix à long terme. Il a poussé à réduire la position des opérateurs historiques pour faire place à de nouveaux entrants. En France, par exemple, avec « l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique » (Arenh), les concurrents d’EDF peuvent accéder à la rente issue de la production des centrales nucléaires à des conditions fixées par l’administration.

Le bilan s’avère globalement négatif. En premier lieu, l’évolution du prix moyen de vente du mégawattheure à l’industrie en Europe depuis 1991 démontre qu’il n’y a pas de relation significative entre niveau de la concurrence et prix, puisque ce dernier reste avant tout conditionné par des facteurs de nature conjoncturelle. Ensuite, en cas de crise, la volatilité est hors de contrôle. Enfin, la situation financière de l’opérateur historique est fortement pénalisée et handicape d’autant sa capacité à investir.

L’autre postulat suppose une optimisation de la capacité de production, donc que la réponse à une demande supplémentaire provienne de la dernière unité mise en production – en l’espèce pour des raisons techniques, des centrales thermiques et soit donc valorisée sur la base du coût marginal de cette dernière unité. Or c’est justement ce mode de calcul qui est à l’original de l’envolée du prix du mégawattheure et de l’explosion de la volatilité. Il convient donc de mettre en œuvre un autre mode de calcul à défaut de quoi le coût de la volatilité viendra gonfler de manière disproportionnée, l’inflation induite par la hausse de la demande.

Parmi les solutions envisageables, outre les changements relatifs à l’organisation de la production décrits précédemment, certains acteurs ont formulé des propositions au moment de l’invasion de l’Ukraine. Le gouvernement grec, notamment, a soumis en juillet 2022 à l’Union européenne, un modèle visant à segmenter le marché de gros en deux compartiments distincts.

D’un côté, il y aurait les centrales à coûts marginaux faibles mais à coûts fixes élevés, produisant lorsqu’elles sont disponibles (nucléaires et énergie renouvelables). De l’autre côté, les centrales à coûts variables élevés (qui produisent à partir des combustibles fossiles), qui produiraient à la demande et contribueraient à équilibrer le marché en complément des productions évoquées précédemment. Les premières ne seraient plus rémunérées sur la base des coûts marginaux, mais recevraient un prix couvrant leur coût moyen de long terme, appelé Levelized Cost of Electricity. Le prix payé par le consommateur résulterait d’une moyenne pondérée des prix observés dans chacun des deux compartiments du marché.

Ce système présente l’avantage de rémunérer les producteurs en fonction de leur coût réel de production, plutôt que de se baser sur le coût des centrales fossiles et provoquer ainsi une baisse du coût moyen de l’électricité. De plus, en lissant les anticipations des prix futurs, elle devrait mécaniquement réduire la volatilité potentielle.

Voilà pourquoi, pour faire de la maîtrise du prix de l’énergie un socle de la compétitivité industrielle, il parait nécessaire de remettre en cause des postulats qui ont prévalu à l’organisation de la production sur les 20 dernières années et qui ont eu pour effet d’affaiblir les anciens monopoles sans véritable contrepartie mesurable sur le plan économique. Et ce alors que le défi de la transition énergétique passe par un effort d’investissement colossal, dont le succès repose, au-delà du cadre que nous venons de décrire, sur une parfaite coordination sur les plans technique, industriel et institutionnel. Si les acteurs privés ont leur place dans le dispositif, le rôle du maître d’œuvre sera déterminant.

Régulation géographique des médecins : le cas allemand

Régulation géographique des médecins : le cas allemand

par
Matthias Brunn
Chercheur affilié en sciences politiques au LIEPP – Sciences Po, Sciences Po dans The Conversation

Dans le débat actuel sur la liberté d’installation des médecins en France et les « déserts médicaux », les expériences à l’étranger sont utilisées de manière très variable par les défenseurs comme les détracteurs d’une régulation plus stricte que celle qui existe aujourd’hui.

Concrètement, à l’heure actuelle, un médecin libéral en France peut s’installer où le veut. Néanmoins, l’« Accessibilité potentielle localisée » ou APL (établie selon le nombre de médecins généralistes jusqu’à 65 ans, le temps d’accès pour les patients, etc.) commence à être prise en compte au sein des « Territoires vie-santé » qui maillent le pays (voir la carte ci-dessous).

Il y a ainsi des incitations financières pour promouvoir une installation dans une zone « sous-dense » en personnel médical. En parallèle, l’idée de restreindre l’installation en zone « sur-dense » se développe et alimente des propositions parfois très discutées. Les polémiques les plus récentes concernent l’ajout d’une quatrième année à l’internat de médecine générale, assortie de l’obligation de l’effectuer en cabinet de ville. Dans un Territoire de vie-santé sous-dense, un habitant a accès à moins de 2,5 consultations par an ; 3,8 millions de personnes étaient concernées en 2018, contre 2,5 millions en 2015.

L’Allemagne, voisin le plus proche géographiquement, est doté d’un système de régulation de l’installation parmi les plus stricts au monde. Pourtant, il est très peu évoqué dans le débat français. Au-delà de la barrière linguistique, la faible diffusion de l’évaluation des politiques en place outre-Rhin ne facilite pas les échanges d’expériences.

Cet article décrypte le système allemand actuel, et son historique, et donne un aperçu des effets. En outre, il discute la transférabilité de ces enseignements vers la France.

Les bases de la « planification des besoins » (Bedarfsplanung) sont jetées en 1976 avec l’introduction de statistiques sur la répartition des praticiens sur le territoire. Une évolution majeure a lieu en 1993 avec le découpage du pays en 395 zones de planification et la fixation de « densités cibles » pour 14 catégories de médecins (généralistes, neurologues et psychiatres, etc.).

L’objectif est d’éviter les zones sur-denses en médecins. L’installation n’est possible que si ce seuil de densité n’est pas dépassé de plus de 10 %.

Depuis 2013, le calcul du seuil est plus fin et tient compte de la structure démographique (âge et sexe) de la population. L’objectif est désormais, aussi, d’éviter les zones sous-denses.

En 2021, est lancée une dernière évolution du mode de calcul. Sont intégrés progressivement l’état de santé dans le territoire (basé sur les données administratives fournies par les médecins), les distances (en voiture) entre population et cabinets, puis la multiplication des zones de planification, notamment pour les généralistes (actuellement environ 883 zones).

Un point important est à souligner : cette politique contraignante est largement acceptée par les organisations de médecins. Il faut noter que, au sein des comités de pilotage régionaux (associations de médecins conventionnés et caisses d’Assurance maladie) et au niveau du cadrage fédéral (un comité regroupant essentiellement les médecins, les caisses et les hôpitaux sous supervision légale du ministère de la Santé), ces organisations contribuent à l’évolution du dispositif.

Depuis 1999, la régulation de l’installation est par ailleurs étendue aux psychologues exerçant en tant que psychothérapeutes dans le cadre de leur conventionnement avec l’Assurance maladie. À l’instar des médecins, en échange du bénéfice du remboursement de leur prise en charge, les psychothérapeutes acceptent certaines contraintes, y compris la limitation de l’installation.

Concrètement, en 2021, 31 300 psychologues-psychothérapeutes et 152 000 médecins conventionnés étaient concernés en Allemagne par ce système de maîtrise de l’installation.

Ce système a jusqu’ici donné de bons résultats qui, s’ils ne bénéficient pas d’évaluations scientifiques, sont basés sur des données assez robustes quant à ses effets. La discussion autour de cette politique est en effet essentiellement basée sur des rapports rédigés par des instituts privés et financés par les différentes parties prenantes.

Une expertise approfondie et indépendante publiée en 2018 a conclu que l’accès est très bon pour la plupart des habitants en Allemagne : 99,8 % de la population est à moins de dix minutes de voiture d’un généraliste, et 99,0 % à moins de 30 minutes pour la plupart des spécialistes. Il s’agit, bien entendu, d’un indicateur d’accès purement géographique, en supposant qu’une voiture est à disposition. En ce qui concerne la disponibilité des médecins, la majorité des personnes interrogées ont répondu qu’elles obtiennent des rendez-vous en quelques jours seulement.

En France, une étude de 2017 a trouvé des chiffres relativement proches pour les généralistes : 98 % de la population est à moins de dix minutes en voiture. Faute de méthode identique, les autres données de ces deux études ne sont pas comparables. Il ne faut non plus occulter les différences systémiques entre les deux pays, qui empêchent de conclure que les résultats parfois divergents ne seraient dus qu’à la régulation de l’installation.

Le débat sur le « manque » de médecins (Ärztemangel) est moins intense en Allemagne qu’en France. Et pour cause : s’il existe aussi des différences régionales, l’Allemagne recensait, en 2020, 40 % de médecins de plus que l’Hexagone – par rapport à la population et tous secteurs confondus (hôpital, ambulatoire, etc.) (voir tableau).

La question de la ruralité ne se pose pas non plus de la même manière dans les deux pays. Dans la « campagne profonde », en Allemagne, on n’est jamais très loin d’un centre urbain. Cela se traduit, schématiquement, par une densité de la population presque deux fois plus élevée qu’en France.

L’Allemagne compte 4,5 médecins en exercice par 1000 habitants contre 3,2 pour la France dont la population est deux fois moins dense

Par conséquent, un médecin s’installant dans la campagne allemande ne se sent pas (automatiquement) éloigné d’un certain nombre de services publics, culturels, etc. Cela renvoie à l’idée, dans le débat en France, que les « déserts médicaux » sont aussi, en partie, des « déserts de service public et privé ».

Il convient également de souligner que, si la limitation de l’installation n’est pas contestée, ce sont les médecins allemands eux-mêmes qui la mettent en œuvre.

Ils disposent en effet de larges compétences pour gérer l’organisation de leur exercice : de la formation (définition des cursus pour les études de médecine, etc.) à la permanence de soins, en passant par la distribution du budget ambulatoire. Ils sont en négociation quasi permanente avec l’Assurance maladie et sont bien représentés au niveau politique. L’intégration institutionnelle des médecins, par les organes les représentant, est donc forte.

Cette intégration entraîne toutefois une grande complexité afin que le périmètre et les compétences de chaque partenaire (associations de médecins conventionnés, caisses d’Assurance maladie, Comité fédéral commun…) soit clairement défini.

En Allemagne, la rémunération repose essentiellement sur un système de capitation : une somme fixe pour chaque patient pris en charge par un médecin, par trimestre. S’y ajoute, en sus, une rémunération à l’acte, dont le montant baisse en fonction du nombre d’actes prodigués. On parle de « dégression » : plus il y a des actes, moins élevé est le prix par acte. Comme mentionné plus haut, ce sont les médecins eux-mêmes qui gèrent cette enveloppe dite « à moitié fermée ».

A contrario, en France, domine toujours la rémunération à l’acte qui est non dégressive, et donc à prix fixe.

Des différences empêchant toute transférabilité ?

A priori non, car il existe tout de même de nombreuses similitudes rendant les deux systèmes comparables dans une certaine mesure.

À la différence d’autres systèmes tels que celui en vigueur en Angleterre, France et Allemagne offrent un accès assez peu restreint à de nombreux spécialistes en dehors de l’hôpital. En France, cependant, le « parcours de soins » incite financièrement les patients à passer d’abord par un généraliste – hors gynécologues, ophtalmologues, psychiatres et stomatologues, qui sont accessibles directement sans pénalité financière.

Les deux pays introduisent aussi de plus en plus de dispositifs semblables, qui redessinent l’organisation du système de soins : des maisons ou centres de santé regroupant plusieurs professionnels, des soins plus coordonnés pour les patients atteints de maladies chroniques, l’usage de référentiels pour améliorer la qualité, etc.

Dans l’organisation du système de soins, on note également, en Allemagne comme en France, que l’État est de plus en plus pilote de ces politiques. Ce qui est lié à la notion de contrôle budgétaire, devenue une préoccupation primordiale et un moyen de cadrer les changements du système de santé.

Limiter l’installation des médecins : une politique efficace mais complexe

L’exemple allemand montre que la limitation de l’installation est une politique efficace… mais qui ne peut être mise en place qu’au prix d’un mille-feuille administratif assez épais. Chaque nouvelle modification, comme en 2021, venant ajouter (encore) des variables dans un modèle de planification déjà très complexe. Il faut donc multiplier la collecte, la remontée et l’analyse de données, les concertations, etc.

Mais il faut surtout retenir que cet outil a été mis en place (et a longtemps servi) pour « corriger » les zones sur-denses dans un pays plutôt bien doté en médecins et lits d’hôpitaux. Cette planification a été conçue afin de maîtriser les coûts et éviter une compétition trop élevée entre médecins qui opèrent avec le système d’enveloppe à moitié fermée. Cette trajectoire structure encore les débats et les actions en Allemagne.

Or, ce sont les zones sous-denses qui sont au cœur des débats en France. À titre d’exemple, la densité de médecins généralistes est de 46 % plus élevée dans la région la plus dotée (PACA), par rapport à la moins dotée (Centre), en 2021. Afin de pallier aux « déserts médicaux », il conviendrait plus de se pencher sur les outils incitatifs. Ceux qui existent sont par ailleurs assez similaires dans les deux pays : aide financière à l’installation, ouverture de sites de formation ou d’antennes d’universités dans les territoires ruraux, incitation au recrutement d’internes, etc.

L’approche outre-Rhin apporte donc des pistes de réflexion qui méritent d’être analysées. Toutefois, afin de mener un débat éclairé, il est essentiel de distinguer les notions de zone sous- versus sur-dense, et de tenir compte des spécificités du système de notre voisin – proche… mais pas tout à fait similaire.

L’auteur remercie Lucie Kraepiel, doctorante au CSO (Centre de sociologie des organisations) et assistante de recherche à l’axe santé du LIEPP (Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques) de Sciences Po, pour sa relecture de cet article.

Déserts médicaux : les politiques de régulation géographiques insuffisantes

Déserts médicaux : les politiques de régulation géographiques insuffisantes

Les politiques de régulation géographiques insuffisantes estime le député socialiste Guillaume Garot, co-signataire d’une proposition de loi transpartisane pour lutter contre les déserts médicaux ( intreview JDD).
Le socialiste Guillaume Garot porte, avec plus de 200 députés de tous bords, un texte transpartisan sur la même thématique.


Pourquoi est-il essentiel à vos yeux d’avancer dans le sens de cette régulation ?

La désertification médicale nourrit un sentiment d’abandon très fort qui fait le terreau de l’abstention aux élections ou, pire, de l’extrémisme. Il est impératif de pouvoir refonder le pacte républicain en garantissant à chacun l’accès à des soins près de chez lui. Notre République s’est construite, après 1945, par cette formidable promesse d’égalité de tous à la santé. Il existe aujourd’hui des entailles profondes à ce pacte ; il s’agit donc de le rebâtir avec des mesures fortes et nécessaires.

Cette liberté ne serait pas remise en cause dans son fondement, mais elle serait adaptée aux défis du moment

Concrètement, en quoi consiste la régulation que vous défendez ?</strong
Il s’agit d’encadrer la liberté d'installation de nos médecins. Cette liberté ne serait pas remise en cause dans son fondement, mais elle serait adaptée aux défis du moment. Concrètement, nous disons aux médecins : « N’allez plus vous installer là où l’offre de soins est correctement pourvue, mais allez là où vous voudrez où vos patients vous attendent. »

Certains voient dans votre mesure une coercition, une manière de contraindre les médecins…
Est-ce que les pharmaciens, les infirmiers, les kinés nous parlent de coercition lorsque, eux aussi, sont soumis à une régulation de leur installation et de l’exercice de leurs pratiques ?

Cette mesure ne figure pas dans le texte de Frédéric Valletoux. Quelle va être votre attitude en commission ?
Nous présenterons des amendements pour enrichir le texte et faire en sorte que la régulation, qui est attendue par beaucoup de Français, puisse voir le jour à l’issue du débat dans l’hémicycle qui doit permettre de rassembler une majorité. Ce sentiment d’urgence traverse beaucoup de bancs aujourd’hui. Notre proposition de loi réunit 205 co-signataires issus des neuf groupes de l’Assemblée nationale, des Républicains à La France insoumise ! Il faut traiter ces problèmes. Tout ce que nous avons fait les uns et les autres, depuis des années, n’a pas produit les effets attendus.

Il y a aujourd’hui un autre texte qui, opportunément, est mis dans le débat ; nous l’amendrons

Les politiques fondées sur l’incitation à l’installation ont été utiles mais n’ont pas été suffisantes. Nous devons aujourd’hui passer une nouvelle étape. Il faudra discuter des modalités avec les professionnels, mais nous avons besoin d’actionner ce levier de la régulation. Je reconnais que nous sommes face à un problème de nombre de médecins – il faut en former davantage –, mais nous avons aussi un problème de répartition. C’est le sens de notre mesure.

Mais votre proposition de loi n’est pas inscrite à l’ordre du jour du Parlement…
Nous le regrettons. Alors qu’elle est déjà le fruit d’un compromis entre les différentes sensibilités. Dans nos groupes de travail, il a fallu se mettre d’accord alors que nous n’étions pas dans les mêmes logiques politiques. L’inscription à l’ordre du jour n’a hélas pas été le choix de la présidente de l’Assemblée nationale. Il y a aujourd’hui un autre texte qui, opportunément, est mis dans le débat ; nous l’amendrons.

En avez-vous discuté avec Frédéric Valletoux ?
Oui, à de nombreuses reprises. Le travail est respectueux et les échanges de qualité. Sur beaucoup de sujets, nous pouvons nous retrouver : l’idée d’un préavis obligatoire avant le départ d’un médecin, la limitation du cumul des aides à l’installation, la démocratisation de l’accès aux études de médecine… Sur ça, il y a des terrains d’entente. Après, il reste en effet le sujet de la régulation de l’installation. Le débat aura lieu en séance publique, dans l’hémicycle. Ne le craignons pas. Que chacun s’exprime et que l’Assemblée vote.

François Braun reste opposé à la régulation. Après c’est le ministre qui parle, et l’Assemblée nationale parlera aussi

Vous avez rencontré le ministre de la Santé, François Braun, mercredi. Quelle est sa position ?
Il reste opposé à la régulation. Après c’est le ministre qui parle, et l’Assemblée nationale parlera aussi. Emmanuel Macron a également parlé. Je dis au ministre et aux députés de la majorité : « Regardez ce que le président de la République a dit dans des termes qui ne sont pas si éloignés de ce que nous proposons. » Dans La Nouvelle République en avril, il déclarait ne pas croire à la « coercition nationale » mais affirmait « penser qu’il faut être plus contraignant dans des zones qui sont déjà très richement dotées ».

Ce qu’il s’est passé cette semaine en commission des affaires sociales sur les retraites peut-il avoir un impact sur l’examen de la proposition de loi de Frédéric Valletoux ?
C’est possible. Mais je le redis, nous sommes dans une démarche ouverte pour aboutir à de vraies mesures. Il y a certes l’étape en commission – qui n’est, au vu de sa composition, pas très ouverte à la régulation –, mais il y a surtout le débat en séance publique la semaine suivante. Quant au 8 juin (le jour de l’examen de la proposition de loi Liot sur la réforme des retraites, NDLR), ce sera un autre rendez-vous important pour chacun des parlementaires.

Déserts médicaux–: Le ministre contre la régulation géographique

Déserts médicaux–: Le ministre contre la régulation géographique


Le ministre de la santé est clairement contre la régulation géographique qui est envisagée à l’assemblée nationale. De ce point de vue, il se fait le porte-parole de la médecine libérale qui s’oppose à l’intervention de l’État pour mieux répartir les jeunes médecins. Le ministre propose surtout des assistants médicaux pour libérer du temps et le recrutement de médecins étrangers. . «Il faut fluidifier tout cela. Un assistant médical permet à un médecin généraliste de suivre 10% de patients en plus. Un assistant dentaire permet à un dentiste de prendre 30% de patients en plus», a affirmé le ministre, rappelant que la pénurie de soignants est un problème mondial.

François Braun veut «étendre ce qui existe déjà pour les chercheurs avec le dispositif «Passeport Talents», aux métiers de la médecine et de la pharmacie». Concrètement, ces professionnels de santé étrangers, qui auraient «un contrat avec un établissement», disposeraient de «13 mois pour passer l’examen de validation des connaissances. S’ils réussissent, ils obtiendraient un titre de séjour de 4 ans leur permettant de faire venir leur famille».

Le ministre de la santé s’est ensuite montré très ambigu concernant la lutte contre les stupéfiants. La cigarette électronique pourrait, malgré les doutes sur sa toxicité, finir par être reconnue comme l’un des outils du sevrage tabagique. C’est en tout cas le message du ministre de la Santé, dimanche 28 mai, qui envisage sa prescription et son remboursement par la sécurité sociale. Il s’est cependant dit déterminé à lutter contre les addictions, s’est déclaré dimanche favorable à l’interdiction des «puffs», cigarettes électroniques jetables prisées des jeunes. Mais il envisage d’ouvrir aux pharmaciens la prescription de certains substituts nicotiniques sous forme de cigarettes électroniques. Interrogé sur un éventuel remboursement par la Sécu, François Braun a répondu que le sujet était «sur la table dans le cadre du prochain plan antitabac» du gouvernement, prévu sur la période 2023-2028.

Santé : Le ministre contre la régulation géographique

Santé : Le ministre contre la régulation géographique


Le ministre de la santé est clairement contre la régulation géographique qui est envisagée à l’assemblée nationale. De ce point de vue, il se fait le porte-parole de la médecine libérale qui s’oppose à l’intervention de l’État pour mieux répartir les jeunes médecins. Le ministre propose surtout des assistants médicaux pour libérer du temps et le recrutement de médecins étrangers. . «Il faut fluidifier tout cela. Un assistant médical permet à un médecin généraliste de suivre 10% de patients en plus. Un assistant dentaire permet à un dentiste de prendre 30% de patients en plus», a affirmé le ministre, rappelant que la pénurie de soignants est un problème mondial.

François Braun veut «étendre ce qui existe déjà pour les chercheurs avec le dispositif «Passeport Talents», aux métiers de la médecine et de la pharmacie». Concrètement, ces professionnels de santé étrangers, qui auraient «un contrat avec un établissement», disposeraient de «13 mois pour passer l’examen de validation des connaissances. S’ils réussissent, ils obtiendraient un titre de séjour de 4 ans leur permettant de faire venir leur famille».

Le ministre de la santé s’est ensuite montré très ambigu concernant la lutte contre les stupéfiants. La cigarette électronique pourrait, malgré les doutes sur sa toxicité, finir par être reconnue comme l’un des outils du sevrage tabagique. C’est en tout cas le message du ministre de la Santé, dimanche 28 mai, qui envisage sa prescription et son remboursement par la sécurité sociale. Il s’est cependant dit déterminé à lutter contre les addictions, s’est déclaré dimanche favorable à l’interdiction des «puffs», cigarettes électroniques jetables prisées des jeunes. Mais il envisage d’ouvrir aux pharmaciens la prescription de certains substituts nicotiniques sous forme de cigarettes électroniques. Interrogé sur un éventuel remboursement par la Sécu, François Braun a répondu que le sujet était «sur la table dans le cadre du prochain plan antitabac» du gouvernement, prévu sur la période 2023-2028.

Intelligence artificielle : une régulation nécessaire pour la protection de la démocratie

Intelligence artificielle : une régulation nécessaire pour la protection de la démocratie

Par Julie Martinez, rapporteure générale de la Commission France Positive dans la tribune


Nous sommes aujourd’hui à un moment charnière de notre histoire pour au moins deux raisons. La première concerne le bouleversement disruptif généré par la découverte du grand public de ChatGPT, chatbot conçu par la société américaine OpenAI. Alors que l’IA se développe à une vitesse fulgurante, elle impacte soudainement notre manière de communiquer et de prendre des décisions quotidiennes, y compris politiques (1).

La seconde raison est plus latente, elle couve en effet depuis quelques décennies, et concerne l’affaiblissement certain de notre modèle démocratique aux yeux des citoyens. L’évolution politique des dernières décennies exprime avec force les errances de notre démocratie libérale et la nécessité de renforcer notre vigilance collective pour la préserver des menaces qui l’affaiblissent, parmi lesquelles la désinformation. Sans nier les dangers liés à l’IA, que nous devons résoudre et encadrer urgemment, cette technologie pourrait être un allié solide des gouvernements dans la résolution de la crise démocratique que nous traversons aujourd’hui.

L’IA est actuellement un danger réel en matière de désinformation
Pour contrer des développements jugés trop rapides et dangereux pour l’humanité, un groupe de chercheurs en IA, dont font partie Stephen Hawking et Elon Musk, a lancé une pétition le mois dernier visant à obtenir une pause dans le développement de cette technologie (2). Ils appelaient à une réglementation internationale stricte pour encadrer le développement de l’IA, à la fois pour empêcher ses conséquences néfastes et favoriser son utilisation positive pour le bien de l’humanité.

Ces risques sont en effet majeurs (3), a fortiori dans un contexte d’affaiblissement de notre système démocratique, renforcé par la désinformation – ces fameuses « fake news » qui circulent déjà avec force en ligne. Comme l’a récemment souligné le Global Risks Report (4), la désinformation est devenue une menace majeure pour la stabilité politique et la confiance dans les institutions. Les réseaux sociaux et médias en ligne sont particulièrement vulnérables à ces manipulations, étant conçus pour maximiser l’engagement des utilisateurs en leur présentant des contenus viraux, susceptibles de les intéresser, indépendamment de leur véracité. Dans ce contexte, la désinformation est devenue une arme redoutable pour influencer l’opinion publique et perturber les processus démocratiques.

L’IA aggrave considérablement ces risques, en facilitant la génération automatisée de contenus falsifiés, de plus en plus sophistiqués. Les récents progrès dans le domaine des GAN (5) ont permis de créer des images et des vidéos hyper-réalistes, semant la confusion dans l’opinion publique, tel que l’illustre la génération d’une fausse photographie d’Emmanuel Macron devant des poubelles en feux pendant les dernières manifestations contre la réforme des retraites (6).

Pour protéger nos démocraties contre les conséquences désastreuses de la désinformation renforcée par l’IA, des mesures règlementaires doivent être prises urgemment – et les gouvernements dans le monde planchent déjà sur le sujet. Ces mesures juridiques, souvent ex-ante, apparaissent déjà comme trop tardives au regard des récents développements disruptifs de l’IA et mettent en évidence le décalage entre la législation et les avancées technologiques.

Orienter l’IA pour soigner notre démocratie
Dans notre quête pour réglementer l’IA, nous ne devons pas oublier l’alliée solide qu’elle peut être demain. L’avenir de notre démocratie dépend de la manière dont nous investirons collectivement aujourd’hui dans les « bonnes » finalités qu’elle doit poursuivre, en allant au-delà des quelques initiatives règlementaires internationales en cours qui visent souvent à limiter les effets négatifs générés par l’IA. Comme toute technologie, elle n’est en effet qu’un médium, puissant, permettant d’atteindre des finalités qui, elles, doivent être repensées. Plus particulièrement, il faudra augmenter nos efforts de recherche en civic tech démocratique, continuer d’inciter les plateformes en ligne à améliorer leurs politiques de lutte contre la désinformation et les citoyens à développer leur esprit critique et leur capacité à évaluer les sources d’information. Ces défis relevés, l’IA pourra contribuer à soigner notre démocratie du grand mal du siècle.

L’exemple de Taiwan est à cet égard particulièrement significatif. En recourant à l’IA pour lutter contre la désinformation, Taiwan est devenu l’un des gouvernements les plus avancés dans la mise en place de mécanismes numériques de protection de la démocratie. Face à une campagne de désinformation massive en 2018 menée par la Chine, visant à influencer les élections locales, le Commandement des forces d’information, de communication et d’électronique a été renforcé par des procédés utilisant de puissants algorithmes, permettant l’analyse en temps réel et la détection de fausses informations en ligne. Le système est également capable de prédire les sujets qui pourraient faire l’objet d’une désinformation dans l’avenir (7).

Rien n’est plus fragile que la démocratie. Des menaces similaires existent déjà sur notre territoire et nécessitent une action rapide et décisive de la part de nos gouvernements pour soigner notre mal démocratique, y compris par l’IA.

______

(1) Avertissant sur le tsunami technologique qui s’apprêtait à déferler sur le monde, Sam Altman – CEO d’OpenAI, concluait dès 2021 une de ses tribunes de la façon suivante : « Les changements à venir sont imparables. Si nous les accueillons et les planifions, nous pouvons les utiliser pour créer une société beaucoup plus juste, plus heureuse et plus prospère. L’avenir peut être d’une grandeur presque inimaginable. » (Traduction proposée par l’auteur). Sam Altman, Moore’s Law for Everything, 16 Mars 2021

(2) Future of Life Institute, Pause Giant AI Experiments: An Open Letter, 22 Mars 2023

(3) O’Neil, C. Weapons of math destruction: How big data increases inequality and threatens democracy. Broadway Books, 2016

(4) Forum Economique Mondial, The Global Risks Report 2022, 17e Edition

(5) En francais, les réseaux antagonistes génératifs. Il s’agit d’une classe d’algorithmes d’apprentissage non supervisé.

(6) Si elles peuvent paraitre absurdes pour une partie de la population, ces images (- et bien d’autres !) ont un véritable impact et ont fait le tour du monde. Ces risques sont d’autant plus préoccupants que la confiance dans les institutions et les médias traditionnels est en déclin dans le monde.

(7) L’IA y est aussi utilisée pour renforcer la participation citoyenne grâce à une plateforme en ligne permettant aux citoyens de proposer des idées de politiques publiques et de voter pour celles qu’ils jugent les plus pertinentes. Les données collectées sont ensuite analysées par l’IA pour évaluer les opinions et décisions des citoyens, qui sont ensuite prises en compte dans le processus décisionnel gouvernemental.

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