Écologie réformiste ou radicale ?
le journaliste du Monde, Nicolas Truong, évoque les différentes tendances des écologistes. En effet, Le combat contre la catastrophe climatique oppose de multiples courants de pensée divisés entre un environnementalisme réformiste et une écologie plus radicale. .
Des milliers d’oiseaux étourdis par la chaleur qui tombent en pluie sur les terres craquelées de l’Inde et du Pakistan. Des saumons qui meurent brûlés par la température trop élevée d’un fleuve aux Etats-Unis. Un consortium d’experts intergouvernementaux sur le climat qui rappelle que l’humanité dispose d’un temps restreint afin de « garantir un avenir viable ». L’Ukraine meurtrie devenue l’épicentre d’un conflit global de l’énergie et d’une crise alimentaire mondiale. Le réchauffement climatique qui place les organismes aux limites de ce que peut supporter leur physiologie… L’écologie est assurément l’affaire du siècle, le grand combat d’aujourd’hui. Mais elle est aussi une source de conflits que l’urgence de la dévastation planétaire amplifie.
Au point que les appels à la « désertion » se multiplient. A l’image de ces jeunes ingénieurs d’AgroParisTech qui, le 30 avril, lors de la cérémonie de remise de leurs diplômes ont appelé à « bifurquer » et à refuser le « système ». Notamment celui de l’agro-industrie, qui mène une « guerre au vivant » et à la paysannerie. Une invitation à ne pas participer aux métiers qui les conduiront à « concevoir des plats préparés et ensuite des chimiothérapies pour soigner les maladies causées » ou encore à « compter des grenouilles et des papillons pour que les bétonneurs puissent les faire disparaître légalement ». Un mouvement qui rappelle et radicalise celui lancé en 2018 par le manifeste étudiant « Pour un réveil écologique ». Une volonté de faire sécession qui témoigne d’un « affect écologique universel » dont la jeunesse est traversée, observe le philosophe Dominique Bourg. A tel point que, selon une enquête mondiale sur l’écoanxiété menée dans dix pays du Nord comme du Sud, 75 % des 16-25 ans jugent le futur « effrayant » et 56 % estiment que « l’humanité est condamnée » (The Lancet Planetary Health, 2021).
Ces appels à « bifurquer », comme dit le philosophe Bernard Stiegler, c’est-à-dire à emprunter un autre chemin, parce que « notre modèle de développement est un modèle de destruction », et que « la véritable guerre mondiale », c’est « celle qui oppose notre genre tout entier à son environnement global », disait le philosophe Michel Serres, mettent en relief la nature du conflit entre deux écologies, assure Bruno Villalba, professeur de science politique à AgroParisTech et auteur de L’Ecologie politique en France (La Découverte, 128 pages, 10 euros). Une écologie « superficielle » et une écologie « profonde », que le philosophe norvégien Arne Næss (1912-2009) s’est attaché à distinguer dès 1973. « Superficielle », en raison de son inclination à proposer des solutions techniques afin de diminuer la pollution ou d’endiguer la surconsommation sans s’attaquer aux racines d’un productivisme axé sur une conception anthropocentrée du monde. « Profonde », parce qu’elle s’évertue à associer les formes de vie humaines et non humaines au sein d’une métaphysique écocentrée. Une philosophie de l’écologie qu’Arne Næss a baptisée « écosophie », terme repris par le philosophe et psychiatre Félix Guattari.