Réconciliation France-Algérie: une mission impossible
Le rapport de l’historien, Benjamin Stora, sur le sujet devrait être remis au président français, Emmanuel Macron, d’ici au 15 décembre
Benjamin Stora.
Spécialiste reconnu de l’Algérie, le professeur Benjamin Stora a prévu de remettre son rapport à Emmanuel Macron au plus tard, le 15 décembre. Le chef de l’Etat français lui a confié, en juillet, une mission sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie ». L’historien formulera des recommandations afin de favoriser « la réconciliation entre les peuples français et algérien ».
Benjamin Stora parviendra-t-il à réconcilier les mémoires blessées de la colonisation et de la guerre d’Algérie ? C’est le défi lancé en juillet par Emmanuel Macron à cet historien qui fait partie des spécialistes les plus réputés de l’histoire du Maghreb, en particulier de cette période qui déboucha sur l’indépendance algérienne.
Né en 1950 dans une famille juive à Constantine, Benjamin Stora a quitté le territoire algérien en 1962. Depuis plus de quarante, il travaille sur ces questions. D’un président français à l’autre, il est toujours aussi consulté. Il a rencontré pour la première fois François Mitterrand à ce sujet en 1990. Il le reverra à deux autres reprises les années suivantes. Puis sera sondé par Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, et encore François Hollande à maintes reprises.
Il a aidé ce dernier à préparer son premier déplacement en Algérie, en décembre 2012, et l’y a accompagné. Il était proche de l’ancien conseiller diplomatique du président socialiste, Paul Jean-Ortiz, avec lequel il a souvent discuté de l’Algérie. Pour Benjamin Stora, le travail de réconciliation consiste surtout à rétablir la vérité des faits dans un contexte où cette période sert à la fabrique du nationalisme. L’historien français regrettait d’ailleurs à l’époque le manque d’ouverture des archives algériennes depuis l’indépendance, dommageable pour le travail des historiens des deux rives.
Il a croisé une première fois Emmanuel Macron à l’Elysée lorsque ce dernier était secrétaire général adjoint de la présidence, sous Hollande. Pour le disciple du philosophe Paul Ricœur, le « fait algérien » est un impensé en France. Il contamine la jeunesse issue de l’immigration et les autres mémoires africaines, d’où le besoin d’accélérer le travail des historiens afin de favoriser aussi bien la réconciliation nationale que celle entre les peuples de deux rives.
Archives. Benjamin Stora n’effacera d’un coup d’éponge magique les traumatismes de la colonisation. Il est conscient des limites de son travail mais il loue la volonté politique des présidents Tebboune et Macron. « On ne peut jamais définitivement réconcilier des mémoires, confiait l’historien à RFI en juillet. Mais je crois qu’il faut avancer vers une relative paix des mémoires pour précisément affronter les défis de l’avenir, pour ne pas rester prisonniers tout le temps du passé, parce que l’Algérie et la France ont besoin l’une de l’autre ».
Du côté algérien, les attentes sont importantes. Alger demande l’accès à toutes les archives françaises durant la colonisation. Pour l’instant, la France a rendu les archives ottomanes et courantes (concernant notamment l’état civil), mais refuse de fournir celles dites de « souveraineté » qui comprennent des notes internes du gouvernement général au préfet d’Alger et des services secrets, ainsi que des télex diplomatiques. Certains microfilms ont déjà été transmis au partenaire algérien mais on est loin de la totalité des documents disponibles.
La partie algérienne a exprimé d’autres requêtes, comme la restitution des tous les restes mortuaires, et le retour d’objets comme le canon Baba Merzoug, pièce de 12 tonnes consacrée à la défense du port d’Alger, symbole de la résistance du pays aux attaques du colonisateur depuis le XVIIe siècle.
« Des crimes méritent d’être racontés, comme la prise de l’oasis de Zaatcha où les troupes françaises du général Emile Herbillon ont massacré les combattants du cheikh Bouziane, réclamait le président algérien dans une interview à l’Opinion, en juillet. Le maréchal de Saint-Arnaud a aussi perpétré de nombreux massacres, qui ont fait plus de victimes qu’à Oradour-sur-Glane. »
Homologue algérien de Stora, Abdelmadjid Chikhi a accusé Paris de livrer une lutte acharnée contre les composantes de l’identité nationale algérienne. Certaines de ses déclarations laissent pantois les historiens français
Le chef de l’Etat algérien a bien accueilli la nomination de Benjamin Stora, qualifié de « sincère » et « connaisseur » de la période d’occupation française. On ne peut pas dire que la nomination de son homologue algérien, Abdelmadjid Chikhi, a suscité le même enthousiasme en France. Cet ancien moudjahid, indétrônable directeur des archives nationales, est considéré comme un gardien de l’orthodoxie.
Abdelmadjid Tebboune l’a appelé à ses côtés à la présidence, en avril, comme conseiller en charge des archives nationales et de la mémoire nationale. Neuf jours plus tard, Abdelmadjid Chikhi a accusé la France de livrer une lutte acharnée contre les composantes de l’identité nationale algérienne. Fin octobre, il a fait une autre sortie remarquée : « Après les massacres perpétrés en Algérie, la France a transféré les ossements des Algériens à Marseille pour les utiliser dans la fabrication du savon et le raffinage du sucre ».
Cette déclaration laisse pantois plusieurs historiens français consultés par l’Opinion. « Cette affirmation n’a jamais été étayée, confie l’un d’eux. Je n’ai jamais rien vu qui s’y rapporte dans toutes les archives que j’ai consultées. » D’autres fins connaisseurs de l’Algérie ont des explications plus rationnelles. Ces propos ont été rendus publics juste avant la commémoration du 1er novembre 1954, date de l’appel à la révolte adressé par le Front de libération nationale (FLN).
Repentance. « Abdelmadjid Chikhi est très politique, comme d’habitude, s’amuse une source proche de la présidence algérienne. Cela fait partie du récit national. Il n’y a pas à avoir d’inquiétude. Si le président Tebboune lui demande d’avancer sur les questions mémorielles, il le fera ! »
En lançant ce travail avec son homologue, le président Macron souhaite réduire ce genre de saillies qui sonnent comme une instrumentalisation de la mémoire à des fins politiques. Pas toujours facile. En accédant à l’indépendance, l’Algérie a intensifié son nationalisme, en même temps qu’il faiblissait régulièrement du côté français.
Dans la pratique, Benjamin Stora et Abdelmadjid Chikhi vont surtout travailler chacun de son côté. Une fois leurs copies respectives remises, des rencontres d’historiens entre les deux rives devraient être organisées pour un travail de d’échanges et de restitution.
« Ces questions mémorielles vont devenir de plus en plus sensibles à l’approche de la présidentielle de 2022 en France, alors que la droite et l’extrême droite et même certains proches de Macron ne souhaitent pas être dans la repentance », confie un diplomate français. Et puis, ce dossier pourrait être pollué par d’autres liés à l’immigration et à la sécurité. « C’est comme lorsqu’on joue au mikado, conclut le diplomate. C’est difficile d’extirper une baguette sans toucher les autres ».