Après les Régionales : recomposer le paysage politique (Grunberg)
Gérard Grunberg, rocardien historique, estime que la montée du FN va obliger les partis de gouvernement à revoir leurs alliances. (intreview JDD)
A deux jours du premier tour, la dynamique du Front national ne semble pas connaître de repli. Le parti a-t-il profité de l’après-attentats du 13 novembre?
Ce n’est pas la seule raison, puisque le parti progresse depuis des années, mais si on en croit l’évolution des sondages, cela a très clairement encouragé le vote FN.
Le Front national est-il en mesure de remporter des régions?
Tout dépend des configurations de deuxième tour. Si l’on reste dans le cadre de triangulaires, il y a de grandes chances de voir le FN remporter des régions : très certainement le Nord, et peut-être l’Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne et la région Paca. On peut donc envisager qu’il gagne trois régions, voire quatre si le parti continue de monter.
Politiquement, quelles seraient les conséquences d’une victoire du FN?
Ce serait une grande défaite socialiste, mais aussi une grande défaite de la droite. Cela montrerait qu’elle n’est pas capable de réoccuper l’espace de l’ensemble de la droite comme le souhaitait Nicolas Sarkozy. La question de savoir si le parti de droite peut gouverner seul face à la gauche et le FN en 2017 se posera. C’est la question générale du fonctionnement de notre système politique qui est remise en cause. Faut-il rester sur un axe gauche-droite avec les trois blocs que l’on connaît aujourd’hui, ou bien faut-il réfléchir à une union entre la droite et le FN ou entre les modérés de droite et ceux de gauche? Ces questions vont se poser si le FN est le premier parti à l’issue de ce scrutin.
Comment expliquer que la gauche et la droite ne parviennent pas à contenir le FN?
Ça ne date pas d’hier, mais je crois qu’un certain nombre d’électeurs estiment tout simplement que le FN avait raison de dire qu’il y avait un péril islamique en France, que l’on était trop tolérant avec cela et que les partis de gouvernement n’ont rien fait pour l’empêcher. Il faut ajouter à cela la crise des migrants, plus importante à mon avis que les attentats. Et puis quand vous n’êtes pas au pouvoir, vous avez le bénéfice de recueillir le vote de ceux qui ne sont pas contents du gouvernement et de la classe politique en général, dans la droite ligne du « tous pourris » défendu par Marine Le Pen.
Dimanche soir, la situation risque d’être compliquée pour le PS qui devra rapidement se positionner pour le second tour. Une éventuelle fusion avec Les Républicains dans certaines régions ne risque-t-elle pas de brouiller davantage les pistes politiques?
Elles sont déjà brouillées! Tout dépend de ce que vont faire les partis de gouvernement. Pensent-ils qu’ils peuvent continuer à se faire la guerre ou pas? Les listes d’union sont des options, mais verront-elles le jour? Cela paraît improbable. La droite a déjà affirmé qu’elle était contre, mais si elle s’aperçoit qu’elle est en grande difficulté, cela peut changer. On ne peut pas répondre à cette question avant dimanche soir, mais elle se posera quoi qu’il arrive, car rien ne dit qu’en cas de retrait de la gauche, ses électeurs se mobilisent au deuxième tour pour faire élire le candidat de droite.
«Peut-on longtemps garder un système à trois ou personne ne s’allie avec l’autre? Je ne crois pas»
Dans cette situation, combien de régions le PS peut-il espérer conserver?
Selon les sondages, il pourrait conserver la Bretagne et le Languedoc-Roussillon. Pour le reste, on voit que cela se resserre en Aquitaine avec la droite. Je ne suis pas sûr qu’ils pourront en gagner beaucoup d’autres, même si la Normandie peut être une surprise.
La gauche peut-elle encore éviter la catastrophe?
Dans l’éventualité où la gauche remporterait trois régions et le FN aussi, la victoire de la droite serait atténuée. Cela démontrerait l’échec de la stratégie de Nicolas Sarkozy et prouverait que le siphonnage des idées du FN ne fonctionne pas. La chronique annoncée d’une catastrophe pour le PS peut encore avoir lieu, mais si la victoire de la droite est obscurcie par les bons scores du FN, les commentaires seront forcément nuancés.
Si dans certaines régions, la droite l’emporte grâce au front républicain, est-ce que ce ne sera pas une victoire à la Pyrrhus?
Tout dépend de ce qu’il se passera ensuite. Si c’est l’amorce d’une reconstitution d’alliances comme dans beaucoup d’autres pays européens, non. Mais si c’est temporaire, alors cela montrera que les partis de gouvernement ne savent pas ils vont. Le système est en voie de déstabilisation. La droite comme la gauche sont isolées. Peut-on longtemps garder un système à trois ou personne ne s’allie avec l’autre? Je ne crois pas.