Politique- Macron: le déni du réel
Le journaliste Franz-Olivier Giesbert revient sur la conférence de presse d’Emmanuel Macron. Auteur d’une « Histoire intime de la Ve République » en trois tomes chez Gallimard, l’écrivain ne mâche pas ses mots sur la politique du président, qu’il estime « délirante, à courte vue » ( dans le JDD).
Le JDD. En donnant une conférence de presse mardi soir, le chef de l’État souhaitait, tel un homme politique en campagne, relancer son second quinquennat. L’exercice est-il réussi ?
Franz-Olivier Giesbert. Sans doute cette conférence était-elle avant tout une opération de com. D’où le déluge de mesures, de promesses, etc. Mais Emmanuel Macron a montré aussi qu’il avait encore beaucoup d’énergie, on peut même dire qu’il pétait le feu. Et il a tracé un chemin, au moins pour le court terme. Il lui reste maintenant, mission quasi impossible, à trouver une majorité au Parlement pour les trois ans qui lui restent. N’oublions pas que ses soutiens sont minoritaires à l’Assemblée nationale. Depuis qu’il a perdu les législatives de 2022, il lui manque une trentaine de députés pour imposer ses lois. De ce point de vue, le président est dans le déni du réel : il fait comme s’il ne s’était rien passé alors que les Français lui ont bel et bien coupé les ailes, il y a deux ans.
En dehors de quelques mesures annoncées, son cap ne semble pourtant pas plus clair. À quoi peut bien ressembler le reste du quinquennat d’Emmanuel Macron ?
Sans majorité, il est condamné à godiller. Mais il a quand même commencé à clarifier sa ligne politique. Il a signifié la fin du « en même temps », du chèvre-choutisme et du mi-droite-mi-gauche. Il s’est indubitablement droitisé comme le montre la composition de son gouvernement. Il est vrai qu’il n’a pas d’autres choix, pour survivre, dans un pays qui penche de plus en plus à droite.
Emmanuel Macron a promis des baisses d’impôts et de nombreux investissements, mais n’a jamais évoqué l’état de la dette française. Le président n’est-il pas pris au piège de l’argent magique ?
Tout à fait. La dette est, avec l’immigration, l’angle mort du macronisme. La France est la championne du monde des dépenses publiques. De ce point de vue, Macron est l’héritier du Mitterrand et des socialistes de 1981 : « Dépensons, pense-t-il, ça va relancer la croissance ». Comme elle ne vient pas, il insiste, il persiste. Dès qu’il y a un problème, il fait un chèque sans se préoccuper de son financement puisqu’il lui suffit d’emprunter. C’est une politique délirante, à courte vue.
L’omniprésence du président de la République laisse peu d’espace aux premiers pas du nouveau chef de gouvernement, Gabriel Attal. Est-ce une erreur stratégique selon vous ?
Si l’on regarde la pratique des derniers présidents, le poste de Premier ministre est plus ou moins en voie de disparition, relégué au rang de collaborateur, voire d’assistant. Or, selon la Constitution de la Vème, le président préside et le Premier ministre gouverne. Ce qui a donné le couple magique de Gaulle-Pompidou : le premier s’occupait de la France, le second des Français. Dans sa situation politique qui est fragile, Emmanuel Macron aurait intérêt à avoir un Premier ministre « fort » qui prendrait les coups avec lui et, d’une certaine façon, le protégerait. Mais il préfère toujours être tout seul sur la photo. C’est son drame.