Un réaménagement impossible de dettes des pays en développement
Pierre Cailleteau et Thomas Lambert, associés de Lazard Frères, analysent, dans une tribune au « Monde », les défis de la restructuration de la dette souveraine, en se concentrant sur la question de la comparabilité du traitement entre les différents créanciers, les autres gouvernements et les créanciers commerciaux.
Un papier intéressant d’autant que la montée de l’inflation risque de plonger de nouveaux pays dans une dette ingérable. Et pour ces pays s’ajoutera le risque de dérive démocratique au risque de défaut. La grande question et celle de la soutenabilité financière bien sûr mais aussi sociale et économique de la gestion de l’endettement NDLR
La prolifération des situations de détresse financière parmi les pays en développement a mis à l’épreuve le système collectif d’allègement des dettes publiques. Un meilleur équilibre doit être trouvé entre trois objectifs concurrents : accélérer les renégociations de dette, alléger substantiellement le fardeau des Etats, et assurer un traitement équitable de tous les créanciers. Ce traitement équitable, appelé « comparabilité de traitement », doit être rendu plus clair et explicite.
La succession de crises depuis la grande crise financière de 2007-2008 a fait augmenter les dettes publiques d’une manière inédite hors temps de guerre. Les pays avancés, qui bénéficient de banques centrales crédibles, ont pu éviter, à ce jour, les symptômes alarmants de la détresse financière : affectation d’une part considérable du budget à la charge d’intérêts ; incapacité à refinancer la dette à des conditions abordables…
Les pays en développement n’ont pas eu cette chance. Les signes de détresse se multiplient depuis deux ans, et s’accélèrent depuis quelques mois. L’Argentine, l’Equateur, le Liban, le Tchad, l’Ethiopie, le Suriname, la Zambie… et maintenant le Sri Lanka ont dû se résigner à négocier avec leurs créanciers pour alléger le fardeau de leur dette.
Ce processus de réaménagement de dettes repose sur un équilibre délicat : il faut que les dettes soient aisément renégociables pour ne pas condamner des Etats à une cruelle agonie financière ; mais pas trop aisément pour ne pas encourager des réductions de dette « capricieuses » qui rendraient le financement futur de ces économies inutilement onéreux.
La communauté internationale, sous l’égide du G20, a pris en 2020 une initiative très importante : le « cadre commun pour les traitements de dette », s’appuyant sur l’infrastructure analytique et logistique du Club de Paris, ce groupe informel de pays, occidentaux pour l’essentiel, qui orchestrent depuis plus de soixante ans les négociations de dette des pays en développement.
Les nouveaux créanciers publics majeurs que sont la Chine et, dans une moindre mesure, l’Inde et l’Arabie saoudite y participent également. Le « cadre commun » était censé rendre possible et accélérer les processus de renégociation de dettes, après deux décennies durant lesquelles ces nouvelles puissances émergentes ont massivement prêté aux pays en développement, particulièrement en Afrique.
En 2022, ce processus est mis en échec. Aucun cas avéré de succès de restructurations selon le « cadre commun » n’est répertorié à ce jour. Le processus est long et tortueux, malgré l’énergie déployée par le Trésor français qui préside le Club de Paris depuis son origine.