Archive pour le Tag 'Réchauffement'

Réchauffement climatique : la limite de 1,5°C déjà presque atteinte

Réchauffement climatique : la limite de 1,5°C déjà presque atteinte

La hausse des concentrations de CO2 dans l’atmosphère cette année s’annonce supérieure aux niveaux compatibles avec des trajectoires de réchauffement du climat respectant la limite de 1,5°C, selon une étude du service de météorologie britannique, qui s’appuie sur les relevés d’une station de référence à Hawaï.

L’accord de Paris de 2015 a pour ambition de maintenir l’augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre les efforts pour limiter l’augmentation de la température à 1,5°C. Mais cette limite la plus ambitieuse – qui se comprend comme une moyenne de température sur au moins 20 ans – est considérée comme de plus en plus difficile à conserver par les experts. «La hausse estimée des concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone pour cette année est bien au-dessus des trois scénarios compatibles avec la limite de 1,5°C soulignés dans le rapport du Giec», a résumé Richard Betts, chercheur au Met Office.

Le climat actuel marque déjà un réchauffement d’environ 1,2°C ou 1,3°C par rapport à 1850-1900. Et au rythme actuel d’émissions, le Giec prévoit que le seuil de 1,5°C a une chance sur deux d’être atteint en moyenne dès les années 2030-2035. «Pour conserver le réchauffement sous 1,5°C, l’accumulation du CO2 devra ralentir substantiellement ces prochaines années et s’arrêter d’ici le milieu du siècle. Mais la prévision pour 2024 ne témoigne pas d’un tel ralentissement», a mis en garde Richard Betts.

Afrique sub-saharienne et défis du réchauffement climatique

L’Afrique sub-saharienne et défis du réchauffement climatique

Lors de la COP 28, la discussion sur les efforts en faveur du climat attendus des pays africains a mis en évidence les arbitrages qui requièrent des choix politiques et éthiques allant au-delà des problèmes de soutien financier que les pays riches promettent à l’Afrique sub-saharienne (AS) (1) pour lui permettre de transformer son modèle énergétique.

Par Claude Crampes (TSE) et Antonio Estache (ULB), économistes. dans la Tribune

L’enthousiasme politique qui suit chacune des « Conférence des parties à la convention sur les changements climatiques » (alias COP) n’a d’égal que la déception des scientifiques qui observent l’augmentation régulière du stock de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère et l’inquiétude des habitants des pays les plus pauvres, largement démunis face aux dérèglements qu’ils subissent. C’est notamment le cas des pays d’Afrique sub-saharienne.

Près de 400 millions d’Africains (environ un tiers de la population du continent) vivent dans une pauvreté extrême. Approximativement 600 millions n’ont pas encore accès à l’électricité. L’AS ne représente que 6% de la consommation mondiale d’énergie et 3% de la demande mondiale d’électricité alors qu’on y trouve 14% de la population du globe. Le manque d’électricité explique aussi pourquoi 990 millions de ses habitants dépendent du bois et de combustibles fossiles pour cuisiner, notamment dans les zones rurales.

Dans ce contexte, toute décision prise à la COP 28 doit être évaluée non seulement en fonction de son impact climatique mais aussi en tenant compte de son impact sur la rapidité avec laquelle les retards du continent seront comblés. Il faut pour cela éliminer les obstacles à l’investissement et au financement des énergies propres, ce qui exige une prise de conscience de la nécessité de plus d’équité dans les efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

La déclaration de Dubaï du 13 décembre 2023 est présentée comme une victoire de la raison car, pour la première fois, est évoquée une « transition pour sortir des énergies fossiles afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques » (paragraphe 28d). La déclaration est prometteuse dans sa forme puisqu’elle établit que cette transition doit être juste, ordonnée et équitable, et déterminée nationalement. Malheureusement, le flou sémantique qui entoure les trois premiers adjectifs, combiné à la restriction du quatrième fait craindre que les engagements soient insuffisamment concrets. De nombreux pays, soumis à la myopie de leur opinion publique, continueront de jouer les passagers clandestins sur un bateau qui avance trop lentement puisque la plupart, notamment les plus riches, ne rament pas suffisamment. L’Afrique va donc devoir continuer à se battre pour ses droits.

Tous les acteurs s’accordent sur la nécessité de mieux gérer les émissions de CO2 dans tous les pays. La transformation du modèle énergétique africain, essentiellement basé sur la combustion d’énergies fossiles et de biomasse, est inévitable. Heureusement, la marge de manœuvre est grande. Par exemple, le solaire, l’éolien et la géothermie ne représentent encore que 1 % de la consommation d’énergie du continent.

Cet énorme potentiel de transformation explique sans doute que l’effort de décarbonation demandé aux pays africains soit bien supérieur à leur part dans les émissions mondiales de GES qui est de l’ordre de 4%. Mais ces exigences explicitées dans les accords sous-estiment la « réalité physico-chimique », le « réalisme politico-économique » et l’hétérogénéité des options techniques et financières des pays de la région. Au niveau des principes, il est facile d’argumenter que réduire les émissions est dans l’intérêt de l’AS puisque tout nouvel apport au stock de CO2 est néfaste pour la planète et, de plus, la combustion de produits carbonés conduit à des maladies respiratoires, particulièrement chez les enfants. En pratique, cependant, la combinaison d’une transformation massive et rapide des sources énergétiques et l’augmentation de la consommation d’énergie nécessaire à l’amélioration des conditions de vie en AS sera difficilement réalisable à court ou même à moyen terme sans une contribution externe massive.

Les perspectives d’amélioration sont aussi menacées par les politiques adoptées par de nombreux pays riches pour réduire les émissions associées au commerce international. Par exemple, à partir de 2026, le « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » adopté par l’Union européenne (UE) imposera une taxe sur les produits provenant de pays qui ne se sont pas dotés d’un système pénalisant les émetteurs de GES. L’idée est de ne pas désavantager dans le commerce mondial les entreprises européennes assujetties au marché des quotas d’émissions. Une adoption de ce mécanisme sans aménagement pour protéger les pays les plus pauvres, notamment les pays africains qui n’ont pas réussi la transition énergétique suffisamment rapidement, ne respecte pas les ambitions morales de la COP28. En effet, elle pourrait impliquer un rééquilibrage des exportations vers les matières premières, annihilant les efforts d’industrialisation avec des conséquences non-négligeables sur les options de croissance du continent et le bien-être de ses populations. Les efforts globaux de décarbonation sont donc loin d’être neutres pour les perspectives de développement de l’AS et impliquent des arbitrages éthiques. Mais il y a aussi des arbitrages économiques.

Les risques associés à l’ajustement carbone aux frontières européennes sont renforcés par les efforts de l’UE pour développer les puits de carbone, notamment pour empêcher la déforestation. Mais, à nouveau, cette politique n’est pas neutre pour l’AS. L’un des outils du Pacte vert pour l’Europe consiste en effet à bloquer les importations de produits issus d’une déforestation, tels que les bovins, le cacao, le café, l’huile de palme, le caoutchouc, le soja, le bois, et un certain nombre de produits dérivés tels que chocolat, meubles et papier imprimé. Cela pourrait réduire significativement les revenus d’exportation du continent.

Pour compenser ces pertes de revenus, les pays concernés ne peuvent compter que sur la vente de crédits carbone (CC) dans le cadre de l’article 6 de l’Accord de Paris. Ces crédits sont achetés par des entreprises assujetties à des contraintes de décarbonation, par exemple en Californie et en Europe. Mais des désaccords persistent quant à la mise en œuvre de l’article 6 car elle risque de ne pas se réaliser au bénéfice des émetteurs de crédits. En effet, il y a des doutes sérieux sur la qualité de ces crédits (reflètent-ils réellement une capacité d’absorption des GES?). Ces doutes font chuter le prix du carbone et donc les bénéfices de l’instrument pour les pays africains.

A ces faiblesses s’ajoute le fait que certains pays abritant des espaces forestiers cèdent les droits de négoce des crédits à des entreprises spécialisées telles que Blue Carbon, basée à Dubaï. Ceci reproduit le modèle de confiscation de la valeur ajoutée des ressources naturelles qui fit la fortune des entreprises européennes au temps des colonies. Une correction potentielle est offerte par l’initiative des Marchés du Carbone en Afrique (ACMI) lancée lors de la COP27. L’ACMI voudrait faire des CC l’un des principaux produits d’exportation de l’AS. L’effort est important mais illustre à nouveau les difficultés pour trouver des instruments qui n’impliquent pas d’arbitrages ou des mesures correctives.

Pour que les décisions aboutissant à des arbitrages soient opérationnelles, les pays développés devront faire leur part. Ce message est clair dans la «déclaration de Nairobi» signée en septembre 2023. Elle rappelle que si les pays développés souhaitent bénéficier des efforts de l’AS dans la lutte contre le réchauffement climatique, il leur faut a minima « honorer l’engagement de fournir 100 milliards de dollars de financement annuel pour le climat, comme promis il y a 14 ans lors de la conférence de Copenhague ». Ne pas déforester a un coût qu’il faut répartir équitablement entre les bénéficiaires, donc prioritairement les pays riches. Financer le changement local est une affaire globale qui requiert une gouvernance complexe capable de décisions rapides. Malheureusement, la lenteur de la prise de conscience de cette nécessité n’est pas compatible avec l’urgence des multiples besoins à satisfaire.

(1) Voir les données de la Banque mondiale.

Réchauffement climatique :: les maladies tropicales menacent la France

Réchauffement climatique :: les maladies tropicales menacent la France

Avec la hausse des températures et la destruction de milieux naturels pourraient représenter une véritable menace pour la santé humaine dans le futur. La propagation de certaines maladies, comme celles transmises par le moustique tigre, est déjà en train de s’accélérer partout dans le monde, y compris en France.

En cause, la hausse des températures et la fragilisation des écosystèmes par des pratiques agricoles intensives, la monoculture et les déforestations. Il y a un lien évident entre la perte de la biodiversité et les maladies infectieuses en recrudescence aujourd’hui. «

En temps normal, la circulation d’un agent pathogène est contenue en se diluant au sein des populations animales dites « réservoirs ». Mais dès lors que leur environnement est dégradé, certains animaux peuvent sortir de ces « sanctuaires » pour trouver des espaces plus viables. Ils se rapprochent alors d’autres espèces dont ils étaient jusque-là éloignés et les contaminent : au moins 15 000 transmissions virales entre espèces devraient survenir d’ici à 2070, a révélé une étude américaine publiée fin avril dans la revue scientifique Nature . Ce qui augmente le risque, in fine, que les espèces animales viennent aussi au contact des populations humaines et les infectent également.

Ces maladies transmises de l’animal à l’homme, appelées « zoonoses », peuvent rapidement être à l’origine d’épidémie, en raison de la faible réponse immunitaire des humains. « À l’heure actuelle, ce sont déjà 75 % des maladies infectieuses chez l’homme qui ont une origine animale », relève,la chercheuse Anna-Bella Failloux.

Les infections au virus du chikungunya, de la dengue et du zika, transmis par le moustique tigre, sont particulièrement à la hausse, et pas seulement dans les pays chauds des zones intertropicales d’où elles sont originaires, mais aussi dans les régions tempérées, y compris en France. « Le moustique est un animal à sang froid, il ne peut pas réguler sa température interne, donc dès que les températures augmentent, il va essayer de trouver un environnement compatible à sa survie, se déplacer et ainsi étendre son aire de distribution », détaille Anna-Bella Failloux, spécialiste de cette espèce.

Si bien qu’aujourd’hui, cet insecte a colonisé à une vitesse éclair de nouvelles régions : arrivé en 1990 en Europe depuis l’Asie, le moustique tigre remonte désormais jusqu’à l’Île-de-France. Fin 2021, il était présent dans 67 départements métropolitains sur 96, contre 58 l’année précédente. Quant à la période d’activité des moustiques, elle déborde désormais de l’été et s’étire de mai à novembre dans l’Hexagone. « Par ailleurs, plus le thermomètre grimpe, plus la durée de développement du moustique va se raccourcir : le passage de l’œuf à l’adulte prendra 7 à 10 jours, contre 15 en temps normal », note la chercheuse. « Les moustiques seront donc plus nombreux sur une même période, et vont aussi devenir infectieux beaucoup plus rapidement. »

Autant de facteurs qui débouchent sur l’apparition de cas autochtones en France, c’est-à-dire d’infections de personnes qui n’ont pas quitté le territoire mais contaminées par un moustique ayant piqué un voyageur revenant d’un pays chaud. C’est le cas depuis 2010 pour la dengue et le chikungunya, ainsi que le zika depuis 2019. « On ne peut pas encore parler d’épidémie, mais au vu de la densité croissante des moustiques tigres, le cocktail pour l’émergence d’une telle dynamique est bien là », alerte Anna-Bella Failloux.

Ces contaminations surviennent en particulier à la période estivale, au moment des retours de vacances. « Plus largement, depuis 1965, la mondialisation des épidémies est parfaitement corrélée à l’augmentation du trafic aérien », note Serge Morand, qui décrit une dangereuse « spirale ». « Tout est lié : le transport international aggrave le changement climatique, et comme lui, il favorise la mobilité des vecteurs voire des pathogènes, débouchant potentiellement sur des maladies infectieuses », décortique-t-il. Désormais, aucune région du monde n’est épargnée par le risque épidémique.

Pour tenter de le freiner, les spécialistes insistent sur la nécessité de modifier nos modes de vie et de culture, en vue de limiter les effets du changement climatique. « Il faut des systèmes de santé publique efficaces, résilients, mais aussi veiller à la santé animale », préconise Serge Morand. Reste que ces risques sont particulièrement difficiles à anticiper et à contrer.

Nous sommes une population très vulnérable, qui ne sera jamais préparée à une pandémie

Les aléas climatiques sont délicats à prévoir, et certaines attitudes se révèlent même contre-productives. Parmi elles, le stockage d’eau en période de sécheresse, particulièrement propice au développement des moustiques tigres, relève Anna-Bella Failloux, qui plaide surtout pour une meilleure prévention et la « sensibilisation aux bons réflexes ». D’autant qu’une fois installé, il est impossible pour l’heure de déloger cet insecte.

La façon dont l’épidémie de Covid-19 a pris de court les gouvernements et les systèmes de santé internationaux semble à ce propos de mauvais augure.

Réchauffement climatique limité à 1,5° : complètement illusoire

Réchauffement climatique limité à 1,5° : complètement illusoire

L’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels est désormais inatteignable. C’est ce qui ressort d’une étude de l’équipe scientifique du Global Carbon Project publiée mardi 5 décembre. Alors que la COP28 se tient actuellement à Dubaï, aux Emirats arabes unis, « il semble désormais inévitable que nous dépassions l’objectif de 1,5°C de l’Accord de Paris » signé en 2015 lors de la COP21, estime le professeur Pierre Friedlingstein, du Global Systems Institute d’Exeter, qui a dirigé l’étude.

« Les dirigeants réunis à la COP28 devront se mettre d’accord sur des réductions rapides des émissions de combustibles fossiles, même pour maintenir l’objectif de 2°C », alerte Pierre Friedlingstein. Le rapport note que les émissions de dioxyde de carbone (CO2) fossile ont encore augmenté globalement en 2023. Elles s’élèvent à 36,8 milliards de tonnes en 2023, en hausse de 1,1 % par rapport à 2022. Toutefois, dans certaines régions, notamment en Europe et aux États-Unis, les émissions de CO2 fossile diminuent, de 7,4 % en Union européenne, et de 3 % aux États-Unis. A l’inverse, elles sont en hausse de 8,2 % en Inde et de 4 % en Chine.

Les scientifiques expliquent que l’action mondiale visant à réduire les combustibles Le rapport estime qu’au total, les émissions mondiales totales de CO2 (fossiles et changement d’usage des terres) atteindront 40,9 milliards de tonnes en 2023, soit qu’à peu près le même niveau qu’en 2022.

L’Accord de Paris signé en 2015 a fixé comme objectif de maintenir l’augmentation de la température moyenne mondiale « bien en dessous de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels » et de poursuivre les efforts « pour limiter l’augmentation de la température à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels ». Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, les émissions de gaz à effet de serre doivent culminer avant 2025 au plus tard et diminuer de 43 % d’ici 2030.

S’adapter ou limiter le réchauffement climatique ?

S’adapter ou limiter le réchauffement climatique ?

Les politiques d’atténuation et d’adaptation visent un même objectif : réduire les pertes humaines et matérielles du changement climatique. Mais elles apparaissent également en opposition. Par François Lévêque, Mines Paris dans « la Tribune »

Jacques le Fataliste apercevant de sa fenêtre qu’il faisait un temps détestable se recouche pour dormir tant qu’il lui plaît. Le héros de Denis Diderot, météorologue à ses heures, aurait sans doute choisi de s’adapter au dérèglement du climat plutôt que de le combattre.

L’adaptation au réchauffement de la planète et son cortège d’événements extrêmes est souvent perçue comme un renoncement, sinon une lâcheté. Il est vrai, comme nous le verrons, que plus d’efforts d’adaptation impliquent moins d’efforts nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Il convient néanmoins d’accélérer les politiques d’adaptation, comme le défend l’Organisation des Nations unies (ONU) et de pourvoir à leur financement international comme il en sera vivement débattu lors de la toute proche conférence de Dubaï.

Tâchons donc de voir clair dans cette tension entre les politiques d’acclimatation et les politiques de réduction des émissions, entre l’adaptation et l’atténuation dans le vocable des experts. Et ce pour mieux éclairer les débats à venir à la COP28.

À première vue tout sépare ces deux formes de lutte contre le changement climatique. L’atténuation vise à le freiner, tandis que l’adaptation vise à s’y acclimater. D’un côté agir sur les causes, de l’autre agir sur les effets. Les pas de temps aussi sont différents : l’atténuation porte ses fruits à long terme, les générations futures en seront les principales bénéficiaires, tandis que l’adaptation profite aux populations d’aujourd’hui en sauvant des vies et épargnant des infrastructures dès maintenant.

Enfin, les mesures de réduction des émissions de CO2 et gaz équivalents bénéficient à l’ensemble de la planète, alors que les mesures d’adaptation bénéficient à la population de territoires ciblés et circonscrits. D’un côté un bien public mondial – personne ne peut être exclu de son bienfait, pas même ceux qui n’auraient rien fait pour l’obtenir -, d’un autre un bien privé local.

Ces oppositions tranchées appellent toutefois des nuances. L’adaptation et l’atténuation visent le même but ultime : réduire les pertes humaines, matérielles et naturelles, la première atteignant son but directement, la seconde indirectement. De plus, les échelles de temps ne sont pas sans recouvrement. Le déplacement d’une ville pour fuir la montée inexorable des eaux est à l’échelle d’une vie d’homme, sinon plus.

Par ailleurs, les actions d’adaptation ne relèvent pas toutes de l’ordre privé : l’équipement en air conditionné relève d’une décision individuelle et ne bénéficie qu’à son acheteur mais la construction d’une digue contre le risque de submersion passe par une décision collective. Elle profite aussi à ceux qui n’auraient pas contribué à son financement à l’instar de nouveaux résidents.

En outre, à trop les séparer on risque de perdre de vue que l’atténuation et l’adaptation s’influencent l’une l’autre. Elles peuvent d’abord interagir de façon complémentaire. La lutte contre les feux de forêt et la plantation d’arbres en ville contribuent positivement à l’atténuation : l’une en préservant des puits de carbone, l’autre en en créant de nouveaux. Ces mesures font d’une pierre deux coups.

Elles peuvent aussi agir l’une contre l’autre. Par exemple, la climatisation permet de s’adapter aux canicules et diminue la mortalité mais elle contribue au réchauffement de l’atmosphère, local en rejetant de la chaleur à l’extérieur et global quand l’électricité consommée est d’origine carbonée.

Les deux orientations peuvent enfin et surtout se substituer partiellement l’une à l’autre et faire ainsi que, plus les efforts d’atténuation sont grands, moins ceux d’adaptation peuvent l’être et, inversement, plus les efforts d’adaptation sont grands, moins ceux d’atténuation peuvent l’être. Il y a à cela une raison théorique et une raison pratique.

Soit un planificateur mondial en charge du bien-être des habitants de la planète. Il va mener une analyse coût-bénéfice des deux options interdépendantes. Il va notamment considérer qu’une dépense d’adaptation en réduisant les dommages du réchauffement climatique diminue le bénéfice d’abaisser le niveau des émissions, ce qui aboutit à un moindre effort d’atténuation nécessaire, et par conséquent à plus d’émissions. Techniquement, il va égaliser les coûts et bénéfices marginaux des deux stratégies dont il dispose pour minimiser la facture totale des dépenses pour le climat.

Le premier modèle de cet équilibre partiel date de 2000. Il ne tient pas compte d’une entrave possible au financement des dépenses requises. Le planificateur de la théorie agit à sa guise ; il n’est pas soumis à une contrainte budgétaire et d’endettement. Or celle-ci peut se traduire par un plafonnement des dépenses ou de l’augmentation des dépenses affectées au budget climat. Plus de ressources consacrées à l’adaptation entraînent alors moins de ressources disponibles pour l’atténuation – et donc plus d’émissions – et vice versa.

Cette contrainte budgétaire est particulièrement forte pour les pays à faible revenus. La Banque mondiale qui s’est penchée sur l’équilibre des dépenses entre atténuation et adaptation dans les pays en développement l’a notamment retenu dans son modèle.

Malgré son effet régressif sur l’atténuation, l’adaptation reste indispensable. Les événements extrêmes se multiplient et il faut se préparer à une élévation de la température moyenne mondiale en 2100 plus proche de 3 °C que de 1,5 °C par rapport au niveau préindustriel. Et donc à des dommages beaucoup, beaucoup, plus sévères. L’adaptation constitue un moyen essentiel pour les réduire, en particulier pour sauver des vies humaines aujourd’hui et demain.

L’augmentation observée s’établit déjà aujourd’hui à 1,2 °C. Il est vrai que, sur le papier, il reste possible de la contenir à moins de 2 °C : Selon les travaux d’une équipe internationale de chercheurs les promesses nationales d’atténuation et de dates d’atteinte zéro-carbone net devraient aboutir sur le siècle à 1,7 °C. Mais faut-il encore qu’elles soient respectées ! En tenant compte de leur faible crédibilité, la même équipe montre que l’élévation de température devrait au moins augmenter de moitié.

Leurs résultats se fondent par ailleurs sur une conversion entre la quantité de CO2 atmosphérique et l’élévation de température relativement conservatrice. Plus précisément 3 °C de plus pour un doublement du gaz carbonique dans l’atmosphère. Mais il s’agit là d’une valeur médiane.

Comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) le mentionne, s’il y a bien deux chances sur trois pour que l’élévation de la température consécutive au doublement soit comprise entre 2 °C et 4 °C, il y aussi une chance sur dix qu’elle puisse dépasser 5 °C. Selon un article paru ce mois-ci, il faudrait d’ailleurs compter sur une élévation médiane de 4,8 °C et non plus de 3 °C pour un doublement.

En termes de dommages, cela change tout. Appréhendés en perte de PIB et d’après plus d’une centaine d’économistes interrogés, les dommages tripleraient en passant de 2 °C à 3 °C et décupleraient en passant de 2 °C à 5 °C. Les travaux de modélisation économie-climat aboutissent à des variations moins spectaculaires mais les dommages calculés croissent toujours plus vite que la température.

Appréhendés en termes de mortalité humaine, le gouffre est également impressionnant. Pour une élévation de température de près de 3 °C à en 2100 la surmortalité associée à la chaleur est estimée à 40 décès pour 100 000 habitants mais elle quintuple avec une l’élévation de température de 5 °C.

Il faut donc à la fois faire face à un réchauffement d’ampleur et le combattre.

Mais faut-il mettre plus d’argent dans l’adaptation et moins dans l’atténuation, ou vice versa ? Quatre facteurs jouent sur la position du curseur.

En premier lieu, il est toujours préférable de mener conjointement atténuation et adaptation. Marcher sur une seule jambe entraînerait une perte de richesse. Il y a en effet de part et d’autre des actions dont le ratio bénéfice-coût est extrêmement favorable et donc à mener dans tous les cas de figure.

Pensons par exemple aux mesures de protection des infrastructures et des populations grâce aux systèmes de prévision et d’alertes qui permettent d’annoncer à l’avance une tempête ou une canicule prochaines. Pensons également aux mesures d’efficacité énergétique qu’il s’agisse de remplacer des ampoules incandescentes par des ampoules LED ou bien de remplacer les foyers de cuisson traditionnels au bois par des fourneaux améliorés. Répétons que cela revient à dire que les efforts d’atténuation doivent toujours s’accompagner d’au moins un peu d’effort d’adaptation et ce alors même qu’il en résultera un niveau d’émissions de gaz à effet de serre plus élevé qu’en cas d’une politique unique d’atténuation.

En second lieu, le curseur se place selon le taux d’actualisation choisi par les gouvernements. Comme les bénéfices de l’atténuation en termes de dommages évités se font sentir à plus long terme que ceux de l’adaptation, un taux d’actualisation élevé favorise cette dernière. Inversement, un taux faible déplace l’équilibre relatif vers un peu plus d’atténuation.

À titre d’exemple, un trio d’économistes italiens a calculé qu’avec un taux de 0,1 %, marquant donc une préoccupation très élevée pour les générations futures, la stratégie optimale implique une réduction des dommages de 72 % en 2100, dont les deux tiers accomplis par l’atténuation. Avec un taux plus favorable aux générations présentes de 3 %, la réduction des dommages passe à 59 % dont un sixième seulement accomplis cette fois par l’atténuation.

En troisième lieu, le mix dépend de l’ampleur des dommages. L’adaptation réduit les dommages présents et futurs tandis que l’atténuation ne réduit que les seconds. Du coup, plus les dommages précoces sont grands, plus le bon mix se déporte vers l’adaptation. Cette tendance doit toutefois être tempérée en tenant compte de la survenue possible de dommages gigantesques, potentiellement irréversibles et auxquels il est difficile de s’adapter. Plus la probabilité de catastrophes de grande ampleur s’élève plus la balance doit pencher en faveur de l’atténuation. Répétons cette différence triviale entre l’atténuation et l’adaptation : l’une réduit les émissions, l’autre non.

Ajoutons enfin que le mix, en particulier au niveau national, dépend du niveau de coopération entre les États pour lutter contre le réchauffement climatique. Face aux coûts de l’atténuation et sans coopération les gouvernements ne tiendraient compte que de ses bénéfices pour leurs propres citoyens. Or à l’exception des grandes nations peuplées comme la Chine (17,6 % de la population mondiale), voire dans une moindre mesure les États-Unis, ils sont très minces.

Avec un centième des habitants de la planète, la France ne perçoit qu’un centième des fruits de ses actions d’atténuation. Par contraste, comme nous l’avons déjà mentionné les bénéfices de l’adaptation sont locaux. L’absence de coopération pousse ainsi sur le plan national vers plus d’adaptation et moins d’atténuation.

La justice climatique offre un argument d’un autre ordre en faveur des efforts et des politiques d’adaptation. Les populations les plus exposées aux risques du réchauffement climatique sont généralement aussi les plus démunies en termes économiques et de possibilités d’adaptation. Cela est vrai au sein d’un même pays et entre les pays de différents niveaux de richesses.

Seule cette dernière dimension nous intéresse ici car les populations des pays en développement, en particulier des pays pauvres, en plus d’être les plus exposées et démunies sont aussi celles qui ont le moins contribué à emplir l’atmosphère de gaz à effet de serre et, contrairement aux pays développés, à tirer parti de l’énergie carbonée pour leur croissance. Cette situation justifie un flux d’aides financières consacrées à l’adaptation, des pays riches vers les autres.

Au cours des dernières années, ces aides se sont élevées à un peu plus de 20 milliards de dollars par an. Il est nécessaire de comparer ce montant aux aides internationales en faveur de l’atténuation ainsi qu’aux besoins. L’ONU s’est livrée à cet éclairant exercice dans son rapport 2023 sur le déficit d’adaptation au changement climatique. Entre 2017 et 2021, le financement spécifique pour l’adaptation représente en moyenne un peu moins de deux tiers du financement spécifique accordé à l’atténuation.

Dit autrement, les pays développés financent plus la réduction des émissions dans les pays en développement qu’ils ne les aident à s’adapter au changement climatique. Ils privilégient leur intérêt. En outre, les flux pour l’atténuation ont récemment augmenté alors qu’ils ont diminué pour l’adaptation.

Cette répartition et son évolution posent question. En effet, les retombées du financement sont moins favorables pour le pays aidé dans le cas de l’atténuation ; celle-ci bénéficie d’abord et avant tout au reste du monde. Elles peuvent même être défavorables puisqu’elles vont accroître la dette du pays aidé : près des deux tiers des fonds sont en effet attribués sous forme de prêts.

Cet endettement supplémentaire est particulièrement problématique pour les pays à bas revenus. Pour ces derniers – et contrairement aux autres pays en développement -, le financement international pour l’adaptation dépasse bien celui pour l’atténuation (une moyenne annuelle de 6 milliards de dollars d’aides pour l’adaptation contre 2,3 pour l’atténuation). Mais au vu de leur économie, de leurs très faibles émissions passées et présentes ainsi que du dénuement et de la vulnérabilité de leur population, ne serait-il pas plus juste d’y financer exclusivement des projets et mesures d’adaptation ?

Par ailleurs, les quelque 20 milliards de dollars annuels sont extrêmement éloignés des aides qui seraient théoriquement nécessaires. Selon le rapport de l’ONU, il en faudrait 10 à 20 fois plus ! Les travaux de modélisation économique des impacts sectoriels et des coûts d’adaptation repris de la littérature, puis retravaillés et agrégés par les auteurs du rapport, aboutissent à un besoin de financement de 215 milliards de dollars par an. À elle seule, l’adaptation aux inondations marines et fluviales en représente la moitié.

Une autre méthode utilisée par les auteurs, basée cette fois sur une approche comptable et financière par regroupement des projets et mesures d’adaptation, aboutit à 387 milliards de dollars par an. À elle seule, la région de l’Asie de l’Est et du Pacifique compte pour un peu moins de la moitié.

L’accord de Paris date de presqu’une décennie. Déjà. Fameux pour son engagement de maintenir l’élévation de température à « bien moins de 2 °C », il est aussi presque incognito celui qui reconnaît que l’adaptation est un défi mondial et établi un Objectif global d’adaptation (Global Goal on Adaptation). Sans lui donner toutefois, contrairement à l’objectif d’atténuation, une traduction chiffrée.

Depuis, plusieurs dizaines de formulations ont été proposées. « Augmenter les actions d’adaptation pour réduire les impacts de 30 % à l’horizon 2030 », par exemple. Ou encore pour le même horizon « Le financement international du climat pour l’adaptation doit atteindre un équilibre en matière d’atténuation, et augmenter, en ligne avec les engagements pris et le nouvel objectif collectif quantifié de financement climatique ».

Le Sultan Ahmed Al-Jaber, qui préside la COP 28 qui se tiendra bientôt à Dubaï, prône la recherche d’un équilibre entre la réduction des émissions et l’adaptation au réchauffement. Il a exprimé un soutien sans faille aux initiatives et actions en faveur de l’adaptation. Parviendra-t-il à obtenir des pays développés à multiplier leur aide financière aux pays en développement ? Et ce malgré une fracture politique grandissante entre les pays occidentaux et ceux dits du Sud global.

Pourquoi pas ? Attendons la fin de la vingt-huitième Conférence des Parties. Il ne faut pas céder à la fatalité, ni en matière d’adaptation ni en matière d’atténuation.

______
Par François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris

Climat : Réchauffement jusqu’à 3 % d’ici la fin du siècle

Climat : Réchauffement jusqu’à 3 % d’ici la fin du siècle

Il est de plus en plus clair que les objectifs visant à ne pas dépasser 1,5° suite à l’accord de Paris sont complètement obsolètes. La plupart des experts y compris de l’ONU prévoit en effet que la perspective serait plus proche des 3°.

La perspective des 1,3° suite à l’accord de Paris paraissent désormais illusoires à la plupart des observateurs. En effet la planète sur une trajectoire de réchauffement bien plus élevée, allant jusqu’à 2,9°C au cours de ce siècle, a alerté lundi l’ONU.

Dans 6 ans, la barre du 1,5°C de réchauffement pourrait être franchie.

Ce rapport de l’ONU intervient alors qu’une nouvelle étude publiée récemment confirmait qu’il reste moins de temps que prévu pour limiter les émissions et le réchauffement climatique. Selon cette analyse parue dans Nature Climate Change, au rythme actuel des émissions de carbone — environ 40 milliards de tonnes (Gt) chaque année — il reste en effet environ 6 ans avant que la barre de 1,5°C de réchauffement ne soit franchie.

Depuis l’ère industrielle, la planète s’est déjà réchauffée de 1,2°C en moyenne. Et les dernières estimations de l’observatoire européen Copernicus montrent que +1,5 °C pourrait intervenir d’ici à 2034, et non au milieu du siècle comme le prévoient les politiques climatiques à travers le monde. D’où des conséquences dramatiqued en cascade comme la fonte des calottes glaciaires, le dépérissement des forêts, l’extinction des coraux etc.

pendant ce temps là, les émissions mondiales de dioxyde de carbone, essentiellement dues à la combustion des énergies fossiles et à l’origine du réchauffement de la planète, devraient augmenter d’environ 1% pour atteindre un nouveau record en 2023, ont annoncé des scientifiques dans une étude préliminaire.

Réchauffement de l’Atlantique et climat

Réchauffement de l’Atlantique et climat

Canicule et réchauffement de l’Atlantique

par
Peter Ditlevsen
Professor in physics of ice, climate and earth, University of Copenhagen

Susanne Ditlevsen
Professor in statistics, University of Copenhagen

dans The Conversation

Fin juillet, une étude publiée dans Nature Communications a mis en garde contre le risque d’effondrement d’un système océanique essentiel qui fait remonter les eaux chaudes dans l’Atlantique Nord. Nommée le plus souvent par son abréviation anglaise d’AMOC, la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique était déjà connue comme étant ralentie de manière inégalée depuis 1600 ans.

Ces dernières recherches envisagent son possible effondrement entre 2025 et 2095, avec une estimation centrale de 2057 si une réduction drastique et rapide des émissions de gaz à effet de serre n’advient pas. Ce scénario, s’il s’avère exact, pourrait entraîner un climat européen dramatiquement froid avec des conséquences dévastatrices pour la vie telle que nous la connaissons. The Conversation s’est entretenu avec le physicien Peter Ditlevsen et sa sœur, la statisticienne Susanne Ditlevsen, pour discuter de leurs résultats et des controverses qu’ils n’ont pas manqué de susciter.

Comment décririez-vous l’AMOC pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler ?

Peter Ditlevsen : l’AMOC fait partie d’une sorte de tapis roulant presque mondial qui transporte les eaux autour de la planète.

Au sud du Groenland, dans l’Atlantique Nord, nous voyons des eaux lourdes descendre et des eaux légères remonter. L’eau peut être lourde pour deux raisons. Elle peut être salée. Si l’on ajoute du sel, l’eau devient plus lourde et coule. Elle peut aussi être froide. L’eau froide est plus lourde que l’eau chaude, elle coule donc et retourne dans la partie sud de l’Atlantique.


Le mégacourant océanique de l’AMOC reste très peu connu, que ce soit par le grand public ou même par les scientifiques, avec par exemple aucune surveillance directe de l’AMOC avant 2004. Comment cela se fait-il ?

PD : Le premier problème est que l’océan est beaucoup moins connu que l’atmosphère. Tout d’abord parce que nous faisons des prévisions météorologiques permettant d’indiquer le temps qu’il fera demain et après-demain et qui concentrent beaucoup d’effort. De plus, concernant la prévision météorologique océanique, si nous pouvons observer très précisément la surface de l’océan, il est beaucoup plus difficile de pénétrer dans l’océan, notamment parce que nous ne pouvons pas vraiment transmettre de signaux.

En ce qui concerne précisément l’AMOC, il y a aussi une question de moyens financiers. C’est difficile et coûteux de le surveiller, il faut beaucoup de ressources, et bien qu’il y ait des missions scientifiques où l’on descend et où l’on obtient une idée instantanée de la situation, ce dont on a vraiment besoin, c’est une surveillance à long terme. C’est ce qui a été fait plus tôt pour le Pacifique en raison d’El Nino. En ce sens, nous avons beaucoup plus de données concernant le Pacifique central et tropical que l’Atlantique.

Mais ce manque de données concernant l’AMOC ne correspond pas à un manque d’intérêt de la part des scientifiques. Dès les années 1960, l’océanographe et physicien américain Henry Stommel a étudié l’AMOC et a déclaré que ce mégacourant pouvait osciller entre deux états différents. Un phénomène que nous avons depuis observé en étudiant les carottes de glace du Groenland depuis l’époque glaciaire.

À la grande surprise de tous, il s’est alors avéré que le climat glaciaire, en plus d’être bien sûr très froid, présentait ces énormes sauts climatiques entre un état froid et un état plus chaud, et la raison de ce phénomène n’était pas connue jusqu’à très récemment.

Aujourd’hui, le consensus converge vers l’idée que c’est en fait l’activation et la désactivation de l’AMOC qui est à l’origine de ce phénomène. Il s’agit de changements climatiques considérables, qui se produisent tous les quelques milliers d’années.

Et lorsque cela se produit, c’est extrêmement rapide. Bien que le passage de l’état « inactif » à l’état « actif » soit plus dramatique que l’inverse, la possibilité d’un arrêt auquel nous sommes maintenant confrontés est également très préoccupante […] Il est question d’une chute brutale de jusqu’à dix degrés en une décennie. Mais bien sûr, il faut être prudent avec les analogies, car le climat glaciaire est très différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. De plus, aujourd’hui, nous sommes confrontés à un refroidissement de l’AMOC, avec en arrière-plan un réchauffement du climat. C’est un peu comme si nous conduisions une voiture et que nous appuyions en même temps sur la pédale de vitesse et sur la pédale de frein.


Votre étude a logiquement attiré l’attention des médias, qui ont parfois fait l’amalgame entre l’effondrement du Gulf Stream et l’effondrement de l’AMOC. Comment avez-vous vécu cela ?

Susanne Ditlevsen : Je pense qu’il y a deux aspects à cette question. D’une part, le grand public peut confondre le Gulf Stream et l’AMOC et, dans un certain sens, il s’agit d’une simple formulation. Il existe donc un courant qui fait remonter l’eau chaude et qui risque de s’effondrer. Que nous l’appelions AMOC ou système Gulf Stream, même si le Gulf Stream en lui-même est quelque chose de différent, cela n’a pas d’importance, ce n’est qu’une question de formulation.

Mais cette différence terminologique peut générer un malentendu très préjudiciable, car le Gulf Stream stricto sensu ne peut pas s’effondrer, puisqu’il est entraîné par le vent et la rotation de la Terre. Ainsi, lorsqu’on dit que nous avons prédit l’effondrement du Gulf Stream, ils peuvent être tentés de nous traiter d’idiots. […] Je pense qu’il est important d’expliquer que nous parlons en fait de quelque chose de différent, dont nous pensons, comme beaucoup d’autres, qu’il peut s’effondrer.

La temporalité que nous avons donnée, qui s’étend de 2025 à 2095, a également été déformée. La probabilité n’est pas du tout la même sur l’ensemble de l’intervalle. Nous estimons donc qu’il est très peu probable qu’un effondrement puisse se produire dès 2025.

Il est notoirement difficile d’estimer ce que nous appelons les « queues de distribution » dans le jargon statistique. Il s’agit des probabilités les plus faibles aux extrémités de la distribution. Cependant, l’estimation centrale, située au milieu du siècle, est celle où nous pensons que le risque d’effondrement est le plus élevé si nous continuons à émettre des gaz à effet de serre au rythme actuel.

Même si nos estimations sont incertaines, le message principal est qu’il existe un risque considérable, ou du moins sous-estimé, que cet effondrement se produise beaucoup plus tôt qu’on ne le pensait.

Supposons que l’AMOC s’effondre en 2057. Comment cela se traduirait-il concrètement en Europe ?

PD : D’un point de vue climatique, l’effondrement serait probablement très rapide, c’est-à-dire qu’il s’arrêterait en quelques décennies.

Mais ce n’est pas non plus comme si une ère glaciaire se produisait en deux semaines. La région de l’Atlantique Nord et l’Europe, en particulier, se refroidiraient considérablement. L’Angleterre ressemblerait probablement au nord du Canada.

La chaleur de l’océan Pacifique qui ne serait pas transportée vers l’Atlantique Nord resterait dans les tropiques.

SD : Ce qu’il faut garder à l’esprit ici, c’est que ce dont nous parlons est très incertain. La façon dont les températures varieraient reste très incertaine, certains parlent de cinq degrés, d’autres de dix degrés, d’autres encore de plus de tempêtes, etc. Mais je pense que le message à retenir c’est que les implications seraient dévastatrices en termes de capacité à continuer à vivre comme nous le faisons aujourd’hui, et à poursuivre l’agriculture dans différents endroits. Il y aurait aussi des endroits densément peuplés où l’on ne pourrait tout simplement pas vivre.

PD : Il faut également se rappeler que nous avons du mal à faire face à des changements rapides. Historiquement, nos sociétés ont fait face aux changements en débutant de grandes migrations. Or nous savons à quel point cela est difficile pour les sociétés.

Quelles étaient vos attentes lorsque vous avez lancé ce projet ? Aviez-vous prévu ces résultats spectaculaires ?

PD : Mon but initial était de donner plus de poids à l’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), grâce à une méthodologie solide et à des observations que j’avais prévu d’ajuster par la suite. Mais il s’est avéré que nos modèles ont situé l’effondrement beaucoup plus tôt que ceux du GIEC. Évidemment, j’aurais préféré que le résultat de notre étude soit moins controversé, car nous sommes aujourd’hui attaqués de toutes parts. Mais c’est ainsi que fonctionne la science, je suppose. Et c’est aussi la raison pour laquelle Susanne s’est beaucoup impliquée, parce que l’étude nécessitait des statistiques bien meilleures que celles dont je suis capable.

SD : Nous pensons également que cette menace d’effondrement est si préoccupante que si nous avons des données indiquant un effondrement plus précoce ou même considérablement plus précoce que ce que l’on croit généralement, nous devons le faire savoir. Mais cela ne signifie pas que nos résultats sont gravés dans le marbre. Bien entendu, ce n’est pas le cas. Parce que les données sont « bruyantes » et que nous disposons de mesures indirectes. Chaque année supplémentaire qui passe et qui est étudiée nous donne plus de données, et donc la capacité de réaliser de meilleures estimations.

Ceci étant dit, gardons quand même en tête que les changements climatiques ont d’énormes répercussions sur la Terre et des conséquences beaucoup plus importantes que ce qui avait été prévu. Il suffit de regarder les phénomènes météorologiques extrêmes que nous avons connus cet été et les nouveaux records de température. Tout cela se produit plus tôt et plus fort que ce qui avait été prévu.

La science du climat, en particulier le GIEC, a en effet tendance à faire des prévisions prudentes. Prenez, par exemple, la vitesse à laquelle les glaces de l’Arctique fondent par rapport à leur pronostic selon lequel elles ne risquent rien jusqu’en 2050 au moins.

SD : Il s’agit toujours de résultats conservateurs. Et dans ce sens, on pourrait dire que c’est l’une des raisons pour lesquelles je pense que cela donne un peu plus de crédibilité à notre étude parce que, bien sûr, nous ne voulions pas aller à l’encontre du GIEC, mais il s’est montré conservateur à bien des égards.

Comment la science peut-elle mieux comprendre les implications d’un point de basculement de l’AMOC ?

SD : Il est certain que nous avons besoin de plus de mesures de l’AMOC. Hélas, nous ne pouvons pas remonter dans le temps pour cela. Comme nous ne pouvons pas disposer de mesures très, très détaillées de l’époque préindustrielle, avant le réchauffement climatique, il est également difficile d’évaluer la variabilité naturelle et le comportement naturel avant le réchauffement climatique.

PD : D’une certaine manière, lorsque vous demandez ce qui est nécessaire, je dirais que c’est tout. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la modélisation. Je veux dire que ces modèles devraient au moins, dans un certain sens, reproduire ce que nous avons vu auparavant.

Certains chercheurs parviennent encore à recueillir des données passées en étudiant les sédiments. Cela ne pourrait-il pas être utile ?

PD : Oui, nous disposons d’énormes archives sédimentaires. Mais le problème est que dans le cas des échelles de temps que nous étudions, toute indication de points de basculement sera effacée. La résolution temporelle de ces enregistrements n’est tout simplement pas assez bonne.

Mais il serait évidemment incroyable que quelqu’un invente de nouveaux types de données paléo-climatiques. De temps en temps, on trouve des stalagmites et des stalactites qui semblent pouvoir être utilisées… Je pense qu’en fait ce dont nous avons vraiment besoin aujourd’hui, c’est que des jeunes chercheurs intelligents et ouverts d’esprit viennent nous rejoindre et essaient de nouvelles choses folles que les anciens pensaient impossibles.

Canicule et réchauffement de l’Atlantique

Canicule et réchauffement de l’Atlantique

par
Peter Ditlevsen
Professor in physics of ice, climate and earth, University of Copenhagen

Susanne Ditlevsen
Professor in statistics, University of Copenhagen

dans The Conversation

Fin juillet, une étude publiée dans Nature Communications a mis en garde contre le risque d’effondrement d’un système océanique essentiel qui fait remonter les eaux chaudes dans l’Atlantique Nord. Nommée le plus souvent par son abréviation anglaise d’AMOC, la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique était déjà connue comme étant ralentie de manière inégalée depuis 1600 ans.

Ces dernières recherches envisagent son possible effondrement entre 2025 et 2095, avec une estimation centrale de 2057 si une réduction drastique et rapide des émissions de gaz à effet de serre n’advient pas. Ce scénario, s’il s’avère exact, pourrait entraîner un climat européen dramatiquement froid avec des conséquences dévastatrices pour la vie telle que nous la connaissons. The Conversation s’est entretenu avec le physicien Peter Ditlevsen et sa sœur, la statisticienne Susanne Ditlevsen, pour discuter de leurs résultats et des controverses qu’ils n’ont pas manqué de susciter.

Comment décririez-vous l’AMOC pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler ?

Peter Ditlevsen : l’AMOC fait partie d’une sorte de tapis roulant presque mondial qui transporte les eaux autour de la planète.

Au sud du Groenland, dans l’Atlantique Nord, nous voyons des eaux lourdes descendre et des eaux légères remonter. L’eau peut être lourde pour deux raisons. Elle peut être salée. Si l’on ajoute du sel, l’eau devient plus lourde et coule. Elle peut aussi être froide. L’eau froide est plus lourde que l’eau chaude, elle coule donc et retourne dans la partie sud de l’Atlantique.


Le mégacourant océanique de l’AMOC reste très peu connu, que ce soit par le grand public ou même par les scientifiques, avec par exemple aucune surveillance directe de l’AMOC avant 2004. Comment cela se fait-il ?

PD : Le premier problème est que l’océan est beaucoup moins connu que l’atmosphère. Tout d’abord parce que nous faisons des prévisions météorologiques permettant d’indiquer le temps qu’il fera demain et après-demain et qui concentrent beaucoup d’effort. De plus, concernant la prévision météorologique océanique, si nous pouvons observer très précisément la surface de l’océan, il est beaucoup plus difficile de pénétrer dans l’océan, notamment parce que nous ne pouvons pas vraiment transmettre de signaux.

En ce qui concerne précisément l’AMOC, il y a aussi une question de moyens financiers. C’est difficile et coûteux de le surveiller, il faut beaucoup de ressources, et bien qu’il y ait des missions scientifiques où l’on descend et où l’on obtient une idée instantanée de la situation, ce dont on a vraiment besoin, c’est une surveillance à long terme. C’est ce qui a été fait plus tôt pour le Pacifique en raison d’El Nino. En ce sens, nous avons beaucoup plus de données concernant le Pacifique central et tropical que l’Atlantique.

Mais ce manque de données concernant l’AMOC ne correspond pas à un manque d’intérêt de la part des scientifiques. Dès les années 1960, l’océanographe et physicien américain Henry Stommel a étudié l’AMOC et a déclaré que ce mégacourant pouvait osciller entre deux états différents. Un phénomène que nous avons depuis observé en étudiant les carottes de glace du Groenland depuis l’époque glaciaire.

À la grande surprise de tous, il s’est alors avéré que le climat glaciaire, en plus d’être bien sûr très froid, présentait ces énormes sauts climatiques entre un état froid et un état plus chaud, et la raison de ce phénomène n’était pas connue jusqu’à très récemment.

Aujourd’hui, le consensus converge vers l’idée que c’est en fait l’activation et la désactivation de l’AMOC qui est à l’origine de ce phénomène. Il s’agit de changements climatiques considérables, qui se produisent tous les quelques milliers d’années.

Et lorsque cela se produit, c’est extrêmement rapide. Bien que le passage de l’état « inactif » à l’état « actif » soit plus dramatique que l’inverse, la possibilité d’un arrêt auquel nous sommes maintenant confrontés est également très préoccupante […] Il est question d’une chute brutale de jusqu’à dix degrés en une décennie. Mais bien sûr, il faut être prudent avec les analogies, car le climat glaciaire est très différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. De plus, aujourd’hui, nous sommes confrontés à un refroidissement de l’AMOC, avec en arrière-plan un réchauffement du climat. C’est un peu comme si nous conduisions une voiture et que nous appuyions en même temps sur la pédale de vitesse et sur la pédale de frein.


Votre étude a logiquement attiré l’attention des médias, qui ont parfois fait l’amalgame entre l’effondrement du Gulf Stream et l’effondrement de l’AMOC. Comment avez-vous vécu cela ?

Susanne Ditlevsen : Je pense qu’il y a deux aspects à cette question. D’une part, le grand public peut confondre le Gulf Stream et l’AMOC et, dans un certain sens, il s’agit d’une simple formulation. Il existe donc un courant qui fait remonter l’eau chaude et qui risque de s’effondrer. Que nous l’appelions AMOC ou système Gulf Stream, même si le Gulf Stream en lui-même est quelque chose de différent, cela n’a pas d’importance, ce n’est qu’une question de formulation.

Mais cette différence terminologique peut générer un malentendu très préjudiciable, car le Gulf Stream stricto sensu ne peut pas s’effondrer, puisqu’il est entraîné par le vent et la rotation de la Terre. Ainsi, lorsqu’on dit que nous avons prédit l’effondrement du Gulf Stream, ils peuvent être tentés de nous traiter d’idiots. […] Je pense qu’il est important d’expliquer que nous parlons en fait de quelque chose de différent, dont nous pensons, comme beaucoup d’autres, qu’il peut s’effondrer.

La temporalité que nous avons donnée, qui s’étend de 2025 à 2095, a également été déformée. La probabilité n’est pas du tout la même sur l’ensemble de l’intervalle. Nous estimons donc qu’il est très peu probable qu’un effondrement puisse se produire dès 2025.

Il est notoirement difficile d’estimer ce que nous appelons les « queues de distribution » dans le jargon statistique. Il s’agit des probabilités les plus faibles aux extrémités de la distribution. Cependant, l’estimation centrale, située au milieu du siècle, est celle où nous pensons que le risque d’effondrement est le plus élevé si nous continuons à émettre des gaz à effet de serre au rythme actuel.

Même si nos estimations sont incertaines, le message principal est qu’il existe un risque considérable, ou du moins sous-estimé, que cet effondrement se produise beaucoup plus tôt qu’on ne le pensait.

Supposons que l’AMOC s’effondre en 2057. Comment cela se traduirait-il concrètement en Europe ?

PD : D’un point de vue climatique, l’effondrement serait probablement très rapide, c’est-à-dire qu’il s’arrêterait en quelques décennies.

Mais ce n’est pas non plus comme si une ère glaciaire se produisait en deux semaines. La région de l’Atlantique Nord et l’Europe, en particulier, se refroidiraient considérablement. L’Angleterre ressemblerait probablement au nord du Canada.

La chaleur de l’océan Pacifique qui ne serait pas transportée vers l’Atlantique Nord resterait dans les tropiques.

SD : Ce qu’il faut garder à l’esprit ici, c’est que ce dont nous parlons est très incertain. La façon dont les températures varieraient reste très incertaine, certains parlent de cinq degrés, d’autres de dix degrés, d’autres encore de plus de tempêtes, etc. Mais je pense que le message à retenir c’est que les implications seraient dévastatrices en termes de capacité à continuer à vivre comme nous le faisons aujourd’hui, et à poursuivre l’agriculture dans différents endroits. Il y aurait aussi des endroits densément peuplés où l’on ne pourrait tout simplement pas vivre.

PD : Il faut également se rappeler que nous avons du mal à faire face à des changements rapides. Historiquement, nos sociétés ont fait face aux changements en débutant de grandes migrations. Or nous savons à quel point cela est difficile pour les sociétés.

Quelles étaient vos attentes lorsque vous avez lancé ce projet ? Aviez-vous prévu ces résultats spectaculaires ?

PD : Mon but initial était de donner plus de poids à l’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), grâce à une méthodologie solide et à des observations que j’avais prévu d’ajuster par la suite. Mais il s’est avéré que nos modèles ont situé l’effondrement beaucoup plus tôt que ceux du GIEC. Évidemment, j’aurais préféré que le résultat de notre étude soit moins controversé, car nous sommes aujourd’hui attaqués de toutes parts. Mais c’est ainsi que fonctionne la science, je suppose. Et c’est aussi la raison pour laquelle Susanne s’est beaucoup impliquée, parce que l’étude nécessitait des statistiques bien meilleures que celles dont je suis capable.

SD : Nous pensons également que cette menace d’effondrement est si préoccupante que si nous avons des données indiquant un effondrement plus précoce ou même considérablement plus précoce que ce que l’on croit généralement, nous devons le faire savoir. Mais cela ne signifie pas que nos résultats sont gravés dans le marbre. Bien entendu, ce n’est pas le cas. Parce que les données sont « bruyantes » et que nous disposons de mesures indirectes. Chaque année supplémentaire qui passe et qui est étudiée nous donne plus de données, et donc la capacité de réaliser de meilleures estimations.

Ceci étant dit, gardons quand même en tête que les changements climatiques ont d’énormes répercussions sur la Terre et des conséquences beaucoup plus importantes que ce qui avait été prévu. Il suffit de regarder les phénomènes météorologiques extrêmes que nous avons connus cet été et les nouveaux records de température. Tout cela se produit plus tôt et plus fort que ce qui avait été prévu.

La science du climat, en particulier le GIEC, a en effet tendance à faire des prévisions prudentes. Prenez, par exemple, la vitesse à laquelle les glaces de l’Arctique fondent par rapport à leur pronostic selon lequel elles ne risquent rien jusqu’en 2050 au moins.

SD : Il s’agit toujours de résultats conservateurs. Et dans ce sens, on pourrait dire que c’est l’une des raisons pour lesquelles je pense que cela donne un peu plus de crédibilité à notre étude parce que, bien sûr, nous ne voulions pas aller à l’encontre du GIEC, mais il s’est montré conservateur à bien des égards.

Comment la science peut-elle mieux comprendre les implications d’un point de basculement de l’AMOC ?

SD : Il est certain que nous avons besoin de plus de mesures de l’AMOC. Hélas, nous ne pouvons pas remonter dans le temps pour cela. Comme nous ne pouvons pas disposer de mesures très, très détaillées de l’époque préindustrielle, avant le réchauffement climatique, il est également difficile d’évaluer la variabilité naturelle et le comportement naturel avant le réchauffement climatique.

PD : D’une certaine manière, lorsque vous demandez ce qui est nécessaire, je dirais que c’est tout. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la modélisation. Je veux dire que ces modèles devraient au moins, dans un certain sens, reproduire ce que nous avons vu auparavant.

Certains chercheurs parviennent encore à recueillir des données passées en étudiant les sédiments. Cela ne pourrait-il pas être utile ?

PD : Oui, nous disposons d’énormes archives sédimentaires. Mais le problème est que dans le cas des échelles de temps que nous étudions, toute indication de points de basculement sera effacée. La résolution temporelle de ces enregistrements n’est tout simplement pas assez bonne.

Mais il serait évidemment incroyable que quelqu’un invente de nouveaux types de données paléo-climatiques. De temps en temps, on trouve des stalagmites et des stalactites qui semblent pouvoir être utilisées… Je pense qu’en fait ce dont nous avons vraiment besoin aujourd’hui, c’est que des jeunes chercheurs intelligents et ouverts d’esprit viennent nous rejoindre et essaient de nouvelles choses folles que les anciens pensaient impossibles.

Climat- les graves conséquences du réchauffement des mers

Climat- les graves conséquences du réchauffement des mers

Depuis la mi-mars 2023, le mercure à la surface des océans grimpe à des niveaux inégalés en 40 ans de surveillance par satellite, et l’impact néfaste de cette surchauffe se ressent dans le monde entier.

par Annalisa Bracco
Professor of Ocean and Climate Dynamics, Georgia Institute of Technology dans the Conversation

La mer du Japon est plus chaude de 4 degrés Celsius par rapport à la moyenne. La mousson indienne, produit du fort contraste thermique entre les terres et les mers, a été bien plus tardive que prévu.

L’Espagne, la France, l’Angleterre et l’ensemble de la péninsule scandinave ont enregistré des niveaux de précipitations très inférieurs à la normale, probablement en raison d’une vague de chaleur marine exceptionnelle dans l’est de l’Atlantique Nord. Les températures à la surface de la mer y ont été supérieures à la moyenne de 1 à 3 °C depuis la côte africaine jusqu’à l’Islande.

Et sur le continent européen, la vague de chaleur est actuellement insoutenable, tandis que l’on bat tous les records.

Que se passe-t-il donc ?

El Niño est en partie responsable. Ce phénomène climatique, qui se développe actuellement dans l’océan Pacifique équatorial, se caractérise par des eaux chaudes dans le centre et l’est du Pacifique, ce qui atténue généralement l’alizé, un vent régulier des tropiques. Cet affaiblissement des vents peut affecter à son tour les océans et les terres du monde entier.

Mais d’autres forces agissent sur la température des océans.

À la base de tout, il y a le réchauffement climatique, et la hausse des températures à la surface des continents comme des océans depuis plusieurs décennies du fait des activités humaines augmentant les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

Le graphique montre les températures de surface de la mer ces 22 dernières années. L’année 2023 est nettement supérieure aux années précédentes
Les températures de surface de la mer sont nettement supérieures à la moyenne depuis le début de la surveillance par satellite. La ligne noire épaisse correspond à 2023. La ligne orange correspond à 2022. La moyenne 1982-2011 correspond à la ligne médiane en pointillés. ClimateReanalyzer.org/NOAA
La planète sort également de trois années consécutives marquées par La Niña, le phénomène météorologique inverse d’El Niño, et donc caractérisé par des eaux plus froides qui remontent dans le Pacifique équatorial. La Niña a un effet refroidissant à l’échelle mondiale qui contribue à maintenir les températures de surface de la mer à un niveau raisonnable, mais qui peut aussi masquer le réchauffement climatique. Lorsque cet effet de refroidissement s’arrête, la chaleur devient alors de plus en plus évidente.

La banquise arctique était également anormalement basse en mai et au début du mois de juin, un autre facteur aggravant pour le mercure des océans. Car la fonte des glaces peut augmenter la température de l’eau, du fait des eaux profondes absorbant le rayonnement solaire que la glace blanche renvoyait jusque-là dans l’espace.

Tous ces phénomènes ont des effets cascades visibles dans le monde entier.

Les effets de la chaleur hors norme de l’Atlantique

Au début du mois de juin 2023, je me suis rendue pendant deux semaines au centre pour le climat NORCE à Bergen, en Norvège, pour y rencontrer d’autres océanographes. Les courants chauds et les vents anormalement doux de l’est de l’Atlantique Nord rendaient anormalement chaude cette période de l’année, où l’on voit normalement des pluies abondantes deux jours sur trois.

À lire aussi : Sécheresses historiques : que nous enseignent les archives ?

L’ensemble du secteur agricole norvégien se prépare désormais à une sécheresse aussi grave que celle de 2018, où les rendements ont été inférieurs de 40 % par rapport à la normale. Notre train de Bergen à Oslo a eu un retard de deux heures car les freins d’un wagon avaient surchauffé et que les températures de 32 °C à l’approche de la capitale étaient trop élevées pour leur permettre de refroidir.

De nombreux scientifiques ont émis des hypothèses sur les causes des températures anormalement élevées dans l’est de l’Atlantique Nord, et plusieurs études sont en cours.

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

L’affaiblissement des vents a rendu particulièrement faible l’anticyclone des Açores, un système de haute pression semi-permanent au-dessus de l’Atlantique qui influe sur les conditions météorologiques en Europe. De ce fait, il y avait moins de poussière du Sahara au-dessus de l’océan au printemps, aggravant ainsi potentiellement la quantité de rayonnement solaire sur l’eau. Autre facteur possible aggravrant la chaleur des océans : la diminution des émissions d’origine humaine d’aérosols (particules fines en suspension dans l’air) en Europe et aux États-Unis au cours des dernières années. Si cette baisse a permis d’améliorer la qualité de l’air, elle s’accompagne d’une réduction – encore peu documentée – de l’effet de refroidissement de ces aérosols.

Une mousson tardive en Asie du Sud

Dans l’océan Indien, El Niño a tendance à provoquer un réchauffement de l’eau en avril et en mai, ce qui peut freiner la mousson indienne dont l’importance est cruciale pour diverses activités.

C’est sans doute ce qui s’est passé avec une mousson beaucoup plus faible que la normale de la mi-mai à la mi-juin 2023. Ce phénomène risque de devenir un problème majeur pour une grande partie de l’Asie du Sud, où la plupart des cultures sont encore irriguées par les eaux de pluie et donc fortement dépendantes de la mousson d’été.

L’Inde a connu des températures étouffantes en mai et juin 2023. Shutterstock
L’océan Indien a également connu cette année un cyclone intense et lent dans la mer d’Oman, ce qui a privé les terres d’humidité et de précipitations pendant des semaines. Des études suggèrent que lorsque les eaux se réchauffent, les tempêtes ralentissent, gagnent en force et attirent ainsi l’humidité en leur cœur. Une série d’effets qui, à terme, peut priver d’eau les masses terrestres environnantes, et augmenter ainsi le risque de sécheresse, d’incendies de forêt comme de vagues de chaleur marines.

En Amérique la saison des ouragans en suspens
Dans l’Atlantique, l’affaiblissement des alizés dû à El Niño a tendance à freiner l’activité des ouragans, mais les températures chaudes de l’Atlantique peuvent contrebalancer cela en donnant un coup de fouet à ces tempêtes. Il reste donc à voir si, en persistant ou non l’automne, la chaleur océanique pourra l’emporter ou pas sur les effets d’El Niño.

Les vagues de chaleur marine peuvent également avoir des répercussions considérables sur les écosystèmes marins, en blanchissant les récifs coralliens et en provoquant ainsi la mort ou le déplacement des espèces entières qui y vivent. Or les poissons dépendant des écosystèmes coralliens nourrissent un milliard de personnes dans le monde.

Les récifs des îles Galápagos et ceux situés le long des côtes de la Colombie, du Panama et de l’Équateur, par exemple, sont déjà menacés de blanchiment et de disparition par le phénomène El Niño de cette année. Sous d’autres latitudes, en mer du Japon et en Méditerranée on constate également une perte de biodiversité au profit d’espèces invasives (les méduses géantes en Asie et les poissons-lions en Méditerranée) qui peuvent prospérer dans des eaux plus chaudes.

Ces types de risques augmentent

Le printemps 2023 a été hors norme, avec plusieurs événements météorologiques chaotiques accompagnant la formation d’El Niño et des températures exceptionnellement chaudes dans de nombreuses eaux du monde. Ce type de phénomènes et le réchauffement global des océans comme de l’atmosphère s’autoalimentent.

Pour diminuer ces risques, il faudrait mondialement réduire le réchauffement de base en limitant les émissions excessives de gaz à effet de serre, comme les combustibles fossiles, et évoluer vers une planète neutre en carbone. Les populations devront également s’adapter à un climat qui se réchauffe et dans lequel les événements extrêmes sont plus probables, et apprendre à en atténuer l’impact.

Climat- Réchauffement des mers: les conséquences

Climat- Réchauffement des mers: les conséquences

Depuis la mi-mars 2023, le mercure à la surface des océans grimpe à des niveaux inégalés en 40 ans de surveillance par satellite, et l’impact néfaste de cette surchauffe se ressent dans le monde entier.

par Annalisa Bracco
Professor of Ocean and Climate Dynamics, Georgia Institute of Technology dans the Conversation

La mer du Japon est plus chaude de 4 degrés Celsius par rapport à la moyenne. La mousson indienne, produit du fort contraste thermique entre les terres et les mers, a été bien plus tardive que prévu.

L’Espagne, la France, l’Angleterre et l’ensemble de la péninsule scandinave ont enregistré des niveaux de précipitations très inférieurs à la normale, probablement en raison d’une vague de chaleur marine exceptionnelle dans l’est de l’Atlantique Nord. Les températures à la surface de la mer y ont été supérieures à la moyenne de 1 à 3 °C depuis la côte africaine jusqu’à l’Islande.

Et sur le continent européen, la vague de chaleur est actuellement insoutenable, tandis que l’on bat tous les records.

Que se passe-t-il donc ?

El Niño est en partie responsable. Ce phénomène climatique, qui se développe actuellement dans l’océan Pacifique équatorial, se caractérise par des eaux chaudes dans le centre et l’est du Pacifique, ce qui atténue généralement l’alizé, un vent régulier des tropiques. Cet affaiblissement des vents peut affecter à son tour les océans et les terres du monde entier.

Mais d’autres forces agissent sur la température des océans.

À la base de tout, il y a le réchauffement climatique, et la hausse des températures à la surface des continents comme des océans depuis plusieurs décennies du fait des activités humaines augmentant les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

Le graphique montre les températures de surface de la mer ces 22 dernières années. L’année 2023 est nettement supérieure aux années précédentes
Les températures de surface de la mer sont nettement supérieures à la moyenne depuis le début de la surveillance par satellite. La ligne noire épaisse correspond à 2023. La ligne orange correspond à 2022. La moyenne 1982-2011 correspond à la ligne médiane en pointillés. ClimateReanalyzer.org/NOAA
La planète sort également de trois années consécutives marquées par La Niña, le phénomène météorologique inverse d’El Niño, et donc caractérisé par des eaux plus froides qui remontent dans le Pacifique équatorial. La Niña a un effet refroidissant à l’échelle mondiale qui contribue à maintenir les températures de surface de la mer à un niveau raisonnable, mais qui peut aussi masquer le réchauffement climatique. Lorsque cet effet de refroidissement s’arrête, la chaleur devient alors de plus en plus évidente.

La banquise arctique était également anormalement basse en mai et au début du mois de juin, un autre facteur aggravant pour le mercure des océans. Car la fonte des glaces peut augmenter la température de l’eau, du fait des eaux profondes absorbant le rayonnement solaire que la glace blanche renvoyait jusque-là dans l’espace.

Tous ces phénomènes ont des effets cascades visibles dans le monde entier.

Les effets de la chaleur hors norme de l’Atlantique

Au début du mois de juin 2023, je me suis rendue pendant deux semaines au centre pour le climat NORCE à Bergen, en Norvège, pour y rencontrer d’autres océanographes. Les courants chauds et les vents anormalement doux de l’est de l’Atlantique Nord rendaient anormalement chaude cette période de l’année, où l’on voit normalement des pluies abondantes deux jours sur trois.

À lire aussi : Sécheresses historiques : que nous enseignent les archives ?

L’ensemble du secteur agricole norvégien se prépare désormais à une sécheresse aussi grave que celle de 2018, où les rendements ont été inférieurs de 40 % par rapport à la normale. Notre train de Bergen à Oslo a eu un retard de deux heures car les freins d’un wagon avaient surchauffé et que les températures de 32 °C à l’approche de la capitale étaient trop élevées pour leur permettre de refroidir.

De nombreux scientifiques ont émis des hypothèses sur les causes des températures anormalement élevées dans l’est de l’Atlantique Nord, et plusieurs études sont en cours.

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

L’affaiblissement des vents a rendu particulièrement faible l’anticyclone des Açores, un système de haute pression semi-permanent au-dessus de l’Atlantique qui influe sur les conditions météorologiques en Europe. De ce fait, il y avait moins de poussière du Sahara au-dessus de l’océan au printemps, aggravant ainsi potentiellement la quantité de rayonnement solaire sur l’eau. Autre facteur possible aggravrant la chaleur des océans : la diminution des émissions d’origine humaine d’aérosols (particules fines en suspension dans l’air) en Europe et aux États-Unis au cours des dernières années. Si cette baisse a permis d’améliorer la qualité de l’air, elle s’accompagne d’une réduction – encore peu documentée – de l’effet de refroidissement de ces aérosols.

Une mousson tardive en Asie du Sud

Dans l’océan Indien, El Niño a tendance à provoquer un réchauffement de l’eau en avril et en mai, ce qui peut freiner la mousson indienne dont l’importance est cruciale pour diverses activités.

C’est sans doute ce qui s’est passé avec une mousson beaucoup plus faible que la normale de la mi-mai à la mi-juin 2023. Ce phénomène risque de devenir un problème majeur pour une grande partie de l’Asie du Sud, où la plupart des cultures sont encore irriguées par les eaux de pluie et donc fortement dépendantes de la mousson d’été.

L’Inde a connu des températures étouffantes en mai et juin 2023. Shutterstock
L’océan Indien a également connu cette année un cyclone intense et lent dans la mer d’Oman, ce qui a privé les terres d’humidité et de précipitations pendant des semaines. Des études suggèrent que lorsque les eaux se réchauffent, les tempêtes ralentissent, gagnent en force et attirent ainsi l’humidité en leur cœur. Une série d’effets qui, à terme, peut priver d’eau les masses terrestres environnantes, et augmenter ainsi le risque de sécheresse, d’incendies de forêt comme de vagues de chaleur marines.

En Amérique la saison des ouragans en suspens
Dans l’Atlantique, l’affaiblissement des alizés dû à El Niño a tendance à freiner l’activité des ouragans, mais les températures chaudes de l’Atlantique peuvent contrebalancer cela en donnant un coup de fouet à ces tempêtes. Il reste donc à voir si, en persistant ou non l’automne, la chaleur océanique pourra l’emporter ou pas sur les effets d’El Niño.

Les vagues de chaleur marine peuvent également avoir des répercussions considérables sur les écosystèmes marins, en blanchissant les récifs coralliens et en provoquant ainsi la mort ou le déplacement des espèces entières qui y vivent. Or les poissons dépendant des écosystèmes coralliens nourrissent un milliard de personnes dans le monde.

Les récifs des îles Galápagos et ceux situés le long des côtes de la Colombie, du Panama et de l’Équateur, par exemple, sont déjà menacés de blanchiment et de disparition par le phénomène El Niño de cette année. Sous d’autres latitudes, en mer du Japon et en Méditerranée on constate également une perte de biodiversité au profit d’espèces invasives (les méduses géantes en Asie et les poissons-lions en Méditerranée) qui peuvent prospérer dans des eaux plus chaudes.

Ces types de risques augmentent

Le printemps 2023 a été hors norme, avec plusieurs événements météorologiques chaotiques accompagnant la formation d’El Niño et des températures exceptionnellement chaudes dans de nombreuses eaux du monde. Ce type de phénomènes et le réchauffement global des océans comme de l’atmosphère s’autoalimentent.

Pour diminuer ces risques, il faudrait mondialement réduire le réchauffement de base en limitant les émissions excessives de gaz à effet de serre, comme les combustibles fossiles, et évoluer vers une planète neutre en carbone. Les populations devront également s’adapter à un climat qui se réchauffe et dans lequel les événements extrêmes sont plus probables, et apprendre à en atténuer l’impact.

Réchauffement des mers: les conséquences

Réchauffement des mers: les conséquences

Depuis la mi-mars 2023, le mercure à la surface des océans grimpe à des niveaux inégalés en 40 ans de surveillance par satellite, et l’impact néfaste de cette surchauffe se ressent dans le monde entier.

par Annalisa Bracco
Professor of Ocean and Climate Dynamics, Georgia Institute of Technology dans the Conversation

La mer du Japon est plus chaude de 4 degrés Celsius par rapport à la moyenne. La mousson indienne, produit du fort contraste thermique entre les terres et les mers, a été bien plus tardive que prévu.

L’Espagne, la France, l’Angleterre et l’ensemble de la péninsule scandinave ont enregistré des niveaux de précipitations très inférieurs à la normale, probablement en raison d’une vague de chaleur marine exceptionnelle dans l’est de l’Atlantique Nord. Les températures à la surface de la mer y ont été supérieures à la moyenne de 1 à 3 °C depuis la côte africaine jusqu’à l’Islande.

Et sur le continent européen, la vague de chaleur est actuellement insoutenable, tandis que l’on bat tous les records.

Que se passe-t-il donc ?

El Niño est en partie responsable. Ce phénomène climatique, qui se développe actuellement dans l’océan Pacifique équatorial, se caractérise par des eaux chaudes dans le centre et l’est du Pacifique, ce qui atténue généralement l’alizé, un vent régulier des tropiques. Cet affaiblissement des vents peut affecter à son tour les océans et les terres du monde entier.

Mais d’autres forces agissent sur la température des océans.

À la base de tout, il y a le réchauffement climatique, et la hausse des températures à la surface des continents comme des océans depuis plusieurs décennies du fait des activités humaines augmentant les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

Le graphique montre les températures de surface de la mer ces 22 dernières années. L’année 2023 est nettement supérieure aux années précédentes
Les températures de surface de la mer sont nettement supérieures à la moyenne depuis le début de la surveillance par satellite. La ligne noire épaisse correspond à 2023. La ligne orange correspond à 2022. La moyenne 1982-2011 correspond à la ligne médiane en pointillés. ClimateReanalyzer.org/NOAA
La planète sort également de trois années consécutives marquées par La Niña, le phénomène météorologique inverse d’El Niño, et donc caractérisé par des eaux plus froides qui remontent dans le Pacifique équatorial. La Niña a un effet refroidissant à l’échelle mondiale qui contribue à maintenir les températures de surface de la mer à un niveau raisonnable, mais qui peut aussi masquer le réchauffement climatique. Lorsque cet effet de refroidissement s’arrête, la chaleur devient alors de plus en plus évidente.

La banquise arctique était également anormalement basse en mai et au début du mois de juin, un autre facteur aggravant pour le mercure des océans. Car la fonte des glaces peut augmenter la température de l’eau, du fait des eaux profondes absorbant le rayonnement solaire que la glace blanche renvoyait jusque-là dans l’espace.

Tous ces phénomènes ont des effets cascades visibles dans le monde entier.

Les effets de la chaleur hors norme de l’Atlantique

Au début du mois de juin 2023, je me suis rendue pendant deux semaines au centre pour le climat NORCE à Bergen, en Norvège, pour y rencontrer d’autres océanographes. Les courants chauds et les vents anormalement doux de l’est de l’Atlantique Nord rendaient anormalement chaude cette période de l’année, où l’on voit normalement des pluies abondantes deux jours sur trois.

À lire aussi : Sécheresses historiques : que nous enseignent les archives ?

L’ensemble du secteur agricole norvégien se prépare désormais à une sécheresse aussi grave que celle de 2018, où les rendements ont été inférieurs de 40 % par rapport à la normale. Notre train de Bergen à Oslo a eu un retard de deux heures car les freins d’un wagon avaient surchauffé et que les températures de 32 °C à l’approche de la capitale étaient trop élevées pour leur permettre de refroidir.

De nombreux scientifiques ont émis des hypothèses sur les causes des températures anormalement élevées dans l’est de l’Atlantique Nord, et plusieurs études sont en cours.

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

L’affaiblissement des vents a rendu particulièrement faible l’anticyclone des Açores, un système de haute pression semi-permanent au-dessus de l’Atlantique qui influe sur les conditions météorologiques en Europe. De ce fait, il y avait moins de poussière du Sahara au-dessus de l’océan au printemps, aggravant ainsi potentiellement la quantité de rayonnement solaire sur l’eau. Autre facteur possible aggravrant la chaleur des océans : la diminution des émissions d’origine humaine d’aérosols (particules fines en suspension dans l’air) en Europe et aux États-Unis au cours des dernières années. Si cette baisse a permis d’améliorer la qualité de l’air, elle s’accompagne d’une réduction – encore peu documentée – de l’effet de refroidissement de ces aérosols.

Une mousson tardive en Asie du Sud

Dans l’océan Indien, El Niño a tendance à provoquer un réchauffement de l’eau en avril et en mai, ce qui peut freiner la mousson indienne dont l’importance est cruciale pour diverses activités.

C’est sans doute ce qui s’est passé avec une mousson beaucoup plus faible que la normale de la mi-mai à la mi-juin 2023. Ce phénomène risque de devenir un problème majeur pour une grande partie de l’Asie du Sud, où la plupart des cultures sont encore irriguées par les eaux de pluie et donc fortement dépendantes de la mousson d’été.

L’Inde a connu des températures étouffantes en mai et juin 2023. Shutterstock
L’océan Indien a également connu cette année un cyclone intense et lent dans la mer d’Oman, ce qui a privé les terres d’humidité et de précipitations pendant des semaines. Des études suggèrent que lorsque les eaux se réchauffent, les tempêtes ralentissent, gagnent en force et attirent ainsi l’humidité en leur cœur. Une série d’effets qui, à terme, peut priver d’eau les masses terrestres environnantes, et augmenter ainsi le risque de sécheresse, d’incendies de forêt comme de vagues de chaleur marines.

En Amérique la saison des ouragans en suspens
Dans l’Atlantique, l’affaiblissement des alizés dû à El Niño a tendance à freiner l’activité des ouragans, mais les températures chaudes de l’Atlantique peuvent contrebalancer cela en donnant un coup de fouet à ces tempêtes. Il reste donc à voir si, en persistant ou non l’automne, la chaleur océanique pourra l’emporter ou pas sur les effets d’El Niño.

Les vagues de chaleur marine peuvent également avoir des répercussions considérables sur les écosystèmes marins, en blanchissant les récifs coralliens et en provoquant ainsi la mort ou le déplacement des espèces entières qui y vivent. Or les poissons dépendant des écosystèmes coralliens nourrissent un milliard de personnes dans le monde.

Les récifs des îles Galápagos et ceux situés le long des côtes de la Colombie, du Panama et de l’Équateur, par exemple, sont déjà menacés de blanchiment et de disparition par le phénomène El Niño de cette année. Sous d’autres latitudes, en mer du Japon et en Méditerranée on constate également une perte de biodiversité au profit d’espèces invasives (les méduses géantes en Asie et les poissons-lions en Méditerranée) qui peuvent prospérer dans des eaux plus chaudes.

Ces types de risques augmentent

Le printemps 2023 a été hors norme, avec plusieurs événements météorologiques chaotiques accompagnant la formation d’El Niño et des températures exceptionnellement chaudes dans de nombreuses eaux du monde. Ce type de phénomènes et le réchauffement global des océans comme de l’atmosphère s’autoalimentent.

Pour diminuer ces risques, il faudrait mondialement réduire le réchauffement de base en limitant les émissions excessives de gaz à effet de serre, comme les combustibles fossiles, et évoluer vers une planète neutre en carbone. Les populations devront également s’adapter à un climat qui se réchauffe et dans lequel les événements extrêmes sont plus probables, et apprendre à en atténuer l’impact.

Les libertés-individuelles conciliables avec la lutte contre le réchauffement ?

Les libertés-individuelles conciliables avec la lutte contre le réchauffement ?

La juriste Mathilde Hautereau-Boutonnet s’inquiète, dans une tribune au « Monde », des menaces que la priorité donnée aux politiques environnementales fait peser sur les libertés individuelles.

La lutte contre le réchauffement climatique mérite-t-elle de mépriser nos libertés individuelles ? La question se pose lorsque l’on écoute certains propos récemment médiatisés. Tandis que l’activiste du climat Camille Etienne, à l’occasion de la parution de son premier livre (Pour un soulèvement écologique, Seuil, 176 pages, 18 euros), fustige les « puissants » qui organisent notre « apathie » face à l’urgence écologique, et leur oppose une démocratie subordonnée aux « limites planétaires » comme réalités « non négociables », l’ingénieur Jean-Marc Jancovici appelle à instaurer un système de quotas qui n’autoriserait les Français à effectuer au cours de leur vie que quatre déplacements en avion.

Dans les deux cas, qu’il prenne ses racines dans le militantisme écologique anticapitaliste ou le réalisme scientifique chiffré, le discours aboutit au même résultat : fermer la porte à tout débat sur l’atteinte aux libertés individuelles à laquelle conduisent incidemment ces propositions. Les faits parlent d’eux-mêmes, ils nous imposent de ne pas penser autrement, la liberté n’existant que parce qu’elle est collective, pour l’une, et la restriction proposée n’étant que « casse-bonbons », pour l’autre !

Ce résultat est regrettable. Il prive le public d’un élément important pour comprendre comment la lutte contre le réchauffement climatique peut s’opérer dans le respect de l’Etat de droit, seul « terrain de jeu » véritablement non négociable.
Au cœur de cet Etat de droit se trouvent justement nos libertés individuelles et, parmi elles, la liberté d’entreprendre, le droit de propriété et la liberté d’aller et venir. Socle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789, celles-ci nous ont jusqu’alors permis de vivre dans une société développée dont nous tirons encore bien des profits.

Certes, ces libertés peuvent être encadrées. Parce que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art. 4, DDHC), le législateur peut créer des règles portant atteinte à leur exercice, d’autant plus que dans le domaine environnemental, outre le fait que la charte constitutionnelle de l’environnement reconnaît depuis 2005 des droits et des devoirs environnementaux, le Conseil constitutionnel fait de la protection de l’environnement un objectif à valeur constitutionnelle justifiant, au nom de l’intérêt général, les atteintes à certaines libertés.

Réchauffement climatique en France d’ici à 2050: Des conséquences dramatiques

Réchauffement climatique en France d’ici à 2050: Des conséquences dramatiques

D’après une étude d’Axa Climate, filiale de la compagnie d’assurance, les conséquences du réchauffement climatique seront dramatiques en France d’ici 2050; Et la moitié du pays risque d’être impactée.

En 2022, les conséquences du réchauffement climatique leur ont en effet coûté 2,9 milliards d’euros, selon le Haut Conseil pour le climat (PDF). L’étude d’Axe Climate établit des prévisions à l’horizon 2050 (par rapport à la période 1985-2014) en se basant sur le scénario le plus extrême exposé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) dans son dernier rapport.

Sur le plan agricole, l’étude prévoit ainsi une baisse des rendements de maïs d’environ 25% et la perte d’un quart de la production française de sucre blanc issue de la culture de betterave sucrière dans l’Hexagone. « En 2050, la moitié des zones de production fruitière seront impactées par des risques climatiques forts ou extrêmes (sécheresses, inondations, tempêtes…), soit deux fois plus que la normale », ajoute l’étude d’Axa Climate.

Dans le secteur des loisirs, Axa Climate signale par exemple que le niveau marin sera plus élevé de 20 à 25 cm sur la côte d’Opale, située en Picardie. « La promenade des planches de Deauville se trouve à 20 cm en dessous de la ligne de marée haute qui pourrait être atteinte, avec les combinaisons d’élévation du niveau de la mer, de grandes marées et d’ondes de tempête », illustre l’étude. En montagne, la station d’Avoriaz 1800 devrait aussi fermer trois semaines supplémentaires, faute de neige. Quant à la saison à risques des incendies, elle sera « trois fois plus longue qu’aujourd’hui dans les Landes », déjà gravement touchées en 2022, et le nombre de grands incendies dans le sud-est de la France passera de 7 à 12 par an.

Enfin, l’étude s’attarde aussi sur l’habitat. Alors que 40% de la station balnéaire de Lacanau (Gironde) est menacée par la montée des eaux, « la majorité des activités commerciales de la commune, une centaine de locaux professionnels et diverses infrastructures publiques » seraient concernés.

« En 2050, 48% du territoire français métropolitain – représentant près de 10,4 millions de maisons individuelles construites aujourd’hui – est susceptible d’être impacté par le phénomène de retrait-gonflement d’argile entraînant des fissures et dégâts. »

Axa Climate dans son étude
La hausse des températures engendrerait également une hausse de 77% de jours dépassant 24°C à Montpellier, et une baisse de 26% de jours sous 10°C à Strasbourg, réduisant le besoin de chauffage. Face à tous ces risques, « il faut agir maintenant », appelle donc Christelle Castet. Un constat partagé par le Haut Conseil pour le climat, qui réclamait notamment dans son dernier rapport « d’engager les moyens nécessaires au rehaussement de l’action pour l’adaptation ».

voir les 67 commentaires
Partager l’article sur les réseaux sociaux :
P

Climat: réchauffement de deux degrés à l’horizon 2030

Climat: réchauffement de deux degrés à l’horizon 2030

La France n’atteindra ses objectifs climatiques de 2030, selon le Haut Conseil pour le climat, qui publie son cinquième rapport annuel. Le réchauffement moyen en France atteint déjà +1,9 degré sur la dernière décennie, soit plus que le réchauffement mondial, qui s’élève à 1,15 degré sur la même période.

A l’horizon 2030, un réchauffement de 2 degrés est même considéré comme quasiment inévitable pour l’Hexagone, qui enregistre déjà un réchauffement de 1,9 degré au cours de la dernière décennie. C’est plus que la moyenne enregistrée à l’échelle mondiale (+1,15°C).

Les records de 2022 pourraient devenir la norme en 2050

« La France est donc particulièrement exposée aux conséquences du réchauffement climatique mais n’est pas prête à y faire face, comme l’année 2022 l’a démontré », souligne Corinne Le Quéré.

Pour rappel, l’an dernier, la France a traversé trois vagues de chaleur et a connu 33 jours de « vigilance canicule ». 72.000 hectares ont brûlé. Les précipitations ont chuté de 25% en métropole et 75% du territoire a été touché par une sécheresse exceptionnelle des sols. Environ 2.000 communes ont ainsi traversé de fortes tensions pour leur approvisionnement en eau potable, et sept d’entre elles ont connu une interruption totale.

Réchauffement climatique: Déjà de nouveaux records de températures

Réchauffement climatique: Déjà de nouveaux records de températures

Le phénomène El Niño caractérisé par des températures de surface plus chaudes que la normale dans l’océan Pacifique équatorial. Mais ses conséquences s’étendent sur l’ensemble de la planète.

El Niño est un phénomène caractérisé par des températures de surface plus chaudes que la normale dans l’océan Pacifique équatorial. Mais il a des conséquences pour toute la planète. Il « pourrait conduire à de nouveaux records de températures » dans certaines régions, a déclaré dans un communiqué la climatologue Michelle L’Heureux. « Le changement climatique peut exacerber ou atténuer certains impacts liés à El Niño », a-t-elle précisé.

En mai, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) avait averti que la période 2023-2027 serait, avec quasi-certitude, la plus chaude jamais enregistrée sur Terre. Et ce, sous l’effet combiné d’El Niño et du réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre. El Niño se produit environ tous les deux à sept ans, et les climatologues prévoyaient depuis plusieurs mois son arrivée pour cette année.

12345



L'actu écologique |
bessay |
Mr. Sandro's Blog |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | astucesquotidiennes
| MIEUX-ETRE
| louis crusol